"Fools" said I, "You do not know
Silence like a cancer grows
Hear my words that I might teach you
Take my arms that I might reach you"
But my words, like silent raindrops fell
And echoed in the wells of silence

A la lisière de la route, à la confluence des chemins, il prie une Mère pour le salut d'une autre. Les paquetages sont prêts ; armes, munitions et nourriture au complet. Il n'attendent plus que la venue de Ciulin pour bénir leur voyage insensé.
Silviu regarde la brume à quelques mètres de lui, comme une frontière opaque et sage qui ne bouge pas de sa tranchée pour monter jusqu'aux cieux. Ils ont choisi de passer par le cimetière pour gagner ensuite Ainselsborough. Ils ont opté pour la route la moins susceptible d'être fréquentée. Le vieux prêtre se tourne vers Thalie qui, comme lui, affronte le Brouillard du regard. Il sait pourquoi il est là. Il sait pourquoi il le fait. Il puise en cette vision une résolution toujours plus forte.

Un crissement de pneus se fait entendre dans leur dos, suivi d'un moteur que l'on coupe d'un tour de clé. Silviu se retourne et hausse un sourcil. De l'habitacle de la jeep s'extirpe la haute silhouette musculeuse de son frère cadet suivi de sa minuscule femme enceinte et de leur trois enfants. Iula est là également. Aussitôt le vieil homme fusille Ciulin du regard.

- A quoi tu joues ? lâche-t-il sèchement.
- Alors bonjour, d'jà, tête de con et tu penses vraiment qu'j'avais l'choix.
- Nous sommes ta famille, Prost! coupe brutalement Kaelig qui s'interpose. Ils sont presque aussi grand l'un que l'autre et ont en commun le même nez et les même prunelles bleues. Tu comptais te casser comme un voleur ?
- Absolument. Je vous préviens, aucun de vous ne vient avec moi. Il insiste particulièrement envers Iula qu'il sait prête à tout.
- Mais tu veux bien fermer ta gueule un peu ! Rahat ! Kaelig l'attire à lui pour une accolade bourrue à laquelle le pauvre Silviu ne peut se soustraire. On est juste venu te dire aurevoir... souffle le colosse, ému. La main sur la nuque de son frère, il lui embrasse la tempe. T'avise pas de crever en route, sinon j'irais chercher ton âme en Enfer et je la ramènerais par le cul.
- Sûre qui le fera ! ponctue Elie en dardant son ventre rond vers lui. Elle lui prend la paume et la colle sur son abdomen. Gabriel veut connaitre ses deux tontons. Ok ?

La démone l'enlace à son tour, suivi de ses neveu et nièces, laissant le prêtre touché et complétement désemparé à la fois. Une part lamentable de lui s'imaginait qu'ils ne remarqueraient pas son absence. La perspective qu'il pourrait leur manquer ne l'a pas effleuré une seule seconde. Kaelig vient se planter devant Thalie et la toise de son imposante stature.

- Thalie, je présume. Il lui attrape les épaules dans ses paluches immenses et claque un baiser solennelle sur chaque joue. Prend soin de mon grand frère.

Il s'écarte pour laisser sa place à Ciulin dont l'aura particulière indique déjà la présence divine de Frigg. Les chardons d'encre percent sa peau et s'enroulent autour de sa silhouette immense et sèche. L'avatar retire une épine de la fleur hérissée et cette dernière se transforme en aiguille. Les paroles qu'iel prononce alors, bien qu'en vieux noroit, sont compréhensible de Thalie, seule.

- Moi aussi, je suis mère.
Moi aussi, j'ai perdu un fils.
Je connais l'issue de ta quête,
Mais ne peut te la révéler.
Ta cause est juste, Thalie Busset.
Reçois, ma marque, tu l'as méritée.

Et se faisant, la déesse prend le bras de la djinn et scarifie sa peau de son sigil brulant. Les runes sacrées entremêlées constituent son nom sur le derme boursouflé. Ciulin la relâche, papillonnant  des paupières. Le contre-coup est immédiat et son père lea rattrape  pour qu'iel évite de s'effondrer.

- J'y ai mis tout mon jus... fanfaronne lea roumain-e en ricanant faiblement.
- Merci, fait sobrement Silviu.
- Soyez prudents. Dis-leur que nous sommes bientôt prêts pour l'offensive et qu'ils se tiennent à l'écoute de leurs rêves. Nous réunissons des alliés qui feront la différence. Kaelig a un sourire douloureux. Dis à mes fils, à notre frère et à Simone qu'ils nous manquent. Ils nous manquent tous...

Silviu lui presse l'épaule.

- Je leur dirais, déclare-t-il d'une voix rauque presque cassée.
- Fie ca noaptea să te apere, frate.
- Ea va. Le prêtre se tourne vers Thalie et lui tend la main pour qu'elle la prenne. Tu es prête ? demande-t-il avec douceur.

Et lorsqu'elle l'est, les deux êtres passent le mur de brume sous le regard de ceux qui sont restés de l'autre côté.

Thalie scrute le dernier obstacle qu’il lui reste à franchir pour venir à bout de sa quête. Le brouillard qui lui fait face n’a rien de commun avec ce qu’elle a déjà connu.
Trop opaque et l’humidité qui le compose semble obéir à des eaux bien étranges. Elle le touche du bout des doigts et aussitôt, des volutes s’y s’enroulent agressivement. La djinn retire sa main avec un reniflement de mépris.

« Comme si j’allais te faciliter la tâche… »

C’est à cet instant qu’une voiture arrive enfin. Elle fronce les sourcils en voyant toute cette clique débarquer et une pointe de remord la prend lorsqu’elle assiste aux au revoir de la famille Taur. Elle s’éloigne et se détourne par pudeur et parce qu’elle se sent profondément gênée de la situation. Cela ne fait qui lui rappeler qu’elle aurait dû trouver le courage de refuser l’aide de Silviu… et aussi combien son père lui manque. Mais le prêtre semble heureux de ces démonstrations d’affection alors elle patiente, finissant de s’harnacher, buvant tout son soul, vérifiant pour la centième fois que ses lames sortent de façon fluide de leur fourreau et que son arme à feu soit bien chargée puis se tourne une dernière fois vers la mer. Du moins sa direction.
Perdue dans ses pensées, son cœur s’envolant une dernière fois vers les embruns, elle ne voit que tardivement l’ombre du frère de Silviu tomber sur elle. Thalie penche la tête sur le côté, dans l’attente, et impatiente d’en finir avec tout ça.

- Thalie, je présume.
Elle acquiesce gracieusement du menton.
- Kaelig, je suppose.

Lorsqu’il pose ses mains sur ses épaules, elle se raidit comme une bûche et si elle est trop sonnée pour esquiver la première bise sur sa joue, la seconde lui est épargnée grâce à un mouvement fluide et presque dansant pour la libérer de l’étreinte du cadet de Silviu.

- Prend soin de mon grand frère.
- Je ne comptais pas faire autrement. Nous réussirons.

Vient ensuite Ciulin qu’elle scrute avec attention pendant sa bénédiction. La pointe de l’épine rentre dans la peau de son bras qu’elle a crispé. Elle n’apprécie que peu avoir le symbole de qui que ce soit sur la peau – d’autant plus d’une déesse – mais tâche de se concentrer sur le but de tout ceci. La protection pour mieux atteindre Nathan. Son derme cicatrise déjà et elle remercie Ciulin d'un sourire un peu crispé.

Dernières recommandations, derniers au revoir et Thalie manque de claquer de la langue d’impatience. Elle prend la main de Silviu avec un certain soulagement et se rend compte combien elle est nerveuse.

- Tu es prête ?
- Depuis quelques minutes déjà, ironise-t-elle pour mieux le cacher. Puis elle prend une profonde inspiration. « Plaise à la mer de nous amener à bon port, plaisent aux vents de souffler dans la bonne direction, plaise à notre capitaine de nous guider parmi les vagues et l’écume, plaisent à nos cœurs de toujours garder le cap. ». Ma bénédiction à moi, lui confie-t-elle avec un sourire en coin.

Tout a été dit et après un bref signe vers la famille Taur, les voilà séparés de la vie à l’extérieur.

Un silence oppressant les accueille, comme si on venait de leur boucher les oreilles et si Thalie en est désorientée quelques secondes, elle se reprend vite. Lâchant la main de Silviu, elle se tient aux aguets, les mains légèrement relevées le long du corps, prête à dégainer. Après un dernier échange de regard avec Silviu, Thalie avance sans plus hésiter.
Plus question de faire marche arrière à présent.

Elle a étudié le chemin à maintes reprises jusqu'à le connaitre par cœur mais le brouillard est si dense qu’il est difficile de se repérer avec le nom des rues avalés par la brume. Le bruit de leurs semelles sur l’asphalte se répercute comme jamais dans tout se vide. Ils croisent des nombreuses voitures abandonnées et ouvertes aux quatre vents, signe de la panique qui a dû régner le premier jour. Le plus terrible reste les corps parfois dévorés et décomposition plus ou moins avancée qui jonchent le sol et exhalent une odeur pestilentielle. Thalie leur jette à peine un œil, essayant de se concentrer sur sa tâche. Beaucoup de civils, quelques militaires. S’ils se trouvent sur leur chemin, la djinn prend quelques secondes pour récupérer armes, munitions et plaques d’identification avant de poursuivre leur chemin. Ils ont choisi des petites rues annexes, sans doute moins fréquentées mais qui représentent le désavantage d’être plus étroites en cas de mauvaise rencontres.

Quelques rues à traverser, à peine deux ou trois petites heures de marche en temps normal… mais rien n’est plus normal dans cette ville.

- Tu es prête ?
- Depuis quelques minutes déjà.
- Je suis désolé, pour ... cette "scène", répond-il gêné. Il n'a jamais été friand de déballage.
- « Plaise à la mer de nous amener à bon port, plaisent aux vents de souffler dans la bonne direction, plaise à notre capitaine de nous guider parmi les vagues et l’écume, plaisent à nos cœurs de toujours garder le cap. ». Ma bénédiction à moi.
- En avant Capitaine... Son sourire lui fait écho.

La brume les gobe, les engloutis tout entiers, laissant une impression poisseuse sur leur corps qui s'infiltre dans le moindre pore. Silviu se contraint à respirer calmement. Il tient toujours la main de Thalie dans la sienne.

- Reste toujours près de moi, chuchote-t-il. Il a beau avoir murmuré, dans ce silence total, les sons semblent amplifiés. Il a l'impression d'avoir hurlé. Nous ne devons jamais nous perdre de vue.

La marche commence, le roumain en tête, la maritin dans son sillage. Les cadavres se comptent par centaines. Le prêtre a une prière muette pour chacun d'eux. Cependant, lorsque sa compagne prend trop souvent le temps de s'arrêter pour fouiller les macchabés mutilés, il lui pose une main sur l'épaule.

- Ne t'attarde pas. Il est inutile de te surcharger.

Plus ils interrompent leur progression, plus ils sont susceptibles de les attirer. Qui ? Quoi ? La nature des sbires d'Unseelie est changeante mais chacun d'eux attaque la chair et ronge l'esprit. Il ne faut pas trainer.
Ils ont délaissé les grandes artères pour les ruelles, espérant que le dédale rebute les meutes de Hurlants et décourages les Priants affamés. Le silence est aussi oppressant que les volutes sinueuses de brume qui s'amusent à s'emberlificoter autour de leurs chevilles. Cette saleté noie la route et empêche toute visibilité. Plus ils avancent, plus cette purée de pois lui semble dense.

C'est alors que s'élèvent les premières voix.

"Thalie... Thalie....Pourquoi... ?"
Le timbre d'un homme. Rocailleux. Âgé.

"Silviu, Silviu...Regarde-moi...."
Une plainte de femme. Brisée.

"Pourquoi m'as-tu abandonné.....Thalie....."

"...Tu... M'as... trahie......"

" Pourquoi.... ?"

"....C'était ton fils aussi...."

"Je suis tout seul...Thalie....Je suis blessé.... Viens m'aider...."

" C'était ton fils....
Pourquoi ne le pleures-tu pas.....?!"

- Ne les écoute pas, grince Silviu entre ses dents. Regarde droit devant toi. Il lui attrape la main. Concentre toi sur moi.

"Silviu ! Silviu ! Pourquoi traverses-tu le Brouillard pour cette femme, alors que tu ne l'as pas fait pour Lui !" s'époumone la femme.

- Tu n'es pas là, Paula.

Le vieil homme tient fermement les doigts de la djinn dans les siens. Il s'y agrippe avec force comme il le fait à sa foi. La voix masculine s'est tue. Une autre s'élève, alors.

"Maman ? .....Maman, c'est toi ?!"
pleure un enfant.

- Ne t'attarde pas. Il est inutile de te surcharger.
- Au moins leurs plaques… pour les familles…

Elle sait pourtant que s’attarder est risqué. Mais voir tous ses corps brisés lui retournent l’estomac. Il n’y a pas eu de lutte, pas de combats, ou alors complètement inégaux.
Thalie a l’horrible impression de ne pas progresser et de tourner en rond. L’effet du brouillard certainement. Jamais la nature n’aurait pu créer quelque chose d’aussi malsain.
Lorsque la première voix perce le silence qui les entoure, Thalie tourne la tête. Mais elle se répercute en toute sens, impossible de connaitre sa provenance. Elle reconnait le timbre de son père. Faible, plein de déception et d’incompréhension. Quand bien même elle sait pertinemment qu’il n’est pas vraiment là, son cerveau a bien du mal à s’en convaincre tout à fait.
Inconsciemment, elle ploie les épaules sous le poids d’une culpabilité qui ne la quittera jamais.

- Je sais… je sais papa… chuchote-t-elle en français. Pardon… pardonne-moi.
- Ne les écoute pas.
- C’est… très dur…
- Regarde droit devant toi. Concentre-toi sur moi.  
Silviu a repris sa main et elle lui semble être la seule chose palpable et tangible dans cet océan de purée de pois qui résonne de souffrance et de ressentiment. Elle ne pense qu’à sa chaleur, la façon dont cette paume l’a touché avec révérence et douceur, elle s’accroche à quelque chose d’aussi vrai que ses doigts contre les siens.

- Tu n'es pas là, Paula.
Lui aussi lutte contre ses propres fantômes et Thalie resserre son étreinte.
- Moi je suis là, avec toi. On ne se lâche pas. Aucun fantôme du passé nous détournera de notre destination.

La voix de son père se tait enfin et elle soupire de soulagement. Mais celui-ci est de courte durée et quand celle d’un petit garçon se fait soudain entendre, Thalie frissonne de tout son être.

"Maman ? .....Maman, c'est toi ?!"

Elle s’arrête soudain et scrute la brume à la cherche du visage de son fils qui l’appelle.
- Nathan ? lâche-t-elle sur un ton douloureusement tendu.
Elle fait quelques pas et son bras se tend derrière elle, retenu par Silviu. Elle s’arrête soudain. Non. Son fils n’est pas là. Ça n’est qu’une terrible illusion. Nathan est dans les bunkers, là où ils se rendent. Elle recule jusqu’à toucher l’épaule du prêtre de Mère-Nuit.
- Allons-y…allons-nous d’ici.

"Je suis perdu maman ! J’ai peur tout seul dans le noir…"

Thalie ferme brièvement les yeux alors que tout son corps l’appelle à répondre à l’appel désespéré de son petit garçon, retenu uniquement par son esprit qui se refuse à se laisser piéger par une simple illusion. Ils se remettent rapidement en marche mais la voix continue de la harceler.

"M’abandonne pas encore…maman…maman ! S’il te plait… tu ne m’aimes plus ? "

- Tu l’entends toi aussi ? C’est si dur… Silviu je ne sais pas si… si je vais y arriver.

Elle sert si fort sa main dans la sienne que ses jointures ont blanchies.
- Dis moi quelque chose… n’importe quoi pour couvrir cette voix…

- Moi je suis là, avec toi. On ne se lâche pas. Aucun fantôme du passé ne nous détournera de notre destination.

Silviu se retourne pour se gorger de la vision de Thalie : son regard bleu, en amande douce ; ses pommettes hautes et fières ; sa blondeur de naïade. Il puise en cette vision sa plus solide résolution. Il conduira cette Mère à son Enfant. Il lui sourit avec une tendresse vaillante.

- Aucun... répète-t-il avec conviction.

Il reprennent leur progression de plus en plus hasardeuse. Ont-ils pris le bon embranchement, choisi la bonne rue ? Difficile de se repérer dans cette bouillis vague de formes et d'aspérités. Tout deviens obstacle.
La djinn s'arrête brusquement et Silviu pivote vers elle. Il remarque sur son bras le Sigil de Ciulin briller sous sa peau. La protection de Frigg tourne à plein régime.

- Thalie ?
- Nathan ? s'enquiert-elle en fixant le néant poisseux.
- Thalie... Ce n'est pas lui. Ce ne sont que des Illusions.

Sa compagne recule jusqu'à le toucher. Le prêtre entoure ses épaules d'un bras protecteur.

- Je suis là. Je suis réel. Concentre-toi sur moi.
- Allons-y…allons-nous d’ici.

Silviu prend un moment pour les réorienter. La visibilité est quasi nulle. Parfois, ils manquent de trébucher sur un trottoir où un cadavre rongé.

- Tu l’entends toi aussi ?
- Non... Les Illusions revêtent une forme différente pour chacun, en fonction de ce qui serait le plus à même d'affaiblir notre volonté ou de nous charmer. Parfois elles sont communes à plusieurs, d'autre, elles préfèrent la torture individualisée. Tout ceci n'est pas réel. Ces saletés veulent simplement nous séparer et nous perdre.
- C’est si dur… Silviu je ne sais pas si… si je vais y arriver.
- Je suis là. Je te tiens. Accroche-toi à ma présence, mon contact. Ne pense qu'à moi, pour le moment...
- Dis moi quelque chose… n’importe quoi pour couvrir cette voix…
- D'accord...

Le vieil homme entonne alors une sorte de chant qui ressemble à une berceuse dans sa langue natale. Les mots ne font pas sens pour la maritin, mais le timbre doux et grave de Silviu tapisse les volutes nuageuses alentour. La chanson est un poème sur l'eau et la nuit qui se mêlent et se confondent pour protéger le sommeil des enfants. Cette chanson s'est transmise de femme en femme dans la famille Taur. Ecatarina la chantait au dessus du berceau de ses fils puis l'a apprise à Lavinia qui en susurrait l'air elle-même à ses enfants en caressant leurs têtes blondes.
Pour que Mère-Nuit les protège.
Ainsi avancent-il jusqu'à ce que, de guerre lasse, les Illusions abandonnent leurs proies et cessent leurs tourments. Le Brouillard se délite quelque peu et les arrêtes massives d'un vaste bâtiment de béton et de verre leur apparait : le Red Quater Mall.

- Rahat... On s'est beaucoup trop déportés.

La berceuse (du moins c’est ce qu’elle devine) de Silviu ne couvre pas totalement la petite voix suppliante et pleine de sanglots. Néanmoins, cela lui permet effectivement de s’accrocher à autre chose, de garder en tête l’idée que tout cela est faux, une manipulation terrible du brouillard.
Silviu, sa voix et la chaleur de sa main sont vrais.

Heureusement, ce Nathan imaginaire fini par se taire lui aussi et Thalie émet une sorte de sanglots de soulagement, la respiration hachée comme si elle venait de fournir un effort titanesque.
Il l’a été en un sens. Aller à l’encontre de son instinct et de tout ce qui vous pousse à retrouver votre enfant perdu et apeuré lui a coûté une force mentale qui n’était pas loin de rompre.
Blême et les joues humides, Thalie redresse néanmoins les épaules.
- C’est fini, chuchote-t-elle. Il est parti.

Sans doute parce qu’ils viennent de déboucher sur une avenue plus large et la djinn se remet aussitôt sur ses gardes.
- Rahat... On s'est beaucoup trop déportés.
Thalie le constate en voyant la haute bâtisse du centre commercial non loin.
- Il se suffit de rectifier la trajectoire, recommande-t-elle avec calme.

A force de scruter la brume, sa vision se fait plus précise et elle sent et perçoit des mouvements non loin du bâtiment à quelques mètres de là. Elle croit entendre des paroles échangées entre les différentes formes indistinctes.
Hurlants, devine-t-elle sans le dire. Si c’est le cas, elle a appris qu’ils comptaient dans leurs rangs de nombreux vampires et autres surnaturels aux sens aiguisés. Ce qui veut dire que si elle peut les voir, eux aussi on sans doute déjà déterminé leur présence…

Cœur qui bat trop vite, respiration trop précipitée ou odeur trop vivante sans doute.
Sa théorie se confirme lorsqu’elle voit trois ou quatre silhouettes se mettre à bouger rapidement dans leur direction, se faisant de plus en plus distinctes. Thalie soupire et échange un regard avec Silviu en dégainant ses lames sans un bruit.

Quitte à être découverts de toute façon, autant attaquer en premier et garder un semblant d’effet de surprise. Lentement, elle se déporte sur le côté, se déplaçant avec fluidité, semblant presque couler sur l’asphalte jusqu’à se glisser dans une cachette, prête à fendre sur l’ennemi. Elle attend le passage des premiers et saute sur l’assaillant qui ferme la marche. Une première estafilade lui ouvre la gorge assez profondément pour couper net les cordes vocales et l’empêcher de hurler, le second  coup sectionne la tête qui roule à quelques pas de là.

Elle se remet aussitôt en position d’attaque, prête à en découdre avec le reste.
Rien ne l’empêchera d’atteindre ses bunkers et si elle doit trancher des têtes, elle le fera.

- Il se suffit de rectifier la trajectoire.

Silviu ne répond que par un hochement de tête bref. Le bras levé, il scrute le brouillard. Ses instincts de chasseur lui souffle qu'une menace est en approche. Il compense par l'expérience les sens surnaturels qu'il n'a pas. Thalie et lui échangent un regard de compréhension mutuelle.
Des Hurlants.
Une demie douzaine.
Le combat est inéluctable.

La djinn dégaine ses sabres et le prêtre son Sig P226 muni d'un silencieux, avant de chacun se mettre à couvert. Un premier vampire passe par le fil de la lame de sa compagne dans un gargouillis à peine audible. Silviu dégomme un deuxième assaillant en pleine tête, puis un troisième dans la foulée. Ses balles en argent customisées libèrent leur décoction d'aubépine et de verveine dans les deux cervelles trouées.
Il s'apprête à faire mouche une troisième fois quand un Hurlant le débusque de sa cachette et fait dévier la trajectoire de son tir d'un cou de griffe. Silviu réagit aussitôt malgré la douleur qui lui sillonne la chair du bras et pare les coups de son adversaire. Plus leste et surtout plus herculéen, le vampire l'envoie valdinguer contre un mur. Le roumain contracte la mâchoire alors que le gout ferrugineux de l'hémoglobine lui inonde la bouche. Il se redresse tant bien que mal alors que le vampire ricane, goguenard, en louvoyant vers lui.

- Un humain... Un peu vieux, mais on va pas chipoter... ça fait si longtemps qu'on en a pas eu un neuf dans le coin. Je vais jouer un peu avec la nourriture, tu veux bien... ?

Silviu crache un glaviot sanglant de côté et le fusille d'un regard mauvais.

- Essaie toujours, strigoï...
- Attend... t'es roumain ? Mais du coup, t'es...

Sans lui laisse le loisir de finir sa phrase, le doyen des Taur lui colle une balle dans le buffet.

- Oui. fait-il sobrement avant d'entériner une prière pour ce frère Nocturne dévoyé qu'il a ramené dans le giron de Mère-Nuit.

Thalie voit deux autres vampires tomber rapidement, une balle un plein front. L’efficacité Taur n’est dont pas une légende…loin de là. La réussite de son compagnon la galvanise et elle repère deux autres formes qui essaient de se cacher. Elle est tentée de se servir de son pouvoir mais craint de se faire remarquer en allumant ses tatouages. Ils sont trop exposés pour cela.

Elle préfère donc faire ça à l’ancienne le premier passe sur le fil de sa lame presque aussi vite que le premier. Inquiète pour Silviu qui vient de se faire griffer, elle ne remarque que trop tard l’attaque du dernier de leurs assaillants. Il se saisit de la djinn à bras le corps et la soulève de terre dans une étreinte étouffante avant de la  mordre à l’épaule. Malgré l’épaisseur de ses vêtements, la créature à croc a réussi à les enfoncer dans sa chair.
- Délicieuse…j’adore ce petit goût de sel…
Thalie grimace et se débat en vain. Ses bras sont plaqués le long de son corps, rendant ses lames totalement inefficaces.

Hors de question de laisser un stupide vampire lui voler ses retrouvailles !
Elle bande tous ses muscles et donne un puissant coup de tête vers l’arrière. Le vampire a la tête dure mais elle aussi. Il relâche un instant son étreinte et elle en profite aussitôt. Elle relève son bras et serine le foie du vampire, créant une hémorragie certaine et libérant la verveine dont est imprégnée sa lame dans son corps. Il faiblit très vite et Thalie se libère complètement faisant danser ses lames.
- J’espère que tu en as profité…
La tête du vampire, roulant au sol, ne peut manifestement plus lui répondre.

Elle tend l’oreille et ouvre grand les yeux mais ne voit plus rien bouger … pour le moment.
Ils doivent partir d’ici.
Elle essuie rapidement ses armes pour les rengainer et se précipite aux côtés de Silviu, posant une main sur sa joue.
- Tu vas bien ? souffle-t-elle inquiète. Elle-même est couverte d’un sang qui ne lui appartient pas en grande partie. Viens. Ne trainons pas là.

Elle l’entraine dans une ruelle plus loin, qu’elle a repéré à l’aller, et l’ausculte un peu plus attentivement. La griffure est vilaine mais peu profonde.
- Ca va aller…
Elle réfléchit à peine et appelle son eau guérisseuse, rabattant la capuche de sa veste sur sa tête pour camoufler au mieux la lumière de ses tatouages. L’exercice de guérison n’a jamais été son fort mais heureusement les blessures de Silviu demandent peu de soin approfondis. Une vague bienfaisante et rafraichissante court sur la peau du prêtre en même temps que la main de la djinn qui s’arrête sur les griffures et s’y attardent. Le sang cesse de couler et les muscles et la chair se ressoudent. Elle continue son exploration des blessures et trouvent quelques lésions interne au thorax qu’elle résorbe rapidement.

- Mieux ? demande-t-elle avec un petit sourire, front à front, soulagée qu’ils aient réchappé à cette première altercation sans trop de dommage.
Elle fait peu de cas de sa propre blessure qui la picote à peine concentrée sur la suite de leur traversée. Passer par les environs du Mall si les Hurlants rodent dans le coin, lui parait trop risqué… Elle avise soudain une bouche d’égout pas loin.
- Soit on fait demi-tour pour prendre la bonne direction, mais à l’idée d’affronter à nouveau les illusions, elle frissonne de tout son corps, soit on passe par en-dessous…
Elle lui montre du menton la plaque à quelques mètres de leurs pas.

Par chance les Hurlants ne seront pas plus. Silviu grimace en faisant craquer ses vieux os. Le sang n'a jamais été son gout préféré. Par chance, il ne pense pas avoir quoi que ce soit de cassé.

- Tu vas bien ?

L'expression inquiète de la djinn est touchante. Elle fait sourire le prêtre qui se crispe presque aussitôt. Il a la lèvre inférieure fendue.

- J'ai connu pire.

Il la contemple, souillée de rouge, et se projette aisément la capitaine corsaire à l'abordage, fière et conquérante. C'en est presque séduisant (Non, en réalité ça l'est complétement. Cette image risque de s'inviter quelques fous dans ses errances méditatives solitaires.).

- Viens. Ne trainons pas là.
- Oui, se reprend-il comme un gosse prie en flagrant délit de rêvasserie. Il la voit, cependant, emprunter une ruelle dans la mauvaise direction. Où vas-tu ? Ce n'est pas par là qu'il... La djinn le coupe et commence à le palper un peu partout, telle une mère angoissée. Thalie, je t'assure que je vais bien. Continuons de marcher...
- Ca va aller… conclue-t-elle enfin après inspection.
- C'est exactement ce que je viens de te dire, le gourmande-t-il avec un sourire en coin. Il écarquille les yeux de surprise en la voyant rabattre sa capuche sur ses yeux lumineux et la foultitude de tatouages qui éclairent soudain le Brouillard. Thalie ! Non ! Economise ton eau... Inutile de la gâcher si c'est pour se faire repérer !

Peut-il seulement faire entendre raison à cette femme ? Elle ne l'écoute pas, et de guerre lasse, il abdique, jetant des regards nerveux à droite et à gauche. Cependant, ses gestes sont si doux, si attentionnés, qu'il finit par n'avoir d'yeux que pour le spectacle de ses pouvoirs à l'oeuvre.

- Mieux ?

Son front en équilibre contre le sien, il attrape sa main et en embrasse le creux.

- Mieux, en effet. Tu es une infirmière sacrément têtue... Tu en as conscience ?Son expression attendrie dément le reproche cependant. Il écarte le tissus déchiré et sanguinolent autour de son épaule. Ce salopard de strigoï a osé la boire. L'idée lui est étrangement insupportable. Et qui ne pense pas suffisamment à elle... Il ne t'a pas trop ponctionné de sang ?

Heureusement, la morsure est déjà en train de cicatriser.

- Nous ne pouvons stagner trop longtemps au même endroit. Il faut avancer.
- Soit on fait demi-tour pour prendre la bonne direction... Silviu remarque son tremblement d'appréhension... soit on passe par en-dessous…

Le roumain lui englobe la joue de sa grande paume et attrape ses prunelles bleues.

- Hors de question que tu subisses à nouveau l'épreuve des illusions. Descendons. Il faudra composer avec les Scyllas et peut-être des Priants. Mais je suis quasi certains que les Hurlants et les phalènes restent en surface.

D'un geste prompt, il retire la lourde plaque , faisant saillir ses muscles jusqu'à ceux de son cou. Il attrape une fusée éclairante, l'allume et la lâche dans la bouche afin de sécuriser le périmètre. La lumière est l'ennemi numéro un des sbires d'Unseelie.
Il passe en premier et ouvre la voie, descendant prudemment les barreaux de l'échelle, une main sur son arme prêt à tirer.

- Mieux, en effet. Tu es une infirmière sacrément têtue... Tu en as conscience ?
Elle lui sourit et hoche la tête, laissant couler sa main le long de sa joue.
- Si tu ronchonnes c’est que cela va mieux. Et puis je suis capitaine, je n’ai pas pour habitude qu’on me donne des ordres.

Il examine à son tour la morsure infligée par le vampire, qui ne lui fait déjà plus mal.
- Et qui ne pense pas suffisamment à elle... Il ne t'a pas trop ponctionné de sang ?
Petit rire incongru dans ce paysage de mort et de désolation.
- Il n'en a pas eu le temps... Je guéris comme une grande, utiliser mes pouvoirs pour cela aurait vraiment été du gâchis. Il replace le tissu sur la plaie légère. Rassuré ?

- Nous ne pouvons stagner trop longtemps au même endroit. Il faut avancer.
- Soit on fait demi-tour pour prendre la bonne direction... soit on passe par en-dessous…
Elle ferme les yeux au contact de sa main sur sa joue et essaie d’y puiser la force de possiblement repasser par les illusions. Heureusement Silviu s’y oppose également.

Elle observe la machinerie de muscles de Silviu avec une certaine fascination et se reprend sitôt la plaque ouverte. Pendant qu’il descend prudemment, elle se met à l’écoute de l’eau en dessous calme pour le moment.

Elle hoche la tête à son intention et dévale les marches à son tour avec souplesse. L’odeur est évidemment infecte et la prend à la gorge. Mais Thalie prend sur elle et ils avancent résolument, progressant dans un liquide qu’elle se refuse à identifier. Elle laisse Silviu la guider, concentrée sur l’eau stagnante à leur pied qui lui renvoie les vibrations de tous les êtres qui grouillent aux alentours, comme un sonar.  

Elle note soudain des symboles sur les murs, fraichement pratiqués bien qu’incompréhensibles pour elle. La djinn les montre à Silviu avec une lueur d’espoir dans le regard.
Est-ce possible qu’ils soient tout proches ?

Alors qu’ils marchent dans un long couloir, elle arrête soudain le prêtre d’une main sur son épaule et indique quelque chose par-devant eux, encore invisible.

Ils échangent un long regard qui contient tout un dialogue silencieux.
Faire demi-tour maintenant est hors de question. C’est déjà un miracle qu’ils ne se soient pas totalement perdus…

Elle se concentre sur les ondulations et finit par indiquer deux doigts à Silviu. Sans aucun doute des Priants. Rien qui ne les obligent à retourner sur leurs pas.
Ils continuent donc jusqu’à tomber sur deux être difformes en train de les chercher, la tête levée boursoufflée levée comme pour mieux les humer. Sitôt qu’ils les perçoivent, ils passent à l’attaque. Connaissant le caractère dangereux d’un combat au corps à corps avec ces créatures et l’habilité de Silviu au tir. Elle opte pour une autre stratégie que l’attaque et éclaire le couloir étroit de bleu en levant les mains.

Deux bras d’eaux entourent les Priants, s’enroulent autour de leurs corps et les maintient fermement en place.
Silviu n’a plus qu’à les cueillir d’une balle.

L'odeur est putride. L'eau croupie, les ordures et un relent plus âcre de chair en décomposition constitue le parfum de ce nouveau décor. Silviu effleure le mur gravé de symboles désigné par Thalie. Il ne les reconnait pas, mais ce pourrait très bien être une marque de reconnaissance des Malsheemiens. L'organisation usait de tout un langage codé pour communiquer façon jeu de piste. L'homme de foi qu'il est décide d'y percevoir un signe encourageant qu'ils sont sur la bonne route. Il attrape sa lampe torche et la braque vers l'avant, prenant le relais de la fusée éclairante qui s'éteint. Ils reprennent la marche, l'espoir au coeur.

Thalie pose brusquement sa main sur son épaule. Elle scrute l'obscurité au delà du cercle lumineux formé de leur lampe. Quelque chose de cliquetant rampe dans un remugle suintant. Le son est suffisamment ténu mais perceptible pour comprendre que ce n'est pas un déplacement humain. Des Priants, probablement.
La maritin lui signale qu'il n'y a que deux de ces créatures. D'un geste fluide, elle convoque l'eau sale en alliée offensive pour immobiliser la menace. Silviu les éclaire et reste un instant stupéfait du spectacle de leur laideur familière : des mandibules insectoïdes déforment leur mâchoires, de multiples yeux porcins, parfois voilés de chair, les scrutent ; Des ailes grotesques de peau flasque prolongent leurs omoplates ; leurs carcasses d'anciens êtres humains sont aussi démantibulés que des contorsionnistes hyperlaxes ; leurs extrémités sont griffues et noirâtres. Le doyen des Taur tente de viser la tête mais malgré les entraves, les montres gigotent si violemment qu'il a du mal à ajuster ses tirs. Il doit s'y reprendre à trois fois pour voir enfin leurs crânes exploser. Les corps difformes pendouillent mollement et glisse de leurs tentacules aqueuses. Le vieux roumain n'en avait encore jamais vu mais il comprend l'effroi vécu par les Dormeurs lors de la première expédition.

Magnanime, il prononce une prière pour recommander leurs âmes à Mère-Nuit. Pourquoi Unseelie a-t-elle métamorphosé ces malheureux. Ils étaient humain autrefois : des pères, des mères, des gens avec une histoire et des vies ordinaires... Il éprouve soudain le besoin de sentir la main de Thalie dans la sienne. Il s'en saisie le visage grave et fermé, plus ébranlé qu'il ne le voudrait.

- Continuons... fait-il après ce moment de sombre recueillement.

Ils continuent leur route, consultant le plan des égouts dont ils disposent, et sur plusieurs embranchements, ils ne rencontrent pas le moindre obstacle.

Thalie semble le trouble de Silviu qui se traduit par une maladresse certaine au tir. Elle sert les dents et son étreinte aqueuse sur les créatures sans comprendre exactement ce qui bouleverse à ce point le prêtre. Ca n’est que lorsqu’il prononce une prière pour eux qu’elle saisit à quoi il pense.
La djinn ne se laisse plus envahir par ce genre de pensées depuis bien longtemps et pour la première fois, elle note la jeunesse de Silviu dont l’âme est encore émue par le sort de ses ennemis.
Peut-être est-ce dû à son manque de cœur plus qu’à sa longévité… mais Thalie ne ressent qu’un soupçon de dégoût pour les Priants et la volonté forte de ne jamais finir comme eux.
Elle sert ses doigts sur les siens sans savoir comment lui apporte du réconfort. Ainsi elle préfère se taire.

- Continuons...
Elle acquiesce avec détermination et comme il ne fait aucune remarque sur les symboles, elle suppose qu’il n’en connait pas plus la signification qu’elle.
Leur progression est silencieuse et peu rapide, puisqu’ils sont constamment obligés de consulter la carte pour se repérer dans ces dédales de couloirs qui se ressemblent tous. Ils finissent par tomber sur une vieille station de métro abandonnée depuis bien longtemps. Thalie a une drôle de sensation lorsqu’ils traversent le quai rongé par l’humidité et envahi de nids de rats. Le nom de la station est tellement sale qu’il en est illisible mais la djinn s’arrête et plisse les yeux.

- Attends…
Un jet d’eau nettoie la plaque qui indique alors un nom « Neamh ».
- Ca n’est pas le nom d’une place pas loin de l’Eden Rest ?
Ils scrutent la carte de la ville et découvre effectivement cette petite place à quelques rues de l’établissement.
- Nous ne sommes pas loin !

Maintenant si elle a bien saisi, ils doivent descendre de quelques niveaux. Ils finissent par repérer une petite porte dérobée qui lui amène à nouveau dans des eaux croupissantes. Cette fois, pas de doute, il s’enfonce un peu plus sous terre. Thalie a l'impression qu'ils marchent pendant des heures. Elle est si tendue que chaque bruit lui fait tourner la tête. Mais l'eau reste muette. Ils s'arrêtent pendant quelques instants d'un commun accord et la djinn en profite pour boire. Ils retombent sur des symboles ici et là sur les murs et Thalie les observe attentivement, tentant d’y trouver un sens.
- Celui-ci revient tout le temps, remarque la jeune femme en pointant le dessin d’une sorte de compas mélangé à des runes complexes. C’est un symbole d’ingénieur non ? De construction ? On se risque à les suivre ?

Plus ils s'enfoncent sous terre, plus Unseelie semble perdre prise sur l'environnement. Ils ne croisent pas le moindre obstacle si ce n'est des rats ou des chats errants qui leur tiennent compagnie sur quelques portions de chemin. Alors qu'ils traversent une station de métro désaffectée, Thalie fait s'immobilise et remarque qu'il ne sont plus très loin de la boite de nuit d'Asmodée.

- Ca n’est pas le nom d’une place pas loin de l’Eden Rest ?
- Si, absolument.
- Nous ne sommes pas loin !
- Nous touchons au but, effectivement...

Pour autant, ils ne doivent nullement baisser leur garde.

- Il nous faut descendre plus loin. Essaie de repérer une trappe ou une porte qui pourrait nous le permettre.

Ils fouillent les environs jusqu'à trouver ce qu'ils cherchent. Ils pénètrent plus loin dans l'obscurité les oppressant de toutes parts. Si Silviu est habitué aux Ténèbres grâce à son sacerdoce et les enseignements du Culte lors de sa préparation à prendre sa fonction (qui oblige à s'habituer à vivre à l'aveugle plusieurs mois durant), ce n'est pas le cas de Thalie dont il ressent la nervosité. Il finit par lui prendre la main pour lui infuser son propre calme. Il reste vigilent mais serein.

- Arrêtons nous un peu. Tu as besoin de boire... Et lui de manger un morceau.

Vue son horloge biologique, il identifie plus ou moins qu'il est l'heure du repas de midi. Sa montre indique effectivement 13h. Ils s'installent sur le rebord d'une grille pour prendre une pause méritée. Les murs sont recouvert de graffitis, ce qui apparait prodigieux au prêtre étant donné la profondeur. Qui pourrait contempler ces œuvres urbaines à part les rongeurs et les cafards ?

- Celui-ci revient tout le temps, remarque Thalie.

Le vieil homme se redresse après avoir terminé son sandwich et  vient observer le fameux dessin : compas mélangé à des symboles qui ressemblent à des runes mais qui en s'approchant de plus près s'avère être des roues dentelées.

-  Ce sont des écrous...
- C’est un symbole d’ingénieur non ? De construction ?
- Il y en a plus sur celui-là que sur l'autre que l'on a vu sous la bouche. Il y a peut-être une logique de gradation ? Malsheem a toujours été adepte des jeux de piste. Pendants des années les chasseurs de toutes les communautés pensaient à mythe moderne du même genre que Cicada 3301.
- On se risque à les suivre ?
- On y perdra rien... abonde-t-il en opinant après avoir bu une gorgée d'eau.

Le duo reprend la route. Désormais il savent ce qu'il doivent chercher et furètent à la recherche du compas, comptant les écrous. Parfois, il doivent rebrousser chemin pour suivre la suite de chiffres sans en omettre un seul. Finalement, après des heures d'un pistage acharné, ils parviennent à une salle haute et parfaitement circulaire creusée à même la roche. Elle n'est clairement pas de facture humaine.

- Thalie... Est-ce que a peut être l'œuvre d'un ardhi ? C'était eux les ouvriers en chef des plans de ton fils et de son équipe.

Alors qu'ils avancent vers le centre, un cercle lumineux de runes Futhark s'allument à leur pieds. S'ils essaient d'en sortir un brutal champ de force les repousse, les foudroyant sauvagement. Silviu en fait l'amère expérience et se gondole de soubresaut douloureux, au sol. Thalie peut visualiser comme une lance lumineuse, fichée dans son torse, le clouant au sol et le faisant abondamment saigner. Des battements d'ailes et des hurlement de loups leur vrillent les tympans. Le bras de la maritin la brûle atrocement et la marque de Frigg réapparait, faisant cloquer sa peau.

- C'est... un... Un stratagème d'Odin....Une.... Protection....Tu portes... la marque de son épouse..... Elle seule... peut.... Le prêtre peine à en articuler d'avantage tant il mobilise toute son énergie contre la lance électrique et insaisissable qui le perfore.

Ils débouchent soudain dans une étrange pièce qui ne porte clairement pas les marques d’ouvrage humain. Pas de porte, pas de symbole, rien que cette sale vide et pendant quelque secondes, Thalie se laisse aller à un certain abattement et une profonde frustration. Elle sait qu’ils sont proches et qu’on lui refuse l’accès à son fils après tout ce qu’elle a traversé commence à faire bouillir son eau.

- Putain de bordel de merde ! lâche-t-elle dans sa langue maternelle et un excès de colère.  
- Thalie...
- Quoi ? aboie-t-elle avant de se reprendre dans un soupir. Pardon… entre les illusions, l’obscurité constante, la peur et la fatigue, elle commence à avoir des vieux relents de son enferment forcé dans une même sorte de noir absolu. Elle ferme les yeux, calme son début de tempête intérieure en soufflant.

« Je ne suis plus dans la bouteille…je ne suis plus dans la bouteille et toute proche de Nathan… »

- Est-ce que ça peut être l'œuvre d'un ardhi ? C'était eux les ouvriers en chef des plans de ton fils et de son équipe.
- Une forme aussi parfaite ne peut venir que d’eux. Et puis, cette pièce sent la magie djinn à plein nez. Ce qui veut dire que le mécanisme d’ouverture est complexe et excessivement bien caché.

Silviu s’avance dans la pièce et elle le suit mollement. Et puis tout va très vite. Ils sont enfermés et le prêtre se prend quelque chose dans le torse qui le met à terre, une sorte de … lance ?
- Silviu !
Ils sont tombés dans un foutu piège ! Les oreilles percées par des hurlements et des battements d’aile, Thalie grimace en sentant son avant-bras la brûler. Elle relève sa manche pour voir la marque que Ciulin a effectuée sur son bras lui cuir la peau. Bien que tout cela se passe en même temps, Thalie sait parfaitement où va sa priorité.

- C'est... un... Un stratagème d'Odin....Une.... Protection....
Agenouillée à ses côtés, elle n’a pas attendu pour essayer de refermer sa main autour de la lance et tenter de l’extraire. La marque la brûle d’autant plus mais elle est au moins capable de la toucher.
- Ne parle pas. Garde tes forces. J’ai compris.
Concentrée comme jamais, elle teste tout doucement la résistance de l’arme dans le corps de Silviu.
- Désolée… s’excuse-t-elle en le voyant souffrir. C’est terrible de voir à quel point sa souffrance lui fait physiquement mal à elle aussi.  
- Tu portes... la marque de son épouse..... Elle seule... peut....
- Je sais…arrête de parler Silviu, ordonne-t-elle avec inquiétude. J’emmerde Odin et j’emmerde sa femme. Foutus avatars ! Sers les dents je la retire à trois. Un…. Deux …

Bandant ses muscles et resserrant sa prise, elle ressort sans trop de difficulté la lance magique qui disparait sitôt ôtée du corps de l’humain. La douleur dans son bras est insupportable mais elle se concentre plutôt sur la plaie qui saigne abondamment. Elle tente d’en appeler à son eau qui reste terriblement silencieuse. Rien. C’est comme si elle avait perdu tout lien avec son eau et la panique la submerge totalement.

- Non…non, non, non !

La plaie est large, profonde et dégueule de sang épais. Rien de ce qu’ils ont dans leur kit de secours ne peut l’aider. Alors elle retire son sac puis son pull dont elle se sert pour faire un garrot qu’elle noue serré sur la blessure.

- Pardon… je suis obligée.
Elle enserre son visage blanc entre ses mains pleines de son sang et lui sourit faiblement.
- Ca va aller… je vais trouver le moyen de nous faire sortir de là… ? Ne t’endors pas ok ? Reste avec moi. Regarde-moi…

Sauf qu’elle n’a aucune idée de comment sortir de ce guet-apens. Quand bien même elle pourrait passer ce cercle, elle n’en serait pas bien plus avancée et refuse de le laisser seul.  

Une électricité mortifère parcoure ses muscles endoloris. La morsure de la lance intangible est pourtant bien concrète. Le sang s'écoule de son abdomen, abondant. Il sent son gout baigner son palais. Rester conscient malgré cette chappe de souffrance aigüe puise dans toute sa ressource.

- C'est... un... Un stratagème d'Odin....Une.... Protection....
- Ne parle pas. Garde tes forces. J’ai compris.
- N.. Non tu ne comprends... pas... Tu...

Il essaye de la repousser mollement alors qu'elle tente de retirer l'objet arcanique de ses entrailles perforées.

- Désolée…
- Tu portes... la marque de son épouse..... Elle seule... peut....
- Je sais…arrête de parler Silviu.

Elle ne sait pas, elle n'écoute pas, elle ne comprend pas.
Elle s'obstine.

- Quand tu .. m'auras.. entendu.... Rahat ! Grogne-t-il, en éructant une bave sanglante qui empoisse le blanc de sa barbe. Thalie.. la .. La marque...
- J’emmerde Odin et j’emmerde sa femme. Foutus avatars ! Sers les dents je la retire à trois. Un…. Deux …
- N.. Non! AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARGH!

L'arme divine lui arrache un hurlement d'agonie abominable. Sa pauvre carcasse est secouée de spasmes et se crispe, creusant ses muscles de tensions spectaculaires. L'arme divine s'évapore mais pas les dégâts qu'elle a causés. Le sang s'échappe à gros bouillons de la plaie, se rependant, épais, sur le sol. Silviu, livide, fixe Thalie d'un regard voilé.

- Non…non, non, non ! les suppliques de la maritin résonnent en écho, comme lointains
- Thalie... murmure-t-il faiblement. Apaise... Odin... dis... dis-lui.... Il perd le fil de sa phrase. Ses idées sont franchement floues. Il est difficile de les aligner. Envoyée... par Frigg.... Dis... lui.... Il grimace quand elle comprime la blessure.
- Pardon… je suis obligée.

Silviu ne comprend pas pourquoi elle s'excuse. Est-ce qu'elle a compris son erreur ? Est-ce qu'elle va enfin se servir de la protection de Frigg comme sésame pour désamorcer ce système d'alarme ? Elle a l'air si inquiète. Est-ce pour lui qu'elle est si désespéré ? Il ne faut pas, il ne vaut rien. Il n'aura été qu'une goutte d'eau dans l'océan de son existence. Elle est si belle, malgré son chagrin.

- Thalie... sourit-il sentant ses forces l'abandonner.
- Ca va aller… je vais trouver le moyen de nous faire sortir de là… ? Ne t’endors pas ok ?
- Tu ...es.... magnifique... Il a un sourire triste. J'aurais... voulu....... plus tôt....
- Reste avec moi. Regarde-moi…

Il ne fait que cela. Si il doit partir aujourd'hui, ce serait avec son merveilleux visage gravé sur les rétines. Il continue de sourire, avec la sérénité de ceux qui savent déjà que tout est fini, que le dernier voyage vers le giron de Mère-Nuit est arrivé.

"Odin, soit clément avec cette protégée de Frigg,
Une fille de la Nuit et de l'Eau
Elle n'est qu'une mère qui cherche son fils.
Ouvre-lui les portes de ton Valaskjálf,
Et permets-lui de le retrouver..."
Prie-t-il de tout son esprit, de toute son âme,
De tout ce coeur flétri qu'elle a rempli.

Incapable de rester conscient plus longtemps, il perd connaissance.

Soudain, le cercle s'emplie d'une lumière aveuglante. Thalie se sent brutalement aspirée en dehors d'elle même, exactement comme lorsqu'elle voyage d'un point d'eau à un autre. Ils ont été téléportés dans une salle bétonnée et se trouvent encerclés par des hommes armés, humains et non-humains, qui braquent leur canons sur eux. Moment de latence incongru. Une voix de jeune homme crachote brusquement dans leurs talkie-walkies d'un autre âge.

"C'EST MON ONCLE BANDE CONNARDS ! VOUS ATTENDEZ QU'Y CREVE ?!  (le reste de la transmission est un chapelet d'injures roumaines très condimentées vu le ton.)"

Aussitôt le comité d'accueil reprend ses esprits et réagit. On appelle une unité de soins par ici, un certain Poirot par là. On demande que faire de la femme. On ne sait pas. Deux homme s'approchent de Thalie pour la relever et l'écarter manu-militari du corps inanimé de Silviu Taur, leur allié.

Apaiser Odin ? Comment faire une chose pareille alors qu’elle a plutôt envie de lui éclater son dernier œil valide. Elle ne croit pas aux dieux, qu’elle considère comme des fraudes, encore moins aux avatars qui valent encore moins à ses yeux.
Thalie n’est pas une femme de foi mais de choses concrètes : ses lames, son eau, son instinct… Prier ne lui vient donc même pas à l’esprit.

- Thalie...
Le sourire que Silviu lui adresse lui tord le cœur et les entrailles. Elle l’a déjà vu ce quelques visages, dont celui de sa mère. C’est le masque de ceux qui sont déjà résolus à mourir.
- Je t’interdis Silviu ! Tu entends ? Ca va aller… je vais trouver le moyen de nous faire sortir de là… ? Ne t’endors pas ok ?
- Tu ...es.... magnifique... Elle se penche pour déposer un baiser sur son front. J'aurais... voulu....... plus tôt....
- Arrête, coasse-t-elle. Reste avec moi. Regarde-moi…

C’est bien ce qu’il fait et elle voit l’exact moment où il perd connaissance. Un sanglot lui échappe et ses paumes entourent son visage livide. En désespoir de cause, elle cherche et cherche son eau mais elle se trouve seule à nouveau. Seule face à la mort sans pouvoir rien faire. Elle en éprouve une douleur aigüe qui l’empêche de respirer.
Une petite voix pernicieuse lui souffle que de toute façon c’est le sort qui l’attendait d’ici un battement de cil pour elle. Cet horrible constat ne fait qu’ajouter à sa souffrance.

Et puis soudain, elle a une sensation de glissement qui lui est familier. Le temps d’un hoquet, ils sont transportés dans une autre pièce. Thalie ne prend même pas la peine de savoir où ils sont et qui les entourent. Son eau est à nouveau là, clapotante et réconfortante. Sans attendre, elle l’appelle, allumant ses tatouages et des bras d’eau paresseux les entourent et convergent vers le prêtre. Il respire, son cœur bat. Le soulagement la terrasse presque mais elle poursuit son œuvre, écoutant à peine les beuglements qui proviennent d’un haut-parleur. Elle stoppe l’hémorragie, referme les muscles pour que la vie cesse de s’écouler de son corps, mais les dégâts internes sont trop graves pour ses capacités et ses connaissances sur le sujet.

Le maintenir en vie, c’est tout ce qu’elle peut faire en attendant…
Mais on l’arrache brutalement à Silviu et elle doit batailler pour garder son eau active.  
- Lachez-moi ! Vous ne voyez pas que j’essaie de lui sauver la vie ! LACHEZ-MOI !
Son corps expulse un geyser qui écarte violement ceux qui la maintenait et elle revient aussitôt au chevet du prêtre, serrant sa main dans la sienne et refusant obstinément de la lâcher alors qu’on s’active à le mettre sur un brancard. Son eau revient bien plus mollement au moment où un homme à l’imposante carrure pénètre dans la pièce. Ses yeux balaient la scène et tombe sur le corps inanimé de Silviu. Son teint extrêmement pale devient plus blanc encore alors qu’il se téléporte presque vers le corps inconscient du prêtre.
- Rahat, Silviu !
Le vampire pose son front contre celui de de l’humain et Thalie a l’étrange impression de voir le même visage à différent stade de la vie.
- T’a pas intérêt à crever alors que tu viens d’arriver !

L’équipe médicale le rassure sur son état mais ajoute qu’il a besoin de soin immédiat. Thalie dévisage l’homme aux traits étrangement familiers alors que lui observe sa main qui tient toujours celle de Silviu.

- Lâchez-le. Ils doivent l’amener, demande-t-il calmement sur un timbre qui lui rappelle tellement celui de Silviu qu’elle en a les larmes aux yeux.
- Vous êtes…Bertus…son jumeau.

Cela lui parait évident maintenant et elle n’a pas besoin d’attendre son hochement de tête pour en être certaine. Elle finit par lâcher la main de Silviu et fait mine de le suivre mais Bertus l’arrête d’un geste sur son bras en plissant les yeux.

- Qui êtes-vous ? Et pourquoi vous me ramenez mon frère à moitié mort ?
Couverte de sang et vu la situation, Thalie comprend qu’elle n’a pas le beau rôle. Biens qu’épuisée, elle déglutit et tente d’expliquer.
- Je suis… une amie de Silviu. Thalie. Je…
Elle a bien du mal à réaliser tout ce qui vient de se passer.
- Je voulais rejoindre les bunkers et il m’a accompagnée.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas…il faudra lui demander si…
S’il s’en sort. Elle s’en voudra toute sa vie s’il meurt à cause d’elle. Ses retrouvailles ne valaient pas la vie d’un tel homme.
- Non pourquoi venir ici.
- Je suis… à la recherche de quelqu’un. Epuisée, déshydratée, elle est obligée de s’appuyer contre le mur. De mon fils.  

L'équipe de réanimation du Docteur Maintenon est extraordinairement réactive. Ils sont déjà sur place avec Josie King, l'ancienne chef urgentiste du Mab's Crown Hospital.

- Lâchez-moi ! Vous ne voyez pas que j’essaie de lui sauver la vie ! LACHEZ-MOI !
- Mademoiselle, rétorque sobrement Ebène sans s'émouvoir des réactions violentes de la djinn. Laissez-nous prendre le relais. Merci.

Un djinn en blouse blanche est déjà à l'œuvre et repousse doucement l'eau de Thalie pour pouvoir maintenir lui même les constantes de Silviu.

- Rahat, Silviu ! T’a pas intérêt à crever alors que tu viens d’arriver !
- Mademoiselle... coupe Ebène de son ton monocorde. Laissez-nous travailler. Le médecin glisse un regard vers Bertus qui signifie en substance "Aide-moi à désolidariser cette moule de ton frère, elle me gêne."
- Lâchez-le. Ils doivent l’amener.
- Vous êtes…Bertus…son jumeau.

Désencombré de l'attache parasite de Thalie, Ebène et ses gars embarquent le corps de Silviu manu militari. Le pronostic vital du patient est clairement engagé si on en croit les ordres donnés qui fusent dans le couloir. Seule Josie est restée.

- Qui êtes-vous ? Et pourquoi vous me ramenez mon frère à moitié mort ?
- Wow 'Tutus! Mets-y les formes, tu veux bien ? Tu vois pas qu'elle est sous le choc ?! Excusez-le. Je suis Josie, je vais m'occuper de vous. Nous avons besoin de connaitre votre identité par mesure de sécurité, vous comprenez, fait l'humaine avec plus de douceur.
- Je suis… une amie de Silviu. Thalie.
- Thalie comment ?
- Je…
- Prenez votre temps ma belle...
- Je voulais rejoindre les bunkers et il m’a accompagnée.
- Pourquoi ?
Josie fusille Bertus du regard.
- Je ne sais pas…il faudra lui demander si…
- Non pourquoi venir ici.
- Je suis… à la recherche de quelqu’un. De mon fils.
- Bon, merde... ça suffit l'interrogatoire ! Je vais l'examiner, elle a l'air complétement vidée. Josie apostrophe  quelques homme de la sécurité. Hey les troufions, là! Trouvez-moi de l'eau ! En quantité ! ...Mais bougez-vous les miches enfin ! Vous attendez qu'elle se transforme en pruneau ?
- Docteur King, on ne peut pas la laissez sans surveillance. C'est contre le protocole mis en place par...
- J'emmerde votre protocole à la con ! Josie s'approche de Thalie et lui prend les mains avec une bienveillance naturelle chez elle. Vous permettez que je vous ausculte ? Vous êtes une maritin c'est ça ? Vous avez perdu pas mal d'eau j'ai l'impression. Quand avez-vous bu la dernière fois ?

Sur ces entrefaites, apparait Hyppolite qui se fait sévèrement tancer sur son talki. Cristian lui tient visiblement le crachoir aussi remonté que précédemment. Le dialogue se fait en roumain et Bertus est à même de comprendre que son neveu autiste est en pleine crise. Son "meltdown" est si fort qu'il n'arrive pas à redescendre. Il hurle et semble donner des coups dans quelque choses. Aussi calme que possible, le vampire essaie de gérer l'explosion à distance jusqu'à ce qu'une voix masculine différente succède aux vocifération de Cristian.

"Je m'occupe de lui, je sais comment m'y prendre. Ca va aller."
- Merci Nathan... Le vampire coupe la communication et pousse un soupire muet car dépourvu de souffle tout en se massant l'arrête du nez. Il se tourne vers les âmes présentes dans la pièce... A nous. Il fixe son regard stoïque sur Thalie. Notre Vigie est dans l'incapacité de me transmettre quoi que ce soit sur votre compte. Il faut dire que débarquez en passant au travers de notre système de sécurité pourtant sophistiqué avec le quasi-cadavre d'un membre de sa famille, ce qui, convenant-en, ne lui a pas permis de travailler avec son efficacité habituelle. Donc, nous opérerons à l'ancienne : veuillez décliner votre nom, votre prénom, faire état de vos liens précis avec Silviu Taur et sa famille et spécifier le pourquoi de votre présence ici et surtout le comment vous avez pu nous trouver. Si vous tentez de mentir je saurais le déceler.
- Mais sérieusement, les vamp'!!! tempête soudain Josie, estomaquée. C'est quoi votre problème ? Votre empathie est morte avec vous ou bien ? Vous ne voyez pas que cette femme souffre ? Je connais pas ses rapports exact avec votre gus, mais de toute évidence elle tient suffisamment à lui pour être effondrée par son état de santé ! Vous pourriez y aller mollo pour une fois ? C'est trop vous demander ?

Un peu hors du temps et de son corps, Thalie scrute tous ces visages inconnus. Malgré le bruit et l’agitation, une chappe de solitude s’écrase sur ses épaules. Les choses ne devaient pas se passer ainsi et privée de la présence et du soutien de Silviu, elle se referme comme une huitre à l’écoute de son eau réduite à peau de chagrin. C’est un contact chaud qui la ramène à la réalité.
Les mains d’une femme se sont refermées sur les siennes et crève sa bulle. La prise est ferme, la djinn tente de s’y soustraire mais abandonne finalement. Après tout, elle est l’unique personne dans cette pièce qui semble être amicale et moins méfiante que les autres.  

- Vous permettez que je vous ausculte ? Vous êtes une maritin c'est ça ?
- Je n’ai pas besoin d’être auscultée. Je vais bien, affirme-t-elle malgré la sècheresse de tout son être.
- Vous avez perdu pas mal d'eau j'ai l'impression.
- J’ai essayé… de l’aider.
- Quand avez-vous bu la dernière fois ?
- Je ne sais plus… le temps s’écoule différemment dans l’obscurité.

Un autre vampire entre et son talkie-walkie crachote du roumain sur tous les tons ce qui semble faire tiquer Bertus qui la dévisage depuis l’intervention de Josie.
- Le gosse est pas bien. Je vais y aller.
Puis une autre voix, plus calme et au léger accent qu’elle reconnait entre mille parle. Tout le corps de Thalie se tend vers cette voix et instinctivement, elle sait.

- Merci Nathan...

Elle émet une sorte de rire qui se finit en sanglot et ferme un instant les yeux.
Elle y est arrivée. Elle est au bout de sa quête. Son fils est vraiment là… dans ces bunkers, à portée d’onde. C'est sa voix qu'elle entend pour la première fois. Une vague tumultueuse d'émotions la submerge.
Mais à quel prix paie-t-elle se bonheur ?
« Pas celui de la vie de Silviu… pitié. »

- A nous.
La froideur du vampire lui permet au moins de reprendre ses esprits. Elle accepte la bouteille qu’on lui tend et boit avec avidité tout en ne quittant pas le nouvel arrivant des yeux. S’en suit une longue tirade sur ce qu’il attend d’elle pour, elle espère, n’être plus vue comme une ennemie. Les protestations de l’infirmière lui laisse le temps de finir la bouteille et d’utiliser une deuxième sur son visage et ses mains. Se sentant un peu plus vaillante, elle se redresse, prend une profonde inspiration apaisante. Un coup d’œil vers le sol où s’étale encore une mare de sang lui rappelle l’état de Silviu et elle détourne aussitôt le regard vers l’infirmière.

- Merci. Ca va aller. Puis elle pivote vers les deux vampires qui attendent manifestement des réponses. Je suis Thalie Busset, une maritin. Je suis arrivée à Tir Na Nog par les voies maritimes en traversant la tempête, il y a deux semaines. Votre frère m’a repêchée et m’a aidée à comprendre ce qu’il se passait et où était mon fils. Ici donc.
- Ca n’explique pas pourquoi il vous a suivi dans cet enfer.
Elle hausse des épaules impuissantes.
- Il trouve ma quête juste… voilà tout.
Le jumeau Taur la dévisage avant d’avoir un mince sourire.
- Ouais… ça lui ressemble bien.
- Nous avons préparés notre traversée, demandé de l’aide à Ciulin dont je porte la marque, enfin celle de Frigg et nous sommes partis tôt ce matin.  
- Quoi ? C’est quoi ce bordel ? Ciulin c’est Frigg maintenant ? Iel va bien ?
- Du peu que j’ai pu en juger oui. Nous avons dû faire face à des illusions puis aux Hurlants qui grouillent près du centre commercial. Alors nous sommes descendus dans les égouts et avons suivi votre jeu de piste. Nous avons fini pris au piège et… et Silviu a été blessé…
- Donc…vous avez traversé une tempête, un brouillard rempli de saleté et vous êtes venue vous enfermer ici pour retrouver votre enfant ?
Elle hoche simplement la tête.
- On m’a éloigné de lui pendant plus de vingt ans… je…j’avais besoin de le rencontrer.
Bertus l’observe avec attention, puis son regard va du talkie à la djinn et son visage s’éclaire soudain d’une réalisation.
- Votre fils… c’est le gamin là… Nathan.
A nouveau, elle hoche la tête, le visage plissé par l’émotion.
- Il ne sait pas que je suis en vie.  

La réaction de Thalie fait tirer des conclusions bien différentes d'un spectateur à l'autre : Hyppolite trouve cette démonstration d'hystérie aussitôt suspecte, Josie craint le craquage émotionnel et nerveux. Néanmoins, Thalie parvient à leur tenir un discours cohérent.

- Donc…vous avez traversé une tempête, un brouillard rempli de saleté et vous êtes venue vous enfermer ici pour retrouver votre enfant ?
- C'est effectivement une quête très noble, fait Josie, émue par la démarche en, frottant le dos de Thalie. En plus, de ce que j'ai cru comprendre, Les djinns ont un taux de natalité inversement proportionnel à leur longévité. Cet unique garçon est votre petit miracle...
- Des maritins d'une vingtaine d'année, ils n'yen pas beaucoup dans les bunkers. ils sont plutôt à Tae'alam, marmonne Hyppolite, en plein raisonnement déductif. A ma connaissance, il n'y en a...

Il écarquille les yeux en la fixant, avec une expression de sidération. Dans la seconde qui suit Bertus exprime oralement son épiphanie.

- Votre fils… c’est le gamin là… Nathan.
- Le gentil ingénieur ? C'est votre garçon ? s'enquiert Josie. C'est formidable ! Vous allez voir, c'est un garçon épatant ! ajoute-t-elle joyeusement. Et beau comme un coeur en plus ! Une crème d'ange ! La dernière fois, il...
- Cessez vos babillages Docteur King, coupe sèchement Hyppolite. Nous n'avons aucun moyen de savoir si ce que cette femme dit est vrai. Tant que nous n'aurons pas la confirmation de son identité, elle ne sera pas mise en présence de qui que ce soit. Elle sera confinée en cellule. Faites-lui une prise de sang, s'il vous plait.
- Attendez, Poirot !  Je vous trouve extrêmement dur ! Vous avez entendu comme moi par quelle galère elle est passée. Bertus a qualifié ça d'Enfer ! Vous pourriez faire preuve de souplesse ...
- Je ne fais que mon travail.  Cette femme a eu vingt ans pour sortir de l'anonymat et arrive opportunément en pleine Apocalypse dans un lieu tenu secret. Permettez-moi de rester prudent. Si elle a réussi à berner un Taur, alors ce peut-être une redoutable manipulatrice
- Arrêtez de parler comme si elle n'était pas là ! De toute façon, je ne pratiquerais aucun examen sans votre accord Thalie... Et en plus, mon matériel est à l'infirmerie. Vous voulez m'accompagner pour être au chevet de votre ami Silviu ?

Visiblement, l'humaine n'a aucun mal à tenir tête à deux vampires détenant une apparente autorité. Les seuls autorités compétentes à ses yeux sont son bon sens, son grand coeur et sa capacité de discernement.

Les dires du docteur la font sourire tendrement.
- Je sais.
- Cessez vos babillages Docteur King. La voix du vampire n’en parait que plus froide et sans émotion à côté de l’empathie du docteur. Nous n'avons aucun moyen de savoir si ce que cette femme dit est vrai.
- Pourquoi mentirais-je ?
- Elle a pas tort… note Bertus. Je l’ai jamais vu parmi les Hurlants et je vois pas bien pourquoi elle viendrait ici seule.
- Tant que nous n'aurons pas la confirmation de son identité, elle ne sera pas mise en présence de qui que ce soit. Elle sera confinée en cellule.
Thalie écarquille les yeux et un début de panique la prend.
- Non… je vous en prie ne m’enfermez pas… pas encore. Je ferai ce que vous voulez mais pas ça…
- Faites-lui une prise de sang, s'il vous plait.
- C’est ridicule…Mettez-moi en présence de mon fils. Mon eau est la sienne… il me reconnaitra ! plaide-t-elle.  Enfin elle l’espère… qui sait ce que tant de temps de séparation aura pu faire sur leur lien.
- Attendez, Poirot !  Je vous trouve extrêmement dur ! Vous avez entendu comme moi par quelle galère elle est passée. Bertus a qualifié ça d'Enfer ! Vous pourriez faire preuve de souplesse …
- Je ne fais que mon travail. Thalie sert les poings et les dents. Cette femme a eu vingt ans pour sortir de l'anonymat et arrive opportunément en pleine Apocalypse dans un lieu tenu secret.
Elle émet un rire brisé.
- Parce que vous pensez que tout cela a été voulu ?
- Permettez-moi de rester prudent.

Elle déglutit pour ravaler son angoisse, sa déception et sa panique à l’idée d’être enfermée à nouveau. Mais elle n’a aucun argument à avancer pour sa cause. Aucun que ce vampire entendra.

- Si elle a réussi à berner un Taur, alors ce peut-être une redoutable manipulatrice.
- Hey ! Intervient Bertus. Je comprends que tu te montres prudent mais accorde un peu de crédit à mon frère tu veux ? On berne pas un Taur aussi facilement et on a de l’instinct. Si Silviu lui fait confiance, moi aussi. Point barre.
- Arrêtez de parler comme si elle n'était pas là ! De toute façon, je ne pratiquerais aucun examen sans votre accord Thalie...
Celle-ci relève sa manche, les yeux braqués sur l’inflexible vampire et tend son bras au docteur.
- Finissons-en alors.
- Et en plus, mon matériel est à l'infirmerie. Vous voulez m'accompagner pour être au chevet de votre ami Silviu ?
Une immense fatigue aussi bien physique qu’émotionnelle prend la djinn qui se masse les tempes. A-t-elle seulement le choix de quoique ce soit ? Au moins elle sera auprès de Silviu…
- D’accord.

Bertus s’approche d’elle, l’air moins méfiant, presque amical à vrai dire et se gratte la gorge.
- Ca serait bien…que vous me confiez vos armes. S’il vous plait. Ca rendrait notre ami le frigide du cœur moins tendu.
Thalie baisse les yeux sur ses longs poignards puis lentement, défait son harnais.
- Prenez-en soin… elles ont presque 400 ans, c’est un héritage familial.
- Promisiune. Je vous accompagne Josie. C’est ok pour toi Hyppolite ? Par contre, oublie cette histoire de cellule. S’il le faut je lui colle au train jusqu’à ce que tu sois rassuré mais c’est pas comme ça qu’on traite une amie des Taur. Et tu peux me regarder comme ça si ça te chante, j'en démordrais pas.

Thalie les suit, adressant un discret sourire de remerciement à Bertus et au docteur King, voyant bien qu’ils sont les seuls alliés qu’elle trouvera ici jusqu’au réveil de Silviu. Elle ne sait même pas combien de temps leur prend la traverser des couloirs. Elle avale les mètres sans y prêter attention. Ce qui est certain c’est que leur petit groupe attire l’attention, surtout elle, toujours couverte de sang. Une fois à l’infirmerie elle offre son bras au docteur King.

- Merci…pour votre gentillesse à tous les deux. Combien de temps mettra l’examen de mon sang ?
Une fois la prise de sang faite, elle se relève trop vite et chancelle un peu et retombe sur le siège.
Bertus se matérialise aussitôt à ses côtés.
- Hey doucement. Vous feriez peut-être mieux de rester un peu assise…
Résolument elle se relève et s’accroche au bras solide du vampire.
- Non. J’ai besoin de savoir que Silviu va vivre et de voir mon fils. Dans cet ordre.
Elle fronce les sourcils et affronte le regard de Bertus, l’air déterminée et celui-ci soupire avec une petit plissement de regard.
- Ok, ok…Je comprends. Josie chérie ? Tu peux nous rencarder sur son état et où il est ? Reviens avec des bonnes nouvelles...s'il te plait.
Il a l'air soudain aussi inquiet qu'elle et se passe une main dans les cheveux.

- C’est ok pour toi Hyppolite ? Par contre, oublie cette histoire de cellule. S’il le faut je lui colle au train jusqu’à ce que tu sois rassuré mais c’est pas comme ça qu’on traite une amie des Taur. Et tu peux me regarder comme ça si ça te chante, j'en démordrais pas.

Hyppolite lève les yeux aux ciel.

- Très bien. Elle est sous ta responsabilité. Si ça se passe mal parce que ton instinct et la trop grande empathie du Docteur King vous ont fourvoyé, vous irez tous les deux en cellule. Avec elle.

Dans le couloir, Josie prononce quelques mots en créole qui ont tout l'air d'insultes.

- Désolée, ma jolie. Il est pas méchant, hein, juste horriblement procédurier. C'est un p'tit vieux tatillon. Une fois qu'on lui assouplit un peu la carne il est moins con. Enfin si j'en crois sa donzelle. T'en fais pas! Tu es le bienvenue chez nous, ok ?
- Merci…pour votre gentillesse à tous les deux. Combien de temps mettra l’examen de mon sang ?
- T'es la première djinn que je piquouse, faut que je vois avec un collègue maritin pour estimer l'truc. Mais ça devrait pas être bien long.

Thalie ne prête pas attention au décor, ni à l'agitation du mess, ni à la quiétude des lits d'hôpitaux alignés et parfois remplis. Josie les emmène dans son minuscule cabinet de consultation qu'elle se partage parfois avec Ariane. Elle effectue la prise de sang avec une expertise toute en délicatesse.

- Et voilà ma toute belle. Tu ferais mieux de boire un peu avant de te...

Trop tard, elle se lève et vacille.

- Hey doucement. Vous feriez peut-être mieux de rester un peu assise…
- Non. J’ai besoin de savoir que Silviu va vivre et de voir mon fils. Dans cet ordre.

Bertus et Josie échange un regard. Le docteur a une peine certaine pour cette femme qui a gagné la possibilité de retrouver son enfant au prix élevé de la perte probable d'un ami.

- Ok, ok…Je comprends. Josie chérie ? Tu peux nous rencarder sur son état et où il est ?
- Pas de soucis mes choux. Restez là, et veille à ce que miss s'hydrate et mange un bout, ok ? J'ai des fruits dans mon tiroir.

Elle se dirige vers la porte.

- Reviens avec des bonnes nouvelles...s'il te plait.

Josie se contente de sourire, mais n'offre aucune réponse à cette doléance. C'est une promesse qu'elle ne peut pas tenir. Une quinzaine de minutes plus tard, elle revient en compagnie d'Ebène et de Solveig, leur confrère djinn. C'est ce dernier qui prend la parole.

- Bonsoir, je suis le Dr. Boström. Je viens vous annoncer que votre frère est sorti d'affaire. Son pronostic vital était engagé : il avait perdu beaucoup de sang, sa rate avait explosé, un rein était perforé et les organes connexes étaient sérieusement endommagés. Il se tourne vers Thalie. Sans vos premiers soins, nous l'aurions sans doute perdu. Merci de l'avoir maintenu en état jusqu'à notre arrivée. J'ai pu remplacer les tissus les plus endommagés et le Docteur Maintenon, qui est un excellent chirurgien, s'est occupé de suturer les hémorragies internes. Quand j'aurais récupéré un peu d'énergie, je viendrais cicatriser complétement le reste de ses blessures. En attendant il est sous perfusion. Il ne démérite pas à la réputation du clan Taur. Il faut une sacrée constitution pour arriver à survivre au supplice d'Odin. Il demeure encore inconscient mais vous pouvez le voir si vous voulez.

Thalie n’attend même pas la fin de la phrase de son congénère, murmure un merci avant de filer là d’où ils viennent. Elle dévale l’allée entre les lits et repère un grand paravent dans le fond qu’elle finit par dépasser. Elle se fige en apercevant Silviu, blanc comme un linge sur ce lit tout aussi blanc et entouré de machines. Pour la première fois il lui apparait comme il est.

Un homme âgé, fragile et vulnérable.
Non pas tant que cela. Il a survécu.

Son cœur se pince néanmoins si fort qu’elle pose une main tout contre avant d’investir le petit chaise à côté de lui. Elle glisse sa main dans la sienne qui git inanimée et en baise le dos, les larmes aux yeux.
- Je suis désolée… tellement désolée Silviu.
Un raclement de gorge peu discret lui apprend la présence de Bertus et elle se redresse aussitôt. Le vampire lève une main apaisante.
- Non, bougez pas. Je vais te tutoyer si ça t’embête pas.
- Ca ne m’embête pas, répond Thalie en tournant à nouveau la tête vers le visage inerte de l’humain.
Bertus glisse une fesse sur le matelas de l’autre côté du lit et dépose un baiser sur le front de son jumeau avec un petit sourire.
- J’en profite parce qu’il m’aurait jamais laissé faire ça s’il était réveillé. Il est pas fana des démonstrations émotives.
- Je sais…
Il lui décoche un coup d’œil.
- T’as l’air de bien le connaitre.
- Nous avons passé deux semaines ensemble. Il a été un soutien fondamental depuis que je me suis échouée ici.  
Bertus garde le silence un instant et Thalie observe les deux frères avec une certaine fascination.
- Tu lui as sauvé la vie. J’ai une dette envers toi.
Elle émet une sorte de rire étranglé.
- Tu plaisantes ? C’est de ma faute s’il est là dans cet état.
- Non. C’est grâce à toi qu’il est toujours là. C’est pas pareil. J’ai bien saisi que tu voulais pas prendre de repos mais ça serait bien que tu prennes une douche au moins. Pour ton métabolisme d’une part et puis parce que tu pues le sang séché. Vois avec Josie, elle te conduira vite fait aux douches.

Thalie pense d’abord protester mais un coup d’œil sur son corps lui apprend qu’elle est dans un état déplorable. Une douche lui ferait effectivement du bien.

Elle se laisse donc guider par une Josie volubile lorsqu’elle lui a demandé de lui parler de Nathan. Une fois sous l’eau, elle pousse un soupir de soulagement et essayer de retirer toute la tension de son corps avec la saleté. Peine perdue. Elle boit tout son saoul et reste quelques minutes à savoure les gouttes sur sa peau. Josie lui a préparer de nouveaux vêtements, un legging et un pull deux fois trop grand pour elle, mais elle les accueille avec un sourire et s’empresse de regagner l’infirmerie où elle entend des cris agités. Craignant le pire, elle se précipite à l’intérieur pour découvrir un jeune homme manifestement en proie à de violentes émotions maintenu par Bertus. Comme ils parlent roumain tous les deux, il n’est pas difficile de savoir qui il est. Thalie s’approche et pose simplement une main sur le bras du neveu de Silviu.

- Cristian c’est ça ? Je suis désolée pour ton oncle mais ça va aller.
Tout en lui parlant doucement et calmement Bertus l’entraine vers la sortie et glisse à demi-mots à la djinn qu’il va rester un peu avec son neveu et qu’il repassera plus tard.  
Laissée seule avec Silviu, Thalie s’approche et s’assoit à la même place.
- Nous ne sommes plus que tous les deux… mais on a réussi. Nathan est là… j’ai entendu sa voix. Ils refusent encore que je le vois mais je vais patienter avec toi si tu veux bien.
La fatigue la rattrape à son tour et après avoir tergiversé un instant, elle se coule contre le corps de Silviu et se blottit contre son flanc sans déranger ses perfusions, noyant ses doigts aux siens.
- Ne meurs pas Silviu… jamais… ça me rendrait trop triste. Ta famille aussi. Je sais que tu as cru que c’était la fin et que tu l’avais accepté. Saches que je n’y arriverai pas moi. Je ne pourrais pas l’accepter…Sa voix se fait de plus en plus pâteuse. Dors bien, gentil cœur. Je ne sais pas si ta Mère-Nuit veille sur toi mais moi je suis là…
Sur ses mots, elle s’endort, la main posée sur le cœur de Silviu qu’elle sent battre avec force contre sa paume.

Thalie perçoit vaguement que l’on bouge à côté d’elle mais, encore fatiguée par les événements, elle se refuse à s’éveiller totalement. Elle pousse un soupir qui pourrait s’interpréter aussi bien comme une marque de bien-être que comme du mécontentement d’être dérangée. Elle murmure des paroles inintelligibles dans sa langue maternelle et tente de retrouver une position plus confortable pour replonger dans le sommeil.
C’est qu’elle est bien, au chaud et en sécurité, du moins c’est ce que son cerveau lui dicte.

Elle ne voit pas un certain vampire se figer devant la scène qui s’offre à lui, ni sourire de toutes ses dents, portant dans sa main un plateau avec un petit déjeuner.
- Te dérange pas pour moi frate… je rêve ou tu viens de lui sniffer les cheveux ?

A qui appartient donc cette voix ? Et à qui parle-t-elle ? C’est franchement irritant d’être obligé de se réveiller pour comprendre.
C’est alors qu’elle se rappelle tout ce qu’il s’est passé la veille. Elle ouvre brusquement les yeux en se redressant sur un coude et en faisant aussi attention que possible pour constater que Silviu est réveillé, quand bien même il a une mine de papier mâché. Elle pose sa paume contre sa joue et un sourire lumineux éclaire ses traits encore un peu tirés.

- Tu es réveillé !
Son timbre camoufle mal le soulagement et la joie qui l’inonde soudain. Elle aimerait le serrer contre elle mais à peur de lui faire mal, alors elle s’abstient. Et puis elle se rend compte qu’elle est couchée contre lui et que Bertus les contemple avec un air goguenard.
Thalie s’éloigne par pudeur et reprend sa place sur la chaise. D’une part elle n’a aucune idée de comment qualifier la relation qu’elle a avec le prêtre et d’autre part aucune envie de l’étaler devant sa famille. C’est une affaire qui ne concerne qu’elle et Silviu.
- Comment te sens-tu ? demande-t-elle doucement, un sourire plein de tendresse sur les lèvres. Je suis tellement désolée pour ce qui t’es arrivé…
- P’tit déjeuner pour toi,fais Bertus en posant le plateau à l’intention de la djinn sur la petite table à côté du lit.
- Merci Bertus.
Le vampire vient ensuite claquer un baiser sonore sur la joue de son frère.
- Je suis tellement content de te voir ! Tu m’as foutu une trouille… Recommence jamais ça ! Sans ta copine là, t’y passais espèce de couillon… Thalie détourne le regard, se sentant plus coupable qu’autre chose. Qu’est-ce qui t’as pris de te laisser entrainer dans ce bordel ?
- Des nouvelles de…intervient Thalie avec un vague mouvement de la main, l’autre vampire à l’air constipée ?
- Hyppo ? Non, pas vu ce matin. Je suis resté avec Cristian, il a fait une méga crise hier soir. Il grimace en tirant une autre chaise dans leur coin. Ecoute, j’aimerais vraiment te mener jusqu’à ton fils mais je peux pas aller plus loin à l’encontre de ses ordres. C’est le chef de la sécu et même moi je me vois mal défier son autorité. Faut qu’on présente un front uni, c’est déjà assez tendu comme ça. C'est qu'une question de temps...
- Il voulait me mettre en cellule jusqu’à être certain que je ne mens pas. Il craignait que je ne t'aie manipuler ou quelque chose comme ça, explique Thalie au blessé. Ton frère s’y est opposé et est sensé me surveiller.
- Oups... c'était ça que je devais faire ? Il a pas été très clair.
- J’ai fait une prise de sang pour qu’il le compare à celui de Nathan. J’espère obtenir l’autorisation de le voir…
Rien qu’à prononcer ces mots sa fébrilité gagne un cran mais elle sourit à Silviu en plantant son regard dans le sien.  
- On a réussi… je vais le rencontrer… enfin je crois ! Et sans toi, je sais que j'y serais pas parvenue…

Les baragouinements de Thalie font sourire bêtement Silviu. Il ne se lasse pas de constater que malgré ses trois cents ans bien tassés, elle a encore des comportements de chaton adorable. Elle détesterait certainement qu'il le lui dise, néanmoins, il trouve cela irrésistiblement mignon.
Néanmoins, sont sourire s'étiole en voyant celui, goguenard de son frère. Il les regarde avec cette insupportable expression pleine de sous-entendus, la même qu'il arborait chaque fois qu'une fille avait le malheur de s'approcher un peu trop près de lui.

- Te dérange pas pour moi frate…
- Parle moins fort, coasse-t-il faiblement. Tu vas la réveiller...
- Je rêve ou tu viens de lui sniffer les cheveux ?
- Je ne vois pas de quoi tu veux parler.

Thalie remue et se tend soudain comme sur ressort. Sa tête échevelée et son minois ensommeillé emplissent son champ de vision (Mère-nuit, même les joues marquées par le froissement des draps, elle est magnifique.)

- Tu es réveillé !
- Il semblerait... sa voix est toujours croassante, mais son sourire, très doux, en dilue les sonorités cassantes.
- Comment te sens-tu ?
- J'ai connu mieux. Mais je suis en vie et pas dans un état catatonique... donc on va dire que c'est pas si mal. J'ai la gorge sèche...remarque-t-il après avoir formulé sa réponse.
- Je suis tellement désolée pour ce qui t’est arrivé…
- Pourquoi ? Ce n'est pas de ta faute, tu sais...

Oubliant quelques secondes la présence de Bertus, il range tendrement une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille. Son jumeau se rapelle sobrement à lui.

- P’tit déjeuner pour toi.
- Merci Bertus.

Le vampire claque un bécot qui fait grimacer son frère.

- Je suis tellement content de te voir ! Tu m’as foutu une trouille… Recommence jamais ça !
- Je ne peux pas te le promettre. C'est l'Apocalypse, Bertus...
- Sans ta copine là, t’y passais espèce de couillon…
- Un peu de respect pour Thalie, veux-tu ?
- Qu’est-ce qui t’as pris de te laisser entrainer dans ce bordel ?
- Rahat ! Je suis majeur et vacciné, et je fais encore ce que je veux de mon cul, s'agace-t-il.

Cependant, s'agiter n'est pas une très bonne idée. Il a l'impression de craquer de partout comme un vieux navire.

- Des nouvelles de… l’autre vampire à l’air constipée ?
- Hyppo ? Non, pas vu ce matin.
- Qui est-ce ?
- Je suis resté avec Cristian, il a fait une méga crise hier soir.
- A cause de moi ? s'enquiert le vieil homme la mine soudain grave. Comment va-t-il ?
- Ecoute, j’aimerais vraiment te mener jusqu’à ton fils mais je peux pas aller plus loin à l’encontre de ses ordres. C’est le chef de la sécu et même moi je me vois mal défier son autorité. Faut qu’on présente un front uni, c’est déjà assez tendu comme ça. C'est qu'une question de temps...
- Est-ce qu'on peut m'expliquer à la fin ?

Thalie y consent.

- Il voulait me mettre en cellule jusqu’à être certain que je ne mens pas. Il craignait que je ne t'aie manipulé ou quelque chose comme ça. Ton frère s’y est opposé et est sensé me surveiller.
- Oups... c'était ça que je devais faire ? Il a pas été très clair.
- Merci d'avoir pris soin d'elle pendant mon roupillon. Silviu se redresse tant bien que mal en position assise. Tu as pu voir ton fils ?
- J’ai fait une prise de sang pour qu’il le compare à celui de Nathan. J’espère obtenir l’autorisation de le voir…
- Je vois. Il pause sa main sur celle de la djinn. Ce n'est qu'une question de temps. Je ne peux pas en vouloir à ce "Hyppo" d'être méfiant. Si j'avais pour charge de préserver la sécurité de ce refuge, j'aurais sans doute agis avec les mêmes réticences.
- On a réussi… je vais le rencontrer… enfin je crois ! Et sans toi, je sais que j'y serais pas parvenue…
- Je suis très heureux pour toi, Thalie. Vraiment très heureux.

Et un peu triste aussi, son utilité touche à sa fin. Elle n'a plus besoin de lui et leur rapprochement se délitera sans doute avec le temps.

Le rideau du paravent s'ouvre, laissant voir la mine réjouie de Josie.

- Silviu Taur ! Vous avez ouvert l'oeil ! Formidable! Vous lui avez causé du tracas à votre chérie hier soir.
- Ce .. Ce n'est pas... essaie-t-il de formuler aussi gêné que confus. Malgré la pâleur et les cernes , il parvient à rosir.
- Ahahah ! Vous en faites pas, Joli coeur ! Elle donne une tape sur l'épaule de Bertus. C'est fou que vous soyez jumeaux tout de même ! Ah ! j'ai oublié de me présenter : Docteur Josie King ! Solveig va passer vous voir ce matin pour finir de vous rafistoler. Elle se tourne vers Thalie avec une mine de conspiratrice. Ma belle, tu ne devineras jamais ce que j'ai magouillé pour toi... Nathan doit venir faire sa prise de sang dans vingt minutes, dans mon cabinet. Je saiiiis que Poirot va en en chier des bulles carrées, mais si tu veux entrevoir en scred ton fiston pour de vrai, c'est le moment ou jamais !