- Tu en as fais quelque chose qui te correspond, tout en respectant... l'image originale. Tu as construit tout autour de cette idée...
- Sans doute, approuve-t-il avec un sourire . Je m’y sens chez moi en tout cas, j'aime cette maison...mais elle n'est pas à moi.
- C'est un bel endroit, Lewis.
- Oui…c’était un bel endroit, un refuge… mais il est temps, n’est-ce pas ?
- Assieds-toi, ce sera moins difficile comme ça.

Il en doute mais s’exécute. Lorsque les paumes d’Ygerne lui bouche la vue, il en décale d'abord une vers sa bouche et l'embrasse avec révérence avant de la replacer sur sa paupière. Il baisse ensuite la tête, et agrippe fermement ses poignets comme s’il s’agissait de sa dernière bouée de sauvetage.
Il ne sait pas combien de temps il reste ainsi, mais petit à petit ses perceptions se vident.
Plus de rire, plus d’odeur… plus rien.
C’est ce qu’il constate lorsqu’elle lui rend la vue.

Pourquoi se trouve-t-il assis sur une chaise avec cet étrange livre entre les mains ? Il le feuillette un instant mais il n’y a que des photos de différentes pièces d’une maison. Où les a-t-il vues avant ? Elle lui rappelle pourtant quelque chose… Peut-être est-ce la maison dont il a toujours rêvé ? D’où le titre du recueil.
Un peu confus il regarde cet endroit qu’il ne reconnait pas. Ainsi son esprit a fabriqué une pièce spécifique pour la sorcière ? Etonnant.
- Voilà... Tu peux le ranger là, si tu le souhaites, évidemment...
De plus en plus surpris, Lewis lève légèrement la tête vers elle.
- Pourquoi voudrais-je le ranger ici ? Ca n’a pas beaucoup de sens.
Il garde toutefois l’album entre les mains alors qu’il parcourt distraitement les étagères bien vides. Pourquoi avoir créé tout cet espace pour du rien ? Il doit faire un puissant effort de concentration pour se souvenir ce qu’ils font là tous les deux.
- Nous…nous devions ranger, non ? Venez, ne nous attardons pas ici.

Il dépose finalement négligemment l’album sur une étagère en se disant qu’il lui trouverait sa place plus tard. Ils retombent sur la pièce principale et cette fois, emprunte les escaliers qui mène à celle en sous-sol. Une partie en est toujours encombrée et dans un bazar monumental. Là aussi, ils relèvent leurs manches pour se mettre au travail, aidés de la magie de la sorcière. Ils en ont presque terminé lorsque les pleurs d’une enfant troublent leur silence méditatif et besogneux.
- Deborah…devine Lewis.

Une petite fille rousse s’avance vers eux, elle ne doit pas avoir plus de six ou sept ans, grandis en tout cas par rapport au nourrisson que le Loup-humain avait arraché au bras d’Ygerne. Elle frotte ses yeux, adorable malgré son chagrin. Elle vient s’accrocher à la jambe de Lewis qui, troublé par ce spectacle, se met à genoux pour la cueillir dans ses bras et la serrer contre son torse.  
Après tout, il s’agit de sa fille, non ? Non….. ? Peut-être pas… Non. Elle doit partir de sa tête.
- Tout va bien Debbie… ne pleurs plus… tu vas repartir avec maman…ta maman.
Il va devoir la laisser partir cette fois. Elle non plus n'est pas à lui comme.. ? Comme quoi déjà ?

- Pourquoi voudrais-je le ranger ici ? Ca n’a pas beaucoup de sens.

Les changements subtiles ont déjà opéré. Lewis n'est plus tout à fait "son" Lewis, pour peu qu'il ne l'ait jamais été. Ygerne recule, abandonne ses épaules, rompt le contact. Elle le contemple fixer cette étagère comme une pure incongruité : une pièce trop grande pour une si petite étagère. Une perte d'espace sans intérêt.
Elle n'a jamais eu d'intérêt pour lui et c'est ainsi que les choses sont.

- Nous…nous devions ranger, non ?
- Oui, en effet.
- Venez, ne nous attardons pas ici.

Le vouvoiement est revenu comme la distance. Ygerne déglutit, ravale une bouffée subite de chagrin et prend sur elle. C'est pour le mieux. Il ira mieux.

- Bien.

La sorcière le suit, droite et digne. Le loup a abandonné l'idée de lui tenir la main et elle reste avec l'empreinte de son dernier baiser sur la sienne. Ils investissent la cave. Le capharnaüm est resté inchangé, peut-être même s'est-il d'avantage aggloméré. Ils se mettent au travail, relevant les meubles, triant les pièces de dossier, remettant les classeurs et les feuillets dans le bon ordre. S'en est presque terminé quand Deborah fait son apparition.
La vision de la fillette, perdue et en larmes, éplore son coeur de mère. Ses émotions enfantines toutes en extériorité, expriment celles qu'Ygerne conserve secrètement à l'intérieur de son âme. Lewis cajole l'enfant et tente de la rassurer.

- Tout va bien Debbie… ne pleurs plus… tu vas repartir avec maman…ta maman.
- Naaaan ! Papa ! Papa me laisse pas ! Pourquoi ?! Pourquoi tu fais ça !!!?

Ygerne se penche vers la petite et la prend dans ses bras.

- Chhhhh... Chhhh c'est fini mon coeur.
- Pourquoi papa y nous aime pu !? Pourquoi y veut qu'on s'en aille !? sanglote Deborah dans les bras de sa mère.
- Papa t'aimera toujours, ma chérie... Il n'est juste pas là. Ygerne pince les lèvres, le regard embué. Il est déjà parti.

Déborah n'est soudain plus une enfant mais une belle jeune fille avec une cicatrice sur le cou. Elle s'écarte de l'étreinte de sa mère avec un froncement de sourcils.

- Est-ce que moi non plus, je ne suis plus là ...? s'enquiert-elle finalement.

Ygerne, les joues mouillées de larmes muettes, hoche la tête et continue de pleurer en silence. Deborah se tourne vers Lewis et le détaille longuement. Puis, elle vient déposer un baiser sur sa joue qui laisse une trace de gloss pailleté. Elle l'essuie du pouce avec une expression désolée.

- Adieux, alors...

Deborah prend la main de sa mère et la guide vers les escaliers. Cette dernière pivote une dernière fois vers le loup noir et lui offre un sourire aussi sublime que bouleversant.

- Je te pardonne, Lewis.

Les deux femmes quittent la pièce laissant derrière elles le maitre des lieux, seul avec son loup et ses fantômes du passé.

- Pourquoi papa y nous aime pu !? Pourquoi y veut qu'on s'en aille !?
- Papa t'aimera toujours, ma chérie... Il n'est juste pas là. Il est déjà parti.
La détresse de l’enfant et la réponse de la sorcière lui serrent le cœur sans qu’il ne comprenne vraiment pourquoi.
"J'aurais aimé être son père"
Cette pensée non plus, il ne sait pas d'où elle lui vient.
Mais bientôt, l’enfant grandit, devient une belle jeune femme…il se souvient…celle qu’il a tuée de ces propres mains, celle qui le hantait par la suite.
- Est-ce que moi non plus, je ne suis plus là ...?
- Plus pour longtemps, Deborah. Il faut que tu partes. Tu n’as… il allait ajouter malheureusement sans savoir pourquoi, pas ta place ici.

Il ferme les yeux lorsqu’elle dépose un baiser sur sa joue, faisant remonter quelque chose de familier qu’il n’arrive pas à identifier, tout comme le geste de lui effacer de la peau.
- Au revoir mon joli fantôme.
- Adieux, alors...

Elle guide ensuite sa mère hors de la pièce, vers l’escalier. Le sourire de la sorcière est si beau, si lumineux qu’il en reste un instant interdit. Il amorce un pas vers elle, main tendue, presque désespérée comme s’il sentait qu’en les laissant partir, il allait perdre la chose la plus précieuse qu’il eut jamais possédé.

- Ygerne, att…
- Je te pardonne, Lewis.

Lewis est seul et tressaille en entendant la trappe se refermer sur elle. Tout est redevenu normal dans son esprit et pourtant, il se sent soudain écrasé par un sentiment de perte vertigineux, suivi par une solitude qui semble absorber toute lumière autour de lui.
- Ne me laissez pas…chuchote-t-il bien inutilement.
Il est trop tard.
Un loup noir s’approche alors qu’il tombe à genoux sur le sol et se serre contre lui pour le consoler.
Lewis est seul.
Tout est rentré dans l’ordre.

*****

Lorsqu’il réouvre les yeux, un mal de crâne puissant lui cisaille la tête et un peu de sang s’écoule de sa narine. Il tombe sur le visage flou de McNamara. Flou ? Il pleure sans en comprendre la raison et essuie ses joues avec un air perplexe.
- Je… je ne me rappelle plus très bien ce que l’on devait faire mais… je vais bien…je crois. J’ai simplement très mal à la tête… et vous, McNamara ?
Il se rend compte qu’il tient ses mains étroitement serrées dans les siennes et les libère avec douceur. Colgan vient l’aider à se redresser, lui pose des questions simples sur lui et son passé auxquelles il répond avec évidence. Il cherche inexplicablement le regard de la sorcière alors que les moments qu’ils ont partagé depuis quelques temps lui reviennent par bribe sans que tout ne soit très clair encore. Il se sent terriblement fatigué et Marisol et son Alpha l’aide à regagner la chambre qu’il partage avec deux de ces frères. Il s’écroule sur le matelas…une étrange sensation de vide dans le cœur et dans l’âme.

And if I ever see you again my love
All I m ever gonna do is send shivers down
That spine of yours

Ygerne, poings sur les hanches, observe sa chambrette réaménagée de frais avec un sourire satisfait. Elle n'a, certes pas réussi à repousser les murs, mais elle a fait en sorte de transformer la cellule monacale en alcôve douillette et agréable. Elle a ainsi su métamorphoser son armoire de ferraille austère en étagère ouverte pour ses livres plus nombreux que ses vêtements. Les portes désossée ont été fixées au dessus de son lit, directement au mur, servant de rangement supplémentaire. Elle a pu récupéré deux vieux pans de voilage coloré pour se confectionner une sorte de toit de tissu avec, renforçant l'impression sympathique de cabane.

- Ça manque de fleurs... Se dit-elle songeuse.

Depuis la "guérison" de Lewis, la sorcière n'a pas remis les pieds au Silo. À la fin de son sort, elle l'avait vu pleurer  avait esquissé un geste vers lui, instinctif, mais Colgan s'était immédiatement interposé entre eux. Simone l'avait prise par les épaules et conduite dehors. A peine la porte franchie, elle s'était écroulée, inconsolable. La vampire, comme toujours, s'était montrée d'une grande délicatesse et n'avait posé aucune question. Elle lui avait offert un remontant alcoolisé, sa présence, et Ygerne s'était épanchée. Elle avait même débordé en flots bouillonnants de confessions.  Quatre années d'absces crevées en quelques heures.
Elle s'était sentie mieux et épuisée. Elle s'était écroulée pour dormir d'un sommeil lourd et sans rêve.

Par la suite, elle avait été prise d'une frénésie changements. À commencer par son lieu de vie. Elle avait également soumis à Madame une proposition de programme d'apprentissage à destination des enfants du bunker. Il était temps d'occuper ces jeunes esprits et de les instruire sur le monde naturel et surnaturel. Par ruissellement, elle espérait éduquer les parents et les libérer pour réinvestir activement leur force de travail dans la communauté. Elle s'était spontanément proposée comme enseignante. Elle aspirait à se rendre utile.

Ygerne termine de disposer la décoration sur les plaques au dessus de son lit. Il manque toujours le Roi Noir à son jeu d'échecs. Elle soupire, ferme les yeux quelques secondes et lorsqu'elle les rouvre, ses prunelles brille d'une franche détermination.

Il est temps de récupérer cette pièce.

***

Elle hésite.
Elle a tergiversé et trouver toutes les excuses possibles pour repousser l'échéance. Elle a pris une longue douche, mis un temps infini à choisir comment s'habiller pour finalement faire comme d'habitude, s'est arrêtée en chemin chaque fois qu'elle a pu. A présent qu'elle se trouve dans le Silo, Ygerne angoisse. Elle fixe la route qui mène au laboratoire de Dysderie et qui passe fatalement par le lieux de rendez-vous régulier pour leurs séances.

Lewis est là fidèle à lui même et à ses habitudes.

- Bonjour Lewis... Comment allez-vous ?

La sorcière à réuni tout son courage pour formuler ces quelques mots et sourire. A cœur vaillant rien d'impossible, même lorsqu'il est en miettes.

La vie reprend.

Comme elle aurait dû continuer à s’écouler pour lui. Lente, tranquille, sans plus de visions étranges.
Deborah ne le hante plus, son passé non plus. Quelque chose reste pourtant, à la lisière de son esprit, sans qu’il ne puisse mettre jamais le doigt dessus.
Après l’intervention de McNamara, il est resté quelques temps à l’infirmerie. Encore. Il était de toute façon trop fatigué et embrouillé pour faire quoique ce soit d’utile.
Et puis son esprit a repris le chemin de la raison, du raisonnable, de la logique et du détachement. S’il est toujours désolé d’avoir infligé tant de peine à la sorcière, il ne regrette pas son acte.
Il a repris son rôle dans la Meute, voit fleurir les sourires de soulagements chez tous ceux qui craignaient pour lui et sa santé mentale. Il a même eu le droit à une étreinte de Shane et Shareen que Lewis, surpris, leur a rendu un brin maladroitement.

La vie reprend.

Il est retourné au Silo, a peaufiné son idée, l’a corrigée avec l’aide du jeune Nathan puis a repris ses calculs jusqu’à le confier aux Djinns de la terre. Il leur rend simplement visite de temps à autre pour vérifier que tout allait bien. Le reste n’est plus entre ses mains à présent.
Alors Lewis cherche. Un nouveau but, une nouvelle activité pour occuper ses neurones et un moyen de combler un certain vide qu’il ne s’explique pas. Un manque profond qu’il n’a jamais connu et qui le démange comme une vilaine piqure de moustique qui gratte constamment en toile de fond. Un vide qui le laisse parfois profondément mélancolique. Il s’applique toutefois à ne jamais se laisser aller à trop de rêverie en compagnie de la Meute qui scrute ses expressions avec des visages aussi inquiets qu’une mère surveillant son enfant.
De guerre lasse, il a poursuivi son entretien des potagers et des vergers avec une petite équipe. Mais l’activité mentale lui manquant bien trop, il est reparti sur un autre projet : L’aménagement et la construction d’un petit bâtiment qui ferait office de lieux de vie pour tous dans cet espace vert, un lieu où il pourrait se retrouver avant et après les Pleine Lune, pour les pauses pendant leur travail… Il n’en a pas demandé la permission ni la faisabilité, il ressent juste le besoin de « faire ».

C’est donc sur ce projet qui n’a rien d’officiel qu’il se penche, dessinant ce qu’il imagine. Le bâtiment a beau être austère, la pièce qu’il voit à l’intérieur ne l’est pas. Elle semble même chaleureuse et lui rappelle vaguement quelque chose…
Une odeur prégnante de chèvrefeuille parvient à son odorat développé et le ramène à un sentiment de familiarité tranquille, de temps passé ensemble, de sourires et de rires parfois complices.
Ygerne McNamara.
Il n’a pas cherché à la revoir après. Non pas parce qu’il n’en avait pas envie, la sorcière fait partie de ses rares être auprès desquels Lewis se sent bien, en paix et intellectuellement stimulé même.
Il relève la tête pour la voir arriver et lui offre l’un de ses rares sourires en coin. L’a-t-il toujours trouvé belle ou est-ce parce qu’il ne la voit plus comme une sorte de thérapeute que sa vision vient de changer ?

- McNamara…Cela fait un moment, la salue-t-il sombrement.
- Bonjour Lewis...
- Avions-nous rendez-vous ? demande-t-il sur le ton de l’humour. Il lui désigne la chaise en face de lui par habitude, l’invitant à s’installer.
- Comment allez-vous ?
- Très bien, je vous remercie. Plus de distorsion de la réalité à déplorer. Votre fille ne m’apparait plus et les fantômes de mon passé non plus. Tout est redevenu… très calme grâce à votre intervention. Un soupçon de cette mélancolie qu’il cache si bien filtre dans ce constat. Pourtant Lewis aime le calme, par-dessus tout. Mais celui-ci ne comble pas le vide. Et vous ? Que me vaut le plaisir de votre visite ? Il note qu’elle ne porte à nouveau son bracelet et il en conçoit une certaine tristesse. Vous n’avez plus à avoir peur de vous-même, vous savez. Il plante son regard dans le sien. Nous savons tous les deux que vous êtes quelqu’un de profondément bon… vous n’en avez pas besoin. De plus vous m’avez bel et bien guéri, inutile de vous punir encore. Il lui a machinalement attrapé le poignet pour en caresser le bijou du pouce avant de la relâcher en se rendant compte de ce qu’il vient de faire.

- Avions-nous rendez-vous ?
- Pourquoi, ils vous manquent ? Répond-elle du tac au tac. Elle pose sur lui un regard pénétrant en s'installant. Comment allez-vous ?
- Très bien, je vous remercie. Plus de distorsion de la réalité à déplorer. Votre fille ne m’apparait plus et les fantômes de mon passé non plus. Tout est redevenu… très calme grâce à votre intervention.
-.... Tant mieux.

Ygerne tente tant bien que mal de s'en convaincre.

- Et vous ? Que me vaut le plaisir de votre visite ?
- Oh, hé bien à vrai dire, je ne venais pas spécifiquement vous voir, ment-elle. Je voulais demander à Dysderie si je pouvais couper quelques fleurs. J'ai eu la soudaine envie de fleurir ma chambre. J'y est fait quelques menu travaux. J'avais besoin de... elle agite ses doigts ... faire des choses concrètes avec mes mains.

La sorcière suit le regard du loup qui fixe le bracelet de contention magique.

- Vous n’avez plus à avoir peur de vous-même, vous savez. Ses yeux gris et francs produisent un frisson indéfinissable qui dégringole son épine dorsale. Nous savons tous les deux que vous êtes quelqu’un de profondément bon… vous n’en avez pas besoin. De plus vous m’avez bel et bien guéri, inutile de vous punir encore.

Avec une mélancolie difficile à cacher, elle savoure le contact qu'il a initié. Elle sait qu'il sera éphémère. Elle déglutit et lui adresse un sourire fragile.

- Ce n'est pas une punition, d'avantage... un contrat avec moi même. Quand j'irais mieux, que je me sentirais en paix avec moi même, je l'enlèverais. Elle secoue le bracelet à son poignet gracile. Et puis c'est une jolie breloque, non ? Il ne me va pas si mal, je trouve !

Ygerne force à peine le ton enjoué. Elle éprouve une joie sincère à discuter avec lui même si ça n'est plus "comme avant".

- Sur quoi travaillez-vous aujourd'hui ? Elle fait glisser son cahier de brouillon jusqu'à elle et observe ses schémas. Ce n'est plus la forêt infinie ? Vous avez réussi à la... "finir", fait-elle avec un petit soutire malicieux. Elle feuillète quelques pages. Vous avez réellement l'esprit d'un bâtisseur, Lewis, exactement comme... Elle ne poursuit pas sa phrase. Elle allait évoquer Deborah et ses rêves d'architecte.... Vous avez songé à proposer votre candidature dans l'équipe d'Enyo Faraday ? Avec Nathan Brunelle et Marwa Gueyamel, ils ont conçu les bunkers et toute sa technologie autosuffisante intérieure. Il y aurait de quoi occuper vos neurones des heures et des heures...

La sorcière rit doucement.

- Et donc ? De quoi s'agit-il ? s'enquiert-elle avec sa curiosité naturelle.

- Ce n'est pas une punition, d'avantage... un contrat avec moi-même. Lewis arque un sourcil mais la laisse poursuivre. Quand j'irais mieux, que je me sentirais en paix avec moi-même, je l'enlèverais. Et puis c'est une jolie breloque, non ? Il ne me va pas si mal, je trouve !
Lewis fait une moue peu convaincue.
- Certes… mais je guetterai toutefois avec impatience sa disparition.

- Sur quoi travaillez-vous aujourd'hui ? Ce n'est plus la forêt infinie ? Vous avez réussi à la... "finir".

Son trait d’esprit le fait sourire plus largement alors qu’elle feuillète ses croquis préparatoires. Il pose négligemment son menton contre sa paume en l’observant, forcé d’admettre que son présence lui est tout à fait agréable.

- Il semblerait. L’infini est somme toute assez décevant finalement. La construction est entre les mains des Djinns de terre…si et quand ils auront du temps à y consacrer.
- Vous avez réellement l'esprit d'un bâtisseur, Lewis, exactement comme...
- Comme ?
Mais elle détourne rapidement sa phrase.
- Vous avez songé à proposer votre candidature dans l'équipe d'Enyo Faraday ? Avec Nathan Brunelle et Marwa Gueyamel, ils ont conçu les bunkers et toute sa technologie autosuffisante intérieure. Il y aurait de quoi occuper vos neurones des heures et des heures.

Très étonné de sa proposition, Lewis parait presque gêné ou alors est-ce son rire léger qui provoque quelque chose chez lui ? Difficile à dire.

- Oh et bien…je n’ai rien d’un architecte. J’ai des idées mais très peu de connaissances théoriques et mathématiques. J’apprenais en autodidacte mais…je n’ai plus vraiment matière à étudier sans manuel approprié. Je n’ai jamais vraiment fréquenté l’école et j’ai choisi la voie de la police avant tout parce que j’aimais résoudre des problèmes. J’essaie… de me trouver des occupations qui ont du sens ici. La tâche est moins aisée qu’il n’y parait…et je n’ai rien d’un fermier.
- Et donc ? De quoi s'agit-il ?

Il tourne le cahier pour qu’ils puissent tout deux le consulter. Il se penche vers le centre de la table et tourne les pages pour lui présenter le croquis qui montre une sorte de maison de bois de l’extérieur.

- J’ai imaginé un bâtiment qui pourrait accueillir une salle pour nous tous. Je sais bien que Madame nous a très gracieusement consacré une pièce dans les bunkers mais nous aimiez nous réunir tous sous la lune avant et après nos transformations. Et puis maintenant que nous sommes des travailleurs officiels du Silo, nous aurions besoin d’une salle de « pause » puisqu’Hunter nous refuse l’accès à la plus grande grange. A juste titre à mon avis. Il change de page pour lui en montrer l’intérieur. Je voyais quelque chose de cosy… ou Marisol pourrait se reposer et donc rester avec nous, où nous pourrions manger ou prendre une petite pause. Il tapote distraitement son menton avec son crayon et réfléchit à voix haute. Mmm à terme il faudrait sans doute un petit coin cuisine mais j’imagine que les matériaux sont limités.

Il relève le menton pour constater qu’il est assez proche de la sorcière pour ne rien manquer de ses taches de rousseur. Il se voit brusquement les relier avec ses doigts et recule, perturbé par cette image que son esprit à fabriquer de toute pièce sans raison.

- Bref…cela ne se refera sans doute jamais, je n’ai à vrai dire demander l’aval de personne et je sais que morceau de terrain est précieux. Cette salle n’est qu’un…caprice. Et vous ? A quoi occupez-vous vos journées ? Il rit soudain de lui-même. Navré, vous n’êtes pas obligée de me répondre, je vous détourne de votre but floral avec ma conversation sans grand intérêt.

- Oh et bien…je n’ai rien d’un architecte. J’ai des idées mais très peu de connaissances théoriques et mathématiques. J’apprenais en autodidacte mais…je n’ai plus vraiment matière à étudier sans manuel approprié. Je n’ai jamais vraiment fréquenté l’école et j’ai choisi la voie de la police avant tout parce que j’aimais résoudre des problèmes. J’essaie… de me trouver des occupations qui ont du sens ici. La tâche est moins aisée qu’il n’y parait…et je n’ai rien d’un fermier.
- Enyo a réuni autour d'elle une équipe fascinante de gens aux parcours divers et variés. Nathan est le seul à être muni d'un diplôme et encore, les événement ne l'ont pas poussé plus loin que le bac. La plus jeune de leur équipe, Fiadh a arrêté d'être scolarisé à dix ans. Ils ont tous des connaissances et un savoir-faire hors du commun enrichis sur le tas. Vous avez tout à fait le profil. Vous êtes brillant, débrouillard et touche-à-tout... Je suis certain que vous plairiez à Enyo et croyez-moi, c'est une gageur. Je vous connais suffisamment pour savoir que vous vous ennuyez actuellement. Votre cervelle a besoin de stimulation et de challenge, sinon, c'est bien simple, vous devenez absolument insupportable. Elle glousse doucement. Et donc ? De quoi s'agit-il ?
- J’ai imaginé un bâtiment qui pourrait accueillir une salle pour nous tous. Je sais bien que Madame nous a très gracieusement consacré une pièce dans les bunkers mais nous aimions nous réunir tous sous la lune avant et après nos transformations. Et puis maintenant que nous sommes des travailleurs officiels du Silo, nous aurions besoin d’une salle de « pause » puisqu’Hunter nous refuse l’accès à la plus grande grange.
- Evidemment, c'est devenu sa maison. On ne déloge pas un loup de son territoire.
- A juste titre à mon avis.

Son timbre s'étiole quand elle découvre les dessins qui représentent à s'y méprendre l'intérieur de leur maison imaginaire. L'émotion la prend à la gorge. Elle déglutit douloureusement pour demeurer le plus composée possible.

- Je voyais quelque chose de cosy… ou Marisol pourrait se reposer et donc rester avec nous, où nous pourrions manger ou prendre une petite pause. Mmm à terme il faudrait sans doute un petit coin cuisine mais j’imagine que les matériaux sont limités.
- C'est.. C'est vraiment très chaleureux, très... familial.

Ygerne effleure du bout des doigts les réminiscences de leur vie commune en songes. Elle ne remarque pas l'intensité de l'oeillade de Lewis.

- Bref…cela ne se refera sans doute jamais.
- Pourquoi ? s'étonne la sorcière.
- Je n’ai à vrai dire demandé l’aval de personne et je sais que chaque morceau de terrain est précieux. Cette salle n’est qu’un…caprice.
- Votre demande me semble tout à fait légitime. En tant que travailleurs, vous avez droit à un endroit pour vous reposer. Vous devriez obtenir l'accord de Dysderie et de Simone... Après il faudra voir dans quelles mesures cela pourra s'appliquer.
- Et vous ? A quoi occupez-vous vos journées ?

Ygerne redécouvre le rire chaleureux du loup, aussi rare et précieux qu'une éclipse.

- Navré, vous n’êtes pas obligée de me répondre, je vous détourne de votre but floral avec ma conversation sans grand intérêt.
- Mais pas du tout... rétorque-t-elle avec une sincère tendresse. En dépit de nos antécédents, j'ai toujours apprécié votre compagnie. Dire que j'ai parfois du batailler ferme pour vous arracher quelques mots , je ne vais pas me plaindre d'avoir une conversation à bâtons rompus avec vous ! Ce serait un comble !

A son tour de rire et d'attraper un peu de cette lumière qui l'entoure.

- Et pour vous répondre, outre mes élans soudains de décoratrice d'intérieur, j'ai comme projet de monter une école, ici, sous terre et de faire la classe à tous les enfants de réfugiés désœuvrés. Nous avons de futures mamans, des jeunes parents, et un tas de petits qui passent leurs journées à avoir peur. Je vais détricoter ça par le savoir, leur apprendre à comprendre le surnaturel et le monde tel qu'il est réellement. Je veux former la génération qui survivra à l'Apocalypse.... Oui, c'est ambitieux, mis j'ai beaucoup trop de temps libre et des cellules grises en excès !

- Navré, vous n’êtes pas obligée de me répondre, je vous détourne de votre but floral avec ma conversation sans grand intérêt.
- Mais pas du tout... En dépit de nos antécédents, j'ai toujours apprécié votre compagnie.
- En dépit de nos antécédents…c’est une élégante façon de dire les choses.
- Dire que j'ai parfois dû batailler ferme pour vous arracher quelques mots, je ne vais pas me plaindre d'avoir une conversation à bâtons rompus avec vous ! Ce serait un comble !

Elle rit et il l’observe toujours. Elle s’anime d’une jolie façon lorsqu’elle lui détaille son projet et il lui plait de savoir qu’elle va mieux elle aussi. Il est même très satisfait de savoir que la solution à laquelle ils ont convenu tous deux lui fasse du bien, quand bien même il ne se souvient plus exactement de quoi il s’agissait.

- C’est une très belle mission que vous vous êtes trouvée. Ces enfants auront bien de la chance de vous avoir pour apaiser leurs peurs. Je suis heureux de voir que vous allez de l’avant. Je pourrais peut-être vous aider à aménager votre salle de classe ? Colgan pourrait faire quelques meubles en bois…enfin si vous avez besoin de mon aide évidemment. Je ne souhaite pas m’imposer.  

Il lui dédie un petit sourire qu’on pourrait presque qualifier de doux. Il referme son carnet qui semble avoir étonnamment suscité beaucoup d’émotions chez elle sans qu’il ne sache pourquoi.

- Cela vous ennuie-t-il si je vous accompagne pendant votre cueillette ? J’ai besoin de me dégourdir les jambes, annonce-t-il en se relevant. Je vais vous montrer où pousse les plus belles.
Il la guide vers une étendue pleine de fleurs sauvages non loin de là.

- J’ai supposé que vous étiez plus fleurs des champs… comme j’aimais vous en cueillir pour… il s’arrête soudain, fronce les sourcils et perd le fil de sa pensée. Désolé, je ne sais absolument pas pourquoi j’ai dit une chose pareille.  

- C’est une très belle mission que vous vous êtes trouvée.
- Merci !
- Ces enfants auront bien de la chance de vous avoir pour apaiser leurs peurs. Je suis heureux de voir que vous allez de l’avant.
- J'essaie. Elle hausse les épaules. Il faut bien...

La sorcière arbore un sourire fragile mais vaillant. Il le faut. C'était pour le mieux. Elle n'a pas à regretter quand bien même la chose était réconfortante. Lewis sait être réconfortant.

- Je pourrais peut-être vous aider à aménager votre salle de classe ?
- Vraiment ?
- Colgan pourrait faire quelques meubles en bois…
- Vous croyez ?
- ...Enfin si vous avez besoin de mon aide évidemment. Je ne souhaite pas m’imposer.

Avec une spontanéité incontrôlée, Ygerne attrape la main de Lewis.

- Non ! Bien sûr que non ! Au contraire, je serais enchantée de bénéficier de vos lumières.

Elle se rend compte que ce contact intime est totalement déplacé.

- Je suis désolée.. Excusez-moi...
- Cela vous ennuie-t-il si je vous accompagne pendant votre cueillette ? J’ai besoin de me dégourdir les jambes.
- Vous lisez dans mes pensées. J'allais vous le proposer !
- Je vais vous montrer où pousse les plus belles.

Elle se lève à son tour en souriant, avec une note de malice.

- Merci de partager ce précieux secret avec moi !

La sorcière chemine avec lui, d'un pas tranquille, profitant de la langueur de fin de journée. Même si elles sont émotionnellement difficiles à gérer, ses retrouvailles avec le loup sont plus paisibles et douces qu'escomptées. C'est un soulagement.
Ils quittent le sentier pour traverser quelques buisson et découvrir au delà une petite prairie de fleurs sauvages : cosmos, boutons-d'or, pâquerettes, bleuets, coquelicots, consoudes, cirses, achillées... Une envolée lyrique de couleurs digne des tableaux impressionnistes tapisse l'herbe grasse.

- Magnifique ! s'exclame Ygerne, ravie du spectacle.
- J’ai supposé que vous étiez plus fleurs des champs…
- Bonne pioche !
- ...Comme j’aimais vous en cueillir pour…
- Je vous demande pardon ?!

Interloquée et blême, la thaumaturge contemple Lewis qui semble, lui-même, un peu déboussolé par cette déclaration inopinée. Aurait-elle mal effectué son sort ? Mal rangé son cerveau ? Non... Elle était pourtant certaine d'avoir...

- Désolé, je ne sais absolument pas pourquoi j’ai dit une chose pareille.
- Ce n'est rien... Elle pose une main rassurante sur son bras. Peut-être un résidu de vos visions parasites. Ca s'estompera avec le temps... Quoi qu'il en soit, l'endroit est superbe ! Vous m'aidez ?

Commence alors la cueillette. Malgré sa mélancolie rampante, la composition du bouquet chasse peu à peu les inquiétudes et les questions en suspend. Ygerne ploie gracieusement pour se servir au gré de son inspiration, humant le parfum subtile de quelques fleurs, remettant parfois une mèche de cheveux roux derrière son oreille avec cette élégance toute naturelle qui lui est propre. Watherhouse aurait adoré la peindre dans ce décor.

- Vous avez une fleur préférée, Lewis ? demande-t-elle en se redressant tout sourire.

- Ce n'est rien... Peut-être un résidu de vos visions parasites.
- Hum, sans doute…
Il ne s’en inquiète pas vraiment mais il trouve la sensation particulière, très particulière. Comme une sorte de déjà-vu qui ne dure que quelques secondes.
- Ca s'estompera avec le temps... Il hoche la tête, sourcils froncés. Quoi qu'il en soit, l'endroit est superbe ! Vous m'aidez ?
- Je ne suis pas certain d’être d’une quelconque utilité.

Pendant que McNamara semble parfaitement dans son élément dans ce champ bucolique, lui a plus l’impression d’être un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il en pioche une ou deux au hasard, puis se décide à faire un petit bouquet pour Marisol. Il tente d’être assez consciencieux pour marier agréablement les couleurs ensemble. Il s’appuie malgré tout plus sur sa logique que sur une quelconque créativité.

- Vous avez une fleur préférée, Lewis ?
- Hum ?

Il relève la tête, un peu ébloui par son sourire si lumineux, comme si être ici à cet instant représentait une joie incommensurable. Quelle drôle de femme… Charmante certes, mais étrange à bien des niveaux. Néanmoins, la voir heureuse apaise un peu la sensation de vide qui lui pèse depuis que le sort qui l’a guéri et il étire un semblant de sourire pour faire miroir au sien.

- Eh bien… je ne me suis jamais vraiment posé la question mais à choisir… il se penche pour ramasser ladite fleur préférée et la pique délicatement derrière l’oreille de McNamara… je dirais les marguerites. J’ai des goûts très simples et puis, je les trouve…amicales. Il ricane de sa propre explication. Si tant est que ça veuille dire quelque chose. Je suis ne suis pas un très grand poète… Et vous ?

- Je ne suis pas certain d’être d’une quelconque utilité.
- Attention, Lewis, vous recommencez à bougonner !

La nature, l'acte simple d'aller à sa rencontre, lui fait un bien fou. Ygerne se sent plus légère sur l'instant et se surprend à badiner.

- Vous avez une fleur préférée, Lewis ?
- Hum ?

La sorcière glousse devant son air effaré. Elle remarque qu'il n'a choisi que des fleurs blanches et jaunes, de même hauteur, et avec le même type de corolles. Cela l'amuse de constater qu'il intellectualise même ce genre de chose, pourtant si simple.

- Ça n'était pas une question piège. Je vous demandais si vous aviez une fleur préférée ?
- Eh bien… je ne me suis jamais vraiment posé la question mais à choisir…

Ygerne le regarde cueillir une marguerite et retient sa respiration quand il vient lui glisser délicatement derrière l'oreille. Elle le fixe, intensément troublée. Elle se morigène mentalement : elle doit cesser de s'accrocher à tous ces petits gestes d'égarement tendre. Ils ne signifient rien. Absolument rien.

- J’ai des goûts très simples et puis, je les trouve…amicales. Si tant est que ça veuille dire quelque chose. Je suis ne suis pas un très grand poète…

La sorcière lui sourit en écho.

- La simplicité a du bon... La marguerite est un symbole d'innocence, de fidélité, de grande estime et de loyauté amoureuse. Je trouve que c'est un choix qui vous correspond assez.
- Et vous ?
- Le chèvrefeuille. Aucune surprise, n'est-ce pas ?

Elle récupère un des bleuets de son bouquet et le fixe à la boutonnière du loup, attardant négligemment ses doigts sur son torse.

- Je trouve que celle-ci vous va bien. Vous chercherez vous même sa signification à l'occasion... Elle tapote sa poitrine. Une toute petite énigme à vous mettre sous la dent.

- La simplicité a du bon... La marguerite est un symbole d'innocence, de fidélité, de grande estime et de loyauté amoureuse. Je trouve que c'est un choix qui vous correspond assez.
Après avoir contemplé songeusement son bouquet, il lève un regard amusé vers McNamara.
- Vous trouvez ? Hormis la fidélité peut-être, je ne suis pas certain pour le reste. Surtout pas pour l’innocence. L’a-t-il seulement été un jour ? Naïf sans doute parfois, mais innocent jamais vraiment. Et vous ?
- Le chèvrefeuille. Aucune surprise, n'est-ce pas ?
- Pas pour mon odorat en tout cas, réplique-t-il avec un sourire en coin. Il réfléchit un instant puis lâche avec sa sobriété habituelle. J’aime cette odeur, elle vous va bien.
Fraîche, féminine et naturelle, comme elle en somme.

Il observe, un peu déconcerté, les doigts de la sorcière qui glissent sur son torse.

- Je trouve que celle-ci vous va bien. Vous chercherez vous même sa signification à l'occasion... Une toute petite énigme à vous mettre sous la dent.
- J’apprécie l’énigme mais je suis aussi peu doué en jardinage que je le suis à reconnaître les fleurs. Considéreriez-vous qu’il s’agisse d’un horrible affront sur je vous demande le nom de celle-ci ?

Il n’a absolument aucune idée de la manière dont il trouvera cette information mais il cherchera. Il ouvre la bouche mais une étrange et très familière odeur parvient jusque ses narines, toute proche et il fronce les sourcils.

- Veuillez me pardonner un instant voulez-vous ?
Il se décale de quelques mètres dans les hautes herbes et les fleurs jusqu’à prendre son Alpha en plein délit d’espionnage, aplati au sol, une couronne de fleurs dans les cheveux et une Sizreïs tout en sourire qui l’imite à la perfection.
Lewis croise les bras et le toise de toute sa hauteur.
- Colgan…
Celui-ci s’empresse de se redresser et a au moins le mérite de paraitre penaud voire coupable.
- Lewis. Il salue du menton la sorcière. McNamara.
- Peut-on savoir ce que vous faisiez là tous les deux ?
- Et bien on était là bien avant vous à vrai dire et on…observait les fourmis………….
- ……. Les fourmis ?
- Oui ! Passionnantes petites bêtes, hein mon petit Poisson ?
- De mon point de vue ça ressemblait plutôt à de l’espionnage.
- Ca n’en n’était pas. Je ne souhaitais simplement pas briser votre euh…petit moment bucolique en signalant ma présence. Tout va bien ? fait-il légèrement inquiet.
Lewis lui adresse un long regard appuyé.
- Bien sûr, pourquoi ça n’irait pas.
- Parce que tu…cueilles des fleurs ?
- Pour ta femme, oui. Et je n’aurais pas à le faire si tu t’en chargeais toi-même plutôt que d’observer des …fourmis.
Colgan émet une sorte de rire gêné.
- Toi et ta franchise m’aviez manqués Lewis !
Celui-ci lui tend les fleurs en secouant légèrement la tête, amusé.
- Tiens tu lui donneras en disant que ça vient de toi. Je suis pour la paix des ménages.
Colgan accepte le bouquet et tend la main à Sizreïs.
- Merci, Lewis. Mais je dirais qu’elles viennent de toi, j’ai appris il y a un moment à ne pas mentir à Marisol. Elle le découvre toujours de toute façon. Allez viens, petit Poisson, je te ramène et je rentre. Bonne soirée vous deux.
Une fois son Alpha parti, Lewis se tourne vers McNamara, les yeux pétillants d’un rien de malice.
- Des fourmis ? C’est sans doute l’un des mensonges les plus grotesques qui ait été proféré depuis l’invention du mensonge. Désolé, je ne savais pas mes compagnons aussi…envahissants et ... mère-poule.

- J’aime cette odeur, elle vous va bien.

Ygerne rosit malgré elle. Lewis a une manière brute et déstabilisante d'aborder les choses de l'intime. Elle décide de lui proposer une énigme florale en accrochant un bleuet à sa boutonnière.

- J’apprécie l’énigme mais je suis aussi peu doué en jardinage que je le suis à reconnaître les fleurs. Considéreriez-vous qu’il s’agisse d’un horrible affront sur je vous demande le nom de celle-ci ?
- Si je vous donne un indice, j'aurais l'impression de vous faciliter la tâche et que l'énigme perdra de son sel... Déclare-t-elle, inconsciente de la suavité de son ton.

Loup et sorcière échange un long regard silencieux quand Lewis s'excuse brusquement et se déporte vers une touffe de hautes herbes. Ygerne fronce les sourcils, intriguée, et s'approche malgré les recommandations du lycanthrope.
La vision de Colgan Murtagh tapi dans les fourrés avec une couronne de fleurs sur la tête fait naître chez la thaumaturge une terrible envie de rire qu'elle camoufle comme elle peut derrière sa main.

- Colgan…
Le fier et puissant alpha des Abyssaux a tout l'air d'un petit garçon pris en faute.
- Lewis. McNamara.
-... Hum... Appelez-moi Ygerne.
- Poissooooon !

Sa suggestion  reste lettre morte et Lewis poursuit son interrogatoire.

- Peut-on savoir ce que vous faisiez là tous les deux ?
- Et bien on était là bien avant vous à vrai dire et on…observait les fourmis………….
- ……. Les fourmis ?
- Oui ! Passionnantes petites bêtes, hein mon petit Poisson ?
- FOURMI !!!!
- De mon point de vue ça ressemblait plutôt à de l’espionnage.
- Ca n’en n’était pas. Je ne souhaitais simplement pas briser votre euh…petit moment bucolique en signalant ma présence. Tout va bien ?
- On ne peut mieux. Merci, répond la sorcière bien que la question ne lui soit pas adressée.

Lewis tacle le pauvre Colgan et la magicienne ne peut s'empêcher d'éprouver pour le loup roux un élan de compassion. Lorsqu'il prend congé avec la petite mandragore, elle laisse libre cour à son hilarité.

- Vous ne l'avez pas raté, le pauvre !
- Des fourmis ? C’est sans doute l’un des mensonges les plus grotesques qui ait été proféré depuis l’invention du mensonge.

Ygerne s'esclaffe de nouveau, les larmes aux yeux et les essuie avec une gracieuse dignité.

- Réjouissons nous que ce ne soit pas des champignons, ça  aurait été pire : ce n'est pas franchement la saison !
- Désolé, je ne savais pas mes compagnons aussi…envahissants et ... mère-poule.
- Je vous l'ai déjà dit, Lewis, mais vous êtes très aimé.... À justes raisons, ajoute-t-elle avec une tendresse de ton qui pourrait la trahir. Aussi reprend sur une note plus détachée. Il faut que je mette ces fleurs dans l'eau avant qu'elles ne prennent un coup de chaud. Un court silence et une oeillade en coin. Voulez-vous m'accompagner ? Comme ça je pourrais avoir l'avis d'un vrai bricoleur sur mes installations....

- Vous ne l'avez pas raté, le pauvre !
- Alpha ou non, j’estime qu’il est parfois nécessaire de remettre les pendules à l’heure. Je reste bien plus âgé que lui et j’apprécie moyennement ces manières intrusives. C’est pourquoi je me suis permis de l’être à mon tour. Et puis…des fourmis ? C’est sans doute l’un des mensonges les plus grotesques qui ait été proféré depuis l’invention du mensonge.

Il se rend soudain compte que le rire de la sorcière lui avait manqué. Il est rare qu’il fasse rire, sauf lorsqu’il se fend de l’une de ses piquantes réparties qu’il ne garde sous le coude que pour les grandes occasions.

- Réjouissons-nous que ce ne soit pas des champignons, ça aurait été pire : ce n'est pas franchement la saison !
J’aurais probablement été contraint de le provoquer en duel pour cet affront à nos intelligences respectives. Et j’aurais sans doute perdu… Il est loin d’être le meilleur combattant de la Meute mais son instinct lui a toujours permis de se sortir de toutes les situations. Désolé, je ne savais pas mes compagnons aussi…envahissants et ... mère-poule.
- Je vous l'ai déjà dit, Lewis, mais vous êtes très aimé.... À justes raisons.

Il fixe la sorcière un instant, sans savoir comment interpréter cette affirmation proférée sur un ton incroyablement doux qui lui chatouille agréablement et familièrement l’échine, comme une caresse. Il est presque certain de ne l’avoir pourtant jamais entendu…

- Moui… on peut sans doute considérer que je suis une sorte de doudou réconfortant pour les plus jeunes loups. Et la voix de la modération concernant nos actions... Il contemple un instant la fleur qu’elle lui a donné. Dans d’autres circonstances… j’aurais pu rejoindre Malsheem, vous savez… Il s’est remis à cueillir des fleurs, sans y prêter vraiment attention, laissant sa main guider ses choix. Je n’apprécie pas particulièrement la violence et je crois fermement que c’est en travaillant ensemble qu’on trouvera le moyen de vivre ensemble. TNN fait figure de proue du changement. Il y a quelques années encore, les chasseurs pullulaient et tuaient sans pitié les miens. Aujourd’hui, tout a changé …

Il garde un silence pensif par la suite, ne sachant pas tellement pourquoi il s’en est confié à la sorcière sur le sujet. Sans doute a-t-il pris l’habitude de lui parler, et il doit bien avouer qu’avec elle, la chose est facile.
Ayant les mains largement pleines de fleurs, McNamara reprend.

- Il faut que je mette ses fleurs dans l'eau avant qu'elles ne prennent un coup de chaud.
- Hum…sans doute, répond-il distraitement.
- Voulez-vous m'accompagner ? Comme ça je pourrais avoir l'avis d'un vrai bricoleur sur mes installations...

Surpris par sa proposition, il cherche son regard. Apprécie-t-elle vraiment sa compagnie malgré tout ? Rien ne l’oblige plus à passer du temps avec lui à présent. La seule explication logique est donc qu’elle y prend du plaisir. En tous les cas, sa proposition sonne comme un prétexte à ses oreilles, mais il est peut-être un peu présomptueux de penser de la sorte.

- Je ne sais pas si… Il baisse les yeux sur ses mains. Pourquoi pas ? Dans ce cas je vais devoir vous confier les miennes, si vous en voulez. Ma mère avait coutume de dire qu’un homme se devait d’offrir des fleurs aux femmes qui comptent dans sa vie. J’imagine que je vous en dois quelques-unes, avoue-t-il avec un sourire en coin.

Car oui, qu'il le veuille ou non, Ygerne McNamara aura marqué sa vie d’une façon aussi terrible que délicate.

- Moui… on peut sans doute considérer que je suis une sorte de doudou réconfortant pour les plus jeunes loups.
- J'ai du manqué votre propensions à vous transformer en peluche et distribuer des câlins... se moque-t-elle gentiment, avec un franc sourire. C'est donc là votre rôle dans cette meute ?
- Et la voix de la modération concernant nos actions... Dans d’autres circonstances… j’aurais pu rejoindre Malsheem, vous savez…

Lewis se montre étonnamment bavard aujourd'hui et Ygerne s'en réjouit. Cela rend les choses plus simples, plus fluides entre eux. Moins laborieuses pour ses desseins de nouer avec lui une relation saine et paisible. La sorcière l'observe ployer pour cueillir de nouvelles fleurs. Elle se demande pour qui sera le bouquet cette fois.

- Je n’apprécie pas particulièrement la violence et je crois fermement que c’est en travaillant ensemble qu’on trouvera le moyen de vivre ensemble. Tyr Nà Nog fait figure de proue du changement. Il y a quelques années encore, les chasseurs pullulaient et tuaient sans pitié les miens. Aujourd’hui, tout a changé.
- Oui, approuve-t-elle avec une gravité tranquille. Vous auriez été un agent exemplaire. Votre discrétion et vos qualités d'enquêteur nous auraient été précieuses..... Malsheem a été créé officiellement après la guerre, vous le saviez ? Balthazar et Simone travaillaient déjà dans l'espionnage avant qu'elle n'éclate. Pendant, ils s'étaient spécialisés dans le regroupement de familles éclatées par la guerre pour les mettre à l'abris aux États-Unis : des juifs mais également des créatures de toutes sortes traquées par les nazis. C'est naturellement qu'ils ont glissé vers Malsheem.

La thaumaturge se mordille la lèvre, soucieuse de trouver une excuse plausible pour ne pas couper court à leurs plaisants échanges.

- Il faut que je mette ses fleurs dans l'eau avant qu'elles ne prennent un coup de chaud.
- Hum…sans doute
- Voulez-vous m'accompagner ? Comme ça je pourrais avoir l'avis d'un vrai bricoleur sur mes installations...

Ygerne soutient le regard de son interlocuteur en espérant qu'il ne percevra pas (trop) le prétexte sous-jacent.

- Je ne sais pas si…
- Oubliez ça n'est pas grave, je ne vais pas vous accapa... ajoute précipitamment la sorcière.
- Pourquoi pas ?

Ygerne s'était attendue à ce qu'il refuse tout net, aussi reste-t-elle fugacement décontenancée devant l'acceptation de son invitation. Elle se reprend aussitôt.

- Formidable ! Allons-y dans ce cas !
- Dans ce cas je vais devoir vous confier les miennes, si vous en voulez.
- Oui bien entendu, répond-elle en récupérant les fleurs ramassées par le lycanthrope. Nous n'allons pas les laisser faner.
- Ma mère avait coutume de dire qu’un homme se devait d’offrir des fleurs aux femmes qui comptent dans sa vie. J’imagine que je vous en dois quelques-unes...

La sorcière prise au dépourvu observe le loup avec une surprise si sincère qu'elle lui empourpre le visage d'une couleur aussi frappante que sa chevelure. Ygerne est "une femme qui compte" pour Lewis. L'information est déstabilisante... Et pernicieusement agréable.

- Je... Euh.. Oui.... Sans doute...balbutie-t-elle, sa répartie partie cuir avec ses joues. Heureusement, celle-ci revient au galop. J'imagine que la torture mentale est un atout majeure si on veut "compter" pour un homme, ironise-t-elle sur un ton badin avant de rire et de soupirer. Son visage a cessé de chauffer semble-t-il. Vous êtes un homme bien étrange, Lewis, mais votre mère vous a très bien élevé. C'est une certitude.... Sauf quand vous bougonnez.

Elle lui adresse une oeillade que l'on peut qualifier de complice et les deux cheminent hors du Silo. La gerbe de fleurs dans les mains de la sorcière leur attire quelques regards, soulève plusieurs interrogations, notamment lorsqu'ils croisent des têtes connues. Arrivés devant la porte de sa chambre minuscule, Ygerne sort la carte de sa poche permettant d'y entrer.
Lewis a tout loisir de constater que l'atmosphère du lieu a drastiquement changé.
Ygerne a fait de cette cellule grise, une alcôve douillette et feutrée en récupérant les couleurs où elle a pu. Son armoire en ferraille a perdu ses battants, montées en étagères murales décoratives. Les rayonnages de l'ensemble sont garnis de livres, de carnets, d'étranges bibelots qui ont visiblement de la valeur pour elle puisqu'elle les a emportés. Parmi-eux un petit totem taillé dans du bois et représentant une femme à l'enfant, un jeu plateau d'échecs dont il manque le roi noir, un cadre de photo où elle figure avec Deborah, et un autre où David et Baphomet font les marioles. Quelques dessins sont accrochés aux murs, divers et variés, certains d'enfants, d'autre plus matures. Le lit est surplombé d'un agencement de draps qui donne l'impression d'être sous une tente. L'ensemble est chaleureux, féminin et intime, toute à l'image plus secrète de la veuve.

Ygerne désigne plusieurs brocs d'eau de cantine et autre récipients disparates.

- Lewis, auriez-vous l'amabilité de les remplir d'eau dans la cabine de douche, s'il vous plait ? quémande-t-elle en déposant son bouquet sur le lit.

- Je... Euh.. Oui.... Sans doute...
A-t-il dit une idiotie ? Pourtant il n’y a rien de plus vrai et le constat semble troubler la sorcière.
- Vous rougissez, constate-t-il avec une légère expression amusée.
Il trouve cela assez … charmant et il a l’impression soudaine de rajeunir quelque peu. Depuis quand n’a-t-il pas fait rougir une femme ? Même s’il s’agit sans doute que d’embarras.

- J'imagine que la torture mentale est un atout majeur si on veut "compter" pour un homme.
- Sans doute, rétorque Lewis. Je ne saurais trop dire, il s’agissait de ma première invasion mentale. Il plante ses yeux gris dans les siens. Ca n’était pas tant une torture, vous savez…pas dans la très grande majorité du temps en tout cas.
- Vous êtes un homme bien étrange, Lewis, mais votre mère vous a très bien élevé. C'est une certitude.... Sauf quand vous bougonnez.
- Vous n’êtes pas la première à me qualifier d’étrange oui. Je ne comprends d’ailleurs pas tellement pourquoi, je me considère personnellement comme tout à fait banal. Il a une sorte de demi-sourire un peu triste. Ma mère ne transigeait pas avec le respect. Et Lewis, cherchant constamment à vouloir être un bon fils à ses yeux, suivait tous les préceptes enseignés à la lettre. Et je ne bougonne pas ! Ca demande beaucoup trop d’énergie.

Il propose galamment de porter les fleurs pour elle, mais la sorcière préfère les conserver entre ses bras. Arrivés devant sa chambre, il récupère la carte et l’ouvrir et la déverrouille en lui tenant le battant grand ouvert pour qu’elle puisse passer.
Il s’est déroulé tellement de choses marquantes pour le Loup dans cette pièce qu’il a du mal à se dire qu’il s’agit de la même qu’il a déjà arpenté. Tout a changé ou presque…l’atmosphère en elle-même est différente.

Il rit en voyant le lit.
- Vous vous êtes fait une cabane ?
Curieux, il penche la tête pour lire les tranches des livres alignés, notamment que nombreux sont ceux qu’il a déjà lu ou qu’il aurait aimé lire. Son regard glisse sur les photos sans s’attarder dessus pour ne pas passer pour un voyeur. Il remarque ensuite le jeu d’échec et commente.
- Je réussi à recoller le roi noir, au fait. Il faut que je vous le rende, je l’ai encore dans ma chambre. Vous m’en direz des nouvelles mais on remarque à peine qu’il s’est brisé. Navré, j’aurais dû vous le rendre plus tôt mais …il semblerait que l’idée m’échappait à chaque fois.
Les dessins qu’il pense être ceux de Deborah lui font un drôle de pincement au cœur et il frotte négligemment son torse sans y penser à cet endroit.

- C’est chaleureux, familier avec un rien de disparité qui a beaucoup de charme. Je trouve qu’elle vous ressemble parfaitement.  
Il prend en main l’un des bibelots et le tourne délicatement dans tous les sens entre ses longs doigts, fronçant les sourcils.
- C’est très étrange…j’ai l’impression d’avoir déjà vu ce bibelot…toute cette pièce d’ailleurs, commente-t-il avec un sourire un peu perdu.  
C’est d’autant plus étrange que cette chambre touche à une part de l’intime qu’il ne connait absolument pas chez McNamara. Pourtant l’impression est là, forte.  

La sorcière le rappelle à l’ordre et le sort de ses pensées.

- Lewis, auriez-vous l'amabilité de les remplir d'eau dans la cabine de douche, s'il vous plait ?
- Certainement… je n’avais jamais remarqué que vous aviez un coin salle de bain pour vous toute seule, quel luxe. Une raison de plus de me dire que j’aurais bien mieux fait de venir chez Malsheem. Je n’aurais pas deux colocataires à l’heure actuelle.

Il remplit consciencieusement chaque récipient pratiquement à la même hauteur, sans même faire attention et les déposent au sol à défaut d’avoir de la place où les aligner.

- Je suis heureux de voir que vous semblez vous retrouver, Ygerne. Vous avez fait du bon travail et si vous décorez votre salle de classe de la même façon, vous allez créer un merveilleux endroit pour enseigner aux enfants les défis de ce nouveau monde. Je vous ferai quelques propositions d’aménagements si vous le souhaitez toujours.

- Vous vous êtes fait une cabane ?

Le rire de Lewis fait remonter en surface des souvenirs factices, des réminiscences de songes, des moments de complicité qui n'ont existé que dans leur tête. Le rire de Lewis a beau être beau, il lui pince le coeur. Il ne faut plus qu'elle y pense. Avec le temps, cela s'effacera.

- Absolument ! Il me fallait une bulle de confort. J'adorais faire de cabane avec Deborah. Si je trouve de guirlandes lumineuses, ce sera du plus bel effet !

Le loup se penche sur le plateau d'échecs. Ygerne l'observe avec intensité.

- J'ai réussi à recoller le roi noir, au fait.
- Oh ! Vraiment ?
- Il faut que je vous le rende, je l’ai encore dans ma chambre. Vous m’en direz des nouvelles mais on remarque à peine qu’il s’est brisé. Navré, j’aurais dû vous le rendre plus tôt mais …il semblerait que l’idée m’échappait à chaque fois.
- Vous aviez envie de le garder en otage pour que nous ne rejouions plus jamais de partie ensemble ? Elle ricane. Il n'empêche que j'aimerais disputer un VRAI duel à l'occasion. Je suis une bonne joueuse, sans me vanter.

La sorcière continue de détailler les réactions du lycanthrope. Elle le sent ému par les dessins de Deborah. Lui aussi finira par chasser ces impressions résiduelles. Elles s'évacueront d'elles-mêmes comme une mauvaise mue.

- C’est chaleureux, familier avec un rien de disparité qui a beaucoup de charme. Je trouve qu’elle vous ressemble parfaitement.
- Merci, Lewis.  J'avais envie de retrouver un peu de mon chez moi. J'étais persuadée que vous n'auriez pas aimé mon joyeux désordre et la décoration était affreusement dépareillée, vous d'ordinaire si "ordonné".

Elle lui décerne un sourire très doux, très enveloppant.

- C’est très étrange…j’ai l’impression d’avoir déjà vu ce bibelot…toute cette pièce d’ailleurs...

Aussi touchée soit-elle qu'il conserve précieusement un peu de leur passé intangible dans un coin de son subconscient, elle ne doit pas le cultiver pour autant.

- Lewis, auriez-vous l'amabilité de les remplir d'eau dans la cabine de douche, s'il vous plait ?
- Certainement… je n’avais jamais remarqué que vous aviez un coin salle de bain pour vous toute seule, quel luxe. Ygerne éclate de rire en cherchant une paire de ciseaux pour couper les tiges en biseau. Une raison de plus de me dire que j’aurais bien mieux fait de venir chez Malsheem. Je n’aurais pas deux colocataires à l’heure actuelle.
- Ne croyez pas qu'il s'agisse d'une généralité. distribuer l'eau dans ses souterrains a représenté une gageur de taille. Cette pièce existait déjà avant l'aménagement de cette partie des égouts. C'était un local de manutention pour les ouvriers de la voierie. Ca a été le bureau de travail de Marwa pendant un moment. Nos techniciens ont juste supplanté le lavabo par une cabine de douche. J'ai demandé à avoir cette chambre parce que... je.. je voulais un peu de solitude.

Avec un grand naturel, la sorcière vient s'agenouiller au pied du lit, auprès de lui , là où il a disposé les vases improvisés. Elle lui tend les fleurs préparées au fur et à mesure pour qu'il les plonge dans l'eau.

- Je suis heureux de voir que vous semblez vous retrouver, Ygerne.
- J'essaie, répond-elle, savourant la consonnance de son prénom sorti de sa bouche. Haussement d'épaules. Il y a des jours plus faciles à vivre que d'autres. C'est... compliqué, de devoir recommencer à zéro à soixante ans après avoir totalement perdu la vie que je m'étais construite jusque là. Mais si je dois tirer une leçon de notre triste mésaventure c'est qu'il est temps pour moi d'avancer. L'autre choix c'était de mourir. Je ne peux pas mourir maintenant.
- Vous avez fait du bon travail et si vous décorez votre salle de classe de la même façon, vous allez créer un merveilleux endroit pour enseigner aux enfants les défis de ce nouveau monde. Je vous ferai quelques propositions d’aménagements si vous le souhaitez toujours.
- Vous n'avez pas perdu mon approbation durant le trajet jusqu'à mes quartiers, s'amuse-t-elle pour chasser la mélancolie de sa dernière assertion. Vous pourriez enseigner vous aussi ! Vous avez une autorité naturelle et une manière limpide d'aborder les choses. Le seul obstacle serait ... votre patience peut-être ? le taquine-t-elle. Comment verriez-vous cette ou ces salles de classe, vous ?

McNamara lui explique posément d’où vient cette inespérée source d’eau dans sa chambre et conclue par :
- J'ai demandé à avoir cette chambre parce que... je… je voulais un peu de solitude.
Il la fixe un long moment. Il sait exactement ce qu’elle y a fait dans cette chambre : essayer d’étouffer son chagrin, de le cacher aux autres… de trouver le moyen d’identifier l’assassin de sa fille et fomenter sa juste vengeance. Aujourd’hui, c’est tout cela qu’elle efface certainement en réaménageant son espace. Une autre manière de tourner la page…
- Je ne vous jugerai pas pour cela. Profitez-en.

Ensemble, ils arrangent les bouquets dans leurs vases parfois improvisés, plus elle que lui, assurément. Il se contente de suivre ses instructions prenant parfois quelques initiatives.

- Je suis heureux de voir que vous semblez vous retrouver, Ygerne.
- J'essaie.
- Avec beaucoup de réussite. Il la dévisage un moment, sans que leur proximité ne le gêne…il trouve même la chose presque naturelle. Je vous trouve plus… lumineuse.
- Il y a des jours plus faciles à vivre que d'autres. C'est... compliqué, de devoir recommencer à zéro à soixante ans après avoir totalement perdu la vie que je m'étais construite jusque-là.
- Je comprends. J’ai du changé la mienne à quarante ans mais j’ai eu la chance de ne pas avoir de famille à regretter. Personne à vrai dire. Mais vous y arriverez, je n’en doute pas un instant.
- Mais si je dois tirer une leçon de notre triste mésaventure c'est qu'il est temps pour moi d'avancer. L'autre choix c'était de mourir. Je ne peux pas mourir maintenant.
- Non… vous avez encore beaucoup de choses à accomplir. Il a un petit sourire en coin. Et puis cela me chagrinerait beaucoup que nous ayons traversé tout cela pour vous voir mourir maintenant.
Il bifurque ensuite sur le sujet de sa reconversion.
- Vous n'avez pas perdu mon approbation durant le trajet jusqu'à mes quartiers.
- Sachez que j’apprécie votre constance, McNamara, réplique-t-il avec humour.
- Vous pourriez enseigner vous aussi !
- Moi ? s’étonne-t-il.
- Vous avez une autorité naturelle et une manière limpide d'aborder les choses.
- Je vous remercie, répondit-il avec sa sobriété habituelle assortie d’un petit sourire.
- Le seul obstacle serait ... votre patience peut-être ?
- Un sacré obstacle… je ne suis effectivement pas certain de ne pas finir par les dévorer tous…où à défaut de les laisser en plan. Que pensez-vous que je pourrais leur enseigner ? Je pourrais à la rigueur leur parler…des Loups-garous…de notre Meute…faire une sorte d’intervention ponctuelle pour leur prouver que nous ne somme pas tous les méchants loups des contes.
Lui l’a été pourtant. Sans grande conviction.
- Comment verriez-vous cette ou ces salles de classe, vous ?
Lewis fronce les sourcils, réfléchis, les yeux levés vers le plafond.

- Eh bien… pour commencer je vois un espace pour l’enseignement en forme de u pour leurs bureaux, vous pourriez ainsi être le centre de leur attention et vous auriez également l’œil sur le travail de chacun, ce qui est à la fois plus chaleureux et plus pratique que les salles de classe habituelle. Un long meuble bas, adapté à leur taille qui ferait presque tout le mur avec des caisses facilement ouvrables par toutes ces petites mains. De quoi y ranger des fournitures, des jouets, bref tout ce dont vous auriez besoin. Je pense qu’il leur faudrait également un coin lecture avec quelques bibliothèques qui cacherait un assemblage de coussins confortables. Si nous trouvons de quoi remplir les étagères…évidemment. Vous aviez des idées d’aménagement ? Des envies ? Il s’anime quelque peu sous l’impulsion de ce nouveau projet qui fait fleurir de nouvelles idées dans sa tête. Il pense mentalement à tous les paramètres à prendre en compte. Après, tout dépendra du nombre d’élèves que vous prendrez à charge, leur disparité de niveaux…Chaque classe devra être adaptée et il faudra sans doute recruter. Vous avez des noms en tête ?

- Un sacré obstacle… je ne suis effectivement pas certain de ne pas finir par les dévorer tous…où à défaut de les laisser en plan.
- Vous connaissant, je crains la seconde option plus que la première...

Ygerne glousse malicieusement.

- Que pensez-vous que je pourrais leur enseigner ?
- Je ne sais pas, mais je suis certaine que vous trouverez. Vous avez eu une longue vie, vous avez des connaissances insoupçonnées qui touchent à tous les domaines, Vous savez construire des choses de vos mains vous savez jouer au échecs...
- Je pourrais à la rigueur leur parler…des Loups-garous…de notre Meute…faire une sorte d’intervention ponctuelle pour leur prouver que nous ne somme pas tous les méchants loups des contes.
- C'est une de mes missions principales de leur faire comprendre que les surnaturels sont des gens comme les autres, avec des familles, des rêves, des espoirs, des angoisses, une histoire et des évolutions sociologique... Vous serez mon professeur de Lycanthropie, Lewis, qu'en dites-vous ? A ce titre... Comment verriez-vous cette ou ces salles de classe, vous ?

Lewis s'anime soudain. Elle ne lui a jamais vu aligner autant de mots en une seule fois, si ce n'est en rêve. La sorcière le trouve dangereusement charmant quand il fait preuve de cet enthousiasme bouillonnant qu'il ne démontre guère par ailleurs pour les choses du quotidien. Elle ne doit pas le trouver beau, pas plus qu'elle ne doit éprouver de tendresse à son égard. C'est toujours inapproprié. Cependant, elle ne peut s'en empêcher et son expression la trahit sans qu'elle n'en ait conscience.

- J'aime beaucoup toutes vos inspirations, je vous engage ! déclare-t-elle en riant.
- Vous aviez des idées d’aménagement ? Des envies ?
- J'aimerais que les enfant accèdent à la connaissance sans avoir l'impression de subir une conférence, je pense transmettre donc des choses par le jeu, la démonstration, le concret et l'échange. Plus la classe leur paraitra un lieu agréable et familier, plus ils aimeront y revenir. On pourrait organiser une sorte de boite à livres pour grossir la bibliothèque. J'avais imaginé également les faire consigner eux même ce qu'ils ont appris dans la journée. Cela équivaut aux carnets de chasseurs ou aux grimoires de magie, mais en plus...positif !
- Après, tout dépendra du nombre d’élèves que vous prendrez à charge, leur disparité de niveaux…Chaque classe devra être adaptée et il faudra sans doute recruter. Vous avez des noms en tête ?
- Avant toutes choses, je vais devoir consulter les listes de recensement et démarcher chaque parent pour savoir s' ils seraient séduits par l'idée de me confier leurs enfants. En fonction des résultats, je pourrais évaluer le nombre de classe à ouvrir. Ce qui est certain, c'est qu'il y en aura au moins deux : une maternelle/crèche pour les tout petits, et une classe d'apprentissage réelle.

Ygerne le regarde avec son expression maligne.

- Vous êtes ma première recrue, Lewis, et à ce titre, j'aurais grandement besoin de vos qualités de détective pour faire passer des entretiens. Nous ne pouvons malheureusement plus du tout consulter de CV sur internet, aussi va-t-il falloir se référer à la parole de chacun et l'impression qu'il dégage. Sourire en coin qui plisse son regard et bombe ses pommettes. Acceptez-vous le challenge, Professeur ?

Après avoir exposé ses idées, Lewis lui adresse un étrange sourire, à la fois moqueur et affectueux.
- Dois-je donc vous appeler Madame la Directrice ? Vous serez en quelque sorte ma patronne si j’accepte ?
Le Loup note l’étrange façon dont elle le regarde et quelque chose remue en lui. Comme des archives bien organisée, il cherche dans sa mémoire une fois où elle l’aurait contemplé de cette façon mais n’en trouve aucune de précise. Pourtant il est presque certain… en ce concentrant un peu plus, il a d’autres expressions à elle qui lui reviennent comme des flashs…des expression intimes qu’il n’a aucune raison de connaitre.

- J'aime beaucoup toutes vos inspirations, je vous engage !
Légèrement troublé, il est brutalement ramené à la réalité et il cligne plusieurs fois des yeux avant de revenir au présent et à reprendre le cours de la conversation.
- Vous aviez des idées d’aménagement ? Des envies ?
- J'aimerais que les enfants accèdent à la connaissance sans avoir l'impression de subir une conférence, je pense transmettre donc des choses par le jeu, la démonstration, le concret et l'échange. Plus la classe leur paraitra un lieu agréable et familier, plus ils aimeront y revenir. On pourrait organiser une sorte de boite à livres pour grossir la bibliothèque. J'avais imaginé également les faire consigner eux même ce qu'ils ont appris dans la journée. Cela équivaut aux carnets de chasseurs ou aux grimoires de magie, mais en plus...positif !
- Cela me parait une excellente idée. Vous allez être une merveilleuse enseignante. Après, tout dépendra du nombre d’élèves que vous prendrez à charge, leur disparité de niveaux…Chaque classe devra être adaptée et il faudra sans doute recruter. Vous avez des noms en tête ?
- Avant toutes choses, je vais devoir consulter les listes de recensement et démarcher chaque parent pour savoir s'ils seraient séduits par l'idée de me confier leurs enfants.
Lewis réfléchit.
- Je peux vous ôter ce travail préalable. Consulter ou faire des dossiers sur les gens ça a pratiquement été mon activité principale pendant la moitié de ma vie.
- En fonction des résultats, je pourrais évaluer le nombre de classe à ouvrir. Ce qui est certain, c'est qu'il y en aura au moins deux : une maternelle/crèche pour les tout-petits, et une classe d'apprentissage réelle.
- Parfait. Je vois que vous avez déjà pensé à tout. Non pas que cela m’étonne.

- Vous êtes ma première recrue, Lewis, et à ce titre, j'aurais grandement besoin de vos qualités de détective pour faire passer des entretiens. Nous ne pouvons malheureusement plus du tout consulter de CV sur internet, aussi va-t-il falloir se référer à la parole de chacun et l'impression qu'il dégage.
- Comme une sorte de détecteur de mensonges vivant vous voulez dire ? résume-t-il avec son pragmatisme coutumier. Il sait pourtant qu’il est tout qualifié pour cette activité. Il a toujours eu une sorte de sixième sens avec les gens, leur nature…
- Acceptez-vous le challenge, Professeur ?
Il la regarde un long moment, sérieux comme un pape avant de secouer légèrement la tête, amusé.
- Entendu, j’accepte de vous aider à condition que vous ne m’appeliez pas « Professeur »… Madame la Directrice. Consultant à la rigueur.
Voyant que les fleurs ont toutes trouvées leur bouquet, Lewis se relève lentement, presque à contre-cœur.
- Je vous laisse les placer à votre convenance. Il englobe la pièce du regard, ce doutant qu’il ne reverrait pas l’endroit de sitôt. Oui décidemment, il trouve l’endroit charmant. A l’image de la sorcière pour être tout à fait franc. Et vous laisser tout court d’ailleurs. Ma mission est accomplie. Vous savez où me trouver si vous avez besoin de moi.
Dans un geste désuet et suranné, il attrape la main de McNamara et en baise brièvement le dos.
- J’ai été…heureux de vous reparler, McNamara. Vraiment. A bientôt donc.
Lentement, il met en marche sa longue silhouette et sort en jetant un dernier coup d'oeil, nostalgique sans le savoir de l'atmosphère qui règne ici.

Change your heart
Look around you
Change your heart
It will astound you

Everybody's gotta learn sometime

"J’ai été…heureux de vous reparler, McNamara. Vraiment. A bientôt donc."

Elle aussi.
Beaucoup.

Elle repensait à ce baise-main, souvent.

Ygerne avait le coeur plus léger depuis, plus fleuri, peut-être. Néanmoins, elle n'y prêtait guère d'attention. Sa tête bruissait d'idée et ses mains étaient pleines de tâches à accomplir pour les besoins de son projet. De leur projets. Elle avait démarché les parents un à un, en présence de leurs enfants, pris le temps de solliciter leurs points de vue, leurs besoins. De manière générale, l'idée était plutôt bien accueillie mais la même question revenaient sans cesse en ponctuation de ses exposés, telle une intarissable rengaine : "seront-ils tous mélangés ?"
Avec "eux".
Les "autres".
Quelque soit le côté de la barrière, il en demeurait toujours une. Les adultes se montraient alors, bien moins enthousiastes. Il fallait alors rassurer, développer des trésors de diplomatie pour convaincre. Chaque entrevue s'évéraient passablement exténuantes. Néanmoins, Ygerne était rassénérée par l'idée qu'elle n'œuvrait pas seule dans cette entreprise. Lewis se montrait d'un incroyable support. Avec sa force tranquille, il était parvenu à amadouer Marwa et à trouver un endroit à aménager dans les Bunkers pour leurs salles de classe. A présent, il travaillait à collecter des meubles ou à les fabriquer. Le loup et la sorcière se retrouvaient souvent pour faire le point, pour échanger quelques idées ou pour le simple plaisir de discuter. De temps à autres, ils s'amusaient à poursuivre leur partie d'échecs ouverte il y a quelques semaines et qui courrait depuis lors. Ils s'échangeaient également des livres, perpétuant une sorte de tradition datant de leurs séances de thérapie. Parfois, la sorcière partageait ses repas avec lui et ses frères loups, ceux qui avaient appris à l'apprécier du moins.
Lewis avait découvert que la fleur à sa boutonnière était un bleuet, mais cherchait toujours sa signification.

Le temps filait, ainsi, avec une douceur qu'Ygerne n'avait plus connue depuis longtemps.

- Merci de votre confiance Zulie, vous aussi Marvin. Sachez qu'elle est très appréciée.
- Ne nous remerciez pas ! C'est une bénédiction que vous occupiez Jaquil et Bass avec de saines activités. Croyez-moi ! Le confinement les rend passablement insupportables.
- 'Man, tu sais qu'on t'entends, hein ? grommelle une toute jeune adolescente de treize ou quatorze ans.
- Justement ! J'ai hâte que ce ne soit plus le cas ! appuie leur père.

Les époux Glover éclatent de rire et la sorcière prend congé sur ces bons mots. Elle inscrit le nom du frère et de la soeur sur sa liste. A l'issue de l'ensemble de ses prospections, elle est arrivée à réunir une quinzaine de noms avec certitude. Même si à l'échelle de la population complète des Shelters, c'est plutôt décourageant, cela reste suffisant pour ouvrir une classe au moins.
Et de faire ses preuves !
Il faut qu'elle annonce la bonne nouvelle à Lewis. Toute à ses réflexions, Ygerne manque de rentrer dans les larges épaules d'un homme qu'elle reconnait aussitôt en parvenant à l'éviter de justesse.

- Oh ! Bonsoir Colgan, comment allez-vous ? demande-t-elle avec entrain.

La vie commence enfin à s’apaiser pour la Meute.
La pleine lune s’est passée au mieux, Hunter commence à trouver sa place et par extension à être plus ouvert au dialogue, Marisol est hors de danger ET sortie de l’infirmerie et Lewis est enfin redevenu lui-même.
L’activité dans le Silo contente largement une grande partie des loups et certains trouvent à s’occuper ailleurs. Rien n’est idéal évidemment mais compte tenu de leur passif, ils s’en sortent au mieux. Il sait bien qu’il doit tout cela en grande partie à « Madame » et donc à Bertus. Un jour il va falloir qu’il discute avec lui, posément.
Tout comme avec Marisol. Il sent bien la jeune femme frustrée, voire en colère contre lui. Il va devoir lui expliquer que le temps qu’il passe loin d’elle et avec Sizreïs lui fait du bien à l’âme. A son âme de papa qu’il pensait morte, indigne d’exister.
Dans un autre temps, le fait que Lewis fréquente toujours la sorcière responsable de sa torture et de son détraquage de cerveau ne lui plait pas tellement. Il pensait que la dernière action de McNamara couperait le lien factice et contre-nature qui subsistait en eux. Mais non. Elle est toujours là, à graviter autour de lui et Lewis ne semble pas en être affecté si ce n’est qu’il lui sourit sans doute plus qu’aux autres.
Colgan craint une rechute.
Colgan ne comprend pas pourquoi McNamara cherche encore à voir l’assassin de sa fille.
C’est parfaitement incompréhensible pour lui.

Comme si le fait d’y penser l’avait invoquée, il esquive de peu une femme rousse : McNamara. Il lève d’instinct les mains pour la retenir.

- Mc… il fait l’effort… Ygerne.
- Oh ! Bonsoir Colgan, comment allez-vous ?
Le Loup met quelques secondes avant de répondre, puis décide que finalement le mieux pour faire taire ses interrogations est encore de lui parler. L’occasion vient de se présenter d’elle-même.
- Aussi bien que possible… Vous alliez vers le Mess ? Je vous accompagne.
Ils zigzaguent de concert et en silence pendant quelques minutes avant de poursuivre.
- J’ai presque fini le premier bureau. Vous pourrez venir le voir quand vous voulez. Lewis s’enthousiasme beaucoup sur ce projet. Enfin à son échelle. Il marque à nouveau un temps mort. Je peux être franc avec vous ? Vous et moi… nous avons vécu plus ou moins la même… tragédie, la perte de nos enfants. Depuis quelques temps, parler de Charlyne et Eliott devient moins douloureux, il a un peu moins la sensation qu’on lui arrache le cœur à main nue. Je pensais qu’après avoir remis de l’ordre dans l’esprit de Lewis, le lien… étrange – pour ne pas dire malsain – qui vous unissait s’évaporerait de lui-même…Et pourtant… vous cherchez encore sa compagnie et il ne rechigne pas à vous côtoyer. Ca me…dépasse complètement. Je sais que je vous êtes deux adultes et que je n'ai aucun droit de m'immiscer dans tout ça mais... il secoue la tête, je ne comprends vraiment pas ce qu'il se passe et j'ai peur que votre ... présence régulière à ses côtés ne cause des rechutes.  

- Aussi bien que possible… Vous alliez vers le Mess ?
- En effet.
- Je vous accompagne.
- Avec plaisir, répond la sorcière poliment.

Ygerne se sait peu appréciée par l'Alpha des Abyssaux et elle doute que cette démonstration d'amabilité soit totalement gratuite. Aussi attend-elle avec une certaine curiosité que celui-ci exprime le véritable but de cette petite balade de concert.

- J’ai presque fini le premier bureau. Vous pourrez venir le voir quand vous voulez.
- Vraiment ? Formidable ! Nous pourrions y aller dès à présent si vous êtes libre ! Lewis m'avait vanté vos qualités d'artisans mais je constate que vous êtes également très rapide.
- Lewis s’enthousiasme beaucoup sur ce projet. Enfin à son échelle.

Ygerne appuie l'assertion d'un gloussement tendre.

- L'Echelle Lewis... Oui, je la connais bien.

Un silence s'instaure où la sorcière perçoit nettement le loup tenter de chercher ses mots. En bonne psychologue, elle ne le brusque pas.

- Je peux être franc avec vous ?
- Bien sûr, Colgan. C'est même préférable.
- Vous et moi… nous avons vécu plus ou moins la même… tragédie, la perte de nos enfants.
- Oui... fait-elle avec une sobre gravité.  
- Je pensais qu’après avoir remis de l’ordre dans l’esprit de Lewis, le lien… étrange qui vous unissait s’évaporerait de lui-même…Et pourtant… vous cherchez encore sa compagnie et il ne rechigne pas à vous côtoyer.
- Oh, vous pouvez même dire qu'il l'apprécie... selon l'Echelle Lewis. ajoute-t-elle avec une note d'amusement
- Ca me…dépasse complètement.
- Je le conçois. Elle hausse les épaules. Mais je crains ne pas pouvoir faire grand chose pour vos émois, Colgan.
- Je sais que je vous êtes deux adultes et que je n'ai aucun droit de m'immiscer dans tout ça mais... Je ne comprends vraiment pas ce qu'il se passe et j'ai peur que votre ... présence régulière à ses côtés ne cause des rechutes.

Ygerne s'arrête pour lui faire face.

- Avez-vous constaté de nouvelles absences de sa part ? Des moments de confusion dans son appréhension de la réalité ? Des pertes de mémoires ? A-t-il des accès de mélancolie ? Une perte d'appétit ? De sommeil ?....... Evidemment, non. Il est guérit, Colgan. J'y ai veillé pour son bien et le mien, justement pour que ne perdure aucun lien malsain et artificiel. Si lien il demeure, c'est simplement celui qui se tisse entre deux personnes qui prennent plaisir à être ensembles.

Elle lui sourit, avec une autorité certaine, cependant, le genre de sourire qu'un adelphe offre à un cadet qui n'a pas acquis toute son expérience et sa sagesse.

- Oui, Lewis a tué ma Déborah. Il l'a fait par necessité plus que par cruauté, mais cela ne change rien au fait. Quant à moi, je l'ai torturé. Ma "tragédie" personnelle explique ce fait mais ne l'excuse pas plus. Et pourtant, cela n'enlève rien au fait que Lewis est un homme bien, avec des valeurs respectables et une famille qui l'aime. Nous avons commis des fautes, lui et moi, pour autant, doit-on nous résumer à celles-ci ? Lewis a payé pour son crime et j'ai payé pour le mien. J'ai pardonné à Lewis et lui m'a pardonné. Alors que reste-t-il ?

Elle pose sa main gracile sur l'avant bras de Murtagh.

- Juste deux êtres qui, indépendamment de leur passif, auraient très bien pu être amis. Pourquoi ne pas simplement repartir de là ?

La sorcière se tourne soudain vers lui.

- Avez-vous constaté de nouvelles absences de sa part ? Des moments de confusion dans son appréhension de la réalité ? Des pertes de mémoires ? A-t-il des accès de mélancolie ? Une perte d'appétit ? De sommeil ?....... Evidemment, non.
Colgan fronce les sourcils devant cette assertion.
- Eh bien en fait si… Oh ça n’a rien à voir avec les absences dont il était victime avant votre intervention mais parfois, quand il pense que personne ne le regarde, il a l’air…triste et il a ce qu’on pourrait qualifier comme des accès de mélancolie, effectivement.
- Il est guérit, Colgan. J'y ai veillé pour son bien et le mien, justement pour que ne perdure aucun lien malsain et artificiel.
- Je sais. Je le vois, nous avons retrouvé notre Lewis, en partie, mais il a changé et… je ne sais absolument pas si c’est pour le mieux.
- Si lien il demeure, c'est simplement celui qui se tisse entre deux personnes qui prennent plaisir à être ensemble.
- C’est là où réside tout le mystère pour moi…

Elle lui explique alors son point de vue avec un sourire terriblement doux. Il y a de la sagesse dans ses paroles, il en a conscience. Lui n’a jamais pu pardonner. Lui n’a jamais su trouver cette paix. Jusqu’à aujourd’hui, car les choses ont changé et il se doit de trouver le bon chemin. Celui qui fera de lui un meilleur homme pour Marisol, un père aimant pour leur enfant à venir et un bon Alpha pour la Meute.

- J'ai pardonné à Lewis et lui m'a pardonné. Alors que reste-t-il ? conclue-t-elle.
- Je ne sais pas, avoue Colgan en se remettant en route vers le Silo. Je n’ai jamais su trouver la voie du pardon. Vous possédez tous les deux une force de caractère qui me fait défaut.
- Juste deux êtres qui, indépendamment de leur passif, auraient très bien pu être amis. Pourquoi ne pas simplement repartir de là ?
Il garde un instant le silence, pesant les mots d’Ygerne.
- Des amis… ? Je vois.

Ils pénètrent dans le Silo et Colgan la guide vers le lieu qui lui sert d’atelier. Il sent la sciure de bois, le vernis et la peinture. Ses outils sont exposés, propres et bien rangés. Une fine poussière recouvre le sol et Colgan occupe l’espace comme si là avait toujours été sa place. Imperceptiblement, ses épaules se détendent tout comme les traits de son visage. Dans un coin de la pièce se trouve un magnifique berceau sculpté avec amour, dont la tête de lit forme une lune percée par des étoiles de différentes tailles.
En passant devant, Colgan le caresse d’une main caressante, un vague sourire aux lèvres. Il ne manque la peinture pour parfaire le tout. Il hésite encore. Peut-être qu’il demandera à Marisol…

- Je dois encore faire un mobile… Une lune au centre, des étoiles et des loups qui gravitent autour.
Petit à petit, Colgan renoue avec son aspect créatif. Le bureau est de l’autre côté avec sa large chaise et ses formes arrondis pour ne pas blesser les enfants ou donner un côté plus moderne à l’enfant.  
- La hauteur est adaptable. C’est Lewis qui en a eu l’idée. Comme vous allez avoir différents âges. Je ferais peut-être autre chose pour les plus petits. Je peux le laisser en bois brut ou le peindre…comme vous voulez. Si ça vous va, dites-moi combien je dois vous en fournir. Il m’a aussi dessiné un long meuble bas pour des rangements. Je ferai ça ensuite. Il veut m’aider à confectionner tout ça pour aller plus vite.
Adossé contre l’établi, bras croisés sur sa poitrine il demande soudain, les yeux braqués sur elle.  
- C’est vous qui lui avez offert le bleuet ? Il l’a gardée à sa boutonnière jusqu’à ce qu’il fane complètement… Ma femme aimait les fleurs aussi, elle était horticultrice. Elle a enseigné leur signification à nos enfants. Le bleuet donc…
Il sait ce que cela veut dire.