La lune est haute, énorme rocher argenté au fond d'un ruisseau infini, une myriade de petits cailloux blancs pour l'accompagner. La nuit est belle, elle l'a toujours aimée. Une sorte de Mère pour les égarés.
Gimbhir hume l'air du soir.
Il est plus doux, plus sucré. Le printemps est aux portes de la forêt. L'envie lui prend de courir. Elle déploie son corps en foulées lestes, bousculant les fougères et les fées qui s'y sont dissimulées. Ses pattes foulent la terre meuble et fraiche. Dans son sillage se répand le fumet merveilleux de l'humus en friche. Un hibou hulule. Plusieurs souriceaux se réfugient dans leur terrier. Gimbhir n'est pas là pour eux. Elle savoure les plaisirs simple de la liberté : les bois sont pétris d'odeurs, de bruits, de beautés cachés dont elle se repait. La vie est magnifique comme un tapis de feuilles dans lequel se rouler, ou un point d'eau dans lequel se mirer.

Gimbhir se trouve belle.
Ses grands yeux d'or sont comme du miel qu'elle aimerait laper. Son museau brouille la surface aqueuse. Elle s'ébroue le poil de surprise et entend l'éclat de rire mélodieux de sa compagne à l'abri de son crâne. Son humaine est toujours plus détendue quand elle l'emmène promener. Le paysage est si paisible, si propice au bonheur.
Là-bas, il n'y avait pas la moindre touffe d'herbe. L'air était lourd, oxydé de corruption. Le ciel paraissait toujours voilé et la brume se mêlait de tout. Son humaine ne souriait que rarement, alors elle venait la cajoler, dans ce petit recoin d'âme où elle se retranchait. Ici, elle peut sentir le soleil sur sa peau, elle peut respirer la nuit sans avoir peur. Ici, elle peut de nouveau dormir sans être inquiétée, bien qu'elle n'y arrive pas encore.

Puisque les éclaboussures amusent son âme-coeur, Gimbhir se précipite pour batifoler sur les berges du lac. Askafroa leur pardonne, ce n'est qu'un jeu innocent ! Lorsque la renarde sent que sa compagne peut avoir pieds, elle lui cède brusquement la place...

Jholane boit la tasse.
A nouveau maitresse de sa carcasse, elle s'agite désespérément pour ne pas couler. Elle perce l'onde au milieu d'un troupeau de nénuphars et de roseaux. De la vase s'insinue entre ses orteils, l'eau et glacée et elle est absolument nue comme un ver.

- Foutue renarde...

Tapie dans sa conscience, un feulement lui indique que sa chère amie se paie sa tête. Les plaisanteries de Gimbhir ne la font pas toujours rire. Cependant, elle doit avouer qu'outre l'aspect cocasse, prendre un bain de minuit n'est pas si désagréable. Elle s'aperçoit qu'elle glousse, elle aussi, tout en se laissant flotter à la surface. Les lucioles dansent et les crapauds coassent.

Une fragrance d'homme et de bête lui chatouille les narines. Le parfum d'un prédateur, énorme, brutal. Jholane se redresse, l'instinct alerté. Elle scrute l'obscurité, le moindre froissement d'herbe qui pourrait trahir la présence de l'Autre. Sa nudité est devenue accessoire. Silencieuse et figée, elle se prépare au pire.

Car elle a connu pire.

Ouais j’ai délaissé Christine… elle va me faire la gueule, mais j’ai besoin de m’éloigner du bruit et de la fureur de cette ville de fous. J’hume l’humidité des bois et les fragrances nocturnes avec bonheur. Bordel ce que ça fait du bien !

Ca fait une paie que j’ai pas pris le temps de me balader en forêt pour le simple plaisir de profiter de la nature. Je veux dire, sans devoir coller au cul d’un Vamps pour le buter.
Ca fait un peu con sentimental dit comme ça mais faut pas croire, c’est les pieds dans l’humus, avec la frondaison des arbres au-dessus de la tête qu’un Berserker se sent le plus à sa place. Loin des hommes. Parce qu’ils n’en sont plus vraiment…

Putain si, je deviens sentimental…sûrement que je me fais vieux. Ça m’empêche pas d’être armé. Sentimental peut-être mais pas encore complètement con.

Prudence est mère de sureté qu’elle disait ma petite maman.

Bon et peut-être que j’suis aussi un peu inquiet.
Depuis que je suis dans cette ville, j’écharpe un paquet de cibles, ça y’a pas à dire ! J’m’occupe. Mais je me laisse aussi bien trop souvent emporté par la transe. Le contrôle m’échappe trop facilement et bien trop rapidement. Est-ce que ça veut dire que l'heure de tirer sa révérence est proche pour moi ?

J’sais pas trop. Hormis la donzelle à la voix de velours, rien ne m’empêchera de basculer et à vrai dire si je passe du côté obscur de la force, pas sûr qu’elle puisse y faire grand-chose.
Ce qui veut dire que je me trouve face à un choix et que je dois réfléchir. Et je fais mieux ça seul, dans les bois.

Soit je continue mes chasses et je pars en beauté avec hémoglobine et massacre à la pelle, en espérant que quelqu’un finisse par me buter avant que je ne m’occupe de toute la ville. Sauf que ça me fait royalement chier de laisser nounours gagné.

Soit j’arrête tout ici et maintenant.
Je l’ai déjà fait pour Daphné. Mais c’est bien plus difficile que de le dire. Berserker c’est aussi ce que je suis, lutter contre sa nature c’est…épuisant. Et puis franchement qu’est-ce qui me reste dans la vie à part la chasse aux Vamps ? Les mois passent et je ressens toujours la même putain de haine pour ces créatures. A croire que j’ai eu plus mal que j’ai bien voulu l’admettre.

Allez pas croire que je m’apitoie sur mon sort hein ! Je déteste ça. C’est juste un bête constat des choses.
Bilan des courses ? Bah j’aime pas tellement la première solution et la deuxième me fait chier d’avance. Manquerait plus que je finisse mes vieux jours à l’hospice…

J’en suis là de mes réflexions quand je tombe sur un spectacle que j’ai un peu de mal à assimiler d’un bloc.
Une nymphe ? Fée ? - en tout cas pas complètement humaine je le sens d'ici - barbote dans le lac. Complètement à poil. Elle est superbe sous la lumière spectrale de la lune et si mes yeux se régale pendant quelques secondes je fais l’effort de recentrer mon regard vers son visage figé. Je me rends compte qu’elle est tendue comme un string à cause de ma présence et lève les mains en l’air en signe de paix. Pas tellement envie de me mettre mal avec une fée ou autres créatures de la forêt.

- Pardon, j’voulais pas perturber votre euh…bain de minuit ? Z’êtes Viviane ? La fée du lac ou quelque chose comme ça ? que je fais pour plaisanter.

Mon regard glisse encore et je le remonte aussitôt avec un petit sourire canaille qui m’échappe totalement.
Ca va… je fais que regarder…Ouais bah c’est pas poli, c’est pas poli…j’aimerais bien vous y voir aussi ! Elle est canon la fée du lac !

Une ombre se détache des fourrés, accroche quelques rayons lunaires. Jholane plisse les yeux. Un homme d'une certaine carrure. Hirsute. Elle déglutit. Son odorat est perturbé par la fragrance complexe de l'individu : un musc virile, peu regardant sur l'hygiène et la lessive, tout à fait humain; un fumet plus puissant, âcre, sauvage et animal. La jeune femme sait reconnaitre l'odeur du sang. Elle a eu son pesant de batailles pour cela.
Gimbhir n'est pas sereine. Elle s'agite et grogne dans les tréfonds de sa cervelle. L'animal qu'elle hume et devine doit être colossale et suffisamment inquiétant pour avoir raison de son habituelle tranquillité d'esprit.

L'inconnu approche.
Gimbhir retrousse les babines.
Jolhane se crispe et fait de même, par mimétisme inconscient.

L'homme lèves les mains pour suggérer qu'il n'a aucune intention malveillante. Peut-elle s'y fier ? Bien sûr que non. Il y a une attitude franche et direct, pourtant, quelque chose dans la ligne de sa mâchoire -ou bien de son nez- de plaisant. Bien qu'il invite à la familiarité, la jeune femme campe sur ses positions, prudente, arquée comme si elle allait bondir.

- Pardon, j’voulais pas perturber votre euh…bain de minuit ?
-...
-....Z’êtes Viviane ? La fée du lac ou quelque chose comme ça ?

Une fugitive expression de surprise voile ses traits. La prend-t-il pour une fae ? Elle se mordille la lèvre avec un subtile froncement de sourcils. Alors, seulement, elle prend la mesure de son regard scrutateur, celui qui court sur son derme nu, sur ses fermes et pointus, sur le galbe gracieux de ses hanche. Sa nudité la rattrape et elle se recroqueville à genoux sous la surface de l'onde, afin qu'il cesse de la peloter comme il le fait, avec ses prunelles libidineuses. Elle n'est pas habituée. Dans le brouillard son corps n'avait pas cette utilité. Dans le brouillard, être une femme n'était simplement qu'une donnée.

- Si j'étais réellement Viviane, je vous pointerais Excalibur sous le pif pour que vous cessiez de me reluquer de cette manière...qu'elle réplique plus véhémente qu'elle ne l'aurait voulu, son visage dépassant juste de l'eau. Vous n'avez pas l'air d'être Arthur, par ailleurs. Qui êtes vous ? Vous... Vous sentez comme la forêt...

... En bien plus dangereux.

- Si j'étais réellement Viviane, je vous pointerais Excalibur sous le pif pour que vous cessiez de me reluquer de cette manière... Vous n'avez pas l'air d'être Arthur, par ailleurs. Qui êtes-vous ? Vous... Vous sentez comme la forêt...

J’éclate d’un rire franc ! Ah bah elle est bonne celle-là ! Ouais en fait j’suis à peu près sûr que c’est pas une fae finalement. Enfin je crois pas. Je m’approche encore un peu, à pas lent pour bien lui montrer que je lui veux pas de mal et pose mon cul dans l’herbe humide. De plus près, elle est encore plus jolie…et plus méfiante aussi.  

- T’as du répondant toi !

Je sais pas trop pourquoi je passes au tutoiement. Juste, j’le sens bien comme ça. Pas la peine de se triturer le cerveau pour ce genre de grandes interrogations de la vie…

- Si on considère que ma Guenièvre s’est plus ou moins tiré avec un vilain Lancelot, j’peux peut-être prétendre au rôle ! Quoique ça me ferait vite chier toutes ces responsabilités royales. J’esquisse une grimace d’excuse. Pardon je voulais pas te manquer de respect mais bon y’a des trucs incontrôlables dans la vie. Les allemands et leur amour immodéré des Birkenstock avec des chaussettes, mon amour pour les chemises hawaïennes, mes yeux devant un beau brin de fille et j’en passe…

Je chercher rapidement autour de moi où elle a pu planquer ses affaires mais je vois rien du tout. Soit elle est venue sans vêtements, soit… Je retire ma veste en cuir et la pose dans l’herbe avant de me décaler et de détourner la tête là où je ne pourrais plus la voir. A mon grand regret.
Quoi ? Ca te défrise que je puisse me montrer un tout petit peu galant ? Pour être franc, ça m’emmerde un peu qu’elle me prenne pour une menace. Je vois bien dans son attitude qu’elle est pas tranquille. Ouais enfin réfléchis deux secondes aussi ducon ! Une femme seule dans les bois, nue qui rencontre un grand gaillard comme toi ? Plus d’une aurait décampé fissa. Mais pas elle. Ca m’intrigue dis donc !

- Tiens tu peux te saper avec ça si tu veux…c’est pas la grande classe mais ça m’évitera de mater ce que je dois pas mater et comme je vois tes vêtements nulle part... Moi c’est Magni. Magni Oxärsson et toi alors Nymphette qui fait trempette ? Qui t’es donc ?


Sa réflexion sur mon odeur m’interpelle un peu… mon côté animal en reconnait la formulation, tout comme le fait qu’elle soit à poil au milieu de nulle part finalement. Je fais rapidement deux et deux et sourit tout en continuant à observer les bois alentour et la lune qui grimpe doucement dans le ciel nocturne. C’est dingue comme le ciel est piqueté d’étoiles dès qu’on s’éloigne un peu de la ville. Coucou Magni sentimental !

- Non je reformule. En quoi tu te transformes ma jolie ? J’te fais peut-être chier avec mes questions en fait ? Si tu préfères barboter tranquille je peux me tirer aussi… j’étais venu me balader un peu pour réfléchir à la base. Ici j’ai l’impression de voir les choses plus clairement, tu vois… Et puis j’suis tombé sur toi.  Bref tout ça pour dire que t’es pas obligée de me répondre hein… Putain qu’est-ce que je cause moi ! Je vais peut-être fermer ma grande gueule, là.

Finalement je me laisse tomber dans l’herber de tout mon long, mets les mains derrière ma tête et observe les constellations. Mon père adorait nous montrer les étoiles à mon grand frère et moi. Du coup dès que je lève les yeux vers le ciel nocturne, je repense à la maison familiale… j’ai un soudain et étrange mal du pays…ça fait longtemps tiens… C’est quand même bizarre la vie. Quand j’y étais je rêvais que de me casser et depuis que j’ai plus le droit d’y mettre une patte j’ai envie d’y retourner.
Contradiction à la con.
Va vraiment falloir que je soigne ce sentimentalisme…

Jolhane fronce les sourcils. Elle penche légèrement la tête d'un côté, puis de l'autre, muette. Cet homme volubile est décidément fort étrange. Il semble sincère dans sa volonté de ne pas lui nuire. Il s'avère dépourvu de filtre entre ce qu'il lui passe par la tête et ce qu'il lui sort par la bouche. Il ressemble, en cela, à cette personne nommée Ciulin, rencontrée dans le Brouillard. Ce sont des gens déconcertants, un brin épuisants, peut-être et, cependant, rassurants : une incapacité à retenir son babillage, suggère un piètre menteur.
De cela, elle est sûre.
"Le Nymphette-qui-fait-trempette" lui arrache un sourire involontaire. L'intrus est pour le moins désarmant.
Alors, elle se décide à s'extirper de son armure marécageuse et s'approche, à quatre pattes, avec une lenteur prudente, du vêtement-offrande. Elle le palpe, le déplie, le respire... Fronce le museau. Le fumet reste prononcé, entêtant, nullement déplaisant mais fortement musqué.

"Un Ours" suggère Gimbhir.
Un Ours acquiesce Jolhane.

Elle enfile la veste, un poil trop courte pour la couvrir entièrement, suffisante pour que sa vertu n'en pâtisse pas. C'est comme se doter d'une deuxième peau, résolument mâle, familière et étrangère à la fois. La sensation, encore une fois n'est pas détestable, ni répulsive. Simplement... Bizarre ? Un brin agréable aussi : l'emprunte de sa chaleur insuffle une énergie particulière au contact de sa peau. L'homme-ours hume bon la sève, la terre meuble, l'écorce boisée. Certes les notes ferrugineuse du sang demeurent, mais n'accablent plus autant son odorat de méfiance.
A genoux dans l'herbe, elle se laisse apprivoisée par la présence de l'étranger. Elle vient finalement s'asseoir près de lui, mais à distance suffisante pour qu'il ne puisse pas la toucher.

- Tu es bavard, Magni Oxärsson, dit-elle d'une voix posée. Elle ne lui donne pas son nom. Un nom se mérite et ne se disperse pas aux quatre vents comme il le fait. Elle ramène ses jambes tout contre elle et pose son menton sur ses rotules. Sa chevelure tombe en rideau humide autour de son visage. Elle fixe sans ciller l'homme étalé paresseusement dans l'herbe. Tu m'en vois désolée pour ta Guenièvre.

Simple politesse.
Elle laisse filler un silence que les crapauds se précipitent de combler. Le ballet des lucioles sur leurs nénuphars reprend son cour.

- Tu es un ours, déclare-t-elle avec le même timbre égal. Un homme et un ours à la fois. Je suis ... j'ignore exactement ce que je suis. Son regard se perd sur l'eau renvoyant le reflet de la lune. Elle hausse les épaules en revenant à lui. Nous nous ressemblons, je crois.

Mue par le besoin soudain de jouer au devinettes -Gimbhir est de nature curieuse, peut-être est-ce de son fait- elle lui offre un sourire de Joconde et demande.

- Tu ne devines pas ? Avec quel animal je partage mon âme...

Ah bah voilà ! Je fais pas tant flipper que ça ! J’la sens qui se rapproche. Mon regard ne dévie pas des étoiles pour le moment jusqu’à ce que j’entende le froissement de mon cuir qu’elle manipule certainement. C’est quand la dernière fois que j’ai lavé ce machin ? Un putain de baille ! Ouais ça doit sentir un peu fort… N’empêche qu’elle l’enfile ce qui me permet de la regarder de nouveau du coin de l’œil.

J’dois lui paraitre nettement moins menaçant parce qu’elle s’installe assez proche de moi finalement. Je note quand même qu’elle reste aux aguets. T’as raison va ! Le monde est pas tendre et quelque chose me dit que t’es pas mal au courant de ce fait.

- Tu es bavard, Magni Oxärsson.

Je tourne ma tête vers elle et lui décoche un clin d’œil.

- Bel effort pour la prononciation, Nymphette ! Si mes mains étaient pas occupées à soutenir ma grosse tête, j’applaudirais presque. T’as pas idée de combien ça fait mal à mon p’tit cœur d’Islandais d’entendre le monde entier écorché mon nom. Et ouais…j’ai tendance à dire un peu tout ce qui me passe par la tête, enfin non…parfois je fais quand même le tri parce que ça serait un beau bordel.

Je note qu’elle se présente pas. Pas grave, ça restera Nymphette. Ça lui va bien.

- Tu m'en vois désolée pour ta Guenièvre.

Le p’tit pincement au cœur est toujours là quand je pense à Daphné et au gâchis de notre mariage mais je fais bonne figure et ricane.

- T’inquiète que je lui ai laissé un souvenir impérissable.

Evidemment elle ne saisit pas l’ironie et le soupçon d’amertume de ma réponse. Mais bon, tout ça c’est de l’histoire ancienne hein ! La nature autour de nous retrouve son calme et ça a un côté hyper apaisant. Sauf que je sens le regard de la donzelle sur moi et je sais pas pourquoi.

- J’ai quelque chose sur la chemise ou dans la barbe ? que je finis par demander, amusé et un poil embarrassé. Y’a quelque chose de … scrutateur dans ses yeux dont j’arrive même pas à deviner la couleur dans la nuit.

- Tu es un ours. Je me hisse sur un coude et me tourne vers elle, intrigué malgré moi. Un homme et un ours à la fois. Je suis ... j'ignore exactement ce que je suis. Nous nous ressemblons, je crois.

Je grimace un sourire tordu. Oh non Nymphette ! On est pas très loin sur la branche du surnaturel mais je suis né sur la pas cool du lot. En tout cas, elle m’a l’air un peu paumé, la jolie blonde… ou rousse, ça non plus j’arrive pas à définir dans le noir.
Elle a ensuite un petit sourire tout doux qui métamorphose un peu son visage figé par la méfiance. Ca aussi ça lui va bien…de sourire. Mais sa crispation légère me fait dire qu’elle a pas tellement l’habitude.

- Tu ne devines pas ? Avec quel animal je partage mon âme...

- Ah bah je pourrais facilement, mais renifler les gens ça me semble pas un truc super civilisé ou respectueux. Et comme j’ai déjà fais une gaffe avec le relucage en règle, j’voulais pas rajouter ça à l’addition ! Mais si tu demandes alors je dirais… je prends une profonde inspiration. L’humaine sent bon…ou c’est moi qui pue. Je vous laisse prendre les paris. Et au-delà, je perçois bien les fragrances de fourrure épaisse…un truc qui s’apparente aux canidés. Ahaha facile…mon sourire s’élargit. FoxyGirl ! A moins que tu préfères Nymphette…c’est toi qui vois !

Je laisse filer un petit silence et tente de lui expliquer.

- C’est pas pour te faire de la peine hein, mais je pense pas que toi et moi on se ressemble tant que ça. Et crois moi, c’est mieux comme ça ! Pour toi, je suppose que c’est une sorte de…collaboration entre ton renard et toi. Comme pas mal de garou... Un lien unique et particulier, quelque chose qui vous renforce. Peut-être même que vous pouvez ressentir ce que l’autre ressent. Moi c’est pas pareil. Je partage pas mon âme avec un ours. Mon corps seulement. Et c’est un peu la bataille pour savoir qui prendra le dessus sur l’autre à chaque fois que je l’invoque. Tout ce que veut cette sale bestiole c’est piqué mon corps et faire durer la métamorphose jusqu’à ce que je finisse par disparaitre - ou plutôt récupéré un corps, celui que j’ai tué pour le rituel mais ça je lui dis pas. Secret de fabrication des Berserker. Tout comme je lui parle pas de la rage meurtrière qui habite gros nounours - J’imagine que pour toi, la métamorphose, c’est quelque chose de relativement cool. Pour moi c’est la roulette russe…je vais pas te faire chier avec le côté technique mais disons que plus je reste ours, plus j'ai de chance de le rester et de devenir dingue au passage. Bybye Magni, Bonjour Grizzlila! ...sympa le programme hein ?

Je dis ça sans trop de gravité. J'veux pas qu'on me sorte les violons merci bien ! J'me suis fait à l'idée que j'allais crever ou du moins m'effacer rapidement. Si je passe encore une année ou deux à ce rythme, j'pourrais m'estimer heureux.

- T’inquiète que je lui ai laissé un souvenir impérissable.

Rancunier. Elle le note dans un coin de sa tête, rangeant cette information parmi un millier d'autres observations silencieuses.

- Ah bah je pourrais facilement, mais renifler les gens ça me semble pas un truc super civilisé ou respectueux. Et comme j’ai déjà fais une gaffe avec le relucage en règle, j’voulais pas rajouter ça à l’addition ! Mais si tu demandes alors je dirais…FoxyGirl ! A moins que tu préfères Nymphette…c’est toi qui vois !
- Comme il te convient, déclare-t-elle à mi-voix. Il y a peu de chance qu'ils se recroisent de toute façon.

Magni pisse les mots comme il doit les boire : sans respirer. Jolhane écoute, attentive aux explications qui s'avèrent quelques peu décousues. Elle trébuche sur plusieurs mots qui lui chatouille la cervelle : "Garou", notamment, qui lui semble familier pour une raison inconnue.

- Grizzila est une femelle ? Elle redresse la tête en observant son expression. A-t-elle dit une bêtise ? Ce n'est pas le nom de ton ours ? Peut-être est-ce pour cela qu'il -ou elle- est en colère, tu sais ? Parce que tu refuses de correctement le nommer. Tu n'as jamais essayé de lui parler ?

Elle laisse filer un silence.

- Gimbhir n'est pas moi et, je ne suis pas Gimbhir. Pourtant, elle est nichée dans mon âme. Enfin, j'en ai l'impression. Froncement de sourcils, songeur. Notre corps s'adapte à la forme qui convient, au moment qui convient, pour l'une ou pour l'autre.

Elle joue avec la pointe de ses cheveux. Attitude inconsciente de femme-enfant oubliée.

- Tu dois être si fatigué, de toujours lutter avec l'animal qui partage ton existence. Ce doit être épuisant de sans-cesse batailler : pour lui comme pour toi. Pourquoi ne pas simplement tenter de cohabiter en bonne intelligence ?

La jeune femme se fige, comme pour écouter une voix inaudible pour son interlocuteur.

- Gimbhir est curieuse. Elle se demande ce qui a pu mettre ton ours dans une telle fureur ?

- Grizzila est une femelle ?

Je la regarde comme deux ronds de flan et tente de retenir un gloussement en faisant semblant de tousser ce qui fait que je m’étouffe comme un con.

- Ce n'est pas le nom de ton ours ? Peut-être est-ce pour cela qu'il -ou elle- est en colère, tu sais ? Parce que tu refuses de correctement le nommer. Tu n'as jamais essayé de lui parler ?

- Nan mon ours a pas de nom et je suis presque sûr à 98% que c’est un mâle – il allait bouffer un petit d’ailleurs quand j’l’ai trouvé dans la forêt, une saleté depuis le début mon nounours ! - Si tu donnes un nom un à truc tu finis par t’attacher et ça finit mal. M’enfin j'dis ça mais ça m’empêche pas de l’appelé Grizzila de temps en temps. Tu sais …la contraction de Grizzli et Godzilla ? Le gros monstre ? Non ? Tu connais pas le film ? Un classique. Il ne parle pas non plus. C’est une vraie bête sauvage. Mais je lui cause de temps en temps, cela dit il a pas l’air d’apprécier mon franc parler. Mais j’t’ai dis, mon lien avec lui est…particulier.

J’ai jamais entendu parler d’un Berserker qui aurait eu une relation apaisée avec son animal, ni chez nos cousins d’ailleurs… est-ce que c’est une piste à creuser ? Y’a des psy spécialisé en relation animal ? Je me marre en pensant à la scène complètement surréaliste…

- Gimbhir n'est pas moi et, je ne suis pas Gimbhir. Pourtant, elle est nichée dans mon âme. Enfin, j'en ai l'impression. Notre corps s'adapte à la forme qui convient, au moment qui convient, pour l'une ou pour l'autre.

- Personne n’a pu t'expliquer exactement ce que tu es ? Moi c’est facile c’est héréditaire. J’avais mon père et mon grand-père collés à mes basques pour toujours tout m’expliquer. Ce qui est aussi un peu chiant cela dit. Y’a plus de découverte. J't'envie un peu tu sais, elle a l'air sympa ta Gimbhir.

- Tu dois être si fatigué, de toujours lutter avec l'animal qui partage ton existence. Ce doit être épuisant de sans-cesse batailler : pour lui comme pour toi. Pourquoi ne pas simplement tenter de cohabiter en bonne intelligence ?

Je cesse de bouger et mon visage prend une expression sérieuse assez rare chez moi. J’aime pas prendre les choses au sérieux. Ca casse le moral en général et j’ai plus le temps pour ça.
C’est bien la première fois qu’on s’intéresse à la bataille que je mène presque au quotidien. Il suffit que je dévoile ce que je suis pour que tout le monde voit le côté cool de la chose. « Whaouuuu ça doit être génial d’être fort et de pas craindre la mort à chaque combat ! »
Bah c’est juste parce que je fais un pari avec elle à chaque fois. Ça a rien de cool.
Si je suis fatigué. Surtout fatigué d’être seul au final. Savoir qu’on va crever dans l’indifférence générale y’a mieux. Sans compter que je serai plus vraiment moi.
Je l'observe en silence. J'trouve qu'elle a des manières presque enfantines parfois. Ca me rend curieux. D'où tu sors Nymphette ?

- T’es bien la seule à m’avoir dit ça ! C’est pour ça qu’on est entrainé dès qu’on porte plus de couche culotte. Parce que chaque jour va devenir une lutte. Et qu’elle se prépare. Ca a toujours été comme ça. De générations en générations. Comment t’expliquer…la bête que j’ai en moins…elle n’est plus vraiment elle-même non plus… elle n’a laissé qu’une sorte…d’empreinte, tu vois ? Et cette empreinte n’est faite que de rage et de violence. C’est de ça qu’elle se nourrit. Impossible de dialoguer avec un truc pareil. C’est pour ça qu’elle me bouffe la raison petit à petit… Mais te prends pas le choux pour ça va ! Tu m’auras oublié d’ici demain, moi et Grizzila ! N’encombre pas ta jolie tête avec mes problèmes relationnels. Il va finir par me tuer. Point barre. T’as l’air d’avoir ton lot de soucis…Ouais j’suis pas fin psychologue mais j’suis pas aveugle non plus…


- Gimbhir est curieuse. Elle se demande ce qui a pu mettre ton ours dans une telle fureur ?

J’hausse un sourcil et affiche un sourire canaille.

- Dis donc, Gimb, on se connait même pas et j'te trouve bien curieuse ! Je vrille mes yeux dans ceux de la belle inconnue. J’te le dis si tu me donne ton vrai prénom ! Un silence passe et j’éclate de rire. Tu vois y’a des choses que n’y toi ni moi on a envie de révéler, Nymphette. Peu importe ton nom va ! C’est sympa de discuter avec toi…
Sans parler du spectacle…mais ça évidemment je le garde pour moi !

Le récit de Magni scandalise Gimbhir et horrifie Jolhane. Cet homme aux allures de clown débonnaire porte en lui et subit les affres d'une âme torturée. Renarde et humaine ne comprennent pas pourquoi il s'est infligé cela. L'émotion est si vive que la jeune femme se trahit, révélant son choc et son incompréhension sur son beau visage.

- C'est affreux. Ton ours maintenu dans cet état de démence furieuse, amputé de lui même... et toi, toi qui endure cela dans ta chair et ta conscience. Pourquoi as-tu accepté une telle aberration ? Qui t'a imposé ce fardeau contre-nature !?

L'homme-ours lui révèle à demi-mots qu'il s'agit là d'une forme de tradition familiale. Alors c'est cela d'avoir une famille: une pression écrasante, des devoirs absconds, une charge mentale non désirée. Irrémédiablement, elle pense aux Vulpe. Est-ce pour cela qu'Aria ne souhaite pas revenir ? Pour se libérer d'eux ?

- Je suis tellement désolée pour toi, Magni.
-...Mais te prends pas le choux pour ça va ! Tu m’auras oublié d’ici demain, moi et Grizzila ! N’encombre pas ta jolie tête avec mes problèmes relationnels. Il va finir par me tuer. Point barre. T’as l’air d’avoir ton lot de soucis…Ouais j’suis pas fin psychologue mais j’suis pas aveugle non plus…
- Cela ne m'empêche pas de compatir. Tu devrais en profiter, il semblerait que cela ne m'arrive pas souvent... Fin et imperceptible sourire. La renarde insiste malgré tout pour savoir ce qui pollue l'esprit de son frère des forêts. Gimbhir est curieuse. Elle se demande ce qui a pu mettre ton ours dans une telle fureur ?
- Dis donc, Gimb, on se connait même pas et j'te trouve bien curieuse ! Son regard harponne Jolhane. Elle le soutient sans siller. J’te le dis si tu me donne ton vrai prénom ! La jeune femme reste coite et Magni se méprend sur son silence. Il s'en moque, même. Tu vois y’a des choses que n’y toi ni moi on a envie de révéler, Nymphette. Peu importe ton nom va ! C’est sympa de discuter avec toi…

Ce "peu importe" a un effet inattendu sur elle, comme si un bouchon de champagne venait de sauter dans le creux de sa poitrine.

- Je n'ai pas de "vrai" prénom, dit-elle au bout d'un long moment, le regard perdu sur le lac auréolé de lune. Je n'ai que ceux que l'on me donne.

"Aria", "Jolhane", "Doe".
Que des patronymes offerts par d'autres pour la qualifier. Elle, n'a jamais eu de nom à elle. Pour cela, elle avait envié Gimbhir et la certitude de son identité. Elle penche la tête sur ses genoux pour y coucher sa joue. Elle a l'air plus fragile et plus éthérée, tout d'un coup.

- Est-ce vrai, ce que tu dis ? Est-ce que je peux croire que tu t'en fiche ? Sourire un peu triste. Tu serais bien le premier...

Pourquoi se confie-t-elle à cet étranger. C'est absurde, imprudent et dangereux. Peut-être est-ce l'odeur entêtante de son manteau, qui le rend familier, ou bien sa désinvolture affichée qui rend la discussion plus confortable.

- Toutes les conversations doivent être sympa quand on est seul... J'imagine. Elle se mordille la lèvre avec une envie impromptue de sourire. Parce qu'entre nous, si tu trouves que je suis de bonne compagnie, tu ne places pas la barre très haut.

Causer n'a jamais été son fort. C'est Gimbhir l'extravertie.

J’vois bien que mon explication sur mon lien avec l’Ours l’horrifie. Et à vrai dire, je comprends. Si j’avais pu choisir et avec le recul des années, j’aurais envoyé chier mon padre et son « toutes les générations de nos ancêtres te regardent Magni. Tu es le dernier Oxärsson à pouvoir faire la fierté de notre famille… » et j’aurais mené une vie pépère. Enfin différente. Enfin z’avez compris quoi !

- Je n'ai pas de "vrai" prénom. Je n'ai que ceux que l'on me donne.

Je fronce les sourcils, perplexe. Pour une fois je retiens toutes les questions qui trottent dans ma caboche. J’ai l’impression que le sujet est difficile, du coup j’me refreine. Comment s’est possible de ne pas avoir de prénom ? J’veux dire, c’est un truc qu’on choisit même pas à la base. A moins que…

- Problème de mémoire ? que je suppose en chuchotant presque ma question. Je sais plus ou moins ce que c’est…quand l’Ours agit, j’suis même pas en arrière-plan, j’suis carrément effacé pour un temps. Et quand c’est moi qui reviens, j’ai aucune putain d’idée de ce qu’il a pu faire.

- Est-ce vrai, ce que tu dis ? Est-ce que je peux croire que tu t'en fiche ? Tu serais bien le premier...

Je me redresse en position assise et hausse mes épaules.

- Bah tu sais, les prénoms c’est juste des trucs qu’on te donne à la naissance, sans même te consulter et avec lequel tu dois vivre après. Mais ça te définie pas. J’veux dire, tu pourrais t’appeler Cunégonde ou bien Emily que ça changerait pas qui tu es là. Jme frappe le torse pour illustrer mon propos. Si c’est ta mémoire qui te joue des tours… c’est pas si différent. Ton esprit a p’t’être manqué des épisodes et alors ? T’es là. T’es en vie. Et t’es pas seule puisque tu as au moins Gimb. C’est déjà pas mal.
Ta mémoire reviendra peut-être…ou pas…ça te laisse quand même un paquet d’années pour trouver celle que tu veux être maintenant.
Merde, j’fais de la psy de comptoir maintenant moi ! Désolé, j’m’emballe parfois.  

Je ressens beaucoup de compassion pour Nymphette. Elle a l’air effectivement bien paumée… J’me sens connement fier d’avoir pu établir un chouette dialogue avec cette nana toute méfiante. J’vais pas jusqu’à penser que c’est mon charme naturel mais j’suis plutôt content de la situation.

- Toutes les conversations doivent être sympa quand on est seul... J'imagine. Parce qu'entre nous, si tu trouves que je suis de bonne compagnie, tu ne places pas la barre très haut.

Mon rire claque à nouveau, peut-être un peu amer. Être seul, ça n’a rien de drôle mais mieux vaut en rire qu’en pleurer hein ?

- Tu serais vachement surprise ! Et pourquoi que tu serais pas de bonne compagnie ? On papote tranquillement de nos vies merdiques, petit clin d’œil amusé et de nos bêbêtes à fourrure. Tu m’insultes pas, tu m’donne pas envie de partir et j’crois même que jt’ai vu esquisser un joli sourire. Tout ça dans un cadre plutôt sympa ! Manque plus qu’une petite bière, des cacahuètes voir un matelas parce que je commence à avoir mal au cul sur le sol…- c’est pas beau de vieillir, crois-moi ! -  et ça serait presque parfait !
Et à vrai dire, je retrouve un semblant de sérieux, c'est plutôt rare que je puisse trouver quelqu'un qui comprend vraiment ce que ça implique...d'être...ce que je suis. Souvent soit je fous la trouille, soit on considère que j'ai beaucoup de chance et que c'est "trop cool", je trace les guillemets dans l'air, d'avoir mes capacités. Du coup j'suis content de t'avoir rencontrée, Nymphette !
Cette fois, mon sourire est presque timide, mais aussi plus naturel, sans fard, sans connerie derrière.

- Problème de mémoire ?

Jolhane feint de ne pas avoir entendu. C'est plus simple de ne pas répondre. Moins douloureux sans doute. Néanmoins, le discours de Magni lui procure un soulagement profond. Elle ne savait pas qu'elle avait tant besoin de ces mots avant de les entendre. Quel être curieux, tout de même. Ses jacasseries auraient pu l'agacer, sa familiarité l'irriter, mais il y a une certaine bonhomie tragicomique au personnage qui le rend sympathique.
Méfiance.
Elle sent bien que sa garde s'effrite et cela l'effraie. Si elle avait voulu gagner la confiance d'une proie pour la faire tomber dans un piège, elle n'aurait pas mieux opéré. Pourtant, Magni est d'une brutalité honnête, d'un franc parler rafraichissant. Il n'attend rien d'elle. Elle n'en attend pas moins de lui. Elle a beau être nue dans ce blouson qui sent fort le musc faisandé, son sentiment d'être en danger, c'est dilué dans la proximité tranquille de leur échange. Magni lui renvoie une image d'elle qu'elle apprécie.

Il la voit Elle.
Pour de vrai.

Son rire, non plus, n'a rien de mensonger.
Méfiance.
Elle a envie de lui accorder du crédit.
Prudence.
Il la fait sourire sans qu'elle n'y prenne garde.
Distance.
Depuis quand n'a-t-elle pas confronté un adulte sans le craindre ?

- Tu serais vachement surprise ! Et pourquoi que tu serais pas de bonne compagnie ? On papote tranquillement de nos vies merdiques, petit clin d’œil amusé et de nos bêbêtes à fourrure. Tu m’insultes pas, tu m’donne pas envie de partir et j’crois même que jt’ai vu esquisser un joli sourire. Tout ça dans un cadre plutôt sympa ! Manque plus qu’une petite bière, des cacahuètes voir un matelas parce que je commence à avoir mal au cul sur le sol…- c’est pas beau de vieillir, crois-moi ! -  et ça serait presque parfait !
- Tu n'es pas vieux, s'entend-elle dire. Elle se mordille l'ongle du pouce comme pris en faute d'en avoir trop confessé. Je ne trouve pas que tu le sois, en tous les cas.
- Et à vrai dire, c'est plutôt rare que je puisse trouver quelqu'un qui comprend vraiment ce que ça implique...d'être...ce que je suis. Souvent soit je fous la trouille, soit on considère que j'ai beaucoup de chance et que c'est "trop cool" d'avoir mes capacités. Du coup j'suis content de t'avoir rencontrée, Nymphette !

A nouveau, se produit cette sensation de bulles de savon qui éclatent dans sa poitrine.

- Doe... souffle-t-elle avec pudeur. Tu peux m'appeler Doe... ou Jolhane.

C'est un prénom auquel elle s'est plus vie habituée que "Aria."
Elle lui renvoie un sourire semblable au sien, sans le quitter des yeux.

- Je suis contente de t'avoir rencontré aussi, Magni Ossawwwr... Elle trébuche sur sa langue. Oxarrr... Elle fronce les sourcils. Oxarsson ? Petit gloussement délicieux, innatendu, échappé de sa gorge contre son gré. Elle lui lance une oeillade en coin pour finalement opter pour... Magni.

Elle baisse le regard sur ses pieds dont les orteils trifouillent la terre du rivage et remet une mèche de cheveux mouillée derrière son oreille. Bouffée de gêne passagère.

- Ceci étant, avec des vêtements ça aurait été mieux...

Jolhane se surprend encore à rire et porte la main à sa bouche pour réfuter immédiatement cette trahison de Gimbhir. Or la renarde s'offusque : elle n'y est pour rien si cet humain lui plait. Confuse, la jeune femme bifurque sur un autre sujet.

- Comment t'es tu lié à ton ours ? Si... si ça n'est pas indiscret ?

- Doe... Tu peux m'appeler Doe... ou Jolhane.

Bah merde ! J’l’attendais plus son prénom ! Inconsciemment, je retiens presque ma respiration pour être sûr de le capter. Doe ? Sérieux ? Z’aurait pas pu trouver mieux ? Ca me plait moyen et ça lui correspond pas. Je fronce le nez.
Magni disapproves. A fond même.

- Doe, ça te va pas si tu veux mon avis. Ah bah en fait même si tu le veux pas, tu l’as quand même maintenant. Doe, ça fait trop, « Ecoute on a pas eu envie de se fouler alors on a pris le truc le plus neutre de l’univers ». T’es pas neutre. Personne ne l’est d’ailleurs. Jolhane…je médité (façon de parler hein) quelques secondes sur ce prénom. C’est déjà mieux, y’a au moins un effort de personnalisation. Mais ça doit être chaud de te reconnaitre dans un prénom qui te dit rien… En tout cas, enchantée de t’connaitre Jolhane !

Je fais le geste de lui tendre la main mais m’arrête à peine amorcé. J’sais pas pourquoi mais je pressens qu’elle l’aurait sans doute refuser.

- Je suis contente de t'avoir rencontré aussi, Magni Ossawwwr... Oxarrr... Oxarsson ? Magni.

Son petit rire tout doux me donne envie de sourire…comme la façon toute mignonne qu’elle a d’essayer de prononcer mon nom... c’est louche ça… Les femmes-enfants c'est pas mon truc d'habitude. Sa prononciation est une catastrophe à l’oreille et ça fait grincer des dents mon honneur islandais mais j’peux pas m’empêcher de trouver ça absolument adorable. Franchement la vie est une salope d’avoir déversé son fiel sur elle. Elle a pas l’air de mériter ça… J’espère vraiment qu’elle va retrouver une vie plus… normale ? Si ça veut encore dire quelque chose… ou qu’elle se laisse plus aller à vivre plutôt qu’à surveiller ses arrières.
Mais je saurais sans doute jamais. Les gens passent dans ma vie mais s’accroche jamais. C’est con parce que dans cette ville de tarée j’ai rencontré deux trois personnages que j’aurais bien aimé connaître mieux et jolie Nymphette…Jolhane, est en haut de la liste. Ca fait sans doute trop longtemps que j’suis seul…j’pensais que c’était comme tout, qu’on s’y habituait. Faut croire que non.

- Mais noooon, fallait pas lâcher l’affaire comme ça ! T’y étais presque !!! Non j’rigole t’étais super loin. Mais bel effort quand même. T’inquiète, Magni ça m’va bien et puis c’est plus simple. Mes parents ont fait sobre pour leur deuxième enfant. Mon frère s’appelle Áslaugur, j’te raconte pas l’angoisse, le pauvre…

- Ceci étant, avec des vêtements ça aurait été mieux...

- Tu m’en veux si j’te dis que j’suis pas du même avis ?

Je me marre pour faire passer la plaisanterie mais en fait je plaisante qu’à moitié. Hé ! Encore une fois ! J’suis qu’un homme après tout ! Enfin à moitié.

Son rire est sans doute le truc le plus doux que j’ai entendu. Vraiment je l’aime bien. J’espère qu’elle rira plus à l’avenir. Ca illumine son visage et c’est plutôt un beau spectacle.

- Comment t'es tu lié à ton ours ? Si... si ça n'est pas indiscret ?

Je grimace un chouillat. AH ! La voilà la question à mille dollars ! Ses yeux à la couleur indéfinissable me scrutent avec une curiosité aussi affuté qu’un chat…ou qu’un renard en l’occurrence.
Du coup j’suis bien dans la merde. Le soupir que je pousse est si profond que je suis presque certain d’avoir fait des rides dans le lac.

- Si c’est un poil indiscret. C’est pas que j’ai envie de garder le secret familial mais si j’te le dis tu risques de me prendre pour un montre et j’ai pas tellement envie… Mais bon…ça fait partie de ce que je suis – et y’a peu de risque qu’on se recroise –. J’vais être obligé de te raconter le tout pour que tu essaies de comprendre. Si t’y arrives pas, j’t'en voudrais pas…même moi ça me dépasse aujourd’hui. Quand j’ai eu douze ans, mon paternel m’a largué dans la forêt avec une seule mission : survivre pour ramener ce qui allait faire de moi l’honneur de la famille. J’ai vite repéré les traces de l’ours. C’était juste avant l’hiver et cette vieille saloperie cherchait de quoi se remplir la panse. Il a traquait une ourse avec deux petits et voulait se bouloter l’un des oursons. C’est comme ça que ça se passe chez les ursidés. J’ai fabriqué un piège, affuté quelques bouts de bois et j’ai attiré l’ours là où je le voulais en servant d’appât. C’était un monstre le machin. J’ai mis deux jours pour le tuer…
J’ai ramené ce que je devais à mon père et au vieux chnock qui nous sert de sorcier. Un rituel plus tard, j’étais lié à l’ours que j’avais traqué et tué. Et j’étais super fier, aussi fier que mon père. Je venais de redorer le blason de la famille, tu vois ? Mais ouais... c'est comme ça qu'on créé les êtres comme moi...pas étonnant qu'il m'en veuille à ce point hein, Grizzila...C'est pour ça que je lui en veux pas plus que ça...une vie pour une vie...

Je lui passe les détails du gobage de sang frais, même si un peu plus ou un peu moins fera pas une grosse différence maintenant. J’ose même plus la regarder dans les yeux.

- Tu m’en veux si j’te dis que j’suis pas du même avis ?
- Je t'en voudrais moins si tu étais nu toi aussi... Elle se pince les lèvres, se rendant compte de l'énormité du sous-entendu à rebours. ...Pour.... équilibrer les choses.... se sent obligée d'ajouter en regardant ailleurs.

Gimbhir couine et feule sous les voutes de son crâne. La renarde est clairement en train de se payer sa tête. Elle est hilare, même. Jolhane change très dignement de sujet et écoute attentivement le récit de son compagnon : une histoire d'hommes, de chasse et de magie. Un conte sauvage et sanglant, un tradition ancestrale, une question d'honneur.
Un début de piste pour elle même.
Magni transpire la honte et le regret. La jeune femme l'observe, muette. Elle saisit tardivement qu'il a peur du rejet.

De son rejet.

C'est à cet instant précis qu'elle décide de croire en sa parole. A ce moment là, qu'elle éprouve le besoin de lui rendre la pareille. Sa voix s'élève alors, calme et sereine de prime abord.

- Je viens du brouillard. Enfin, pas exactement... corrige-t-elle, J'imagine que celle que j'étais avant a connu autre chose. Mais moi, j'ai ouvert les yeux, nue comme un ver, en plein Eastside. Gimbhir était là, mais je ne le savais pas encore. Je ne l'ai découvert que plus tard. Ce que j'ai vu là bas...Son timbre s'enraille, les mots gondolent

Un nouveau silence les enveloppe. Jolhane frissonne.

- Ce sont les enfants qui m'ont appelée "Doe". Ceux que j'ai sauvé des monstres d'Unseelie... Là-bas. C'est le premier prénom que j'ai reçu. Je le chérirais toute ma vie. Tu comprends n'est-ce pas ?

Elle arbore un faible sourire, triste, fragile et éphémère comme cette rencontre impromptue.

- Ton histoire est cruelle, sanglante, mais elle revêt du sens. Elle fait suite à des rites, des croyances. Je ne jugerais jamais un petit garçon tentant de suivre le modèle érigé par son père ou son guide spirituel.... Mais mon histoire, à moi... Sa violence n'a pas le moindre sens.... Sa voix est devenu entrefilet, à peine audible. Ce qui se cache dans la brume n'a ni logique, ni raison, ni morale, Magni. Tout ce que l'ont peut faire face à ça c'est espérer survivre, un jours de plus.

Elle tremble, le regard hanté. Sa détresse perce la nuit, musèle Gimbhir dans son hilarité. La renarde se love contre l'esprit de Jolhane pour la réchauffer. Cette dernier contracte la mâchoire pour reprendre contenance, sert les poings à plusieurs reprises pour ne pas se perdre dans les souvenirs monstrueux.
Elle prend une longue inspiration, refoule les traces d'émotivité et tourne la tête vers Magni. Jolhane est belle dans sa retenue.

-Merci, de me l'avoir dit. Merci beaucoup.

Elle sourit, à nouveau, avec une gratitude sincère cette fois.

- Je crois... Je crois qu'il y a de la magie à l'œuvre pour moi aussi, mais... sans doute différente de la tienne. Elle triture une nouvelle fois les mèches de ses cheveux, pesant une question qu'elle ne sait vraiment comment formuler. Pourquoi... Pourquoi ta famille n'es plus avec toi, aujourd'hui ? Ils sont tes semblables et pourtant tu es... tout seul. Tout seul avec ton ours...

La "Famille".
Un concept obsédant, pour elle. Les Vulpe ne cessent de lui répéter qu'elle est l'une des leurs, qu'elle appartient à une vieille et honorable lignée. Eux aussi ont leurs croyances, leur rites, leurs traditions. Elle ne se reconnait pourtant en aucune d'entres elles. Pourquoi Aria ne s'éveille pas pour reprendre la place qui est sienne, auprès de ces gens là ?

Pas de fuite. Pas d’insultes. Pas de jugement.
A la place, elle se confesse à son tour et je relève la tête pour la regarder.
Le soulagement est intense, inattendu. J’m’en carre les miches de se qu’on pense de moi en temps normal. Mais l’opinion de Jolhane compte.
Pourquoi ? Mystère. Est-ce que j’ai envie de creuser la question ? Putain non !

Elle parle du brouillard qui asphyxie la ville et de son amnésie. Quoi qu’elle est vécu là-bas, ça devait pas être joli-joli… je l’écoute et ferme ma gueule pour une fois. J’veux pas interrompre sa confession et puis j’avoue que j’veux en savoir plus sur elle et le pourquoi de cette méfiance et de cette…j’arrive pas à mettre le mot dessus…mélancolie ?

- Ce sont les enfants qui m'ont appelée "Doe". Ceux que j'ai sauvé des monstres d'Unseelie... Là-bas. C'est le premier prénom que j'ai reçu. Je le chérirais toute ma vie. Tu comprends n'est-ce pas ?

Je sais pas qui est cette Unseelie mais j’comprends que c’est la cause de ce merdier. Putain, y’avait des enfants dans ce brouillard…
J’opine du chef et bride ma langue. Le maigre sourire que je reçois en retour me donne une brusque envie de la prendre dans mes bras et de la protéger de toute cette merde qui encombre sa tête et sa mémoire. Mais j’me retiens évidemment.

- Ton histoire est cruelle, sanglante, mais elle revêt du sens.
- Tu trouves ?
- Elle fait suite à des rites, des croyances.
- Sacrifier des mômes sur l’autel de croyances obsolètes, j’trouve ça quand même un peu léger…
- Je ne jugerais jamais un petit garçon tentant de suivre le modèle érigé par son père ou son guide spirituel.... Mais mon histoire, à moi... Sa violence n'a pas le moindre sens. Ce qui se cache dans la brume n'a ni logique, ni raison, ni morale, Magni. Tout ce que l'ont peut faire face à ça c'est espérer survivre, un jour de plus.

Elle est trop loin pour que je la touche, sinon j’lui aurait bien pris la main pour qu’elle revienne au moment présent. Je sens bien qu’elle est perdue dans des images pas cools mais j’ose pas faire le moindre geste pour pas l’effrayer.

- Merci, de me l'avoir dit. Merci beaucoup.

Elle est quand même foutrement belle quand elle sourit Nymphette, j’en perds un peu le fil de mes pensées qu’est déjà souvent bien emmêlé.  

- J’t’en prie. Merci de comprendre. J'l'ai pas dis à beaucoup de monde...

- Je crois... Je crois qu'il y a de la magie à l'œuvre pour moi aussi, mais... sans doute différente de la tienne.
J’étire ma grande carcasse. Putain de soirée ! J’ai pas tellement envie qu’elle s’arrête…
- Probable ! C’est con qu’on soit pas en Islande. Le vieil sorcier sentait de la bouche mais question magie animale il s’y connaissait. Y’a moyen de faire des recherches non si ça te tracasse ? J’suis sans doute pas le plus indiqué pour du fouinage dans des vieux bouquins mais tu pourrais trouver quelqu’un pour t’aider, apprendre des trucs intéressants.
- Pourquoi... Pourquoi ta famille n'es plus avec toi, aujourd'hui ? Ils sont tes semblables et pourtant tu es... tout seul. Tout seul avec ton ours...
- Parce que j’ai fait un choix. J’ai préféré tenter une vie normale avec la femme que j’aimais que de m’enterrer dans une vie que j’avais pas choisi. Tu vois chez moi on fait les choses à l’ancienne. On m’avait fiancé et trouvé un job sans jamais me demander mon avis. J’devais tenir mon rôle et si possible essayer de faire des enfants pas trop dégénérés pour perpétuer la tradition. Sauf que le petit garçon qui voulait faire plaisir à papa a grandi et est tombé amoureux comme un con. Alors j’ai tout plaqué pour elle. Et quand elle m’a trompé…
Putain de pincement au cœur. Je frotte inconsciemment ma poitrine.
- J’me suis retrouvé sans rien. Y’avais plus de retour en arrière possible. Comme dit, j’avais fait un choix. Fallait que j’assume. J’ai fait bifurquer mon destin et j’vais crever loin des miens. Parfois je regrette, parfois non. C’est bizarre mais c’est comme ça.
Et toi alors ? Personne t’as reconnu…quand t’es sortie du brouillard ?

- Probable ! C’est con qu’on soit pas en Islande. Le vieil sorcier sentait de la bouche mais question magie animale il s’y connaissait.

Jolhane se mordille la lèvre inférieure. Elle le trouve drôle malgré les circonstances. Cet homme-ours a le don de distiller de la légèreté là où le drame s'est enraciné. Un véritable super-pouvoir en soi.

- Y’a moyen de faire des recherches non si ça te tracasse ? J’suis sans doute pas le plus indiqué pour du fouinage dans des vieux bouquins mais tu pourrais trouver quelqu’un pour t’aider, apprendre des trucs intéressants.

Elle éprouve un pincement étrange au cœur, une pointe de déception peut-être. A-t-elle espéré l'espace d'une seconde qu'il lui proposerait son aide ?Ridicule, ils viennent de se rencontrer.

La famille semble être un sujet aussi compliqué pour lui que pour elle. Cependant, encore une fois, elle se fait attentive à la réponse. Elle tente de projeter Magni dans le rôle d'amoureux romantique. Une gageure. Néanmoins, il doit être aussi franc dans sa manière d'aimer que la façon dont il se livre. Il n'a pas l'air conçu pour la duplicité. Quelle genre de femme a pu gagner son cœur pour ensuite le piétiner ? Aria a peut-être connu l'amour, mais elle, elle ne sait pas ce que cela fait d'aimer au point de tout sacrifier. Jolhane se demande fugitivement quelle sensation peut procurer les bras de Magni autour du corps de l'être aimé. Sans doute qu'elle en a une ébauche d'idée en portant ce manteau infusé de son odeur.
Elle mâchonne inconsciemment la mèche de cheveux qu'elle malmenait entre ses doigts.
Gimbhir aimerait lécher les plaies de l'homme blessé par les griffes de la trahison. Elle semble apprécier son honnêteté mal dégrossie, elle aussi.

- J’me suis retrouvé sans rien. Y’avais plus de retour en arrière possible. Comme dit, j’avais fait un choix. Fallait que j’assume. J’ai fait bifurquer mon destin et j’vais crever loin des miens. Parfois je regrette, parfois non. C’est bizarre mais c’est comme ça. Et toi alors ? Personne t’as reconnu…quand t’es sortie du brouillard ?
- ...... Si. Silence. Faible sourire, presque ironique. Les membres d'une famille ancienne avec ses rites, ses croyances et ses traditions séculaires. Des professionnels de la chasse aux monstres. Visiblement, j'y jouais un rôle important. Je te laisse imaginer leur joie puis leur déception en me retrouvant : je ne suis pas la femme qu'ils ont chérie et perdue. Je suis son mirage. Certains on même dit qu'il aurait préféré me savoir morte d'autres m'ont pris pour une usurpatrice. Personne ne s'explique comment j'ai atterri et survécu dans le brouillard.... Personne ne sait pour Gimbhir, ce qui fait de moi un mystère entier et absolu.

Elle déglutit, comme si elle avait avalé la coque épineuse d'une châtaigne. Etre une étrangère pour soi-même est déconcertant.

- J'aurais préféré qu'on ne m'attendent pas. De toute manière, c'est le cas : ce n'est pas moi qu'ils voulaient retrouver. Elle regarde Magni, les prunelles miroitantes. La différence avec toi, c'est que je n'ai pas la sensation d'avoir eu le choix en quoi que ce soit.

Jolhane retrouve une expression composée, chassant les émotions parasites qui ont failli déborder.

- Je ne sais pas pourquoi je te raconte ça. On ne se connait pas... Elle arrache nerveusement quelques brin d'herbes. Tu pourrais retourner ça contre moi. Me faire du mal... Elle égraine les brins fauchés entre ses doigts. Tu vas me faire du mal ?

Elle fixe Magni, anxieuse et curieuse à la fois.
Elle se surprend à vouloir approcher plus près.

- ...... Si.

Outch. Le silence qui suit me dit rien qui vaille.

- Les membres d'une famille ancienne avec ses rites, ses croyances et ses traditions séculaires.
- Ah. Merde. Désolé pour toi. C’est pas les familles les plus simples… et pas les plus adaptables aux situations nouvelles.
- Des professionnels de la chasse aux monstres. Visiblement, j'y jouais un rôle important. Je te laisse imaginer leur joie puis leur déception en me retrouvant : je ne suis pas la femme qu'ils ont chérie et perdue. Je suis son mirage. Certains on même dit qu'il aurait préféré me savoir morte d'autres m'ont pris pour une usurpatrice.
- Mais quelle bande de connards !

J’sais pas pourquoi je m’importe comme ça mais ça me fout les nerfs qu’on ait pu dire un truc pareil à quelqu’un comme Jolhane. Faut pas être sorti de grandes écoles pour voir qu’elle feint rien du tout. Enfin j’sais pas…si moi, qui suis pas le personne la plus finaude en ce concerne la psyché humaine, j’le vois, pourquoi ceux qui sont censés être les plus proches d’elle ont rien vu ?
Ça me débecque. Littéralement.
Des chasseurs en plus ? Si j’ai bien compris les murmures des bars où j’ai trainé, y’en a pas des masses dans la ville. J’me demande quelle famille c’est…

- Personne ne s'explique comment j'ai atterri et survécu dans le brouillard.... Personne ne sait pour Gimbhir, ce qui fait de moi un mystère entier et absolu.

Je l’observe avec attention. Sa délicatesse apparente cache l’âme d’une survivante si elle a pu tenir aussi longtemps dans le brouillard. Toujours d’après ce qui se murmure, personne n’en revient jamais. J’éprouve soudain un profond respect pour ce bout de femme, assez pugnace pour dire merde au brouillard, ses monstres et ses pièges prêts à vous gober tout cru.

- Tu veux dire que t’es pas née avec Gimbhir ou que t’as pas eu le droit à un rituel magique pour te lier à elle ? Elle vient peut-être du brouillard elle aussi alors… Ça c’est intéressant…t’sais quoi ? J’peux toujours tenté de prendre contact avec mon vieux sorcier. Peut-être qu’il me répondra en souvenir du bon vieux temps. Je ricane un poil. Le temps où j’allais brûler ses herbes juste pour le faire rager…Qui tente rien n’a rien, pas vrai ?
Pour ce qui s’est passé dans le brouillard c’est sans doute plus compliqué…vu toutes les histoires qui courent sur le machin, c’est moyen étonnant qu’il t’ait chourré la mémoire. Comment t’as survécu ? J’hausse des épaules désinvoltes. On s’en fout non ? Le principal c’est que tu sois revenue en vie, non ?
- J'aurais préféré qu'on ne m'attende pas. De toute manière, c'est le cas : ce n'est pas moi qu'ils voulaient retrouver.

Je lui renvoie son regard. Y’a quelque chose de super fragile dans sa façon de me scruter à cet instant. Sa situation est franchement pas facile et j’ai à nouveau une envie dingue de la prendre dans mes bras juste pour la rassurer. Mais j’doute que ça ait cet effet sur elle si j’le tente. Je jette un regard mauvais à mon cuir. Lui, il a le droit de l’enlacer…
Jaloux de sa veste…tu t’arranges pas avec les années Magni ! Ou peut-être que je deviens fou…

- Si. J’suis sûr que si. Ils le savent juste pas encore. Faut leur donner un peu de temps aussi. Votre histoire est compliquée. Mais s’ils tenaient à toi, ils feront l’effort d’apprendre à te connaitre à nouveau.
- La différence avec toi, c'est que je n'ai pas la sensation d'avoir eu le choix en quoi que ce soit.
- C’est vrai…et j’suis franchement désolée pour ce qui t’arrive. J’aimerai faire quelque chose pour t’aider mais pas certain que t’es besoin d’un défourailleur de têtes…y’a que là-dedans que j’suis doué.

Elle reprend une expression neutre et lointaine. Comme si elle venait de balayer ses sentiments trop douloureux et bizarrement ça m'attriste. Ca ma plaisait de penser qu'elle avait pas besoin de mettre une sorte de "masque" avec moi.

- Je ne sais pas pourquoi je te raconte ça. On ne se connait pas...
- C’est justement pour ça que c’est plus facile…
- Tu pourrais retourner ça contre moi. Me faire du mal... Tu vas me faire du mal ?

J’sais pas d’où vient la boule qui vient de se former dans ma gorge. Est-ce que c’est sa question pleine de vulnérabilité ? Son regard qu’est de nouveau accroché au mien ? J’ai perdu toute envie de plaisanter et c’est avec un sérieux pas habituel chez moi que je lui réponds.

- Non, que je souffle, j’te ferai pas de mal, Nymph…Jolhane, j’me corrige au dernier moment. Tant que je suis aux commandes, t’es en sécurité avec moi.  

J’espère juste que tu seras pas dans les parages si je perds définitivement la boule…j’peux rien promettre pour l’Ours. Mais si ça tenait qu’à moi, personne ne t’en ferai plus.

Sauf que j’ai aucun droit de lui dire un truc pareil. C’est juste un sentiment qui vient du plus profond de mes tripes. Un truc viscéral.

- Tu m’crois hein ?

A ce moment précis, j’ai envie de sa confiance.

- Tu veux dire que t’es pas née avec Gimbhir ou que t’as pas eu le droit à un rituel magique pour te lier à elle ?
- Il semblerait que non.
- Elle vient peut-être du brouillard elle aussi alors…
- C'est possible... Mais tout ce que j'en ai vu n'avait rien de bénéfique comme Gimbhir.
- Ça c’est intéressant…t’sais quoi ? J’peux toujours tenté de prendre contact avec mon vieux sorcier.

Jolhane l'observe à la dérobée, le cœur affolé, un peu inquiet de ses propres souhaits. Quelques secondes auparavant, elle regrettait qu'il ne propose pas son aide. A présent qu'il le fait, elle se méfie de cette proposition. Personne n'est spontanément bienveillant à l'égard d'un autre sans en attendre quelque chose. Qu'attend donc Magni Oxärsson d'une femme telle que Jolhane Doe ?

La conversation se poursuit jusqu'à atteindre un point culminant qui l'effraie. S'est-elle trop facilement confiée ? A-t-elle eu raison de se fier à sa franchise de façade ? Qui est vraiment cet homme, après tout ?
Elle se sent plus vulnérable que jamais.

- Non, j’te ferai pas de mal, Nymph…Jolhane. Tant que je suis aux commandes, t’es en sécurité avec moi... Tu m’crois hein ?

Jolhane se mordille la lèvre inférieure, indécise. Elle a fortement envie d'avoir foi en lui. Pourquoi ? Elle l'ignore. Leurs histoires se font écho de telle manière qu'elle redécouvre cette vulnérabilité enfouie, qu'elle avait pris soin d'ignorer jusqu'alors. On ne réfléchit pas à ses propres sentiments quand la Mort vous souffle sans cesse son haleine dans le cou.

Elle prend une décision.

Elle choisit de s'approcher. Elle a besoin de voir ses yeux et la vérité qu'y s'y cache de plus près. Aussi, avance-t-elle à genoux, plus animale qu'humaine en cette instant. Elle penche la tête sur d'un côté, puis de l'autre. Ses prunelles d'or fixent Magni, grave ses traits révélés par la proximité et après un long moment de silence contemplatif déclare simplement:

- Je te crois.

Une pause, le temps d'une infime respiration.

- Gimbhir aussi. Elle dit que tu ne sais pas dissimuler ton odeur. Une manière de dire qu'il est incapable de manipulation ou de camouflage. Jolhane fronce les sourcils. Elle... Elle souhaite se présenter.

Soudain, la peau de la jeune femme devient translucide et lumineuse comme les lucioles qui butinent sur le lac. Sa silhouette devient floue, sa forme moins précise et, petit à petit, les contours d'un canidé se dessine. Sous le cuir vite délaissé dans l'herbe, à présent, il y a une renarde au corps élancé et gracieux. Son pelage d'un roux tirant sur l'or rappelle la chevelure de Jolhane et ses yeux sont deux gouttes d'ambre viride. L'animal est bien moins pudique et timide que son humaine. Elle pose les pattes sur le torse de Magni et lui lèche le visage joyeusement, cherchant le contact de ses grande mains calleuses. Elle fourrage dans sa chemise, du bout du museau, pour trouver cette plaie qui le gratte et vérifier qu'elle soit saine. Elle se frotte à lui comme pour y déposer sa marque, adouber leur familiarité entérinée plus tôt. Elle se montre extraordinairement joyeuse avec l'homme-ours et ses petits feulement évoquent presque un rire.
Gimbhir est une toute jeune femelle, impulsive et malicieuse, bien différente, en cela, de la retenue de Jolhane.

Après quelques longues minutes d'échanges de cet acabit, Gimbhir reflue, de la même façon qu'elle est venue, laissant une Jolhane aussi surprise qu'agacée, nue et à califourchon sur les cuisses de Magni.

- Gimbhir ! Foutue renarde ! s'offusque-t-elle  en se recroquevillant pour masquer les parties les plus tendre de son anatomie. Ne regarde pas! ordonne-t-elle à l'Ours comme à l'Homme. Surtout l'Homme.

Quelque part sous son crâne, Gimbhir de régale de son tour pendable.

Je la regarde s’approche vers moi, à quatre pattes, presque plus animale qu’humaine et j’dois dire qu’y’a un truc en moi que ça laisse pas indifférent.
Elle me scrute et pour la première fois, je suis assez près pour voir l’or de ses yeux. C’est…assez…extraordinaire…j’ai pas d’autre mot. Aussi superbe que le reste si vous voulez mon avis. Je subis son examen attentif, gêné mais je me dérobe pas. Je me contente de me râcler la gorge sans un geste nerveux inconscient.
Elle finit par lâcher son jugement et je souris, assez soulagé au final.

- Gimbhir aussi. Elle dit que tu ne sais pas dissimuler ton odeur.
- Euhh…j’sais pas comment je dois le prendre exactement…
- Elle... Elle souhaite se présenter.
- Que…quoi ? Comment ça ?

La métamorphose est rapide et surtout indolore pour elle apparemment. Tant mieux. Du coup je me retrouve avec une renarde super enthousiaste qui me saute dessus avant même que j’ai pu dire ou faire quoi que ce soit. Elle est belle comme tout avec sa fourrure toute douce qui glisse entre mes doigts et partage la superbe couleur des iris de son âme sœur.
- Eh oh ! Doucement ma belle ! Je sais que tu me trouves sale mais t’es pas obligé de me nettoyer le visage ! Je rigole à moitié. Mais oui t’es une brave fille, enchanté de te connaitre Gimb. Tu veux bien que j’t’appelle Gimb hein ? Je la gratouille et la cajole, le sourire aux lèvres. La petite semble apprécier mes attentions.
- Bah dis donc ! T’es moins sauvage que Nymphette toi ! Vous veillerez bien l’une sur l’autre d’acc ? Tu dois être toute jeune, hein ma belle ? Quoi ? Qu’est-ce qu’elle a ma chemise ? Tu l’aimes pas ?
Elle est vraiment adorable c’te renarde. Elle se roule sur moi, fais des tours sur mes jambes…on dirait presque un chat. Etrange qu’elle soit pas effrayée par l’Ours en moi, elle doit pourtant le sentir.
Elle mordille mes doigts et je prends ça pour une demande de continuer mes caresses.
- T’es une gourmande de câlins, toi… J’espère que tu fais pas ça avec tous le monde ! Y’en a qui considère les renards comme des nuisibles, tu sais. Va falloir que tu te méfies un peu plus du genre humain.
Elle me lape le nez en guise de réponse et je le fronce en me marrant. Impétuosité de la jeunesse !
C’est marrant de voir à quel point le caractère de Gimb est à l’opposé de celui de Jolhane. C’est bien. Elles pourront apprendre l’une de l’autre.
Pour la suite…

Bah je sais pas trop ce qui s’est passé à vrai dire. Un instant je gratouille le cou de la renarde qui me regarde les yeux mi-clos de bonheur, je cligne des yeux et… j’me retrouve avec Nymphette, toujours nue, sur les genoux dans une position plutôt euh…équivoque.  
J’avoue que ça fait un petit choc. Genre se prendre un arbre dans la gueule. J’reste comme un con, les yeux grands ouverts la main sur la gorge de la jeune femme à essayer de comprendre. C’est la deuxième fois que je la vois comme ça et j’dois dire que je me lasse pas du spectacle.
Là, j’demande le ralenti m’sieur l’arbitre. J’ai rien vu et c’est pas ma faute…

- Gimbhir ! Foutue renarde ! Ne regarde pas !

Ah bah merci ! Grâce à son cri d’indignation, mon cerveau reçoit à nouveau un peu de sang. Non parce qu’on va pas se mentir, l’irrigation se faisait plutôt au sud à ce moment-là. Oh ça va ! J’suis qu’un homme après tout ! Que le premier mec à pas ressentir de désir pour une belle femme à califourchon sur ses genoux me jette la première pierre ! J’me reprends enfin, lève les mains comme un malfrat et ferme les yeux. Si fort que je dois avoir le visage tout plissé.
Vite ! Technique de siou ! Faut que je pense à un truc dégueulasse sinon ça risque de partir en sucette tout ça…

Bordel elle a la peau douce.
Non on a dit un truc dégueu !
Et elle sent super bon…c’est encore plus flagrant de près…
Le vieux sorcier…voilà ! Parfait le vieux sorcier. Concentration Magni ! Il avait combien de dents pourries c’te vieille bique ?
Quelques secondes de plus et je peux enfin respirer à nouveau. S’en est fallu de peu…
Je finis par rigoler un peu nerveusement, les mains toujours en l’air.
- J’aime bien Gimb, mais elle aurait au moins pu dire au revoir !
Je cherche à tâtons ma veste et l’enroule autour de Jolhane, toute recroquevillée sur moi, touchant involontairement à nouveau sa peau au passage. Je sens la chaleur de son corps contre le mien et j’dois dire…
Oulààà on revient pas sur ce terrain-là Magni !
Dangereux, miné, mon gars !
J’m’assure qu’elle est à peu près couverte et réouvre les yeux. Grave erreur. J’tombe direct sur l’or des siens. Je déglutis, un peu… j’saurais même pas dire. Hypnotisé ? J’ose à peine respirer, les doigts sagement enfoncés dans l’herbe.
- Elle est chouette ta renarde, que je balance d’une voix rauque. Vous formez un bon duo.

Jolhane est mortifiée. Son coeur bat fort, sa respiration siffle, précipitée. La honte la paralyse. Recroquevillée en position fœtale, elle tente tant bien que mal de conserver un semblant de dignité. Entreprise délicate quand vos sens vous envoie des signaux contraires. Toutes les parties de son corps en contact avec ceux de Magni lui cuisent la peau. Cette large paume, rugueuse, sur sa gorge laisse une brulure qui l'incendie encore plusieurs minutes après qu'il l'ait retirée.
C'est à la fois humiliant et agréable.
L'homme-ours fait montre d'un self-control de gentleman et elle l'en remercie. Elle n'aurait pas parié dessus. Mains en l'air, il grimace comme un gosse. Sous la chappe de gêne, elle ne peut s'empêcher de trouver la mimique amusante.

Une influence de sa renarde.

Mentalement, elle fustige Gimbhir pour cette blague de très mauvais gout. La vilaine goupil rétorque malicieusement qu'elle n'a fait que donner un coup de pouce à son envie de le toucher. Le visage de Jolhane s'enflamme puissamment ce qui, fort heureusement, ne se voit pas dans l'obscurité.

- J’aime bien Gimb, mais elle aurait au moins pu dire au revoir !
- Je.. Je suis désolée... Elle n'en fait qu'à sa tête, parfois.

Magni l'enveloppe avec toute la délicatesse dont il est capable dans le cuir abandonné en petit tas dans l'herbe. La jeune femme tire sur les pans de la veste en croisant les bras sur sa poitrine, espérant vainement que le tissus l'aspire tout entière. Maigre rempart. Rempart tout de même. Elle aimerait disparaitre dans un profond terrier. Et pourtant, elle demeure où elle est, sans bouger d'un cheveux. Elle fixe Magni qui défroisse enfin les paupières.
Instant suspendu.

- Je ne voulais pas...balbutie-t-elle
- Elle est chouette ta renarde.
- Elle est plus... sociable que je ne le suis. Plus tactile aussi.
- Vous formez un bon duo.
- Je...

Il faut qu'elle descende de là.
Qu'elle s'écarte.
Qu'elle s'éloigne.
Qu'elle fuit.
Il faut.

"Je n'en ai pas envie" pense-t-elle.
"Je sais" rétorque sa moitié.

Jolhane se cache le visage dans ses mains, refuge désespéré pour éviter de se trahir.

- Magni, dis quelque chose, souffle-t-elle entre ses doigts, n'importe quoi. Tout ce qui te passe par la tête m'ira....

Tout ce qui pourra l'empêcher de réfléchir et d'avoir peur.

- Magni, dis quelque chose, n'importe quoi. Tout ce qui te passe par la tête m'ira....

Là, j’y comprends plus grand-chose…il se passe quoi au juste ?
Elle a l’air foutrement gênée, le visage caché entre ses mains. J’imagine que c’est mon contact qui l’embarrasse…mais du coup pourquoi elle se barre pas de mes genoux ? C’est pas que je me plaigne hein, mais à force la technique « vieux sorcier moche » va finir par plus suffire…
Elle bouge pas.
Je bouge pas.
Statu quo
C’est la merde.
Et j’ai aucune idée du pourquoi du comment.
J’suis pas le dernier des cons avec les femmes d’habitude mais les choses sont plus claires dès le départ. Là je nage dans le flou le plus total.

J’ai peur que si j’bouge, elle se tire à nouveau loin et en fait, j’ai pas tellement envie. Du coup situation figée. J’essaie de faire ce qu’elle me demande mais évidemment c’est le moment que choisit ma tchatche habituelle pour se faire la malle. Je reste muet quelques secondes, que l’univers en profite ça m’arrive pas si souvent…, et baragouine des « euh » à n’en plus finir.
Abruti va ! Allez quoi, cerveau de merde ! T’as bien un truc à dire !

- Je…euh…je trouve tes yeux magnifiques. J’veux dire, j’avais pas encore eu l’occasion de voir leur couleur comme t’étais assez loin et euh… bah dorés comme ça, j’avais jamais vu encore. Et Gimb à la même c’est drôle ! Du coup c’est un hasard ? Ou alors tes iris ont changé quand vous vous êtes liées ? Ou l’inverse d’ailleurs… si c’est la cas ça pourrait être une piste pour commencer les cherches sur ton lien avec la p’tite futée. J’sais pas si mon Nounours a un truc à moi…faut dire que personne à envie d’aller voir de près la couleur de ses yeux. J’crois qu’il a la fourrure sombre mais c’est tout ce que je sais.

Rire nerveux.
Comme elle bouge toujours pas ça me fait réfléchir encore. Et si y’avait pas que de l’embarras derrière tout ça ? Et si…malgré tout…j’lui foutais la trouille et qu’elle était paralysée par elle…Faut que je débloque cette situation sinon elle risque de passer la nuit sur mes genoux et moi … bah de ravoir la trique. Ce qu’elle manquerait pas de noter et là bonjour l’embarras pour ma gueule !

Du coup je m’autorise quand même à faire un geste. J’encercle tout doucement ses poignets de mes deux mains, super délicatement, comme s'ils étaient faits en cristal et abaisse ses mains pour dégager son visage. J’affiche un petit sourire que j’espère rassurant et cherche son regard.

- T’as rien à craindre de moi, t'sais, si c’est ça qui t’inquiète…si tu doutes, écoute Gimb. J’suis sûr qu’elle a de l’instinct, la petite. Elle a pas l’air de me craindre à priori…Mais si tout ça c’est trop, j’peux te déposer à côté de moi et me barrer si c’est ça qui te fera sentir mieux. J’te laisse mon cuir en souvenir ou alors tu me le ramèneras plus tard. C’est toi qui vois…

Baisser la garde c'est mourir.
C'est une règle qu'elle s'est imposée dans le brouillard. Certains la trouve sèche, dure, cassante parfois. Elle fait rarement démonstration de tendresse ou d'émotions trop vives. Elle fait ce qu'elle peut pour faire bonne figure et tenir bon. Sa solidité n'est qu'une illusion qu'elle se force à maintenir à bout de bras, pour les enfants, pour sa propre survie.

Mais maintenant ?

Cette vie qui semble si douce la terrifie. Elle ne sait pas par quel bout la prendre. Son passé soulève beaucoup trop de questions. Son avenir offre des perspectives qui lui colle le vertige. Son présent, ce sont ces deux pognes d'ours bourru qui la tienne, des compliments, des mots rassurants et deux yeux francs. Une chaleur sincère.

Elle a terriblement besoin de croire en la bienveillance désintéressée de Magni.
Viscéralement.

" Lâche prise..."
" En ai-je vraiment le droit ?"

- T’as rien à craindre de moi, t'sais, si c’est ça qui t’inquiète…si tu doutes, écoute Gimb.
- Elle.. elle n'a que deux ans d'existence. Que sait-elle de la vie? Rien de plus qu'elle à priori.
- J’suis sûr qu’elle a de l’instinct, la petite. Elle a pas l’air de me craindre à priori…

Cela ne signifie pas qu'elle peut faire confiance.
Jolhane louche sur les phalanges abimées de son interlocuteur. Peau râpeuse, ongles ternis de crasse, coupures et cales en couches successives : des doigts de survivants.

- Mais si tout ça c’est trop, j’peux te déposer à côté de moi et me barrer si c’est ça qui te fera sentir mieux. J’te laisse mon cuir en souvenir ou alors tu me le ramèneras plus tard. C’est toi qui vois…
- Non ! fait-elle précipitamment. Non... répète-t-elle doucement. Je...

Elle sait ce dont elle a envie.
L'admettre est difficile, le verbaliser encore plus. Mordillant la pulpe de sa lèvre inférieure, fixant toujours les mains de l'homme-ours, elle se décide finalement à agir. Tout doucement, avec la prudence d'un animal craintif, elle effleure les poignets de son interlocuteur, retourne ses paumes pour épouser les siennes. La sensation est étrangement agréable, plus apaisante encore qu'espéré.
Jolhane déglutit.
Il n'y a rien à craindre, il l'a promis.
Il n'y a aucune honte à avoir, après tout ils ne sont pas amenés à se revoir.

"Dis-le..."

- Magni... murmure-t-elle d'une toute petite voix. Peux-tu me prendre dans tes bras et... et me dire que tout ira bien ? Faible sourire. Elle se risque à le regarder à nouveau. Même si tu n'y crois pas.

J'sais pas exactement à quoi j'm'attendais.
Certainement à ce qu'elle finisse par me dire de me casser parce que ma présence la rassure pas. Parce qu'à la fin c'est quand même toujours l'ours qui gagne, qui m'a toujours tout pris. La confiance de Nymphette devrait pas faire exception.
Pourtant elle semble encore super indécise, j'le vois mais je comprends pas pourquoi. Moi ça me semble clair...j'pourrais dire ce que je veux, je reste un grand gaillard qui pue le prédateur dangereux.
Sauf que…
Elle me signifie très clairement que mes solutions lui conviennent pas. Et puis ses longs doigts graciles effleurent la peau de mes poignets et sa paume vient se coller à la mienne avec la même prudence que chaque geste qu'elle a fait vers moi.

Et je me fige à nouveau.
Et j'y comprends de nouveau que dalle.
Et définitivement le vieux sorcier suffit plus.

- Magni...Peux-tu me prendre dans tes bras et... et me dire que tout ira bien ? Même si tu n'y crois pas.

Est-ce qu'on peut être plus perplexe que la perplexité ? Non parce que j'pense que c'est à peu près mon état là…Elle veut ma mort ou quoi ? J'suis pas fait de bois moi ! Depuis Daphné on peut pas dire que j'ai reçu beaucoup de gestes tendres. Les coups d'un soir ou deux, ça prend ce que ça veut et puis ça se casse. Ni plus ni moins. Ce qui fait que j'suis rouillé comme pas permis et pour donner et pour recevoir. J'dois lui renvoyer un regard super paumé moi aussi.
Mais Nymphette me scrute avec ses beaux yeux de biche et j'suis plus ou moins perdu. J'pense pas qu'elle soit du genre expansif et j'sens qu'elle en a besoin la pauvre bichette. Juste de réconfort. Elle a pas dû en recevoir beaucoup pendant ses deux ans. Et j'dois dire que ça me touche que ça soit vers moi qu'elle le cherche. Même si ça met mon self-control en vrac. Alors je puise en moi les restes que mon ex a laissé. Des petites bribes de douceur.

Avec toute la délicatesse dont je suis capable je passe mes bras autour de son corps et les ressert contre elle. Pas trop fort, jveux pas la brusquer et j'lui laisse une porte de sortie si elle change d'avis. J'sais pas pourquoi je fais tant d'efforts pour elle...peut être parce que j'veux lui prouver qu'y a des trucs chouettes loin du brouillard...ou que j'ai envie de ce genre de moments moi aussi...la vache j'me ramollis vraiment avec l'age moi…

J'lui caresse doucement les cheveux. Ils sont super doux et j'peux pas m'empêcher de les sentir. Juste une fois. Bon dieu c'est divin !
Putain Magni fais un effort mon gars. Elle veut juste un câlin merde ! Tu lui donnes parce que t'es un mec sympa pis tu te casses ! T'en profites un tout petit peu au passage mais t'arrêtes de faire des trucs chelou comme lui sniffer les cheveux. Penses que c'est une gosse qui a juste besoin d'être rassurée.

Sauf que son corps et si doux contre le mien, si chaud…et tout en jolies courbes entre aperçues...c'est infernal pour moi mais je me retiens d'aller plus loin. L'avantage des années c'est que j'ai plus de contrôle sur mes pulsions, quelques qu'elles soient...question de survie pour moi maintenant. Heureusement pour elle. Heureusement pour moi.
Et puis j'ai promis qu'elle avait rien à craindre de moi. J'suis un homme de paroles.

- Tout ira bien, Jolhane. Vous vous en êtes sortie Gimb et toi...laisse toi le temps de t'adapter à tout ça. Mais tu vas y arriver. Z'êtes des battantes toutes les deux. Et ça j'y crois dur comme fer...T'as survécu au brouillard, tu vas bien survivre à cette ville de dingues...et tu vas être putain d'heureuse ok ? Si t'as besoin et tant que j'suis dans les parages, j'suis là.

J'sais pas ce qui me prend. C'est évident qu'on va pas se revoir. J'veux juste la voir sourire une dernière fois...

Jolhane se laisse doucement emprisonnée, non sans une certaine appréhension. Quand les bras de Magni se referment sur elle, elle trésaille légèrement. Elle entre la tête dans les épaules, se crispe sous l'étreinte. Elle se blottit contre lui, dans le creux de son cou, gauchement. Le poil de sa barbe hirsute lui gratte le nez et lui fait trémousser les narines. Son odeur est plus forte, plus intense, respirée à même la peau. Ce parfum brute, bestial et musqué, lui plait. Elle se sent étrangement protégée. Muscles et nerfs se détendent, son corps se laisse aller tout contre ce pilier solide, par petites touches délicates. Elle fond lentement, bercée par la rythmique de ce coeur qui palpite contre son tympan, par la respiration qui gonfle cette poitrine, par sa chaleur virile, tout bonnement.

C'est confortable.
Accueillant.
Intime.
Elle s'y sent bien.

L'ours et la renarde se reniflent sans pour autant s'attaquer. Leurs humains respectifs ont visiblement trop besoin de cette connexion pour qu'ils viennent à la briser.

- Tout ira bien, Jolhane. Vous vous en êtes sortie Gimb et toi...laisse toi le temps de t'adapter à tout ça. Mais tu vas y arriver. Z'êtes des battantes toutes les deux. Et ça j'y crois dur comme fer...T'as survécu au brouillard, tu vas bien survivre à cette ville de dingues...et tu vas être putain d'heureuse ok ?

Elle hoche la tête, frottement imperceptible contre son torse, silencieuse comme une petite fille qui écoute religieusement les affirmations d'un adulte, sans remettre en cause leur véracité, sans se douter qu'ils peuvent mentir. Elle avait tant besoin qu'on le lui dise, juste pour se réchauffer le ventre alors qu'il est vide et alimenter la machinerie grippée de ses espérances.

- Si t'as besoin et tant que j'suis dans les parages, j'suis là.

Quel délicieux boniment.
Ils savent tous deux que cette rencontre n'est pas vouée à se reproduire. Il y a une forme de magie mystérieuse à l'œuvre qui ne peut arriver deux fois dans une vie. Jolhane redresse la tête après un long moment, rassénérée par cet échange d'affection rare. Son sourire tendre illumine ses yeux. Avec la même prudence fébrile que précédemment, elle tend les doigts vers le visage de Magni et en redessine la moindre aspérité. Elle veut graver ce facies dans son esprit, avec tous ses sens. Chaque caresse est un souvenir important. Elle veut ne jamais oublier l'homme-ours qui fut bon avec elle.

Ensuite, ils pourront se séparer pour être emportés par les vents, chacun de leur côté.

Elle se détend contre moi, s'alanguit presque. Du coup j'en profite pour la serrer un peu plus fort. Ma main s'égare dans son dos. Au-dessus de ma veste, j'vous rassure.
Sa tête nichée contre mon cou, on reste tous les deux comme ça un moment.

Ca me fait un bien de dingue...L'ours est un solitaire. Moi j'suis un animal social. J'ai besoin de ça. De contact, de chaleur humaine. Et j'en suis privé depuis longtemps…mais c'est mieux comme ça. Quand je m'evaporerai je laisserai rien derrière moi si ce n'est un Ours enragé à abattre. De toute façon au rythme ou je vais ici, Tir Na Nog risque bien d'être mon dernier stop. Et tenir cette douce Nymphette dans mes bras me rappelle à quel point c'est bon d'être en vie. C'est déjà ça...mon leitmotiv depuis des mois.

J'me fais pas de mouron pour Jolhane. Elle réussira à reconstruire sa vie, à s'entourer des bonnes personnes. Et elle a Gimb pour veiller sur elle, l'amener sur des chemins qu'elle aurait sans doute pas pris par excès de prudence...comme sur mes genoux pas exemple...
Ma barbe doit gratter contre sa peau et j'dois pas sentir la rose mais ça a pas l'air de la déranger. C'est bizarre comme j'ai l'impression que tout ca c'est qu'un rêve, une petite parenthèse charmante et douce. Le retour à la réalité va être brutal.

Christine est sympa et restera la plus belle des voiture à mes yeux, c'est pas elle qui me procurera de l'affection…
Tout ça me rend un peu mélancolique...ca me rappelle le gâchis de mon mariage que j'ai jamais réussi à surmonter, à quel point j'veux pas crever seul...

Jolhane bouge contre moi et j'reserre mon étreinte. Je veux pas que ça s'arrête tout de suite. Juste encore un peu…
Mais elle ne fait que redresser la tête et se met à me caresser le visage,  y laissant des trainées de feu. Ce contact pourtant super innocent m'électrise les sens. J'suis avide de plus mais j'la laisse faire, les doigts douloureusement crispés sur le cuir.

Je sais pas pourquoi elle fait ça
Je comprends toujours pas et j'm'en fous.
Je ferme les yeux, savoure son toucher. J'veux juste qu'elle s'arrête pas tout de suite.

J'en reste muet, de plus en plus convaincu que tout ça est pas réel et si ça l'est pas alors je peux me permettre de faire ça.
Je rouvre les yeux et la fixe avec sans doute un peu trop d'intensité alors que j'attrape de nouveau son poignet que j'attire cette fois vers ma bouche. Mes lèvres frôlent la peau toute douce et fine et je finis par y déposer des baisers appuyés, fervents. Mes narines se gorgent de son parfum. Je remonte vers sa paume et ses doigts que je traite de la même façon.

J'en fais pas plus. Même si mon corps hurle de frustration et ne demande qu'à la renverser sur l'herbe.
J'veux pas gâcher la magie de l'instant. Goûter à sa peau me suffit. J'emporterai cette douceur et cette chaleur pendant cette espèce d'illusion avec moi.
Jolie Nymphette je chérirai ton souvenir.

Ses pommette escarpées, sa mâchoire rectiligne, son nez busqué... Il est beau, d'une singulière et inexplicable manière. Il y a de la tristesse et de la solitude dans ses prunelles limpides. Elle le sent bien, elle le perçoit à la manière dont il dévore ses caresses. Il en a faim. Aucune trace de duplicité, de faux-semblant dans ce regard. Il est un roc brut, taillé sauvagement, érodé par la fatigue. Il ressemble à ces menhirs qui tiennent droit debout, campés sur la lande, qu'il pleuve qu'il neige ou qu'il vente.
Il a simplement peur.

"Comme moi.."

Le baiser la surprend. Toute à sa contemplation, elle ne s'y est pas attendue. Le contact sur sa bouche est piquant, un peu humide, incandescent. Elle se fige, l'observant de ses yeux immenses et interrogateur.
Pourquoi ?
Pourquoi a-t-il fait cela ?
Il recommence. Elle se raidit.
Une fois, deux fois,... Elle n'a toujours pas fui.
Il se contente de bénir sa peau de bécot tendres, qui grattent un peu.
Ses perceptions à elle sont plus troubles. Elle ne sait pas exactement ce qui lui arrive. Elle a chaud et pourtant sa peau grêle. Ses trippes s'entortillent sous l'impulsion d'une angoisse neuve dont les vertiges sont délicieux. Elle se sent pétiller de l'intérieur sans la moindre explication.
Passé la stupeur première, son corps se détend, il semble même savoir quoi faire.
Hésitante, elle approche ses lèvres des phalanges qui tiennent son poignet, elle picore le derme élimé. Baisers chastes, fragiles comme des bulles de savon. Elle joue avec sa barbe broussailleuse du bout des ongles. Il pique, ça la fait sourire. Elle louche sur son menton, avant de mieux l'observer lui, droit dans les yeux, si près que leurs nez se touchent. Elle effleure sa lippe de la pulpe de ses doigts.

Le faire.
Ne pas le faire.
Qu'est-ce qu'elle risque si ce n'est un peu plus de chaleur et de souvenirs fiévreux ? Cela n'engage à rien. Demain, il aura disparu.

"Profite de chaque instant."
"Demain, je ne serais peut-être plus parmi les vivants."

Jolhane embrasse délicatement Magni, paupières closes. Lorsqu'elle les rouvrira, il ferra peut-être jour et la vie reprendra son cour. Au moins, n'aura-t-elle rien à regretter.