Ça aurait dû être la meilleure chose à faire.
Ça aurait dû abréger la longue agonie d’une relation qui n’allait nulle part.
Ça aurait dû la soulager.

Elle a quitté Lounis.

Mais au final, elle se sent plus mal encore. A cause de son incapacité à l’aider et à le comprendre, à cause de son aveuglement stupide, mais surtout, surtout à cause de ce qu’elle lui a fait soupir.

Et parce qu’au final, il lui manque atrocement mais qu’elle a bien conscience que plus jamais les choses ne seront pareils.
Lexi a soit l’impression de suffoquer, soit d’être en apnée. Il n’y a plus rien d’autre. Elle s’est faite vomir plusieurs fois, ses troubles alimentaires trouvant sans doute que c’était le moment idéal pour revenir comme lors de son adolescence.
Résultat, elle se sent faible, fantomatique. Si seulement elle pouvait redevenir un fantôme…
L’idée la traverse parfois. En finir. Mais elle sait reconnaitre cette petite voix dans sa tête et elle sait que ça n’est pas vraiment elle qui parle.
Elle colle Gi-Ja comme s’il était son doudou mais elle sait bien que se servir de lui comme d’une béquille n’est pas non plus une solution. Et puis, il a le droit aussi à un peu d’intimité.

Une nuit incapable de dormir, son regard tombe sur l’enveloppe qui contenait une plume de phénix mais garde toujours la lettre d’Orion mais écrite et a moitié soufflée par un certain démon.
Un certain démon qu’elle a subitement furieusement envie de voir. Si elle ne l’a pas fait plus tôt, c’est uniquement pour ne pas lui balancer son mal-être à la tronche alors qu’elle le sait encore fragile.

Mais si sa raison sait cette volonté égoïste, le reste s’en fiche un peu.
Elle a besoin de son ami. Un ami qui pourra la comprendre sans doute comme personne, lui qui a été injustement accusé des pires atrocités. Lui au moins n'a rien fait ...
Elle se relève donc, sans se préoccuper de l’heure, emprunte l’une de jeep et roule, fenêtre ouverte vers la plage.
Elle met moins d’une demi-heure à retrouver le lieu qu’il a décidé de colonisé et se trouve soulagée de voir qu’il est toujours debout près d’un feu.
Lexi retire ses chaussures et avance vers son camp, ses pieds nus s’enfonçant dans le sable qui a conservé une partie de la chaleur de la journée.

- Salut…

Elle vient s’assoir à côté de lui et dépose un gros baiser sur sa joue.

- Pour la plume. Comment tu vas toi ?
Elle pose sa tête sur son épaule et garde le silence un instant le temps de rassembler son courage et surtout son sang-froid. Le but n’est pas non plus de lui exploser dessus comme une sale et horrible mine.
- On…
Faux départ.
Elle déglutit pour ravaler la boule qui vient de se former dans sa gorge.
- On est plus ensemble… Lounis et moi.
Peine perdue, la boule grossit si fort qu’elle a du mal à respirer.
- J’ai… j’ai fait… quelque chose d’horrible, Baph, avoue-t-elle d’une voix petite aigüe.

Ça y est ! J'en ai trouvé ! ENFIN ! J'en pleurerai presque, le gardant serré contre moi. Cette fois, j'attends l'arrivée d'une personne bien particulière pour l'ouvrir. Je les sens, sous le plastique, épais et moelleux. Sous mes doigts, j'en ronronnerais presque... Puis, je me dis que cette nuit, j'allais me faire un petit plaisir en solitaire. J'abandonne l'épais paquet près de ma tente et allume un feu. Je regarde les flammes, perdu dans mes pensées. Je me demande si Orion a fait ce que je lui ai demandé. Il m'a assuré qu'il le ferait "tout de suite" et il s'est barré avec un de mes kigurumis préféré, celui à l'effigie de Stitch. Un jour, je m'en ferai faire un à mon effigie à moi.

Ces derniers temps ont été durs. Attendre Lexi est sans doute LE truc qui met ma patience à mal, véritablement. Quand je l'ai laissé repartir, l'autre soir, je me sentais quasiment comme quelqu'un qu'on s'apprête à tromper. Je sais, c'est totalement ridicule. Non, vraiment complètement ridicule. Mais ouais, ça m'a fait mal. J'aurais aimé qu'elle reste avec moi. Depuis qu'elle est rentrée dans ma vie à nouveau, cela me fait mal d'être seul tous les soirs. J'ai l'habitude de la solitude, pourtant.

Non, Baphomet, on a dit qu'on serait patient, on est patient. Elle va quitter son monsieur comme elle te l'a dit, vous allez en rire ensemble, puis vous allez adopter plein de bébés chiots et courir nus sur la plage en riant comme des c...

Je me retourne vivement, les yeux ronds. Ouais, c'est sa jeep ? Oh bordel, oh bordeeel !!

Finalement, je me retourne devant le feu, prend un bâton et ouvre le paquet d'un coup de dent. Je prends un énorme Shamallow sans tarder, le pique dans ledit bâton, et tend ledit bâton à Lexi.

"Sa..." meeerde, elle va mal, elle va très mal "...lut ?"

Elle se pose juste à côté de moi et me fait un bisou qui me fait aussi peur que plaisir. Étrange mélange.

"Hé bien, je t'en prie. J'espère que cela t'a fait plaisir."

Comment je vais ? Mais on s'en fout de comment je vais !!
J'hausse une épaule en guise de réponse. Je ne veux pas l'accabler, je veux encore moins lui mentir. Je suis juste content qu'elle soit là.

Et le couperet tombe. Pourquoi elle le dit sur un ton aussi triste ? Ça devrait être la fête ! Ah oui, non, elle m'avait dit qu'elle aurait besoin de temps. Courage soldat, on a jamais été aussi proche du but ! Non, il y a autre chose. Je prends un Shamallow moi-même, le pique sur une branche, et "trinque" avec celle de Lexi.

"Déjà, félicitation pour ce nouveau départ. Je suis content que tu aies pris cette décision qui n'a pas eu l'air d'être facile à prendre."

Déjà, il faut surtout que j'arrête de jubiler intérieurement. Cependant, il me suffit de regarder ses yeux pour cesser toute joie. Il s'est réellement passé quelque chose de grave. Je passe mon bras autour de ses épaules.

"...tu l'as enterré où ?"

STOOP !

"Non, pardon. Dis-moi tout. Je t'aiderai à surmonter cela, je te le jure, quoi que tu aies fait."

Lexi observe la fine branche et son chamallow bien moelleux au bout.
- Hé bien, je t'en prie. J'espère que cela t'a fait plaisir.
- Plus que plaisir. Il me l’a appliqué dans le dos. Je voulais la garder au cas où, mais je voulais aussi que tu saches que ton cadeau a de l’importance pour moi.

Baphomet ne semble toujours pas au top mais elle a besoin de sortir toute cette émotivité qui grimpe le long de sa gorge. Elle trouve finalement le courage d’énoncer à voix haute sa rupture.
Il ne dit rien pendant quelques secondes puis croise leurs branches.

- Déjà, félicitation pour ce nouveau départ. Je suis content que tu aies pris cette décision qui n'a pas eu l'air d'être facile à prendre.
- Plus à prendre qu’à mettre en pratique. Ça a été… un moment horrible. J’ai rarement vécu quelque chose d’aussi triste.

Alors qu’il l’entoure de son bras, elle se blottit contre lui et repousse les souvenirs terribles du regard de Lounis, de son chagrin… Aujourd’hui, elle ne sait pas s’il va bien, si cette rupture est aussi terrible pour lui que pour elle. A-t-il trouvé quelqu’un avec qui parler ? Quelqu’un qui saura l’aider bien mieux qu’elle ne l’aura jamais fait… ?

- ...tu l'as enterré où ?
La question la prend tellement par surprise qu’elle rit à travers ses larmes.
- Arrête ! C’est pas drôle…
Pourtant ce rire lui fait du bien. Beaucoup de bien même.
- Non, pardon. Dis-moi tout. Je t'aiderai à surmonter cela, je te le jure, quoi que tu aies fait.

Elle tourne la tête pour croiser son regard. Vraiment ? Lui pour qui le consentement est primordial ? Lexi joue gros. Elle ne supportera pas un rejet de sa part tout en sachant pertinemment qu’elle ne pourrait pas lui en vouloir.

- Tu… tu le jures ?
Un lourd soupir franchit ses lèvres, un soupir chevrotant et son regard se fixe à nouveau sur les flammes. Affronter celui de Baphomet est au-dessus de ses forces.

- Tu… tu te souviens ? Je t’avais dit que Lounis n’éprouvait pas de … désir pour moi. Qu’on en a parlé et que finalement, il a voulu essayer. Enfin… peut-être que c’est moi qui l’y ai poussé sans m’en rendre compte… j’en sais plus trop rien… tout est si confus sur ce moment-là. Elle presse le tendre de sa paume contre son front. Ce qui est certain… c’est que j’ai pas su voir, j’ai pas su comprendre, parce que je voulais tellement que ça soit un super moment pour tous les deux… je voulais tellement… je le voulais tellement lui que j’ai pas…
Elle est terriblement confuse, elle en a conscience, alors plutôt que de tourner encore autour du pot, elle lâche finalement.
- Il s’est forcé. Il me l’a avoué. A cause de moi. Pour moi… c’est la même chose au final… je suis monstrueuse Baphomet. Je lui ai fait subir exactement ce que j’ai subi… évidemment qu’il ne m’aime plus maintenant !
Elle éclate en sanglots, toujours incapable de le regarder dans les yeux. Tout ce qu'elle souhaite, là, maintenant, c'est disparaitre.  

"Juré, craché !"

Ow merde... Owmerdeowmerdeowmerde !

J'écoute l'histoire sans l'interrompre, et plus cela va, plus je me sens réellement mal pour elle. Doucement, délicatement, je la prends par les épaules et lui fais face, pour que son regard ne s'envole pas, pour qu'elle se concentre exclusivement sur moi. Lexi, je suis ton ami. Allez, j'ai été formé pour cela, j'ai de l'expérience dans le domaine, je devrais pouvoir m'en sortir. Intérieurement, là, tout de suite, j'en veux absolument à tout le monde. Ce monsieur pour avoir abusé de sa confiance, le dragon pour m'avoir privé de mon ami, Gi-ja pour ne pas avoir été à mes côtés quand j'en avais besoin, mon chien, mon chat, et même à Lexi pour s'être laissé embarquer là-dedans plutôt que de quitter son mec comme elle m'avait dit qu'elle ferait... Mais je ne lui en veux pas longtemps, que tout le monde se rassure.

"Lexi baby sexy... Première chose à savoir, je te comprends parfaitement. Je suis sans doute la personne qui peut te comprendre le mieux en cet instant. Je sais que tu as dû te dire cela souvent, mais tu n'as pas à t'en vouloir. Tu m'entends ?" Mes mains se serrent un peu plus autour de ses bras "Tu... n'as... pas... à... t'en... vouloir... Jamais. Tu ne l'as forcé à rien, il s'est forcé tout seul. Même si j'adorerais être le genre d'ami qui te fait rire en voulant aller casser la gueule à ce Lounis, je ne le ferais pas. Je ne vais pas non plus être le type d'ami qui va te dire que ce n'est rien et que le sexe, dans une relation, ce n'est pas important. C'est important. Crois-moi. Un couple qui bat de l'aile retrouve sans aucun problème son équilibre avec une vie sexuelle épanouie. Oui, juste cela. Un couple qui est sur le point de divorcer devient fusionnel dans l'instant et pour longtemps si leur vie sexuelle est orgasmique. "

D'accord, je suis un démon ET ça a été mon gagne-pain pendant des années.

"Dans cette histoire, personne n'a raison, personne n'a tort."

La petite étincelle en moi qui s'était allumée quand j'ai compris que Lexi était célibataire se souffle aussitôt. Elle va avoir besoin de temps, elle va avoir besoin de moi. Et moi, je suis pret à lui dispenser tout cela. Je la lâche, qu'elle puisse respirer un peu, et je la laisse puiser dans ce que je lui dis. J'espère qu'elle y trouvera des paroles réconfortantes.

D'un coup, je prends l'ampleur de tout ce qu'elle me dit. Mon regard s'envole vers le ciel, et mes lèvres laissent échapper une vérité que je ne peux pas réprimer.

"J'aurais été anéanti à ta place."

Merde... Merde... Putain... fait chier...

Je jette un œil à Lexi, compatissant réellement à ce qu'elle a subit.

"Dis-moi de quoi tu as besoin. Je ferais n'importe quoi pour que tu te sentes mieux. Vraiment n'importe quoi... Sauf un tatouage sur la fesse."

Bon, d'accord, même un tatouage sur la fesse, j'aurais accepté. Même un de mon petit poney, si elle le souhaite. À condition que ce soit Fluttershy.

Baphomet lui redresse la tête et elle est finalement bien obligée d’affronter son regard. Elle tremblote, sanglote, les yeux déjà rougis,  le visage ravagé par les larmes.

- Lexi baby sexy... Première chose à savoir, je te comprends parfaitement. Je suis sans doute la personne qui peut te comprendre le mieux en cet instant.
Elle en a parfaitement conscience. C’est bien pour cette raison qu’elle est là.
- Je sais… avec toute cette stu… stupide histoire avec… avec Gi’. Je… je leur ai dis que… que c’était impossible que tu aies pu faire ça…
- Je sais que tu as dû te dire cela souvent, mais tu n'as pas à t'en vouloir. Tu m'entends ?
- J’arrive pas… j’arrive pas à me dire que… que je ne suis pas responsable de tout ce gâchis !
Il resserre sa prise et l’ancre à l’instant, l’empêche de s’évaporer comme de l’écume salée. Lexi le fixe pratiquement sans ciller.  
- Tu... n'as... pas... à... t'en... vouloir... Jamais. Tu ne l'as forcé à rien, il s'est forcé tout seul.
Elle baisse les yeux. Non… non ils étaient deux dans ce cabanon pour pêcheur. Deux.
- Même si j'adorerais être le genre d'ami qui te fait rire en voulant aller casser la gueule à ce Lounis, je ne le ferais pas.

Incapable de parler, elle secoue la tête pour lui signifier sa désapprobation. Lounis ne mérite aucunement d’être blâmer. Mais sa véhémence lui fait du bien, Gi-Ja a essayé de lui dire aussi. Mais elle n’était absolument pas en état de l’entendre.

- Je ne vais pas non plus être le type d'ami qui va te dire que ce n'est rien et que le sexe, dans une relation, ce n'est pas important. C'est important. Crois-moi. Un couple qui bat de l'aile retrouve sans aucun problème son équilibre avec une vie sexuelle épanouie. Oui, juste cela. Un couple qui est sur le point de divorcer devient fusionnel dans l'instant et pour longtemps si leur vie sexuelle est orgasmique.

Elle s’essuie les joues, renifle fort.
- J’aurais pu… faire sans… j’aurais dû… Mais il a compris que c’était effectivement important pour moi et… et c’est à cause de ça que…
- Dans cette histoire, personne n'a raison, personne n'a tort.

Oui il a raison mais il va lui falloir du temps pour se pardonner. En espérant qu’elle y arrive un jour. Il la relâche alors et Lexi revient aussitôt se blottir contre lui. Comme une grosse daleuse. Pour autant, elle essaie de ne pas culpabiliser de trop lui en demander, tente de profiter égoïstement de la présence de Baphomet.

- J'aurais été anéanti à ta place.
La jeune femme redresse la tête et cherche son regard sans le trouver vraiment.
- Tu ne l’as pas été par… par tout ce qui s’est passé ? Sa paume trouve la joue du démon. Je veux pas… que ça te fasse sentir mal !
- Dis-moi de quoi tu as besoin. Je ferais n'importe quoi pour que tu te sentes mieux. Vraiment n'importe quoi…
Elle lui sourit à travers ses larmes avec chaleur. Son adorable démon… cet ami improbable et aujourd’hui indispensable.
- Promets-moi… promets-moi que toi tu m’abandonneras pas…
Cri du coeur égoïste.
- Sauf un tatouage sur la fesse.

Lexi arrive à rire un peu et caresse la peau encrée derrière son oreille.
- On l’a fait ailleurs… Dans d’autres circonstances j’aurais demandé un gros pot de glace, que tu m'accompagnes pour regarder des films d’amour doudou où j’aurais pleuré tout le long… non pas que je ne te promets pas de ne plus pleurer. Je suis une vraie fontaine… Merci… merci de me comprendre… de ne pas me juger. J'espère que j'aurais l'occasion... de te rendre tout ce que tu me donnes.

J'apprécie sa sollicitude. Toute cette histoire avec Gi-Ja m'a rendu totalement fou, et personne ne saura jamais à quel point. J'étais seul pendant toute cette période. J'avais besoin d'un ami, ça aurait pu être lui, ça aurait dû être lui, mais il a préféré me délaisser pour son dragon jaloux. Je suis content pour lui s'il va mieux, mais je n'ai plus envie d'y penser. S'il n'y avait pas Lexi, j'aurais sans doute quitté ce monde dans le plus grand des silences avec la ferme conviction que c'est mieux pour tout le monde.

Un violeur de moins dans le paysage...

Mais pour le moment, on ne parle pas de moi. Je refoule larmes et boules dans la gorge pour exprimer à Lexi tout mon soutien dans cette histoire.

"Tu n'es responsable d'aucun gâchis..." Une inspiration. Elle a besoin de l'entendre. "Oui, c'est important pour toi, mais personne ne doit se forcer, personne n'a le droit de mentir à l'autre, ou même de laisser croire." Alors oui, peut-être qu'elle lui a joué du charme, sans doute même qu'elle a insisté un peu mais... "...Lexi, je sais reconnaitre un violeur quand j'en vois un." Je lâche cela un peu précipitamment, avant de détourner le regard.

Malheureusement, Lexi lit en moi plus facilement qu'un livre écrit en caractère gras.

"Par cette histoire avec Gi ? C'est... différent. Je n'ai pas cru qu'il pensait que je l'avais violé. Et puis il m'a promis qu'il resterait mon ami et... Il y a... autre chose."

Bordel de merde, Baphomet ! Get your shit back together ! C'est pas le moment de craquer ! Inspire. Expire. Lentement. Tout va bien. Il s'agit d'elle, pas de toi. Vos histoires ne sont même pas semblables. T'es juste en train de réagir comme... Hé bien comme ce qui s'est passé avec Gi'. Sauf que là, c'est elle et elle t'a toi. Tu te souviens ? Toi, tu n'avais personne ! Tu étais juste là, sur ton bout de plage à bouder, hurler, vociférer, sans amis, sans même ton chien ! Alors sois là pour elle ! C'est ton job !

"Je te promets que je serai toujours là pour toi, Lexi. Tu as ma parole. Quel que soit ce qui t'arrive, ce qui m'arrive, peu importe nos chemins, ou ce qu'on devient, je serai toujours là. Tu m'es beaucoup trop précieuse pour que je te perde stupidement pour une histoire comme ça... Dont tu n'es pas responsable d'ailleurs. Cela va te demander du temps. Si tu veux fuir un peu les autres, tu sais où me trouver. J'ai toujours besoin de compagnie, pour ma part."

J'expire un souffle de rire par le nez.

"... Je te remercie. Tu me l'as déjà rendu, je t'assure. Là, ici, tu ne me laisses pas seul."

Pendant un moment, j'envisage d'aller lui chercher un pot de glace, mais je ne sais absolument pas où commencer à chercher.

"J'ai que des chamallows, je suis désolé... Mais je peux te faire le film d'amour doudou !"

Je me redresse et commence à prendre une voix de bande-annonce.

"Moi, c'est Paul ! Je suis un gars sans histoire qui se balade dans la rue... ça ? C'est Rémi, c'est mon pote !" Là-dessus, j'attrape le paquet de guimauves roses et blanches que je cale sous mon bras. "On est potes depuis la maternelle !" Je commence à marcher et à faire une discussion silencieuse quand moi et "Rémi" passons devant Lexi. "Tout a basculé quand cette fille est venue emménager dans le quartier. Cette fois, nous devions choisir entre l'amitié, et l'amour !"

Bon, OK... Ma fin n'est pas celle escomptée... Mais c'est pas grave, Rémi n'est qu'un paquet de Chamallows !

"Et tout cela s'est fini en ménage à trois !"

Je passe rapidement devant Lexi pour mordre dans le Chamallow qui était justement dans sa bouche.

Par pitié, pourvu qu'elle ne se rende pas compte à quel point je suis bouleversé.

Petit à petit, les mots de Baphomet se frayent un chemin dans son esprit. Ils ne s’y installent pas encore durablement mais le poids terrible qui pesait sur ses épaules s’allège un peu et elle respire un peu mieux.
Jamais elle ne pourra lui exprimer correctement à quel point elle lui est reconnaissante à cet instant. Elle a eu si peur de le perdre lui aussi pour ses erreurs.  

- Promets-moi… promets-moi que toi tu m’abandonneras pas…
- Je te promets que je serai toujours là pour toi, Lexi. Tu as ma parole. Le visage de Lexi se plisse d’émotions. Et si les larmes montent à nouveau, leur nature est bien différente. Quel que soit ce qui t'arrive, ce qui m'arrive, peu importe nos chemins, ou ce qu'on devient, je serai toujours là. Tu m'es beaucoup trop précieuse pour que je te perde stupidement pour une histoire comme ça... Dont tu n'es pas responsable d'ailleurs. Cela va te demander du temps. Si tu veux fuir un peu les autres, tu sais où me trouver. J'ai toujours besoin de compagnie, pour ma part.

Elle hoche la tête et reste collée à lui. Tout ce qu’elle peut faire, c’est se répandre en remerciement et espérer être là pour lui au moment où il en aura besoin. D’être bien plus présente qu’elle ne l’a été. Au fond, elle se sent encore coupable de leur éloignement de ces mois.

- …Je te remercie. Tu me l'as déjà rendu, je t'assure. Là, ici, tu ne me laisses pas seul.
- Tu vas devoir t’habituer… la solitude c’est fini !
- J'ai que des chamallows, je suis désolé...
Elle engloutit l’une des guimauves sucrées et lui sourit. Un sourire déformé par la confiserie qui lui donne un air de gamine.
- Ché bon les chamallo ! articule-t-elle difficilement.
- Mais je peux te faire le film d'amour doudou !
- Ouiiii !

Elle le regarde évoluer sur cette petite scène de sable improvisée, les yeux toujours humides de larmes mais un sourire large et franc aux lèvres. Elle finit même par éclater de rire en applaudissant.
- Bravo ! Qu’elle chance elle a cette fille ! Et puis c’est original comme fin ! D’habitude c’est plus… plan-plan.

Elle enfourne un autre chamallow en bouche – désolée Rémi – et se le fait piquer à moitié dans un geste qui la surprend un peu.
Le reste de chamallow avalé, elle tapote le sable à côté d’elle et attend qu’il la rejoigne. Elle dégage une mèche de ses cheveux foncés de son front et l’observe intensément.

- Tu me fais penser à l’un de ses clowns tristes… je ne sais pas pourquoi… Tu es certain que tout va bien ?
Si elle a cru comprendre qu’il n’a jamais été victime de viol, elle s’est toujours demandé pourquoi la chose lui tenait autant à cœur.
- Tu m’es très précieux aussi...Je sais qu’à toi… je peux tout te dire. Que tu m’écouteras… que tu essaieras de me comprendre sans me juger. Et j’espère que tu sais que la réciproque est vraie. Que si tu as quelque chose de difficile à avouer, je suis là pour t'écouter, sans jugement non plus.

La solitude, c'est fini ? Pour qui ? Est-ce que cela signifie qu'elle m'envisage autrement que comme un ami ? Non, trop tôt ! Il faut que je sois patient. Ce serait malhonnête de ma part de m'engouffrer dans cette faille. J'aimerais tellement m'accrocher à cela, mais je sais que mon tempérament de merde m'offrira encore plusieurs jours, voire mois, de solitude. Cependant, comme dit précédemment, il ne s'agit pas de moi. Je peux être là pour elle. Alors, je lui fais un sourire faussement charmeur.

Je lui fais mon numéro de film et je hausse les sourcils quand elle me dit que la fille a de la chance.

"Tu sais, si tu veux un ménage à trois avec moi et les chamallows, on peut s'arranger..."

Oui, je sais. Je fais passer mes vérités derrière l'humour. J'ai toujours plus ou moins fait ça. Cependant, là, la frontière est mince, vraiment trop mince.

Je viens la rejoindre sur le sable, et mes épaules tombent quand je remarque qu'elle peut voir à travers mon masque. D'ailleurs, elle n'a pas fini sa phrase que mon regard s'est déjà éloigné.

Oh...bordel...comment...dire...ça... ?

Je pourrais lui mentir, facilement. Je pourrais lui dire que les abandons de ces derniers temps me pèsent plus que je veux bien me l'avouer... Que je sente qu'elle ne va pas rester auprès de moi aussi souvent que j'en aurais envie, ou besoin... Que je me pose tout un tas de questions sur ma place en ce monde, mais à part la rendre encore plus coupable, je ne vois pas ce que ça peut faire. Je regrette d'avoir jeté mon dévolu sur elle, je sais très bien à quel point je peux être envahissant. J'essaie de me calmer de ce côté-là, j'espère que vous l'avez tous remarqué !

Mais c'est dur.
Putain, que c'est dur !

"Je m'inquiète pour toi, c'est tout."

Mon cœur se brise à sa phrase. Comment ne pas lui dire ce que je ressens pour elle en cet instant ? Entre les gens qui m'ont dit que c'était sans espoir et le fait que je me suis promis de ne surtout pas rusher quoi que ce soit...

J'inspire, et j'expire. Allez, ça va aller, mon grand.

"Tu penses à quoi, quand tu parles de quelque chose de difficile à avouer ?"

Mon cœur se met à battre si fort que j'ai du mal à le réprimer. Peut-être que nous sommes sur la même longueur d'onde, après tout. Peut-être que ça n'a pas marché avec Lounis parce qu'inconsciemment, elle pensait à moi ?

Et c'est alors que je réalise et que je me remémorise notre conversation, à vitesse grand V.

"Tu penses que j'ai fait quelque chose comme ce dont on m'accuse avec Gi ?" Non, ce n'est pas ça. "...Ou tu veux comprendre pourquoi ça m'a affecté à ce point ? Je te préviens, c'est pas une histoire très agréable, et tu risques effectivement de te barrer en courant. C'est un truc que je n'ai jamais raconté à personne."

Je me dirais bien qu'elle n'est sans doute pas prête à l'entendre, mais d'une part, elle en a entendu une plus grosse partie que n'importe qui en ce monde, et d'autre part...

"...ça te fera relativiser à fond cette histoire avec Lounis, par contre. Je peux au moins t'assurer de ça."

- Je m'inquiète pour toi, c'est tout.
- Ne t’en fais pas. Ca ira un peu mieux demain et encore un peu après-demain et ainsi de suite. C’est comme ça que ça marche non ?

Après un instant de silence, elle se fend d’une nouvelle déclaration amicale dans un soucis de réciprocité, parce que ça lui semble important à cet instant. Et parce que peut-être elle sent quelque chose chez lui, une sorte de fébrilité qui semble pas avoir quoi que ce soit en lien avec ce qu’il s’est passé avec Gi-Ja.  

- Tu penses à quoi, quand tu parles de quelque chose de difficile à avouer ?
Il y a donc bien quelque chose. Son instinct ne l’a pas trompé.
- Je ne sais pas. Quelque chose qui te pèse. Quelque chose que tu aurais besoin de partager mais tu n’aurais jamais trouvé le bon interlocuteur… bon ça fait-être très prétentieux dis comme ça.
- Tu penses que j'ai fait quelque chose comme ce dont on m'accuse avec Gi ?
- Non ! Non ! Absolument pas ! Je sais… non je suis certaine que tu n’es pas capable de ça.
- …Ou tu veux comprendre pourquoi ça m'a affecté à ce point ?
Lexi se pince les lèvres, démasquée.
- Je… oui en quelque sorte. Mais uniquement si tu le souhaites. Je ne veux absolument pas te pousser à quoique ce soit.
- Je te préviens, c'est pas une histoire très agréable, et tu risques effectivement de te barrer en courant.
- Ca, tu sais bien que ça n’a aucune importance et je ne vais certainement pas te laisser pour ça. Tiens regarde...
Elle glisse sa main dans la sienne et la serre en lui souriant.
- Je ne bouge pas, tu vois ?
- C'est un truc que je n'ai jamais raconté à personne.
- Et encore une fois je ne t’oblige à rien. Mais si tu veux le partager, je suis là.
- ...ça te fera relativiser à fond cette histoire avec Lounis, par contre. Je peux au moins t'assurer de ça.

Lexi a un petit rire qui s’étrangle un peu dans sa gorge. La curiosité se dispute avec l’inquiétude en elle. Qu’a-t-il de si terrible caché au fin fond de sa mémoire qui n’oublie jamais rien ?

- Vas-y… raconte.

Très bien. Je baisse la tête sur nos mains jointes. Les lèvres serrées, je pense que c'est la toute première fois que Lexi contemple une telle expression de gravité sur mon visage. En fait, je pense que personne ne m'a déjà vu avec cette expression.

"Fuck... Promets-moi que rien ne changera entre nous après ça..." Non, c'est ridicule. Je reprends immédiatement. "Non, ne me fait pas de promesses que tu ne pourras pas tenir." Je sens une sorte de tension venir en moi que je connais un peu trop bien : celle de l'histoire qui veut sortir, mais qui sera réellement douloureuse à faire passer.

Je me redresse, grogne de rage et de frustration avant d'envoyer mon pied dans une grosse pierre qui s'envole dans la mer. Je hurle juste après cet impact parce que je viens de me casser deux doigts de pieds... Elle est bonne, on la garde ! Très réaliste !

Bon, allez, quand il faut y aller...

"Je vais te parler de mon tout premier souvenir. Pas d'inquiétude, celui-là, je ne le partagerai pas de mémoire à mémoire. J'ai envie que personne ne soit aussi fucked up que moi. Par contre, il faut que tu saches un truc... Bordel, je sais même pas par quoi commencer." Je regarde Lexi droit dans les yeux "Quand je lis la mémoire de quelqu'un, je ne peux pas m'empêcher de compatir avec cette personne, de me sentir semblable. J'aimerais beaucoup te dire que cela fini par partir, mais cela ne part jamais vraiment. C'est pour ça que quand j'ai lu ta mémoire, je me suis senti intrinsèquement lié à toi et je n'ai jamais eu envie qu'il en soit autrement. D'ailleurs, parfois, je me la repasse en tête, comme on le fait d'un bon roman, juste pour me sentir d'autant plus proche de toi."

Baphomet, tu t'égares. Évite d'essayer de te rapprocher d'elle alors qu'elle va certainement fuir en courant !

Bon, les gars, on arrête là, deux secondes. On s'apprête à rentrer dans l'esprit de moi. C'est absolument pas beau à voir. Donc, on va mettre une petite annotation si vous le voulez bien.

TW : L'origine de Baphomet

Très bien, très joli. Je reviens donc auprès de Lexi et glisse ma main dans la sienne.

C'est partit !

"Personne n'essaie de se rappeler son premier souvenir. Pour ma part, je n'ai absolument aucun effort à fournir." J'ai un mouvement involontaire de la main, comme pour essayer de dégager une mouche agaçante. "Je venais... très certainement de recevoir mes pouvoirs. Je n'étais qu'un corbeau blanc à l'époque et j'étais à la recherche de nourriture. C'est alors que j'ai senti de la viande fraîche. Quand j'ai suivi la piste, je suis tombé sur le cadavre d'un homme, frais de quelques heures à peine. Il n'y avait ni renard, ni loup, tout était pour moi tout seul. J'ai donc commencé par ma partie préférée, à savoir les yeux. Un vrai délice !"

On est d'accord qu'on est même pas dans le quart du vif du sujet ? OK !

"Une fois le premier globe oculaire avalé, je suis allé chercher encore un peu plus loin jusqu'à essayer de trouver de la bonne moelle. Mon bec a touché son cerveau et j'ai... disons... été forcé d'en absorbé la totalité de la mémoire. Je ne sais pas si la notion de gavage te parle, mais pour une première expérience, être obligé d'ingurgiter l'entièreté de la vie de quelqu'un par son propre vécu, c'est quelque chose d'horrible."

On y est toujours pas... patience.

"Il s'avère que, sans surprise, le type était un violeur."

Je balance ça comme si c'était une explication comme une autre.

"J'ai donc vécu toute sa vie dans sa peau. Sa naissance, son enfance, les jeux avec ses parents qui le traitaient bien, et qui le portaient même sur un piédestal. Il a eu sa première copine qu'il a abusée, je l'ai vu dans le détail, je l'ai vécu, le stress, l'excitation, tout le plaisir de prendre ce qui ne nous appartient pas..." J'inspire, et expire, mais on sent bien le frisson dans mon souffle. "... Il était beau garçon, donc personne n'a jamais voulu croire la fille. Il était tellement sûr de lui. Il a continué sa vie ainsi. Doué en affaire, espion et assassin, il était apprécié pour son intelligence et n'hésitait pas à user de ses charmes pour arriver à ses fins." Mettons les choses au point. "J'étais qu'un corbeau, je n'avais aucune idée de ce qu'était le viol. Tout ce que je savais, c'était que c'était agréable... plus qu'agréable, même. Jouissif." OK, reprenons. "La dernière fois qu'il était avec une femme était la pire, et la meilleure d'entre toutes les fois. C'était une femme qu'il avait prise directement dans les bois, une femme qui n'était pas comme les autres, qui s'est défendue contre lui, et qui a fini par le tuer. Ce souvenir était si frais qu'il en avait encore toute la saveur, jusque sur ma langue." C'est là que je baisse la tête, honteux. "C'était grisant, l'expérience la plus excitante de toute ma vie. Le retour à la réalité a été très compliqué. Heureusement, la vie a fait que j'étais un corbeau blanc, donc il n'y avait absolument aucune chance pour qu'une quelconque femelle se laisse approcher par moi. Si j'avais été un homme, ou si j'avais pu prendre forme humaine, je t'assure que ç'aurait été horrible. J'aurais été... le pire d'entre eux..."

Non, l'histoire n'est pas terminée... Non non non !

"Voilà, c'était ma toute première expérience sexuelle de toute ma vie, et la seule pendant plusieurs siècles par après. Mon pouvoir de mémoire m'a fait vivre le viol de toutes les manières possibles, mais je ne pouvais pas m'empêcher d'en être absolument fasciné... Ou... pire encore... d'en éprouver du plaisir. Je n'étais pas stupide à l'époque, je savais que quelque chose clochait chez moi."

Mal à l'aise, je change de position.

"Et c'est là qu'Odin a décidé de devenir un démon et que mon frère l'a suivi."

On sent que ça commence à puer ?

"Et c'est là que je me suis rendu compte que ma vie sexuelle dans son entièreté allait être sacrément compromise. Mon frère s'est moqué de moi, évidement, il pensait que je n'avais aucun penchant pour la sexualité en général alors qu'en réalité, je luttais contre, tous les jours. J'aurais pu donner libre cours à mes envies les plus extrêmes, mais je savais que si j'y cédais, ne serait-ce qu'une seule seconde, plus rien n'allait me satisfaire. C'est pour cela que je me suis fait prêtre, dans l'ombre et le plus grand secret, parce que je voulais agir, à ma manière, contre cela."

Je secoue la tête.

"Mais ça n'a pas suffi. Ça me rongeait, de plus en plus. Alors j'ai décidé de jeter mon dévolu... sur les violeurs eux-mêmes. Après tout, qu'est-ce qu'ils allaient dire ? "Non" ?"

J'ai un rire amer avant de poursuivre.

"Alors, je me suis choisi le pire d'entre eux pour une première fois. C'était un jeune sénateur romain qui pensait que l'argent pouvait tout acheter. Les hommes, les femmes, les chèvres..." Je fais un vague geste de la main, oui, en sondant ses souvenirs, j'en ai été le premier surpris. "J'ai donc absolument tout préparé, récupérer les mémoires de ses premières victimes pour qu'il vive ce que j'avais l'intention de lui faire vivre jusqu'au bout. J'avais tracé une étoile dans le sol, j'avais même mis des bougies et j'avais même revêtu ma vraie forme de Baphomet, rien que pour lui. Il était terrifié, et plus il l'était, plus ça m'excitait. J'avais hâte de commencer. Je lui ai donc raconté, dans le détail, s'il vous plait, la totalité des choses que j'allais lui faire... Et au moment de commencer... je n'ai pas pu."

Mes lèvres se pincent, je baisse la tête à nouveau.

"Lexi... J'aimerais tellement te dire que je m'en suis trouvé incapable, ou que je ne voulais pas franchir cette limite... Mais la vérité est que le type est littéralement mort de peur, alors que je lui murmurais ce que j'allais lui faire subir. Ce... J'ai pas les mots... a réussi à s'échapper d'un truc qu'il faisait subir impunément aux autres, sans retenue. Autant te dire que j'étais en rage. Dans les minutes qui ont suivi, son corps n'était plus qu'un amas d'os et de chair mélangés. Je ne suis pas nécrophile, sinon j'aurais passé une meilleure soirée. Enfin... Chaque chose arrive pour quelque chose, je suppose, alors je me suis enfermé à nouveau, me concentrant sur mon travail, évitant autant que faire se peut le moindre rapprochement intime de quelque forme que ce soit, je n'avais aucune idée d'où étaient mes limites et aucune envie de le savoir. À l'époque, on ne pouvait pas dire "Hey, salut bébé ! J'suis quelqu'un de gentil, mais ça te va si je fais semblant de te violer ? Sinon, je ne peux pas bander." Non, ce genre de tentative de drague, ça ne marche pas."

Bon, la pire des parties est passée.

"Je ne saurai pas te dire qui... m'a sauvé. J'ai juste remonté la pente, petit à petit. J'essayais d'avoir des rapports en pensant de moins en moins au viol. Il y a des gens qui me voyaient pour ce que je n'étais pas : un gars sympa, un ami potentiel, une connaissance agréable. Je me suis accroché à cette illusion. Je suis même venu en aide à des gens qui connaissaient les mêmes choses, des gens issus de traumatismes, des hommes ou des femmes ayant des attirances sexuelles étranges, voire illégales, mais qui ne voulaient pas les concrétiser. Le temps venant, j'en suis venu à créer le Bouc et Mystère, pour que les gens qui ont ce genre de penchant puissent le vivre, sans complexe, et peut-être être heureux à nouveau."

Le vrai souci est que moi, je sens que j'ai toujours ce truc qui me ronge de l'intérieur. Il m'a foutu la paix, parfois, dans ma vie, mais ça reste assez rare, et j'oublie étrangement toujours pourquoi.

"....DOOOONC autant te dire que Gi et l'idée qu'il a de lui-même qu'il est le pire pervers du monde parce qu'il est attiré par les hommes... On va dire que... Wala... J'ai connu pire..."

Un rire, faible et court.

Immédiatement, je redeviens sérieux. Ma main se serre dans celle de Lexi.

"Je n'ai jamais jamais jamais abusé de quiconque. Le jour où je le fais, si je le fais, je me suicide dans la seconde, parce que je deviendrais un être horrible, et inarrêtable. C'est pour ça que Gi qui balance que je l'ai drogué au GHB pour 'le piloner' m'a mis en rogne, parce qu'il n'a pas idée à quel point c'est dur de se contenir, à quel point ç'aurait été facile, surtout avec lui, de m'abandonner, de perdre le contrôle..."

Cette fois, j'ose regarder Lexi, mes yeux sont brillants de larmes refoulées.

"...Voilà, tu sais tout."

Si elle est un peu inquiète de le voir si solennel et grave, elle ne le montre pas.

- Fuck... Promets-moi que rien ne changera entre nous après ça… Non, ne me fait pas de promesses que tu ne pourras pas tenir.
Elle lui attrape les mains et les serre fort entre les siennes.
- Baphomet… je te promets que quoique tu me dises, ça ne changera pas ce que je pense de toi. Tu es… exceptionnellement âgé. Tu as le droit d’avoir des choses peu reluisantes dans ton passé.

Elle le regarde s’énerver tout seul et cette fois, le laisse expulser la tension qui l’habite jusqu’à ce qu’il se mette à hurler. Lexi se relève aussitôt.
- Baph ? Tu vas bien ? Arrête un peu de t’agiter. Reviens t’assoir et fait à ton rythme d’accord. Si tu ne veux rien me dire, je ne le prendrai absolument pas mal non plus.

Ils se réinstallent et finalement, se met à parler.
Lexi ne l’interrompt jamais, elle le regarde simplement. Une myriade d’émotions, du dégoût à la compassion la plus pure, traversent son regard, plissent les traits de son visage.
Elle a retrouvé sa main et la garder dans la sienne. Elle pleure aussi, beaucoup et en silence.

Lorsqu’il s’arrête finalement de parler, elle a l’impression d’avoir couru un marathon. Elle se sent vidée de cette confession parce qu’elle est effectivement terrible à entendre. Malgré tout, elle ne regrette pas un instant d’avoir insisté. Quel énorme fardeau ça doit être de porter cela seul ! Ses propres problèmes lui apparaissent effectivement bien dérisoires à présent.

Sans un mot, elle se rapproche soudain et le sert contre elle avec force, à l’étouffer.
- Je suis tellement… tellement désolée que tu aies du vivre tout ça… c’est… c’est tellement horrible et injuste !
Désolée que l’humanité l’ait perverti à ce point, qu’elle lui ait donné le pire qu’elle puisse lui offrir. Cette étreinte ne remplacera jamais les horreurs mais elle espère sincèrement qu’elle les apaisera, rien qu’un peu.
- Je te trouve si courageux…
Quelle force de caractère il a pour avoir réussi là où tant, tant d’autres laissent juste aller leurs pires instincts sans une once de remord ou de conscience.
Elle lui embrasse la joue et recule un peu.
- Merci… de m’avoir raconté tout ça. Tu es quelqu’un de bien Baphomet. N’en doute jamais. Ce que tu as… absorbé pour la première fois chez cet homme, ça n’est pas ce qui te définit. Ce sont tes batailles pour y échapper. Ca c’est toi… Si… s’il y a la moindre chose que je puisse faire pour d’aider, n’hésite pas, d’accord ?

Depuis qu’elle le connait, il a toujours été là pour elle, elle entend bien lui rendre la pareille.  

Elle a gardé sa main dans la mienne pendant tout le monologue. Elle ne m'a pas lâché. Jamais. Sa poigne s'est même resserrée autour de ma main.

Quand j'arrête de parler, j'ai peur, vraiment peur.

J'ai peur qu'à présent, elle ne me fasse plus confiance.

J'ai peur qu'elle ne me laisse.

J'ai peur que le vrai "moi" ne l'effraie pour de bon.

Oui, Lexi, si tu avais abusé de ce monsieur, je l'aurais su, j'aurais vu cette lueur malsaine de plaisir dans tes yeux que rien ne peut éteindre jamais.

J'en suis à me demander si je vais vomir, me mettre à pleurer, ou les deux quand Lexi vient contre moi et me serre avec force. Je ne ménage pas ce contact et la serre aussi contre moi. Elle comble le vide que j'ai toujours ressenti à l'intérieur. Enfin, j'ai pu dire cela à quelqu'un, et enfin, je me vois dans les yeux de quelqu'un pour qui je suis vraiment, en noir, en blanc, et avec toutes les nuances de gris et d'argenté que cela peut avoir.

"Merci."

C'est juste un mot, mais je crois ne jamais l'avoir autant pensé qu'en ce moment.

Elle dépose un baiser sur ma joue et je me sens très étrange, tout à coup...

"Bordel, merci !"

J'écarte les bras pour prendre Lexi contre moi à nouveau, littéralement. Je la soulève du sol pour la faire tourbillonner (la fin parfaite de notre film sur le triolisme entre un mec, une nana, et un chamalow, tiens !)

"Je me sens mieux d'en avoir parlé, vraiment mieux."

Dire que j'ai toujours dit à tout le monde qu'une histoire qui ronge de l'intérieur avait juste envie de sortir, jamais, je ne m'étais appliqué cette propre médecine à moi-même. J'aurais dû, mais je n'ai jamais trouvé la bonne personne... jusqu'à aujourd'hui.

Bon, j'ai toujours mal aux doigts de pieds

Pas grave !

La dame a posé une question ! Donc, je pose la dame sur le sable, tranquillement.

"Hé bien oui, pourquoi pas ! Déjà, j'aimerais aider Gi à s'accepter, pour de bon, déjà ! Parce qu'il a le droit au bonheur et à la satisfaction de ne pas se sentir mal dès qu'il se regarde dans la glace. Je pense que t'es la seule personne qui peut m'aider pour ça. Ensuite, j'ai envie de passer une belle nuit, avec toi, bien plus belle que ce que tu avais projeté de faire de base... Mais bon, je pense que t'es pas d'humeur à courir nue sur la plage... laisse-moi réfléchir."

Je regarde autour de nous, à la recherche d'une idée, n'importe quoi... Mais je me suis bien isolé, ici, malheureusement. Je reviens à elle et passe mes pouces sur ses joues pour en essuyer les larmes.

"Ensuite, ne pleure pas pour moi, Lexi-chérie-baby-sexy. S'il te plaît. Mon combat est loin d'être terminé, mais je le gagne, petit à petit."

Bon, une idée, on avait dit ! J'ai plus de weed, j'ai pas d'alcool, j'ai pas de fourrière à cambrioler...

Hm...

Je regarde dans les yeux de Lexi, avant de sourire. Du plus délicatement que je peux, je lui offre un souvenir, un souvenir fait de son uniquement, une musique, basse, profonde, lente, mais qui pourrait s'envoler à n'importe quel moment. Un tango argentin.

"Après notre première rencontre, j'ai... révisé."

Je profite de notre proximité pour passer ma main autour de sa taille, et mon autre main dans la sienne. Je la regarde dans les yeux et commence à la faire basculer en arrière en rythme avec la musique-souvenir. Je la redresse et lui murmure à l'oreille.

"De mémoire, ce n'est pas une danse que tu pratiquais beaucoup. Laisse-toi guider."