Elle m'a embrassée ! Sur la joue, ouais, peut-être, mais ses lèvres se sont collées sur moi. Et depuis plusieurs heures que j'y pense, j'arrive pas à me départir de ce frisson chelou collé à mon dos. Je sens son parfum délicat absolument partout, et je le sens surtout sur moi. Il faut pourtant que je prenne une douche avant d'aller chez elle... Mais j'ai pas envie de plus sentir son odeur à elle ! Je regarde l'eau et le savon d'un très mauvais œil avant d'aller me décrasser vigoureusement. Une fois dehors, en peignoir, je regarde l'accoutrement que mes subordonnés m'ont choisi avec un moins mauvais œil. Le tout est entièrement noir, pantalon de ville, chaussures de ville, veste doublée avec l'intérieur rouge, chemise noire également... Je mets le tout, m'apprêtant à râler, avant de me regarder dans le miroir. Heeey, c'est vrai que ça me va plutôt pas mal ! Je me tourne devant le miroir. Bon, je mets mes cheveux en corne ou pas ? Un coup de gel plus tard, me voilà dans un style plutôt classique, mais qui me va bien malgré tout. Lucie m'a vue toute sa vie, j'ai eu énormément de styles devant elle, je ne devrais pas stresser pour ça... Alors pourquoi je stresse pour ça ?

Bon, allez, c'est partit !

...Peut-être pas avec deux heures d'avance, ceci dit.

Je règle quelques affaires à mon travail, je me fais copieusement charrier dès que quelqu'un me voit. Un nouvel employé me prend même pour un client tellement je suis différent de d'habitude. Comme je suis un patron sadique, j'en profite pour le tester un peu. Finalement, je pars afin d'arriver là-bas à peu près pile à l'heure. Je reviens juste dans ma chambre pour y prendre son cadeau, puis me téléporter jusqu'à chez elle. Au moment de frapper, j'hésite. Ma peau, à l'endroit où elle a posé ses lèvres, commence à brûler un peu.

Mais bordeeeleuuuh !

Bon allez ! J'approche mon doigt de la sonnette et l'enfonce. Je sursaute quand je l'entends retentir à l'intérieur... Et pourtant, c'est exactement ce que je cherchais à faire.

Shhhh, elle va t'entendre !

Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions que la porte s'ouvre à la volée avec Lucie derrière, toute sourire, comme si ma venue lui faisait plaisir. Elle s'écarte pour me laisser entrer, et je lui fais un sourire à mon tour que j'espère ni trop avide, ni trop creepy. J'entre et je me tourne vers elle, posant ma main sur sa taille, je m'avance pour lui déposer un baiser sur la joue, peut-être un peu trop proche de la commissure de ses lèvres.

Orange douce, lavande, épices, une touche de menthe légère, une note plus boisée, presque fruitée... Voilà, je retrouve son odeur délicate que je hume discrètement. Je m'écarte d'elle à regret pour lui faire face.

"Bonsoir, merci pour l'invitation."

Dans ma main, je me rappelle soudainement que j'avais un cadeau. Je le lui tends, comme un enfant fier de son dessin qu'il rapporte à sa maîtr... on ne va pas aller plus loin dans cette réflexion !

"Tiens, c'est pour toi !"

L'emballage est de très mauvaise qualité. J'ai tenu à le faire moi-même. Quel con, mais quel con ! J'ai jamais été très doué pour cacher des choses, les enrober dans de beaux papiers.

"Je t'ai manqué ?"

Toi, putain, tu m'as beaucoup manqué. Beaucoup trop pour ma propre santé mentale.

"Y a vraiment pas de quoi. C'est un de mes livres préféré, je te le donne avec plaisir."

Bordel, si j'ai oublié une capote dedans, je sens que ce cadeau aura une toute autre signification. Mais non, cela m'étonnerait, même de moi... J'oublie rien, j'suis l'avatar de la mémoire après tout ! Pourquoi a-t-elle l'air aussi embêtée par ce cadeau ? Un instant, j'ai envie de lui poser la question, mais j'ai peur qu'elle ne me réponde pas exactement, ou qu'elle se dérobe.

... J'lui ai manqué !
JE lui ai manqué !
Je LUI ai manqué !
Je lui ai MANQUE !

Bon, sérieusement, la collégienne, on se calme !

"Oui, mais il faudra que tu me tortures avant que je ne t'avoue à quel point."

Je lui fais un petit sourire qui veut absolument tout dire. Quoi ? Elle a l'âge requis, non ?

Elle m'invite dans son salon et je regarde absolument partout. Il y a d'elle ici, il y a son odeur, parfois, il y a sa décoration, sa vie, ses manies, ses habitudes. Il y a tout ce que j'ai manqué parce que j'ai oublié d'être intelligent. Le fumet de ce qui se prépare me distrait un instant, ça a l'air vraiment très bon. Je ne sais pas ce que c'est, mais j'ai faim tout à coup. Je me laisse aller sur le canapé comme si j'étais chez moi, près de la cheminée, avec un feu agréable. À ma grande tristesse, Lucie disparaît, réapparait de temps en temps. J'aimerais qu'elle se calme, qu'elle se pose près de moi, comme tout à l'heure où nous étions calmes et seuls au monde, juste tous les deux.

"Oui, je veux bien boire..."

Là voilà déjà repartie.

"...Quelque chose..."

Je la suis des yeux, et fini par me relever pour me placer devant elle, lui barrant le passage volontairement par la même occasion.

"Laisse-moi te débarrasser de cela, d'accord ?"

Délicatement, je lui prends le plateau des mains pour le poser sur la petite table basse. Puis, je me replace devant elle, mes mains sur ses bras.

"Lucie, tout va bien, d'accord ? Ce n'est que moi ! Je ne vais pas te manger..."

...Rien n'est moins sûr, ceci dit...

Coupant court à cette réflexion, je me rapproche d'elle pour la prendre dans mes bras. Je ne consens à m'écarter un peu d'elle que quand je la sens un peu plus sereine.

"Ma journée s'est très bien passée, j'ai pu faire tout ce que je voulais. Mais maintenant, ce que je veux, c'est toi."

Mes mains attrapent sa taille et je la soulève du sol afin de la mettre sur son canapé. Je me laisse choir avec elle avant d'étendre le bras et de saisir son verre pour lui passer, puis le mien, afin que nous puissions trinquer. Bon, on est pas assis de manière très conventionnel, mais au moins, elle ne peut plus bouger d'ici sans mon consentement.

"Et toi, ta journée. Raconte-moi tout !"

Bon, la mention du mot "torture" ne l'effraie pas. Je me le note dans un coin.

Oh et on est d'accord que son petit cri de surprise était particulièrement excitant, quand je l'ai soulevée ? N'est-ce pas ? Non parce que... Hein... on est d'accord ! J'adore l'avoir ainsi, à moitié affalé avec moi contre elle, à rire.

"Ne dis pas ça, je risque de revenir souvent... Très souvent."

Nous commençons à boire et je la sens se détendre avec plaisir. Je sais que j'ai mis mon aura en berne pour ne pas l'influencer. Je veux la connaître pour de vrai, et lui permettre d'ériger les barrières mentales qu'elle veut à mon encontre. Je me demande pourquoi tout ce stress rien que pour moi.

Je regarde Lucie dans les yeux, dont elle me prive, tandis qu'elle me fait la liste de toutes les bonnes choses qu'elle nous a préparées. Avec un sourire, je lui réponds.

"Ça a l'air délicieux."

Pour être crédible, il faudrait peut-être regarder, non ? Ah oui !
Je me redresse pour la laisser respirer et notre conversation commence, légère, et amicale. Ce que je goûte est effectivement exquis. Je me retiens de lui proposer une place où je travaille parce que si ce serait excellent pour les affaires, ce ne serait pas très bon pour les miennes.

"Hmmm 'Fait cro bon !"

Une fois ce repas fini, elle m'enjoint à la suivre à la cuisine, ce que je fais. Je regarde partout autour de moi, ayant la sensation d'être... observé... Puis je me dis, avec véracité, que je m'en fous royalement. Je prends place à table et lui présente mon verre quand elle me propose du vin.

"Tu veux m'enivrer ?"

Petite demande innocente du bout des lèvres. Je pense que c'est un peu tard pour ça, mais mettons !

"Effectivement, c'est très chaud..."

Arrête sérieusement ! Tu vas vraiment finir par lui faire peur ! Surtout que tu la regardes avec des yeux un peu trop enflammés pour être honnête.

"J'adore quand c'est épicé aussi !"

Non mais tu le fais exprès...
Quoi ?
T'as décidé de passer pour un détraqué.

Ma voix se fait un tantinet plus sérieuse à la question.

"C'est une excellente question, ça ! Mon plat préféré, je pense que c'est..."

L'excessive multitude de plats que j'ai pu ingurgiter au cours de mon existence est très rapidement filtrée par ma mémoire absolue.

"Hé bien cela va te paraître étrange, mais j'ai toujours apprécié la viande de loup. Le loup épicé était un de mes repas préféré pendant très longtemps. Aujourd'hui, c'est assez mal vu.. J'aime beaucoup les champignons, le poulet, et j'ai découvert les sushis de la dernière décennie et je les adore !"

Après avoir hoché la tête, satisfait de ma réponse, je prends une bouchée du gombo... Je secoue la tête.

"Nan, oublie, c'est ça mon repas préféré !"

Je désigne ma propre assiette du doigt. Je sais très bien qu'elle va penser que c'est une technique de drague foireuse, mais je sais que je ne suis pas très loin de la vérité. C'est à base de viande de la terre et de la mer, c'est épicé à souhait, c'est généreux en goût... Tout pour me plaire en somme ! C'est amusant, j'étais persuadé qu'elle serait plutôt potages et mets simples.

"Alors, tu invites beaucoup d'hommes ici et tu leur fais des sous-entendus à chaque phrase aussi, ou je suis un privilégié ?"

HEY !

"D'homme... ou de femmes... je ne juge pas, je suis pour la tolérance et l'ouverture d'esprit."

Je me retourne, encore un peu perturbé par cette présence/absence.

"Tu habites avec quelqu'un ?"

L'effet recherché...
Cette femme va me rendre cinglé !

"L'idée de la convention sociale est tentante... Mais j'opte pour le plan machiavélique."

Ma bouche s'étire en un sourire appréciateur. Qui aurait pu croire que, ce matin, ça allait tourner ainsi ? Moi, pas en tout cas. Je sais déjà qu'elle sera une de mes petites faiblesses de la vie, sans oser penser qu'elle pourrait en être une plus grande, et en m'éloignant de l'idée qu'il y aura un avant cette soirée, et un après, définitivement.

"Me brûler ? On verra ça après le repas, qu'est-ce que tu en penses ?"

Alors... qu'on se le tienne pour dit... J'adore quand elle rougit ! Voilà, tout le monde a bien retenu cette leçon ? Non parce que ça va être très important pour la suite.

Merde, elle s'étouffe, je ne voulais pas aller aussi loin. Je me redresse, pour me poster à côté d'elle et lui masser délicatement le dos. C'est pour lui porter assistance et pas pour opérer un rapprochement entre nous ! En tout cas, personne ne pourra le prouver !

"Hé bien... Ça va ?"

Tandis que Lucie se penche pour continuer son repas, je la sers en eau, avant de me rendre compte qu'elle ne mange plus. Ah putain, j'ai merdé.

"Pardon pour le dérangement, Edna !"

Et pour ce qui est de Henry... Je...
Capitaine ?
Oui, vigie ?
Jalousie en approche, Capitaine !
Ah ?
Une énorme jalousie !
Navigateur, contourner !
Non, nous allons le percuter, capitaine...

Bon, faisons comme si de rien n'était. Après tout, je suis certainement pas le meilleur type qui peut juger de la vie privée de qui que ce soit... Mais là, il s'agit de Lucie, merde ! Elle est trop jeune et trop innocente !

"Lucie ?"

Je m'accroupis à ses côtés, j'ai envie de la retrouver comme ce matin, comme auparavant. Je veux juste faire partie de sa vie, même si je ne sais pas si j'en ai encore le droit, après tout. Mais bon, je me connais, je ferai tout pour que ça soit possible. Je prends sa main dans la mienne. Elle est tendue, beaucoup trop tendue.

"Déjà, j'adore quand tu fais des sous-entendus malgré toi. Donc tu n'as pas à t'excuser pour ça, bien au contraire ! Ensuite, est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ? Est-ce que ma présence t'incommode ?"

Bordel, elle est toute proche...

"Je sais que j'ai du genre à m'imposer, mais il ne faut pas hésiter à me le dire. D'accord ?"

Elle est encore plus proche.

"C'est moi qui suis parti, c'est à moi de m'adapter à ta nouvelle vie."

Et là, tout de suite, je comprends tout. Enfin, je ne m'excuse pas mes années d'absences, mais si nous étions restés ensemble, je ne l'aurais pas vue grandir, elle serait restée cette petite puce tout au long. Jamais je ne l'aurais envisagée de "cette manière", peut-être qu'elle me voit toujours comme une figure paternelle et ma drague lourde la choque ?

Oh non, dis-moi que ce n'est pas ça !

Hééé bien... Si elle est surprise pour si peu... Disons qu'il va falloir que je fasse attention à l'avenir... Ou que j'y aille petit peu par petit peu...
Images salaces en cours de suppression
J'attrape Lucie in-extremis alors qu'elle se coule dans mes bras, pour peu, je serais sans doute tombé le cul par terre. Mais non, elle est juste dans mes bras, et moi, je souris comme un nigaud. Sourire nigaud qui ne fait pas long feu alors qu'elle m'avoue ce qui la tracasse... Merde...

"Je ne disparaîtrai pas. Je sais que tu n'es pas obligée de me croire, et je comprendrais que tu préfères te préserver... Mais en fait, c'est juste que ce n'était pas saint de me côtoyer pendant ces dernières années. C'était même létal. Je sais très bien que ça fait excuse de merde, ou vieux con qui croit tout savoir, mais j'ai perdu des proches, et c'était pas beau à voir."

Même sa mère s'y est opposée... C'est DIRE ! Mais je ne veux pas me cacher derrière cette excuse. Ce que j'ai fait, c'est de ma faute et ma faute uniquement. J'assume parfaitement d'avoir voulu tenir tout le monde à distance, j'assume beaucoup moins avoir abandonné Lucie sans aucune nouvelle.

Ma gorge se serre un peu, alors qu'elle m'avoue ce que ça lui a coûté d'être loin de moi. Mais quel con, MAIS QUEL CON ! Je ne m'en étais pas rendu compte avant aujourd'hui. Pour moi, c'était une enfant, une adolescente à qui il restait tout à construire et dont je n'étais qu'une perturbation dans la vie. Et pourtant, les démons savent à quel point je n'aime pas résoudre une vie et des contacts potentiels à "juste" des liens interchangeables. Moi qui suis le premier à me soulever contre ça, voilà que je fais pareil avec une personne pour qui je suis sans doute l'entité la plus importante.

... Tu te jettes des fleurs !
... Ouais, mais là, en l'occurrence...
... Très juste.

"J'suis désolé, j'voulais pas te rendre triste."

Et... oui.

"Moi aussi."

Précise ta pensée, bordel !

"...Enfin, je te l'ai dit, je sais. Mais oui, c'était un instant unique et magique. J'ai envie d'être... plus... avec toi."

Elle, ne pas me plaire ? C'est le monde à l'envers. C'est moi le démon, la créature des bas fonds. J'ai à plaire à tout le monde, et personne n'a à me plaire. Théoriquement. Théologiquement d'ailleurs ! Je referme mes bras sur elle, la suite de ses mots me fait mal, physiquement mal. Elle ne veut même plus me regarder.

Et moi, comme un con, je cherche mes mots. "Mais non, ne t'inquiètes pas, je ne disparaîtrai pas !" Ouais, connard ! Tu l'as fait jusqu'à pas plus tard que tout à l'heure ! "Si, tu me plais" C'est un petit euphémisme, ça.

Bordel... S'il y a UN moment où tu dois ouvrir ta grande gueule, c'est MAINTENANT !

"Lucie..."

Je me recule un peu pour poser mes mains sur les joues fraiches légèrement roses de Lucie. Du revers du pouce, je chasse une larme naissante. Il est hors de question que je te fasse pleurer, si ce n'est en te faisant rire.

"Tu... pense vraiment que je serais venu chez toi ainsi, si tu n'étais qu'une enfant ? Je me suis posé la question, mais non, tu es une femme, et une putain de belle femme !" Hey ! Molo ! "Je regrette d'être parti, mais je ne compte pas partir d'ici, je n'en ai ni envie, ni besoin, ni rien. C'est juste toi et moi. D'accord ?"

Je devrais lui dire ce que je suis réellement ?

"Ne me demande pas pardon, s'il te plaît. J'adore que tu sois étrange ! Les gens normaux me saoulent, pas toi ? Tu es qui tu es, et j'aime que tu sois comme ça, sans concessions, ni compromis. Tu me plais quand tu es toi."

Euphémisme !

"Tu me plais beaucoup."

Non mais laisse, t'es nul pour exprimer tes sentiments !

"Je t'ai, je te garde !"

Comme pour exprimer mes mots que je ne peux prononcer, mes bras se serrent autour de la jeune femme. Owbordelelleesttouteproche !

Owbordelj'adoresesyeux !

Owj'adoreseslèvresaussi !

Ma bouche s'entrouvre un brin avant que je pose mes lèvres sur les siennes. J'ai la sensation qu'un frisson me parcourt absolument tout le corps, plus qu'un frisson, une décharge électrique, une explosion, on peut avoir un orgasme juste en embrassant ? Visiblement oui. On a l'air fin, elle et moi, presque assis par terre. Mais j'm'en fou royalement !

Son baiser est d'une douceur à me faire frissonner de plaisir. Plus rien n'existe, en cet instant, qu'elle, et moi. Pour une fois, je ne fais pas tâche dans le paysage. C'est étrange, je n'en ai pas l'habitude. J'aime l'étrange, et j'aime pas les habitudes. Ses mains dans ma nuque me font presque dresser les cheveux sur la tête. J'ai plus envie de quitter cette femme, et je n'ai pas envie de quitter ses lèvres. Est-ce que je la mets en danger ? Indubitablement ! Mais ce n'est pas à moi de décider de ce qui est bien ou mal. À présent, je profite. Pour la première fois en... je ne sais pas combien de putain d'années... j'en profite. MERDE !

Quand le baiser cesse, je regarde ses yeux comme si je les voyais pour la première fois. Ouais, c'est une femme ! Sans aucun doute ! Elle reprend mes paroles ce qui me fait plisser les yeux, puis sourire...

"En réalité, j'embrasse se...Hm !...hm..."

Bon bah quelqu'un a trouvé comment te faire fermer ta gueule !

Je prends !

Encore !

Enc...

Manger ? Confort ? Canapé ?

"D'accord."

Je soulève Lucie et la repose sur sa chaise avant de m'incliner très bas, très respectueusement, comme un majordome. (Un majordome qui aurait des vues sur sa maîtresse, quand même).

"Ma Dame..."

Je retourne m'asseoir en face d'elle et savoure mon plat avec un appétit renouvelé. Mes yeux observent ses mains et je la laisse entamer son assiette avant de dévorer la mienne. Une fois fini, j'en demande encore avec un grand sourire gourmand. Je suis vraiment un môme, quand je m'y mets. Un môme avide avec des pensées lubriques, mais un môme tout de même, en tout bien tout honneur. Voilà, je deviens cinglé ! Ça me pendait au nez !

"...C'était délicieux ! Dis-moi, tu m'avais parlé d'un dessert, non ?"

Elle a parlé d'un câlin, mais toi, t'as forcément interprété autre chose, n'est-ce pas ? En un sens, ce ne serait pas trop dérangeant si cela devait s'en tenir à cette soirée agréable. Tout le monde sait que tu reviendras à la charge dès le lendemain, puis le surlendemain, puis...

"Tu me joues de la musique ? S'il te plaît !"

...Je disais un truc ? AH ! Oui, peut-être. On s'en fout, non ? Mais bon, elle attend ma réponse, alors je m'exécute.

"Je disais que j'embrassais seulement les personnes... "

Comme toi ?

"...qui parlent aux morts, qui ont des yeux violets et qui m'invitent à bouleverser mes repères culinaires et à avoir une toute autre échelle de valeur quant à mon appréciation d'un plat."

Oui, comme toi, quoi.

J'ai un rire quand elle dit sa plaisanterie à propos de ne pas être une femme importante.

"C'est ça, et moi je suis un type lambada employé de banque qui aime le foot."

Oh bordel, elle est sérieuse.

"Oh, bordel, t'étais sérieuse !"

Sur le moment, je ne sais pas trop quoi dire avant de dire ce qui est simplement.

"T'es importante pour moi."

Je dois admettre que l'idée de beignet me donne l'eau à la bouche, mais ce n'est rien, strictement rien, en comparaison du rab' qu'elle me propose.

"...Comment dire non ?"

Et à nouveau un frisson délicieux me parcourt alors qu'elle pose délicatement ses lèvres sur les miennes. Comment croire, après une existence fort peu chaste, qu'un contact si léger pouvait me faire oublier tout mon passé ? À sa demande, je me lève et vais me... disons le tout de suite, me vautrer dans le canapé, de manière lascive. Mon sourire s'agrandit quand elle m'apporte les douceurs, mais je me redresse alors que je vois qu'elle apporte son instrument.

J'ai envie de... "Celui que tu voudras."

Pour le coup, sa timidité et sa nature peu assurée ne se font pas connaître. Elle hoche la tête et se met en place. J'entrevois alors une Lucie passionnée, imaginative, et elle a cette manière de fermer les yeux sans les serrer, de danser légèrement avec son instrument, comme pour une danse dont elle aurait l'entier privilège. C'est presque comme si sa musique transcendait le corps et l'esprit pour atteindre d'autres plans. Est-ce que les morts peuvent l'entendre ? Si c'est le cas, eux aussi semblent apaisés et en totale symbiose avec elle.

Ma bouche s'ouvre et mes yeux s'humidifient à mesure que les notes se succèdent et meublent la pièce. Le rapport entre nous change aussi du tout au tout. Si elle se considérait (je ne sais pas pourquoi) comme étant mon inférieure, ce n'est définitivement plus le cas. Si elle prétend à nouveau le contraire, ou si elle l'insinue, alors je la mordrai.

Une fois la musique résiduelle pleinement finie, je saute sur mes pieds pour prendre son visage entre mes mains. Cette fois, je lui donne un baiser passionné, encore pris dans l'euphorie de l'émotion. Son archet dans une main et son violon dans l'autre, mes bras passent autour de son corps pour la serrer contre moi. Comment ai-je pu être absent toutes ces années ? J'ai été stupide, je le sais. À présent, j'ai toute la volonté du monde pour devenir quelqu'un de meilleur, de plus intelligent du moins. Je détache mes lèvres des siennes à regret, lentement, après je ne sais pas combien de temps à durer cette étreinte.

"Désolé, j'avais envie... J'avais besoin. Tu joues merveilleusement bien. On a dû te le dire souvent, très souvent, même. Cependant, tu es bien plus qu'une bonne violoniste, tu donnes vie à la musique comme peu de personnes savent le faire."

Ce qui est paradoxal pour une femme qui parle aux morts, je te l'accorde.

Je la laisse ranger son instrument avant de la serrer à nouveau contre moi et de nous vautrer tous les deux sur son canapé. Je prends l'un des beignets et le lui propose d'un signe de tête.

Ah non, vous n'êtes pas nombreux à les remplir, je peux te l'assurer...
Je me marre avec elle, juste un instant, jusqu'à ce qu'elle répète quelque chose qui, de légèrement agacé, me fait à présent fulminer. Je sens mes muscles se tendre d'indignation. J'essaie de rester calme au moment où je lui parle.

"Tu es aussi importante que moi. Si tu te désignes comme pas importante, alors je ne le suis pas non plus."

Et TOC !

La soirée se poursuit avec l'expérience la plus émotionnellement intense de ce dernier... siècle... pour le reste, il faudrait que j'aille voir dans mes archives, mais là tout de suite, je n'ai pas envie de consulter ma mémoire. Je suis actuellement en train de renaître. J'aime le second baiser qu'elle m'offre, comme une petite signature timide.

"De rien."

Une fois son instrument rangé, je suis surpris qu'elle vienne contre moi, sur moi, même. Non, ce n'est plus une petite fille, définitivement plus une petite fille ! Je baisse les yeux, peut-être avec un regard un tantinet trop appréciateur sur ce qui se passe. Je lui place le beignet dans la bouche et la regarde manger avec gourmandise.

Bon, ça, c'est fait, j'suis addict à cette femme !

De ma main, je repousse la sienne, partie en quête d'un mouchoir. Je me redresse en position assise, Lucie toujours sur moi, et glisse l'autre main dans son cou pour l'embrasser et profiter du sucre glace de ses lèvres. Ainsi, elle sentira moins que j'ai... de l'appétit pour elle aussi.

"Délicieux..."

Mot murmuré tout contre sa bouche avant que je reprenne un baiser plus langoureux, plus profond. Ma signature à moi est moins chaste, je te l'accorde.

Je mange la fin du beignet et savoure encore plus le goût de ce dessert que mon cerveau va immédiatement associer à une image très lascive. Je pense que je dois en avoir un peu sur les lèvres et le bout du nez aussi. Mes yeux se ferment de contentement, et un sourire me vient, pas un sourire charmeur pour elle, mais un sourire de bonheur pur qui est adressé pour nous deux.

Sans réellement l'avoir anticipé, mes deux ailes s'extirpent de ma chemise pour prendre leur place. Si la chemise est prévue pour ce genre de cas, le canapé ne l'est pas et l'une d'entre elle bute contre le dossier tandis que l'autre s'étend avant de sagement se ranger. Cela a toujours été ainsi, pendant mes moments forts, je ne peux pas m'empêcher d'avoir envie de les étendre, ou dans ce cas, je n'en ai pas eu envie.

"Ah bah tiens, en parlant du corbeau, on en voit les plumes..."

Je l'embrasse encore tant et si bien que mes ailes se replient sur nous, comme pour nous protéger, fabriquer un cocon de douceur pour elle et moi, et nous protéger de la vue d'éventuels esprits (même si je ne suis pas certain de savoir si cela fonctionne). Oui, juste elle et moi.

"Désolé, c'était plus fort que moi. Si cela te dérange, je peux les ranger."

...mais j'ai si peu l'occasion d'étirer ces muscles trop peu sollicités, de montrer au monde ce que je suis, j'ai envie que Lucie regarde, et voit. Elle m'a confié ses secrets, sa vie, et ses bizarreries, je peux bien faire pareil, je pense, j'espère. Je me doute que cela doit être un plaisir similaire à de l'exhibitionnisme. Je scrute ses yeux, attentivement, afin de voir sa réaction. Dans la pénombre de mes ailes, ses yeux brillent d'une lumière irrésistible.

Franchement, j’aurais dû sortir mes ailes bien avant. J’ai un sourire un peu coupable quand l’apparition fait qu’elle se blotti contre moi.

Oui, je ressens de la culpabilité, malgré moi. Je me sens comme une flamme qui est en train de séduire un petit papillon innocent. Elle est beaucoup trop bien pour moi et je m’apprête à la dévorer toute crue. Elle ne sait rien de ma vie, et cela lui semble être parfaitement égal, comme si elle avait vu quelque chose en moi, une lumière, ou quelque chose du genre, qui est toujours resté caché, même à mes propres yeux. Ma forme intermédiaire ne lui fait pas peur, pas le moins du monde. Sa main s’avance jusqu’à mes rémiges les plus proches et je me fige.

"Sens toi libre de faire ce que tu veux."

Je lui fais un sourire amusé avant de fermer les yeux et de presque ronronner sous sa caresse. Je lui prend la main pour la faire aller des longues plumes de vol, plus rêches, aux petites plumes plus courtes, disposées en écailles. Définitivement, elle vient de mettre en lumière une nouvelle zone érogène. Mes yeux s’ouvrent tout grand au moment où elle me donne mon qualificatif.

"Les anges n’existent pas, et s’ils existaient, je t’assure que nous n’avons rien en commun"

Je suis trop je-m’en-foutiste, iconoclaste, intéressé, impatient, obsédé, indigne de confiance… pour mériter ce titre d’ange. Mais plus je regarde Lucie, plus ses iris à l’étrange lumière me sondent, plus j’ai envie… J’ai envie d’être un ange, pour elle. C’est fugace, léger, et fin, mais une poignante envie me prend, celle de changer pour elle, d’oublier ce que je suis pour me concentrer sur qui j’étais. J’ai même envie de quitter mon travail actuel, le démoniaque et l’humain. Par contre, si je fais ça, il est possible que je nous condamne tous les deux pour une folie que je ne suis de toute façon pas en mesure d’assumer. Une douce folie.

"Tu n’as pas peur ?"

Peur de moi, mes ailes, les souvenirs que cela pourrait éveiller en elle, de ce que nous pourrions nous apprêter à faire. En tout cas, moi je me sens nerveux, comme si c’était ma première fois. Ouais, le démon millénaire qui tremble devant une femme, qui lui mange même littéralement dans la main. J’aime cette image.

Au moment où sa main atteint le creux de l’aile, qui est un point particulièrement sensible, je ne peux pas m’empêcher d’échapper un gémissement.

"Tu es consciente que tu es en train de me rendre fou. N’est-ce pas ?"

Je la prend par les épaules pour l’embrasser encore, de manière toujours plus profonde, avec cette fièvre grandissante qui prend le pas sur tout le reste.

"J’ai très envie de toi."

De toi, de ton corps, de ton esprit, de ton âme. J’ai envie de te garder pour moi tout seul, éternellement. Ce n’est que trop tard que je réalise que j’ai aussi formulé cela comme une mise en garde sur ce qui s’apprête à arriver. Je ne la forcerai pas, jamais, mais si je lis encore du désir dans son regard, je risque de ne répondre plus de rien.