- Des amis… ? Je vois.

Non, c'est faut.
Il ne voit rien du tout.
Pour lui, le pardon est une notion trop alien. Son intransigeance l'empêche d'admettre que les meurtriers de ses jeunes enfants n'étaient pas seulement des enfoirés, mais également des pères de famille, des frères, des époux et des fils de. Elle le comprend. Cette intransigeance lui a permis de tenir debout jusqu'ici. Il y a cependant une chose que sa propre histoire lui a appris : la vengeance ne satisfait personne. La vengeance œuvre pour son seul bénéfice, laissant exsangue, blessé et abruti son instrument comme sa victime.

Ils cheminent en silence jusqu'à l'atelier que Colgan s'est improvisé dans le Silo. L'odeur du bois fraichement scié chatouille les narines d'Ygerne. Elle pénètre dans l'antre den Murtagh comme on entre dans une chapelle, avec un infini respect. Son regard est immédiatement accroché par le magnifique berceau. Elle s'approche avec une expression émerveillée.

- Il est splendide ! Vous êtes un réel magicien !
- Je dois encore faire un mobile… Une lune au centre, des étoiles et des loups qui gravitent autour.
- Marisol va l'adorer, j'en suis certaine ! Petit soupir attendri. Mon mari avait également fabriqué le berceau de Deborah, avec moins de talent mais tout autant d'enthousiasme. "Un homme qui travaille le bois est un homme qui a du cœur", disait-il. Petite grimace accompagnée d'un sourire. Elucubrations de chaman... Je pense que tout homme capable d'imaginer, concevoir et construire a un cœur immense.

Le loup se déporte pour lui présenter le prototype de bureau et sa chaise.

- La hauteur est adaptable. C’est Lewis qui en a eu l’idée. Comme vous allez avoir différents âges.
- Exactement ce que je disais, souffle-t-elle en laissant ses mains apprivoiser le meuble et en épouser les spécificités. C'est une excellente suggestion.
- Je ferais peut-être autre chose pour les plus petits. Je peux le laisser en bois brut ou le peindre…comme vous voulez. Si ça vous va, dites-moi combien je dois vous en fournir. Il m’a aussi dessiné un long meuble bas pour des rangements. Je ferai ça ensuite. Il veut m’aider à confectionner tout ça pour aller plus vite.
- Laissez le faire... c'est important pour lui. Il a besoin de s'occuper les mains sur des problèmes à résoudre, dit-elle avec une tendresse certaine, qu'elle ne cherche nullement à dissimuler. Justement ! En terme de nombre, je peux désormais faire une évaluation pour l'ouverture de la première classe "test". Il y aura quinze élèves mais si nous voulons prévoir une marge, je dirais... vingt chaises et pupitres ? Cela vous semble faisable avec les matériaux à disposition ? Pour la couleur, cela demande réflexion...

Ygerne relève la tête et croise le regard inquisiteur de Colgan.

- C’est vous qui lui avez offert le bleuet ?
- En effet...
- Il l’a gardé à sa boutonnière jusqu’à ce qu’il fane complètement…

Cette information fait naitre un sourire que la sorcière pince pour camoufler. L'idée qu'il est précieusement gardé ce cadeau la touche plus que cela ne devrait.

- Ma femme aimait les fleurs aussi, elle était horticultrice. Elle a enseigné leur signification à nos enfants. Le bleuet donc…

Ygerne soutient le regard du loup sans ciller.

- Il m'a offert une marguerite. Une fois qu'elle a commencé à faner je l'ai glissée dans un de mes livres préférés pour la faire sécher. J'aurais plaisir à la retrouver à chaque fois que je le relirais.... Interprétez cela comme vous voulez, Colgan, ponctue-t-elle avec un sourire teinté de malice. Elle reprend avec plus de douceur toutefois. Ce que j'ai fait vivre à Lewis a fait remonter des choses en lui comme en moi, des choses que nous ne voulions pas voir. Je pense... que lui avoir imposé des souvenirs de paternité et les lui avoir repris peu de temps après a sans doute laissé un vide. Un vide qui l'oblige à réfléchir sur lui même. Mon acte a dû faire émerger son regret de ne jamais avoir eu de famille à lui. Du moins, c'est ce que je crois.... Cela lui passera, avec le temps, ne vous en faites pas.

La sorcière lui sourit avec autant de vaillance que de mélancolie.

- Laissez le faire... c'est important pour lui.
Colgan lui coule un regard en coin.
- Vous semblez bien le connaitre.  
- Il a besoin de s'occuper les mains sur des problèmes à résoudre.
La tendresse dans sa voix est clairement discernable même s’il ressent un vieil agacement qu’il ne montre pas. Il connait Lewis depuis bien plus longtemps qu’elle et sait tout cela tout aussi bien qu’elle.
- Justement ! En termes de nombre, je peux désormais faire une évaluation pour l'ouverture de la première classe "test". Il y aura quinze élèves mais si nous voulons prévoir une marge, je dirais... vingt chaises et pupitres ? Cela vous semble faisable avec les matériaux à disposition ?
Il hoche la tête.
- Vingt… je vais voir ce que je peux faire. Au pire je vous livrerai au fur et à mesure.
- Pour la couleur, cela demande réflexion...
- Je vous laisse réfléchir, ajoute-t-il avec un petit sourire. C’est une décision importante. J’en suis au même point avec le berceau.

Il décide ensuite de parler du bleuet qui a orné la boutonnière de Lewis pendant quelques jours et qu’il a remarqué dès l’instant où il s’était fait prendre dans le champ de fleurs.

- Il m'a offert une marguerite. Une fois qu'elle a commencé à faner je l'ai glissée dans un de mes livres préférés pour la faire sécher. J'aurais plaisir à la retrouver à chaque fois que je le relirais.... Interprétez cela comme vous voulez, Colgan.
Il arque un sourcil. L’interprétation est pourtant facile. Ygerne éprouve des sentiments pour Lewis. Colgan n’en connait pas la profondeur et cela ne le regarde pas.

- Ce que j'ai fait vivre à Lewis a fait remonter des choses en lui comme en moi, des choses que nous ne voulions pas voir. Je pense... que lui avoir imposé des souvenirs de paternité et les lui avoir repris peu de temps après a sans doute laissé un vide. Un vide qui l'oblige à réfléchir sur lui-même. Mon acte a dû faire émerger son regret de ne jamais avoir eu de famille à lui. Du moins, c'est ce que je crois.... Cela lui passera, avec le temps, ne vous en faites pas.
Colgan soupire.
- Vous en êtes bien certaine… Lewis ne parle jamais de ses regrets, il a cette capacité à passer au-delà qui m’impressionnera toujours. Mais s’il se montre aussi… mélancolique, c’est qu’il considère que ça n’est pas le genre de chose qu’on balaie aussi facilement que vous semblez vouloir le croire. C’est un manque qui le poursuivra, un manque qu’il n’archivera pas tout de suite.  

Il éprouve soudain une sorte de compassion malvenue pour la sorcière et plus franche pour Lewis.

- Il va devoir apprendre à vivre avec. Je crois… que vous tenez à lui, aussi bizarre que ça puisse paraitre. Mais le fait est là. Je n’imagine même pas par quoi vous avez dû passer pour accepter ses sentiments pour l’homme qui vous a arraché votre enfant. Ses yeux se perdent vers le berceau avant qu’il ne les plante à nouveau dans ceux de la sorcière. Qu’est-ce que ça a fait remonter en vous, Ygerne ?

- Vous en êtes bien certaine… Lewis ne parle jamais de ses regrets, il a cette capacité à passer au-delà qui m’impressionnera toujours. Mais s’il se montre aussi… mélancolique, c’est qu’il considère que ça n’est pas le genre de chose qu’on balaie aussi facilement que vous semblez vouloir le croire. C’est un manque qui le poursuivra, un manque qu’il n’archivera pas tout de suite.
- Je ne le crois pas, Colgan, je l'éspère simplement. Il le savait, je l'avais prévenu, que même restructurant sa mémoire à l'identique, l'expérience le changerait, comme elle m'a changée. Il a accepté cet état de fait et moi de même.
- Il va devoir apprendre à vivre avec.
- Oui...Montrez-vous simplement patient avec lui, s'il vous plait, sollicite-t-elle avec une dignité qui l'empêche de paraitre implorante. Pourtant, la doléance est là. Réelle.

Ygerne est la première à savoir ô combien elle fait souffrir Lewis.

- Je crois… que vous tenez à lui, aussi bizarre que ça puisse paraitre. Mais le fait est là. Les yeux de la sorcière s'embuent malgré elle, mais elle retient son émotion. Cette vérité la plonge encore et toujours dans un état de fragilité sur lequel elle n'a aucun contrôle. Je n’imagine même pas par quoi vous avez dû passer pour accepter ses sentiments pour l’homme qui vous a arraché votre enfant.

La thaumaturge a un petit rire brisé et c'est d'un timbre fêlé qu'elle répond.

- Je m'en suis voulue horriblement. Je me suis haïe. J'ai eu la sensation de trahir ma fille, d'être une mère indigne, de salir la mémoire de ma famille. J'ai tenté de toute mes forces de repousser cette affection. J'ai pensé à mourir. Haussement d'épaules fataliste. Mais vous savez comme moi que Lewis est un homme attachant. Lorsque ces choses sont là, on ne peut pas les en déloger. Elle essuie avec une larme égarée avec une décence toute en retenues. Ceci est ma pénitence pour l'avoir violenté.

Un silence s'installe. La sorcière déglutit pour reprendre un semblant de contenance en regardant vers le plafond. Elle n'aime guère paraitre aussi démunie.

- Qu’est-ce que ça a fait remonter en vous, Ygerne ?

La Malsheemienne lui sourit avec une infinie tristesse.

- En soixante années d'existence, j'ai été une fille, une épouse et une mère. Puis j'ai cessé successivement d'être chacun de ces rôles à mesure que les personne qui me renvoyaient cette image disparaissaient. Maintenant qu'il ne reste plus que moi, je me retrouve face à une étrangère. J'ai vécu pour les autres toute ma vie, mais je ne sais pas comment vivre pour moi même. Je ne sais pas qui je suis. Il a fallu cette expérience pour le révéler. Il fallait sans doute ce choc pour me faire avancer. Petit rire mélancolique. Quelque part, il n'y a aucun mystère dans le fait que Lewis suscite mon intérêt. C'est un homme qui a pleinement conscience de ce qu'il est, de ce qu'il ne peut pas être et de ce qu'il pourrait, et il le vit avec une philosophie tranquille que je trouve fascinante, pas vous ?

Ygerne a un long soupir. Se réinventer à son âge est compliqué, peut-être impossible. Elle a accepté de vivre, cependant, le peu d'années qu'il lui reste.

- Colgan, votre vie a beau être longue, ne gaspillez pas votre temps en questionnements. Vivez et aimez pleinement tant que vous le pouvez... D'accord ?

- Il va devoir apprendre à vivre avec.
- Oui...Montrez-vous simplement patient avec lui, s'il vous plait.
Impossible de ne pas percevoir l’émotion de la sorcière. Colgan soupire.
- Evidemment, nous n’avons jamais envisager autre chose. Lewis fait partie de notre famille, notre meute.  Je crois… que vous tenez à lui, aussi bizarre que ça puisse paraitre. Mais le fait est là. Je n’imagine même pas par quoi vous avez dû passer pour accepter ses sentiments pour l’homme qui vous a arraché votre enfant.
- Je m'en suis voulue horriblement. Je me suis haïe. J'ai eu la sensation de trahir ma fille, d'être une mère indigne, de salir la mémoire de ma famille. J'ai tenté de toute mes forces de repousser cette affection. J'ai pensé à mourir.
- Je comprends.

Deux mots qui résument assez mal la pitié et la compassion qu’il ressent à cet instant. La vengeance ne lui a jamais ramené Charly et Eliott, même si elle a soulagé très brièvement. Lui aussi a-t-il tué des Lewis ? Sans doute, se voiler la face ne sert à rien. Regretter non plus. Avancer, c’est tout ce qu’il peut faire, se réinventer, se reconstruire. Oui, il n’est pas si différent de cette femme.

- Mais vous savez comme moi que Lewis est un homme attachant. Il se contente de hocher la tête, témoin silencieux de l’émoi de la sorcière. Lorsque ces choses sont là, on ne peut pas les en déloger. Ceci est ma pénitence pour l'avoir violenté.

Il la laisse reprendre le dessus sur ses émotions dans un silence habité par leur douleur mais aussi l’espoir de ne plus se définir que par elle.
- Qu’est-ce que ça a fait remonter en vous, Ygerne ?
Elle s’explique alors avec une sincérité et une franchise indéniable que Colgan admire.
- Il a fallu cette expérience pour le révéler. Il fallait sans doute ce choc pour me faire avancer.
Confidence pour confidence, Colgan se livre à son tour, les yeux plantés sur le berceau, la voix légèrement éraillée.  
- Ma quête de vengeance a failli me coûter la vie de Marisol et de l’enfant qu’elle porte. Yvain a profité de notre faiblesse… Mon électrochoc à moi. Maintenant… il nous faut trouver une nouvelle voie, je dois trouver une nouvelle voie.
- Quelque part, il n'y a aucun mystère dans le fait que Lewis suscite mon intérêt. C'est un homme qui a pleinement conscience de ce qu'il est, de ce qu'il ne peut pas être et de ce qu'il pourrait, et il le vit avec une philosophie tranquille que je trouve fascinante, pas vous ?
Colgan étire un sourire.
- Si. Je sais bien qu’il n’a pas acquis ce niveau de conscience et de lucidité sans en payer le prix, mais cet homme ne s’est jamais menti à lui-même. Lewis est un roc qui regarde les tempêtes approcher sans les minimiser mais sans s’en effrayer. Et il les affronte avec un calme qui nous dépasse un peu tous. Mais même la roche est friable. Si vous tenez à Lewis, prenez soin de lui. Je sais bien qu’il ne sera plus jamais vraiment l’homme qu’il a été avant tout ça, tout ce qu’on souhaite, c’est qu’il n’en souffre pas.
- Colgan, votre vie a beau être longue, ne gaspillez pas votre temps en questionnements. Vivez et aimez pleinement tant que vous le pouvez... D'accord ?
Il garde un moment le silence et s’approche du berceau pour en caresser les bords lisses.
- Je sais… Parfois…parfois je me dis que si Charlyne et Eliott pouvaient me voir aujourd’hui, ils auraient honte de l’homme que je suis devenu. Je n’ai presque plus rien du père qu’ils ont connu et aimé. Ma nouvelle quête est de retrouver cet homme, en partie. J’espère juste qu’il n’est pas trop tard. Parce que je sais…je sais que si je continue comme ça, fatalement, je finirais par perdre tout ce qu’il me reste. Et ça… je le refuse.
Un silence pèse à nouveau dans l'atelier après sa confession et Colgan émet un petit rire en se rendant compte qu'il s'est livré bien plus qu'il ne le souhaitait.
- Vous deviez être une bonne thérapeute pour Lewis. Merci pour votre sincérité Ygerne.

- Ma quête de vengeance a failli me coûter la vie de Marisol et de l’enfant qu’elle porte. Yvain a profité de notre faiblesse… Mon électrochoc à moi. Maintenant… il nous faut trouver une nouvelle voie, je dois trouver une nouvelle voie.
- La vengeance est une maitresse cruelle. Elle se nourrit de notre douleur mais ne l'apaise pas ou peu. Elle égare les gens comme vous et moi de ce qu'ils sont véritablement. Nous étions des parents, juste des parents.... Quelque part, il n'y a aucun mystère dans le fait que Lewis suscite mon intérêt. C'est un homme qui a pleinement conscience de ce qu'il est, de ce qu'il ne peut pas être et de ce qu'il pourrait, et il le vit avec une philosophie tranquille que je trouve fascinante, pas vous ?
- Si. Je sais bien qu’il n’a pas acquis ce niveau de conscience et de lucidité sans en payer le prix, mais cet homme ne s’est jamais menti à lui-même.
- Oui, c'est exactement ça : il est d'une honnêteté brutale mais pleine de sagesse.
- Lewis est un roc qui regarde les tempêtes approcher sans les minimiser mais sans s’en effrayer. Et il les affronte avec un calme qui nous dépasse un peu tous. Mais même la roche est friable. Si vous tenez à Lewis, prenez soin de lui.

Ygerne l'observe avec intensité. L'alpha vient-il d'adouber sa présence auprès de son loup et de lui confier son bien être ?

- Je sais bien qu’il ne sera plus jamais vraiment l’homme qu’il a été avant tout ça, tout ce qu’on souhaite, c’est qu’il n’en souffre pas.
- Je m'y efforce avec ... beaucoup d'application. Je vous le promets. Un court silence. Colgan, votre vie a beau être longue, ne gaspillez pas votre temps en questionnements. Vivez et aimez pleinement tant que vous le pouvez... D'accord ?
- Je sais… Parfois…parfois je me dis que si Charlyne et Eliott pouvaient me voir aujourd’hui, ils auraient honte de l’homme que je suis devenu.
- Ne dites pas des choses aussi dures...
- Je n’ai presque plus rien du père qu’ils ont connu et aimé.
- Vous serez leur père, Colgan, pour toujours et à jamais. Comme je serais toujours la mère de Deborah.
- Ma nouvelle quête est de retrouver cet homme, en partie. J’espère juste qu’il n’est pas trop tard. Parce que je sais…je sais que si je continue comme ça, fatalement, je finirais par perdre tout ce qu’il me reste. Et ça… je le refuse.
- Il n'est jamais trop tard pour les hommes de bonne volonté. Vous savez, la notion de pardon ne s'applique pas que pour les autres, elle est aussi fondamentale pour soi. Pardonnez-vous, Colgan. La sorcière lui sourit avec une vaillance qui la tient droite et encore debout malgré les épreuves. Elle ajoute avec une infinie douceur. Tâchons de faire de notre mieux, vous et moi.

Le loup a un petit rire détendu.

- Vous deviez être une bonne thérapeute pour Lewis.
- J'y ai esquinté quelques uns de mes meilleurs ouvre-boites ! rétorque-t-elle avec humour
- Merci pour votre sincérité Ygerne.
- C'est moi qui vous remercie, Colgan. Si vous éprouvez le besoin d'avoir du soutien de la part de quelqu'un qui traverse les mêmes ... problématiques, dirons-nous, n'hésitez pas à venir me voir. Entendu ? Son sourire s'élargit, fendu de sincérité. Je vais vous laisser et me mettre en quête de notre fameux "Roc". Où est-il à votre avis ?

- Ma nouvelle quête est de retrouver cet homme, en partie. J’espère juste qu’il n’est pas trop tard. Parce que je sais…je sais que si je continue comme ça, fatalement, je finirais par perdre tout ce qu’il me reste. Et ça… je le refuse.
- Il n'est jamais trop tard pour les hommes de bonne volonté. Vous savez, la notion de pardon ne s'applique pas que pour les autres, elle est aussi fondamentale pour soi. Pardonnez-vous, Colgan.

L’Alpha la regarde un long moment sans rien dire. En théorie, il sait qu’elle a raison…en pratique, la chose est plus complexe. Il s’est chargé, à tort et à raison de tant de culpabilité, la dernière en date étant celle de ce qui est arrivé à Lewis, qu’il doit également apprendre à lâcher prise, à accepter que les erreurs des autres ne sont pas les siennes. Ce chemin sera long aussi.

- J’ai pris sur moi trop de charges pour que la chose soit si simple. Mais j’y travaille.  
- Tâchons de faire de notre mieux, vous et moi.
Colgan hoche la tête.
- Oui, c’est tout ce que nous pouvons faire. Vous deviez être une bonne thérapeute pour Lewis.
- J'y ai esquinté quelques-uns de mes meilleurs ouvre-boites !
La remarque fait rire le loup.
- J’imagine bien. Merci pour votre sincérité Ygerne.
- C'est moi qui vous remercie, Colgan. Si vous éprouvez le besoin d'avoir du soutien de la part de quelqu'un qui traverse les mêmes ... problématiques, dirons-nous, n'hésitez pas à venir me voir. Entendu ?
Colgan s’apprête à lui répondre mécaniquement qu’il n’y manquera pas avant de s’arrêter et de considérer plus sérieusement sa proposition. Il se rend alors compte qu’il a apprécié cette discussion et il lui sourit en répondant sincèrement.
- Entendu. Je vous retourne la proposition même si je doute être votre premier choix.
- Je vais vous laisser et me mettre en quête de notre fameux "Roc". Où est-il à votre avis ?
Colgan hausse les épaules.
- Aucune idée. Les voies de Lewis sont impénétrables, tout comme son emploi du temps. Tout ce que je peux vous dire c’est que son odeur est assez forte dans le Silo donc quelque part par ici. Il arque un sourcil amusé. Le prédateur qui se fait traquer… c’est original ! Bonne chance…

*****

Aujourd’hui, c’est une journée sans pour Shane.
Il le sait, son corps lui fait comprendre. Le réveil a mal commencé avec une paralysie du sommeil et depuis ce matin, son poing se serre de façon compulsive autour de la seule balle anti-stress qui a réussi à survivre au test de sa force et de la régularité avec laquelle elle est malmenée.
Il est fatigué…fatigué d’être balloté par ses nerfs à vifs presque constamment. Ça le rend agressif, imprévisible et incontrôlable. Sa mutation l’a débarrassé de sa tumeur cérébrale et de ses crises d’épilepsie mais toutes ses angoisses sont restées là, tapis dans son cerveau malade.  

Parfois il se dit que Keelan serait bien plus tranquille sans lui et lui aurait enfin la paix.
Au lieu de ça, il a senti la crise d’angoisse faire des yoyos toute la journée, le laissant littéralement sur les rotules. Keelan a bien tenté de lui faire faire les quelques exercices de respiration qui fonctionnent parfois sans grand succès. Shane a donc repoussé brutalement l’aide de son frère et est parti seul en quête du seul être qui arrive un tant soit peu à apaiser son état : Lewis.

Il a senti sa présence dans le Silo et est allé machinalement dans le coin qui lui sert presque de « bureau » sans le trouver pour autant. Il pourrait évidemment le pister, mais la déception et sa crise lui scient littéralement les jambes. Il se recroqueville dans un coin, la balle dans la main et se force à plus de calme. Il sait qu’il respire trop fort, que son cœur bat trop vite.  

Inspirer – Malaxer.
Expirer – Relâcher.

Il répète le processus, encore et encore jusqu’à ce qu’une autre odeur lui parvienne.
La sorcière. Celle qui a fait du mal à Lewis. Le front contre ses genoux relevés, il trouve la force de gronder tout bas en marmonnant un avertissement peu amène.
- Il est pas là… cassez-vous.
Comme tout animal, Shane n’aime pas exposer sa faiblesse.

C'est sur un rire mélodieux qu'Ygerne prend congé de l'Alpha des Abyssaux. En une conversation leur relation semble s'être assainie, vidée de tout ressentiment. C'est d'un pas léger qu'elle se dirige donc vers les points de chute habituels de Lewis : la petite table de jardin en bois et ses rondins qui font office de sièges. N'apercevant pas sa haute silhouette caractéristique, elle s'apprête à passer son chemin, quand une forme recroquevillée contre un tronc attire son attention. Elle s'approche, apportant avec elle les effluves de son parfum de chèvrefeuille frais.

L'un des loups de Colgan est prostré là. Elle reconnait la toison bouclée et blonde du plus jeune des frères Monaghan. La tension manifeste de ses muscles et ses traits crispés trahissent un état de nervosité maladif. Aussitôt, la mère qu'elle fût se trouve sollicité et c'est avec une certaine inquiétude qu'elle s'agenouille auprès de lui.

- Il est pas là… cassez-vous.
- Mais vous vous l'êtes, et vous avez visiblement besoin d'aide, répond-elle d'une voix douce. Laissez-vous faire... Je reconnais les signes d'une crise d'angoisse quand j'en vois une. Ma fille en faisait souvent en période d'orage... Elle en avait la phobie.

Ygerne couve le jeune -L'est-il seulement? Il a l'air pourtant dans sa grande détresse- d'un regard bienveillant.

- Il n'y avait qu'une chanson qui lui permettait de se calmer. Je peux essayer, si vous voulez... Tentez de vous focaliser sur les parole ou le tempo, d'accord ?

D'ordinaire, elle accompagnait la mélodie de petits pianotements sur le plat du bras de Deborah pour qu'elle puisse se concentrer sur le rythme. La sorcière se garde de toucher Shane pour l'instant. Elle ouvre simplement sa paume vers le ciel et reproduit la rythmique du bout des doigts dessus. Elle commence par des "toudidoum" presque soufflés, qui peux à peu s'étoffent, s'harmonisent et deviennent une mélodie. Lorsque la sorcière entonne les premières paroles, le loup peut découvrir son très joli brun de voix, apaisant comme les caresse d'une mains dans sa fourrure lupine.

- Clap, clip, clap, petite pluie d´avril
Tombe du ciel en jolis diamants.
Clap, clip, clap, petite pluie d´avril
Ta mélodie est un enchantement
Enchantement, enchantement.
Clip, clap, clip, clap.
Clap, clip, clap, quand le ciel se voile
Ton gai refrain met du bleu dans le coeur.
Clap, clip, clap, giboulée d´étoiles
Peint l´arc-en-ciel aux couleurs du bonheur
Comme elle est jolie ta musique.

La chansonnette ressemble à une berceuse. Elle a la vertu d'avoir un refrain entêtant qui s'ancre en tête avec un roulis régulier. Un bon moyen pour détricoter les poussées d'anxiété. Ygerne poursuit tout en observant les réaction de Shane, attentive comme seule les mères peuvent l'être.

- Clap, clip, clap, petite pluie d´avril
Larmes de joie, symphonie de cristal.
Clap, clip, clap, petite pluie d´avril
Dans la forêt tu donnes un récital.
Clap, clip, clap, quand le ciel se voile...
Ton gai refrain...
Clap, clip, clap, ton refrain met du soleil dans le coeur.
Clap, clip, clap, quand le ciel se voile...
Ton gai refrain...
Clap, clip, clap, ton refrain met du soleil dans le coeur.
Ciel comme elle est jolie
Ciel comme elle est jolie
La chanson de la pluie
La chanson de la pluie.
Dans l´orage philharmonique
Chaque goutte est une musique
Qu´on écoute et que l´on goûte
C´est le bonheur au goutte à goutte
Clap, clip, clap, petite pluie d´avril.
Ta mélodie est une enchantement
Clap, clip, clap, petite pluie d´avril.
Clap, clip, clap, petite pluie d´avril.
Elle chante gaiement.
Clap, clip, clap, petite pluie d´avril
Tombe du ciel en jolis diamants.
Clap, clip, clap, petite pluie d´avril
Ta mélodie est un enchantement
Enchantement, enchantement...

- Il est pas là… cassez-vous.
- Mais vous vous l'êtes, et vous avez visiblement besoin d'aide.
Shane ricane en serrant plus fort sa balle.
- Laissez tomber Miss Pardon et Vertu ok ? Je me démerde très bien tout seul.
- Laissez-vous faire... Je reconnais les signes d'une crise d'angoisse quand j'en vois une. Ma fille en faisait souvent en période d'orage... Elle en avait la phobie.
- Comme si c’était la même chose…
Sa fille…celle qui est la cause et la raison de tout ce bordel avec Lewis. Il lui glisse un regard peu amène.
- Il n'y avait qu'une chanson qui lui permettait de se calmer. Je peux essayer, si vous voulez... Tentez de vous focaliser sur les paroles ou le tempo, d'accord ?

Estomaqué, il la voit ouvrir la paume de sa main et tapoter en rythme alors qu’elle entonne une chanson qu’il connait bien. Les dessins animés de Disney étaient les seules échappatoires de Shane lorsqu’il était cloué au lit. Lui et son frère étaient trop pauvres pour avoir une télévision mais leur voisine qui prenait gentiment soin de lui parfois le laissait regarder.
C’est plus l’étonnement de la voir agir de cette façon que la chanson en elle-même qui le détourne un peu de sa crise. La bienveillance et la tendresse maternelle d’Ygerne lui passe totalement au-dessus. Il ne saurait pas l’identifier de toute façon, lui qui n’a jamais eu de mère.

- Vous chantiez une chanson issue d’un dessin animé qui a traumatisé des générations d’enfants à votre gosse ? … excellent choix ! grince-t-il en fermant les yeux.

Il n’avouera jamais que lui a pleuré toutes les larmes de son corps à chaque fois que Bambi perd sa mère.
Il pose la tête contre le bois du mur et égrène des faits qu’il a appris par cœur à force de lire et relire le boitier de la VHS.

- Sorti en 1942, c’est le cinquième long-métrage de Walt Disney, après Blanche-Neige et les Sept Nains, Pinocchio, Fantasia et Dumbo, adapté d’un roman allemand…Il inspire à fond. C’est fou ce que ça engendre comme détails débiles un gamin.

Surtout un enfant désœuvré qui passait plus de temps chez lui qu’à l’école. Ses doigts serrent toujours compulsivement sa balle qui proteste dans un petit chuintement. Aussitôt il relâche sa prise, il ne peut pas se permettre de la perdre.  

- Pourquoi vous cherchiez Lewis ?  

- Vous chantiez une chanson issue d’un dessin animé qui a traumatisé des générations d’enfants à votre gosse ? … excellent choix !

Ygerne éclate de rire et interrompt sa comptine.

- Elle a toujours eu un gout prononcé pour les tragédies familiales : elle adorait le Roi Lion. Les enfants ont une fascination candide pour les histoires horribles....
- Sorti en 1942, c’est le cinquième long-métrage de Walt Disney, après Blanche-Neige et les Sept Nains, Pinocchio, Fantasia et Dumbo, adapté d’un roman allemand… C’est fou ce que ça engendre comme détails débiles un gamin.
- Vous avez une excellente mémoire, Shane. Les enfants développent sans cesse de nouvelles connexion neuronales et leur cerveau cesse de se modeler à l'adolescence. Ils s'imprègnent de tout et retiennent davantage.....Entre nous, je trouve Bambi moins atroce que Dumbo.

Elle s'ébroue d'un frisson sincère et grimace rien que d'y penser. La balle que le loup martyrise gémit alors qu'il la presse sans ménagement. Elle contemple longuement Shane de son regard tranquille et perçant.

- Pourquoi vous cherchiez Lewis ?  

La sorcière s'anime d'un grand sourire.

- Pour lui annoncer une bonne nouvelle ! déclare-t-elle joyeusement. Notre projet d'école prend forme : nous avons quinze élèves d'inscrit et nous allons pouvoir ouvrir une classe ! Colgan m'a présenté ses prototypes de pupitres modulables ! Je suis exaltée à l'idée de débuter !

En effet, Ygerne ne minimise pas son enthousiasme. Ce projet est salutaire tant pour elle que pour la vie ici bas. Ce pendant, c'est avec un calme emprunt de douceur qu'elle poursuit.

- Shane, si je m'en tiens à l'état de cette pauvre balle, vous n'en êtes pas à votre première crise d'angoisse. C'est un bon réflexe de faire usage d'un stim toy pour vous ancrer dans l'instant et reprendre le contrôle, cependant, je ne sais pas si le toucher est le stimulus sensoriel qui convient le mieux à un lycanthrope. Il me semble que votre odorat et votre ouïe sont plus sensibles. Avez-vous essayé de respirer une odeur qui vous plait, en cas de crise ? Une fragrance qui vous met à l'aise, vous fasse sentir en sécurité ?.. De même peut-être qu'un son, une musique, un bruit particulier seraient d'une aide plus efficace... ?

Elle aventure une main prudente sur le sommet de sa rotule.

- Vous voulez qu'on essaie... ?

- C’est fou ce que ça engendre comme détails débiles un gamin.
- Vous avez une excellente mémoire, Shane.
- Non, j’oublie beaucoup de choses. D’autres trucs restent...

Des séquelles de ce que son cerveau a subi en si peu de temp alors qu’il était encore en train de se forger. Parfois il se dit qu’il est juste débile… qu’il aurait mieux fait de pas survivre à la transformation si c’est pour vivre comme ça.

- Les enfants développent sans cesse de nouvelles connexion neuronales et leur cerveau cesse de se modeler à l'adolescence. Ils s'imprègnent de tout et retiennent davantage...
- Le mien a failli me tuer…et je crois qu’il essaie toujours alors vous m’excuserez si je partage pas votre enthousiasme pour ce que j’ai dans la caboche.
- Entre nous, je trouve Bambi moins atroce que Dumbo.

La tête toujours posée contre le bois, il glisse un coup d’œil dans sa direction, les paupières à moitié fermées, presque languides alors que tout son corps est sur le qui-vive.
- Dumbo a au moins le droit à son trip d’enfer. Et il garde sa mère.  

Il sent son regard sur lui. Ca le met mal à l’aise. Il a souvent été le centre d’attention des gens, son frère particulièrement. On avait l’habitude de le surveiller comme le lait sur le feu. Crispation. Comme elle à l’air de vouloir rester là, il utilise sa présence pour se changer les idées…si c’est possible.

- Pourquoi vous cherchiez Lewis ?

Aussitôt le visage de la sorcière s’illumine.

- Pour lui annoncer une bonne nouvelle ! Notre projet d'école prend forme : nous avons quinze élèves d'inscrit et nous allons pouvoir ouvrir une classe ! Colgan m'a présenté ses prototypes de pupitres modulables ! Je suis exaltée à l'idée de débuter !
- Je vois ça, grince le Loup. Il peut presque boire son enthousiasme. C’est à ça qu’il joue en ce moment alors…
- Shane, si je m'en tiens à l'état de cette pauvre balle, vous n'en êtes pas à votre première crise d'angoisse.

Il rit sans joie aucune. Sa vie est une crise d’angoisse constante. Il arrive simplement parfois à les gérer mieux que d’autres. Aujourd’hui…les choses sont plus compliquées.

- C'est un bon réflexe de faire usage d'un stim toy pour vous ancrer dans l'instant et reprendre le contrôle, cependant, je ne sais pas si le toucher est le stimulus sensoriel qui convient le mieux à un lycanthrope.
Shane hausse les épaules.
- C’est un réflexe que j’ai depuis que je suis gosse. Si j’ai pas ça…c’est pire.
- Il me semble que votre odorat et votre ouïe sont plus sensibles. Avez-vous essayé de respirer une odeur qui vous plait, en cas de crise ? Une fragrance qui vous met à l'aise, vous fasse sentir en sécurité ?... De même peut-être qu'un son, une musique, un bruit particulier seraient d'une aide plus efficace...?

Il scrute la main qui s’approche de son genou avec une grande acuité puis abaisse subitement sa jambe.
- Me toucher pas ! gronde-t-il, dents serrées. Il se reprend en soufflant par la bouche. Je suis à moitié animal, l’oubliez pas. J’ai pas toujours des réactions…contrôlables.
- Vous voulez qu'on essaie... ?
- Quoi ? Sniffer des trucs ? Il marque une pause. Vous avez peut-être pas tort dans l’idée mais comment vous voulez que je m’y prenne ? Je fous mon museau partout en espérant trouver la bonne odeur ? C’qui est certain c’est que c’est pas la vôtre. Ca sent pas mauvais mais c’est celle que j’ai associé aux merdes qui se sont passés avec Lewis. Il sentait un peu comme vous pendant un moment. Il fronce le nez inconsciemment. Ça ne lui avait pas plu du tout ! Ça a … altéré la sienne. Celle de mon frère… je sais pas, parfois ça suffit à me calmer. Parfois non. Elle m’aide surtout la nuit.
Il pince les lèvres qu'il a déjà fines comme s’il en avait trop dit.
- Bref à part tomber dessus par hasard, j’vois pas tellement comment faire.