I had to say goodbye today to someone that I love
I couldn't even cry today, I think my heart is finally broken
Didn't need a reason why today, I don't need a reason why today
I'm a little bit off today

L'océan est déchainé.
Belle métaphore de son état d'esprit.

Gi-Ja court sur la plage avec Pati en pleine nuit. Il a retrouvé ses petites crises d'insomnie comme de vieilles amies, les seules qu'il lui soient fidèles finalement. Entendre les gémissements obscènes de Ciulin et Caleb de l'autre bout du couloir lui a donné envie de fuir la caserne le plus loin possible. Il a hésité à toquer à la porte de Neorvrim, mais ce n'est plus un refuge qu'il peut s'autoriser désormais.
Le dragon va partir.
Le soldat a la brusque sensation d'étouffer.

Sortir.
Il faut qu'il sorte d'ici.

Cette fois, sa chienne a senti le trouble de son compagnon humain et a décidé de le suivre. Affublé d'un simple hoodie et de son pantalon de treillis, le caporal cavale entre sable et galets. Un envie de hurler le prend à la gorge et sous le regard médusé de sa compagne canine, il retire ses vêtements à l'emporte pièce et se jette à corps perdu dans l'écume. Sous les vagues, le sel lui pique les yeux et la gorge, et pourtant il s'époumone, son cri de desespoir camouflé sous l'onde. Il sort la tête de l'eau en toussant, le visage fouetté par les flots.

Ne pas pleurer.
Ne pas se plaindre.
Encaisser.
Il est un homme, plus un petit garçon.

L'idée morbide de se noyer le traverse. Est-ce que son unité le pleurait ? Et Caleb ? Et Neorvrim ? Pati pousse une plainte déchirante du rivage, inquiète. Gi-Ja a un ricanement et ferme les yeux.

- Pardon ma belle. Tu as raison, ce n'est pas un comportement digne d'un Cosgrave.

Il prend une lourde inspiration et revient sur la plage en marchant, tête basse, luttant contre la résistance de l'eau. Ce n'est qu'à ce moment qu'il remarque la présence de l'homme. Sa cigarette grésillant éclaire faiblement son faciès. Le soldat plisse les yeux.

Sensation chaude.
Moite.
Peaux à vif, frottées l'une à l'autre.
Langue qui taquine cette curieuse cicatrice.
Marque sur une lèvre masculine tentatrice.

Le jeune homme s'ébroue, chassant ces drôles de pensées et fixe à nouveau l'inconnu. Il a l'impression bizarre de l'avoir déjà croisé.

- Bonsoir... ? ose-t-il en commençant à se rhabiller.

Cette singulière impression de familiarité est tenace. Gi-Ja essaie de se remémorer les endroits où il aurait pu croiser l'homme mais rien ne lui vient. Pati, en tous les cas, semble l'apprécier et se laisse papouiller en remuant la queue.

- Belle nuit, n'est-ce pas ?

"Belle nuit, n'est-ce pas ?
Tu es tout seul à boire ?
Tristou non ?"
Bruit de verres qu'on entrechoque.
Brouhaha de conversations.

L'artificier secoue la tête, comme si ça pouvait chasser ses pensées parasites. Il n'avait plus eu de flashback de cette nature depuis près de cinq mois. Pourquoi reviennent-ils maintenant ?

- Il est sympa ton chien. Il s'appelle comment ?
- Elle, c'est une femelle. Elle se prénomme Pati, c'est coréen, ça veut dire "fête"... Et visiblement, elle t'aime bien.

Le tutoiement, pourtant peu naturel pour lui, lui est venu très facilement. C'est suffisamment bizarre pour qu'il s'attarde sur ce fait.

- Tu dois sentir le chien, ou une odeur qu'elle apprécie ! Il fronce les sourcils. Est-ce... Est-ce qu'on ne se serait pas déjà croisé quelque part ? Au ranch Gaffney peut-être ? risque-t-il finalement.

- J'ai... Un truc avec les chiens.

Quelqu'un qui sait se faire apprécier de Pati et de la gente canine en général ne peut pas être foncièrement mauvais. C'est ce dont se convient Gi-Ja pour expliquer cet étrange sentiment de familiarité.

- Attends, fais pas ça...

Sa main sur la sienne fait naitre un frisson particulier qui affole le jeune homme. "Je suis à ce point en manque ? C'est pathétique." Il se soustrait immédiatement au contact, le regard défiant.

- Fais pas quoi ?
- Suis-moi. Je connais l'endroit parfait.
-... Pour faire quoi au juste ? demande-t-il avec méfiance.

Mais déjà l'inconnu s'éloigne, Pati sur ses talons. Le soldat fronce les sourcils et se décide finalement à accepter l'invitation. "Putain ! Mais qu'est-ce que je fous ?" Ils cheminent jusqu'à un édifice qui rappelle vaguement quelque chose au sportif qu'il est.

- C'est ... une salle de muscu ? Elle est encore en état de marche ?

Plus familier de l'Arena, il n'est jamais venu ici, clairement à destination d'une clientèle huppée en villégiature balnéaire. Une silhouette se dessine dans l'obscurité, derrière la porte vitrée et le bâtiment de verre et de bois s'illumine. L'habitant des lieux parait excédée par leur arrivée et le fait savoir à grand renfort de soupirs.

- Putain, mec, t'exagère ! Allez, entre. C'est qui lui ?
- Je t'en ai pas parlé ?
- Jamais, non !
- C'est un ami qui a bien besoin d'une bonne douche.
- Tu fais chier ! A cause de toi je risque de devoir partager ma "piaule".
- La solidarité m'apparait franchement nécessaire en pleine Apocalypse, non ? fait remarquer Gi-ja avec une pointe d'ironie.
- Ouais, ben j'ai vu toutes les saisons de Walking Dead et j'peux t'assurer que le meilleur moyen de survivre c'est de penser à sa pomme. Tu le sors d'où ce gus, sérieux ?..... D'acc. Il a le droit à 10 minutes. L'eau est une plaie à chauffer en ce moment.
- Trop aimable, claque le soldat.

L'inconnu de la plage le guide au milieu de l'infrastructure abandonnée jusqu'aux douches.

- Pas très sympa ton pote...On pourrait loger plusieurs familles là dedans, fait remarquer le caporal.
- Dessale toi un peu. Je vais te chercher une serviette...
- Merci en tous cas. C'est gentil de ta part. Je ne connais même pas ton nom. Moi c'est Gi-Ja.

Il lui tend sa pogne pour la lui serrer. A la lumière crue du néon intermittent, le jeune homme n'a rien perdu de sa stature sculpturale.

- Gi-Ja. C'est marrant, cela veut dire 'maison' en mandarin.
- Sauf que c'est du coréen. "Gi" pour "courageux" et "Ja" pour magnétique...

Le soldat s'interrompt, frappé par une sensation tenace de déjà-vu.

Un bar bruyant, animé.
Gay.
Pourquoi est-il là ?
"Gi-Ja. C'est marrant, cela veut dire 'maison' en mandarin."
" Sauf que c'est du coréen.
"Gi" pour "courageux" et "Ja" pour magnétique.
Ouais, mes parents n'ont pas lésiné sur les superlatifs."

- Quant à moi, tu peux m'appeler Baphomet.
- Baphomet, comme le démon du même nom ?

Son beau visage se décompose et il écarquille les yeux.

- Est-ce que tu... tu es le démon du même nom ? Le Baphomet ?!

Tout est possible dans ce monde absurde : les monstres qui vous pondent dans la bouche, les papillons dévoreurs de chair, les fées, ... les dragons... Néorvrim. Le caporal Cosgrave secoue la tête et lance l'eau qui se projette à pleine puissance sur son visage. Le sel marin n'a pas suffit à le purger de ses idées noires alors il se frictionne vigoureusement avec le gel douche à disposition dans le distributeur mural.

- Voilà m'sieur, votre peignoir est avancé.
- Merci !

Gi-Ja s'extirpe de la cabine de douche avec un nuage de vapeur porteur d'un agréable odeur de savon. Il s'enveloppe dans la matière éponge qui a su rester douce malgré les circonstances. C'est agréable.

- Tu veux une clope ?
- Ah ouais, carrément ! accepte-t-il avec enthousiasme tout en essorant ses vêtements pour les pendre quelque part où ils seront à même de sécher. Ce radiateur semble fonctionner : une aubaine. Tu ne m'as pas répondu : tu as quelque chose à voir avec le démon célèbre ?

Il glisse la cigarette entre ses lèvres et se penche vers son interlocuteur pour qu'il lui allume. Là encore un flash visuel lui foudroie la mémoire alors que le visage de Baphomet est fugacement éclairé par son briquet.

- Tu... Tu es sûr qu'on ne s'est jamais rencontré. C'est hyper bizarre. J'ai la sensation d'avoir déjà vécu ça...

Ce qui appelle d'autres images, plus vivides et évocatrices, de peaux moites qui se frottent l'une à l'autre et de cris indécents portés par sa propre voix.

- Je te l'ai dit, j'suis un type qui ressemble à n'importe qui... commence Baphomet en bottant en touche.

Gi-Ja est désormais pratiquement sûr qu'il s'agit d'un démon, et pas le plus petit de la portée si la légende qui va avec le nom est avérée. Imperceptiblement, le soldat a reculé, fixant son interlocuteur avec une prudence renouvelée.

- De quoi tu te souviens ?

La poigne sur son épaule le glace moins que celle, invisible, qui lui tord les entrailles. Ce sérieux, cette expression compatissante, il les a déjà vus. Ses mains sont si familières...

Recroquevillé et nu, au bord du lit, il pleure.
Il gémit qu'il n'aurait pas dû.
Il se dégoute.
Une main se pose sur son épaule.

- De.... De quoi tu parles ? fait l'humain avec un rire étranglé. Tentative désespérée de refouler cette éventualité.
- Je pensais que tu ne voulais plus te souvenir de moi.

"Si tu veux,
je peux effacer ce qu'il vient de se passer de ta mémoire..."

Gi-Ja se redresse vivement et échappe au contact de Baphomet.

- T'es qui putain?! Qu'est-ce que tu m'a fait ?!

Mais au fond de lui, il sait.
Son corps sait.
Cela fait quelque temps que ce qu'il pensait être des rêves parasites ou bien des hallucinations diurnes sont en réalité des souvenirs qui, avec les chocs subit lors de l'Apocalypse remontent à la surface. Il avait commencé à croire qu'on l'avait peut-être drogué et violé. La vérité est plus effroyable.

Il était consentant.

- J'ai... On a... Les mots lui manquent. Sa répulsion pour lui-même enfle. Il porte la main à sa bouche, le cœur au bord des lèvres.
- Tu vois quelqu'un, en ce moment ?
Oui.
- NON ! Je ne suis pas ce genre de...  de types dégeulasses!
- On peut aussi passer sur ce que tu crois te souvenir et continuer à avoir une agréable journée. Toi qui vois.
- Une.... Un nouveau ricanement grinçant le secoue. Bien sûr, c'est moi qui vois. Je croise mon possible violeur et c'est moi qui choisis si je m'en fous ou pas !

- Ouais, tu as... et tu as sacrément, d'ailleurs ! On a aussi, voui.

Les images affluent et Gi-Ja vacille, submergé par une nausée brutale. La main sur sa bouche, il se retient avec l'autre à ce qu'il passe sous sa main. Submergé par la honte, le dégout de lui même et le déni, il contrattaque immédiatement en accusant le démon d'avoir abuser de lui.
Pati geint en poussant des plaintes terrifiées.
Le poing qui s'encastre avec fracas dans une porte en bois contreplaqué fait sursauter le soldat et déclenche un sanglot desséché. Les larmes lui montent malgré tout aux yeux en même temps qu'un sentiment de suffocation annonciateur de crise de panique.

- Ne me traite pas de violeur. Jamais, tu m'entends ? JAMAIS ! Je n'en suis pas un, et n'en serais jamais.
- Comment veux -tu que je le sache !? articule-t-il d'une voix chevrotante. Ses poumons lui brûlent. J'ai les souvenirs parcellaires d'une victime droguée au G.H.B. !
- Est-ce que tu ne voudrais pas plutôt te réconcilier, ce qui te reste de courage, et toi, pour assumer enfin qui tu es, et ce que tu éprouves... Bordel !

Le caporal Cosgrave grince d'un ricanement déchirant qui fait .

- Assumer quoi ?! hurle-t-il à son tour crescendo. Que je suis un pauvre type qui s'offre au premier venu par pur désespoir ? Un mec qui fait tout pour être normal mais décevra tout le monde à la fin ? J'ai pas de courage ! Je suis un menteur compulsif et pathétique qui peut pas se regarder dans un miroir sans gerber ! Je sais même pas pourquoi je suis encore là à m'acharner d'être en vie ! C'est ça que tu veux m'entendre dire !?

Il se prend la tête entre les mains en se laissant tomber sur le banc, soudain vidé par cette confession. Un silence assourdissant s'abat soudain après ces éclats de voix, seulement rythmé par la respiration sourde de Gi-Ja tâchant de redescendre. Ce dernier sent la poigne ferme sur son épaule et lève les yeux vers Baphomet.

- Alors, tu veux te souvenir, ou non ? C'est toi qui me dit. Mais alors... méfie-toi de comment tu me traites.

C'est d'une voix plus calme, presqu'atone que le jeune homme lui répond.

- Je suis désolé de t'avoir accusé à tord. Sincèrement. Vas-y. balance... pour ce que ça changera....

Rien.
Après il ira vomir, reprendre une douche ou se noyer, peut-être pas dans cet ordre là.

Une rencontre, deux personnes dans un bar qui n’ont rien à perdre, rien à prouver à qui que ce soit, une ambiance plutôt chaleureuse. Ses cheveux bleus et son pantalon en faux cuir lui ont d'abord fait mauvaise impression. Il n'est pas à l'aise face à cette débauche de liberté assumée. Gi-Ja n'est pas à sa place ici avec sa petite chemisette sage et son jean repassé.
Pourtant, ils parlent.
Baphomet est plus intéressant qu'il ne se l'était figuré. Il a cet air parfois blasé qu'il planque sous des plaisanteries aussi tapageuse que son style, mais ce n'est pas du cynisme, juste... de la tristesse. C'est peut-être ça qui le séduit en plus de ses avances manifestes.
Lui, peut-être qu'il comprendra.
Lui, ce sera peut-être sa première fois.
Si il a le courage...
Baphomet -quel drôle de nom franchement, si "gothique"- s'avère convainquant. L'alcool aidant, les barrières tombent, non sans réticences, mais elles cèdent. Ses désirs ont déjà bien corrodé ces barricades. Les baisers de son compagnon les dissolvent.
Gi-ja se retrouve soudain dans une chambre d'hôtel avec sa pudeur et sa maladresse comme seuls vêtements. La cervelle chauffée à blanc, incapable de penser droit, il se laisse bercer par les mots et les caresses de son partenaire. Il a toujours eu envie de "ça", aussi répugnant ce "ça" soit il. La bride lâchée, sa sensualité explose devant cet unique témoin. Son consentement n'a jamais été arraché, Gi-Ja s'est offert comme on se jette du haut d'un gratte-ciel.

En cessant tout bonnement de réfléchir.

…Qu’est ce qui pourrait mal se passer ?

Gi-Ja s'envole haut pour mieux ressentir les effets de la chute. Sa brutalité l'ébranle au réveil : remords, honte, culpabilité, dégout de soi... Il explose à nouveau mais pas d'aussi plaisante manière. La crise de nerf le suffoque : il pleure à gros sanglots disparates, hoquetant et tremblant comme une feuille.
L'envie de mourir exsude de tout son être si forte qu'elle en est étouffante.

…Qu’est ce que Baphomet aurait dû faire ?
Il a juste fait preuve de compassion en lui effaçant la mémoire.

Une rencontre, deux personnes dans un bar qui n’ont rien à perdre, rien à prouver à qui que ce soit, une ambiance plutôt chaleureuse. Même scène, même protagonistes, et peu de variations. Une fois, deux fois, trois fois....
Et toujours la même expression triste sur le visage du démon avant qu'il ne lui efface la mémoire.

Gi-Ja se dégage doucement des paumes du démon. Sa vision est floue, ses joues mouillées, il n'a pas conscience d'avoir pleuré. Il fixe Baphomet avec une expression terrible mais qui n'a plus rien à voir avec l'écœurement. C'est une autre sorte de culpabilité qui l'étreint.

- C... Combien de fois je t'ai fait subir ça ? lui demande-t-il à mi-voix.

C’est ma tristesse qui l’a séduit ? Putain… J’avais oublié ce détail. Tu m’étonnes qu’il soit venu se jeter dans mes bras encore et encore. Gi-ja est une drogue qu’on s’envoie à l’occasion, brute, dure, de celles dont on ne devrait pas abuser parce qu’elles sont dangereuses, et de celles dont on ne sait pas résister. J’avais pas conscience d’avoir voulu rester dans sa mémoire. Le retour à la réalité est brutal, comme chaque descente, comme une retombée d’acide.

« J’sais pas… » Mensonge éhonté « Cinq ou six fois ? » J’aurais dû dire moins ? J’aurais dû dire moins…

La chienne cale sa tête dans ma main. Elle a déjà été témoin de ce genre de trucs. Elle sait que je vais lui rendre son maître ‘comme neuf’, mais pas cette fois, ma belle, pas cette fois. Crois bien que je le regrette, mais ce n’est plus quelque chose que je fais malheureusement.

Il me trouvait séduisant sans se l’avouer, exotique aussi. Je réalise que ces petites parenthèses de pures folies sont belle et bien terminées. Je n’ai plus envie de ça. J’ai envie de le réparer et qu’il me reprenne en toute connaissance de cause, s’il me reprend un jour.

« Hey, ça va aller, respire. »

Je ne suis pas un violeur, tu n’es pas une victime.

« J’pensais bien que ton état d’esprit aurait changé… Mais je pensais pas qu’il aurait empiré. Quel est le problème en fait ? Le vrai, je veux dire. »

C’est un détail de sa vie que je me suis toujours interdit de creuser. Il y a toujours un peu des autres en moi quand je sonde les souvenirs. Beaucoup, si la personne n’est pas d’accord. Alors je l’ai laissé repartir, toujours un peu plus abimé.

Gi-ja, je suis une drogue, moi aussi. Je le regrette. Je ne veux plus être cela pour toi.

« T’as le temps ? Raconte-moi tout ça. »

L’aura ouverte au max, je tapote le banc à côté de moi avec un sourire amical. Tout va bien se passer…

- J’sais pas…
- Ne me mens pas...
- Cinq ou six fois ?
- Putain... Tant que ça ?! Mais je suis le pire des connards.... réalise Gi-Ja horrifié.
- Hey, ça va aller, respire.
- Non !... Non, ça va pas... Je t'ai... Je t'ai utilisé, je t'ai fait de la peine. Ok, je ne me souvenais peut-être pas d'un coup sur l'autre, mais te forcer à subir la même chose, le même scénario, à chaque putain de fois... Le soldat secoue la tête, dépité. C'est moi le monstre dans l'histoire, c'est moi l'agresseur si on y regarde bien...

Son dégout de lui-même ne s'en trouve que plus nourri. Il a été détestable de bout en bout, entrainant dans sa chute un gars qui n'a fait que lui offrir ce qu'il voulait. L'image de l'expression triste de Baphomet revient le hanter.

- Pourquoi j'ai fait ça ?!... Pourquoi?! Pourquoi je ne peux pas être comme tout le monde !?
- J’pensais bien que ton état d’esprit aurait changé… Mais je pensais pas qu’il aurait empiré. Quel est le problème en fait ? Le vrai, je veux dire.

Gi-Ja s'essuie les yeux et contemple le démon. Un sourire misérable fleurit sur son visage.

- Tu crois pas que j'ai été assez égoïste comme ça ? Tu veux vraiment m'entendre me lamenter encore.
- T’as le temps ? Raconte-moi tout ça.

Baphomet tapote sur le banc en guise d'encouragement et l'artificier doit admettre que, démon ou pas, c'est un homme de coeur, un homme qui ne méritait pas de se coltiner une relation aussi toxique. Dans d'autres circonstances, peut-être qu'il aurait pu l'aimer, vraiment, mais à l'époque il n'était pas prêt et maintenant son coeur est un champ de bataille occupé par deux personne en même temps dont il se refuse à prononcer les noms, même dans le secret de sa tête.
Le jeune homme finit par s'asseoir, penché vers l'avant, accoudé à ses genoux. Après un long soupir, il finit par se lancer.

- Je suis le fils unique d'une mère coréenne très traditionnaliste et d'un père irlandais, militaire haut gradé tout aussi traditionnaliste. Je.. Je n'ai jamais pu disposer de moi comme je voulais ni faire mes propres choix. On m'a martelé depuis ma naissance que les hommes allaient avec les femmes, que je devais être fort, studieux et respectueux de mes ainés, que je devais faire la fierté de mes parents, que je devais faire un bon mariage et leur offrir des petits-enfants... Que tout désobéissance, tout écart de la voie qu'ils avaient tracée pour moi serait sanctionné comme la pire des mutineries. Aimer et soigner les animaux, c'était faiblesse et une perte de temps. Adorer cuisiner, c'était faire preuve d'un manque de virilité. Alors j'ai commencé à mentir... Je me ménageais des espaces des espaces de liberté en cachette, comme mes tatouages par exemple, et je suis devenu très doué pour trouver des subterfuges et maquiller ces petites entorses à la règle. Quand je me suis rendu compte que j'étais plus attiré par les garçons que les filles, là j'ai été vraiment horrifié.

Il se tourne vers Baphomet avec une expression piteuse.

- Quand j'ai évoqué mon souhait de faire carrière dans la gastronomie, mon père ne m'a plus adressé la parole pendant des semaines et ma mère s'est rangé derrière lui. Alors que 'est-ce que ça donnerait s' ils apprenaient que j'étais homosexuel ? Ils allaient me renier, avoir une attaque et je ne voulais pas leur causer du tord ou de la peine. J'ai donc tenter de me forcer. Je suis sorti avec des filles. J'ai poussé autant que j'ai pu mais sexuellement c'était toujours, compliqué. Là aussi je mentais, je simulais,.. Mais ça a fini par trouver ses limites. J'ai choisi l'affectation à Tir Na Nog pour fuir la pression. Ici aussi, j'ai retenté de sortir avec des filles, mais plus je m'obligeais, plus je me détestais, plus je m'en voulais d'être pas normal. Tu m'as rencontré au pire moment de ma vie, Baphomet et... j'en suis désolé.

Gi-Ja se frotte le visage avec ses mains et ses doigts s'égarent dans sa chevelure longue et humide.

- Je ne peux pas dire que maintenant ça va mieux, mais j'ai d'autres choses à penser : la perte de mon unité, le surnaturel, Unseelie, ... Je suis entouré de gens plus tolérants et c'est assez exceptionnel dans l'armée. J'accepte aussi le fait que, ben.. je ne peux pas changer et que je suis attiré par les hommes. J'admets à peine ça, mais pas encore tout à fait les sentiments que je peux éprouver...

Pour un certain Major.
Pour un Prince-Dragon.
C'est si confus...

- Je suis tellement désolé de... de t'avoir blessé. Pas sûr que tu me pardonnes un jour, mais... mais je peux au moins essayer. Non ?

Ouais, déjà, je grimace directement. 'Tradition' et son mode de vie ne sont pas compatibles. De mère comme de père, il n'a aucun repère, personne vers qui se tourner pour espérer avoir l'approbation de quiconque. Merde. Je pensais pas que ce serait à ce point là.

"Moi je trouve très séduisant un mec qui fait ce qu'il a envie… et je pense que tout la gente féminine comme masculine se joint à moi derrière cette idée."

Je sais que ça ne sert à rien de lui dire que ce n'est pas parce qu'il préfère les hommes qu'il n'en est pas moins viril, et qu'il doit absolument envoyer se faire foutre tout ceux qui ne l'approuveraient pas. Ça ne sert à rien parce que je l'ai déjà fait auparavant. Il a été totalement fuckedup, mais pas de manière violente et brutale, pas contre ce 'truc' qui permet de se rebeller contre. Non non, il l'a été en douceur, petit à petit, de manière insidieuse.

Comment vous dire à quel point je suis aux antipodes de ce qui est en train de se raconter ? Pour moi, tant que tout le monde est consentant, il faut y aller à fond !

Putain… se forcer à sortir avec des filles… quelle connerie. C'est immonde pour tout le monde.

Enfin, il me dit un truc que je ne suis pas certain d'avoir entendu. Je rebranche ma mémoire…

Non… il est bien en train de vouloir s'excuser d'avoir baisé avec moi, le bougre ! Ma mémoire recherche dans ses archives la dernière fois que ça m'est arrivé…

Dossier introuvable. Ah…

"Pourquoi tu le fous pas tout sur le dos ? Ce serait simple pourtant. T'es chelou."

J'imite sa position, les coudes sur les genoux.

"...suis pas là pour désigner un coupable, moi. M'en fou un peu. Si ça peut te faire sentir bien que je sois le bouc émissaire, je suis là pour ça !"

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"Y a rien à pardonner. T'inquiètes."

Je suis sur le point de le prendre dans mes bras quand un truc fait tilt.

"Comment tu veux essayer ? Je suis très curieux du coup ?"

Allez, ce p'tit a trop besoin d'amour… je fini par passer mes bras autour de lui pour le bercer doucement. Mes pairs démons se foutraient bien de ma gueule. Mais vous savez quoi ? Je m'en bat tellement les couilles que ça doit s'entendre jusqu'en enfer.

- Pourquoi tu me fous pas tout sur le dos ? Ce serait simple pourtant.
- Parce que c'est injuste et dégeulasse....
- T'es chelou ... Suis pas là pour désigner un coupable, moi. M'en fou un peu. Si ça peut te faire sentir bien que je sois le bouc émissaire, je suis là pour ça !
- Y'a quelques mois en arrière, j'aurais certainement choisi de me couvrir par une bonne petite fuite, un désengagement total de mes responsabilités et quelques pieux mensonges bien confortables pour moi... Mais je ne peux plus agir comme ça. J'en ai marre d'être un putain de menteur.... Ca me fait pas me sentir bien de te désigner comme le connard de service. C'est juste m'enfoncer un peu plus dans mon déni. Je ne comprends pas encore tout bien aux démons, mais vous n'êtes pas les êtres diaboliques et tentateurs que nous vend la bible. Pas toi en tous les cas. Je me répète, mais tu ne mérites pas d'être le bouc émissaire pour tout un chacun. C'est quand même pas faire beaucoup cas de toi même que de te faire dindonner par la terre entière... Alors, voilà, sincèrement, je te demande pardon.
- Y a rien à pardonner. T'inquiètes.

Gi-Ja lui sourit faiblement. Avoir tout craché d'un coup, comme ça, ça l'a vidé mais aussi soulagé. Il se sent étonnamment plus léger. Comme le lui rappelle ses souvenirs retrouvés, Baphomet a une très belle capacité d'écoute.

- Comment tu veux essayer ? Je suis très curieux du coup ?
- Je sais pas trop... Essayer d'être ami ? Peut-être ?

Plus tard, lorsqu'il évoquera Baphomet et leur liaison à Neorvrim, il regrettera cette proposition. Le Dragon, profondément traumatisé par son union avec Iska et son obligation d'accepter d'autres princes consorts dans la couche de sa royale épouse, se montrera profondément territorial.
Mais l'histoire n'en est pas encore là, et pour l'heure sa proposition est tout à fait sincère, quoi que naïve. C'est avec une certaine maladresse que le soldat accepte l'étreinte du démon pour sceller cette proposition. Il considère que c'est une réponse positive à celle-ci et un doux sourire nait alors sur son visage épuisé.