- Merci d'avoir pris soin d'elle pendant mon roupillon.
Bertus lui lance un clin d’œil.
- Normal. T’aurais fait la même.
Lorsque Silviu montre des velléités de bouger, Thalie l’aide en claquant de la langue, l’air sévère.
- Rester tranquille pour te remettre d’une presque mort, c’est au-dessus de tes forces ? le réprimande-t-elle avec dans la voix des relents de l’inquiétude qui l’a rongée depuis sa blessure. Elle ne remarque pas que Bertus se pince les lèvres pour ne pas rire.
- Vous êtes trop mignons…
Thalie le fusille du regard puis tend sa bouteille d’eau à Silviu. Elle commence à bien saisir la véritable dichotomie de caractère entre les jumeaux.
- Tu as pu voir ton fils ?
Thalie soupire lourdement.
- Non pas encore… c’est hors de question pour le chef de la sécurité. J’ai fait une prise de sang pour qu’il le compare à celui de Nathan. J’espère obtenir l’autorisation de le voir…
- Je vois. Ce n'est qu'une question de temps. Je ne peux pas en vouloir à ce "Hyppo" d'être méfiant.
- Hyppolite Poirot, précise Bertus en croisant ses longues jambes. T’avises pas de l’appeler Hyppo si tu veux rester en vie. Moi je peux parce que je suis déjà mort.
- Si j'avais pour charge de préserver la sécurité de ce refuge, j'aurais sans doute agis avec les mêmes réticences.
Thalie pince les lèvres.
- Je sais oui… mais il y avait d’autres moyens bien plus rapides pour confirmer mon identité. Nathan saurait me reconnaitre… en théorie. C’est juste… terriblement frustrant de l’avoir tout proche et de se voir encore interdire sa présence. Mais…on a réussi… je vais le rencontrer… enfin je crois ! Et sans toi, je sais que je n’y serais pas parvenue…
Elle resserre ses doigts sur ceux de Silviu avec force.
- Je suis très heureux pour toi, Thalie. Vraiment très heureux.

La djinn, habituée à ses inflexions de timbre, y perçoit une tristesse qu’elle ne s’explique pas et lui sourit simplement.
L’amicale et joviale Josie s’invite soudain dans le coin tranquille et Thalie lui lâche la main pour lui laisser de la place pendant qu’elle vérifie ses constantes. Debout au pied du lit, elle croque distraitement sa pomme.

- Silviu Taur ! Vous avez ouvert l'oeil ! Formidable ! Vous lui avez causé du tracas à votre chérie hier soir.
- Ce .. Ce n'est pas...
Malgré son adorable rougissement, Thalie ressent un petit pincement au cœur et avale son morceau de pomme.
- Ce qu’il essaie de bafouiller sans beaucoup de succès c’est que je ne suis la « chérie » de personne.
Elle lance un long regard ennuyé à Bertus qui s’est fendu d’une expression plus qu’exagérement sceptique.
- Ahahah ! Vous en faites pas, Joli coeur !
- C'est fou que vous soyez jumeaux tout de même !
- Dingue hein ! Pauvre Silviu… dire que je t’emmerde depuis le tout début de ta vie…T’as le droit de me dire que c’est moi le plus beau, lance-t-il à Josie.
- Question de point de vue, réplique Thalie.  
- Ah ! j'ai oublié de me présenter : Docteur Josie King ! Solveig va passer vous voir ce matin pour finir de vous rafistoler. Ma belle, tu ne devineras jamais ce que j'ai magouillé pour toi... Nathan doit venir faire sa prise de sang dans vingt minutes, dans mon cabinet. Je saiiiis que Poirot va en en chier des bulles carrées, mais si tu veux entrevoir en scred ton fiston pour de vrai, c'est le moment ou jamais !
Bertus laisse échapper un long sifflement.
- Ohhh Josie, Josie… Petite coquine conspiratrice, va ! Enfin je dis ça mais je suis subitement devenu sourd alors…
Thalie, elle, est restée figée sur place, le cœur tambourinant si fort qu’elle a l’impression qu’il va sortir de sa cage thoracique.
- L’en…entrevoir ? Elle replace son trognon de pomme sur le plateau et se met soudain à faire les cent pas. Juste… juste le voir sans me présenter à lui ? Elle passe une main nerveuse dans sa chevelure emmêlée et pleine de petits bijoux. Tu veux dire… sans lui parler… non c’est trop… Je ne pourrais pas m’empêcher… je ne pourrais pas…ça serait trop difficile. Et tu risques d’avoir des histoires si je n’arrive pas à me contrôler.
- Du calme, jolie maman. Tu vas nous donner le mal de mer.
Elle se trouve en fait parfaitement terrifiée maintenant que le moment est peut-être venu. Peut-être pas aujourd’hui mais demain, ou après-demain.
- Et si… et s’il ne reconnait pas mon eau… ? S’il refuse de me parler… ? S’il m’en veut de l’avoir abandonner… ?
Les pires scénarios envahissent son esprit et elle entoure son corps de ses bras alors qu’elle se sent subitement glacée de l’intérieur.
- Je ne sais pas exactement ce qui vous a séparé, mais je ne connais pas beaucoup de maman qui serait prête à tout ce que tu as fait pour le retrouver. Ça au moins, ça comptera, lui assure Bertus avec un sourire.
Malgré tout, il n’y a qu’un seul regard que Thalie cherche et c’est celui de l’homme couché sur un lit d’hôpital à cause d’elle. Elle aurait égoïstement aimé qu’il puisse l’accompagner. Lui aurait su l’arrêter avant qu’elle ne laisse trop parler son impétuosité et le manque cruel de son fils.
- Dans…vingt minutes, c’est ça ? souffle-t-elle en triturant les manches trop longues de son pull.

- Ce qu’il essaie de bafouiller sans beaucoup de succès c’est que je ne suis la « chérie » de personne.

Cette affirmation aussi brusque que véridique chagrine pourtant Silviu. Il baisse les yeux pour échapper aux oeillades inquisitrices de son frère.

- Ahahah ! Vous en faites pas, Joli coeur !....C'est fou que vous soyez jumeaux tout de même !
- Dingue hein ! Pauvre Silviu… dire que je t’emmerde depuis le tout début de ta vie…
- Tu ne crois pas si bien dire. Tu m'as grillé la priorité dès le début.
-T’as le droit de me dire que c’est moi le plus beau, fanfaronne son jumeau auprès de Josie, ce qui a le don de le rembrunir comme quand ils étaient adolescents. Sauf que cette fois, les faits parlent pour Bertus : figé dans le corps athlétique de ses trente ans, il est immortellement jeune et séduisant. Avant Thalie, Silviu n'aurait pas cru jalouser son frère sur son vampirisme un jour.
- Question de point de vue, réplique Thalie et Silviu esquisse un très discret sourire illustrant mal son immense satisfaction.

Le Dr.King est un pétulant petit bout de femme noire dont l'énergie paraît inépuisable. Elle semble également rouler selon ses propres règles. Elle propose de contourner les règles et d'organiser un rendez-vous sauvage entre Thalie et son fils. La maritin paraît brusquement terrifiée et indécise. Elle gigote et tourne en tout sens, l'anxiété chevillée à son corps gracile.

- Dans…vingt minutes, c’est ça ?
- Ouep! Déstresse, poulette. Ça va le faire !
- Thalie, tu as attendu ça pendant vingt deux ans... Tu ne vas pas reculer maintenant ! Je suis avec toi par la pensée.

À ce moment précis, le rideau de leur alcôve s'ouvre. Un jeune homme au nez aquilin, aux pommettes hautes et dotés d'immenses yeux clairs apparaît.

- Excusez moi de vous déranger, je cherche...Ah Josie! Tu voulais me voir ? Je n'ai pas bien compris cette histoire de prise de sang....

Nathan Brunelle observe les regards braqués sur lui avec un sentiment de malaise grandissant.

- Euh...... bonjour ?

- Dans…vingt minutes, c’est ça ?
- Ouep ! Déstresse, poulette. Ça va le faire !
- Déstresser ? Elle a un petit rire nerveux en s’asseyant sur le bord du lit. Plus facile à dire qu’à faire. J’ai imaginé des milliards de fois à quoi pourrait ressembler mon enfant. Lui aussi j’imagine… moi je sais à présent, mais lui… ?
Elle ne ressemble à rien et tente maladroitement de lisser son pull trop large, de discipliner ses cheveux emmêlés.
- Thalie, tu as attendu ça pendant vingt deux ans...
Les yeux plantés dans les siens, elle hoche la tête.
- Je sais…
- Tu ne vas pas reculer maintenant !
- Ahah … vraiment ? tente-t-elle de plaisanter.
- Je suis avec toi par la pensée.

Elle acquiesce à nouveau, lui sourit plus faiblement puis prend une profonde inspiration pour se donner du courage. Il a raison. Reculer maintenant n’a pas de sens, surtout si l’on sait tout ce qu’elle a déjà traversé jusque-là pour le retrouver. Mais la peur d’être déçue et de décevoir s’est logée dans ses entrailles et les touille jusqu’à l’indigestion.

Alors qu’elle commence à retrouver un semblant de volonté, le rideau s’écarte à nouveau et elle tourne à peine la tête, pensant qu’il s’agissait du fameux Solveig mais une autre silhouette s’invite dans leur alcôve. Une silhouette qu’elle connait à présent par cœur à force de l’avoir scruté, froissant le papier entre ses doigts.

- Excusez-moi de vous déranger, je cherche... Ah Josie ! Tu voulais me voir ? Je n'ai pas bien compris cette histoire de prise de sang...

Thalie se lève si vite qu’elle en a un vertige. Ou alors est-ce le fait de se trouver face à son fils pour la première fois depuis vingt-deux ans qui affaiblit tout son être. Elle le dévore des yeux sans pouvoir s’en empêcher, des yeux brillants de larmes qu’elle n’arrive absolument pas à contrôler. Son raz de marée intérieur est si puissant qu’il menace de déborder de son corps. Son eau aussi bien que ses émotions bouillonne avec force.

- Euh...... bonjour ?
- Bonjour Nathan, finit-elle par croasser en français d’une voix déchirée par des sanglots gardés en fond de sa gorge.

Elle pose une main tremblante contre sa bouche pour les contraindre à rester là. Elle doit avoir l’air d’une folle à ses yeux. Mal fagotée, les traits tirés et le visage déformée par une émotion si violente qu’elle en tremble. Sans pouvoir y faire quoique ce soit, sa peau s’illumine de ses tatouages et son eau s’échappe, bien trop heureuse de retrouver cette petite partie d’elle qu’elle lui a légué. Elle danse autour du jeune homme comme une caresse très douce, familière, aimante… maternelle sans jamais s’imposer à lui, comme un léger ressac. Elle lui chuchote des mots d’amour inconditionnel, la joie de leurs retrouvailles et fait résonner leur lien comme les cordes d’un violon parfaitement accordé, une mélodie que Thalie a patiemment tissée pendant sa grossesse dans l’espoir qu’il ne l’oublie jamais.

Si elle avait encore le moindre doute avant, il n’est absolument plus permis.
Quand bien même il ne la reconnaitrait pas, elle sait.
Le magnifique jeune homme qui se tient devant elle et l’enfant qu’elle a porté pendant neuf mois sont la même personne.
Se rendant compte de ce qu’elle est en train de faire malgré elle, elle rappelle son eau bien réticente à laisser l’enfant qu’elle a bercé pendant des mois au cœur même de sa matrice. Nathan mérite des explications plus claires alors elle essaie de faire descendre cette boule d’émotion toujours coincée sans grand succès.  
Envolé la djinn déterminée, la capitaine sûre d'elle, la femme d'action et bafouée.
Reste la mère, débordante d'un amour maternel qu'on lui a arraché, l'être solitaire et craintif qui a peur d'être rejetée et seule à nouveau.  

- Je suis… je suis désolée…mon pauvre bébé… je…
Manque d’éloquence, manque de mots et de courage peut-être. Elle n’ira pas plus loin, pleurant maintenant à gros bouillon.

Depuis que le frère de Bertus a débarqué, c'est un chambard indescriptible.
Je n'ai jamais vu Cristian dans un tel état de stress. Lui, d'ordinaire si détaché émotionnellement, a littéralement explosé en vol. Je l'ai retrouvé recroquevillé dans un coin de sa salle de commande, incapable de faire autre chose que de se frapper la tête contre les barreaux de la tuyauterie tout en hurlant des insanités en roumain dans son talkie. J'ai pris les choses en main en décélérant son rythme cardiaque.
Hyppolite semble particulièrement à cran et une réunion de crise s'est tenue peu après l'entrée au bloc de l'oncle de Cristian. A priori, il s'agit du jumeau de Bertus. Il n'était pas seul. On a refusé de me dire qui l'accompagnait. Et maintenant, j'apprends que je dois faire un examen sanguin injustifié.

Que se passe-t-il à la fin?

J'arrive en avance à l'infirmerie, espérant pouvoir quérir quelques informations auprès de Josie et je la découvre en compagnie de l'épicentre de tout le marasme d'hier soir.
J'ai la désagréable sensation de faire irruption au beau milieu de la scène capitale d'un film dramatique, comme un cheveu sur la soupe.

- Euh...... bonjour ?
- Bonjour Nathan.

Froncement de sourcils. Une compatriote ? Elle a l'air chamboulée de me voir. Keelan a beau me susurrer que je suis renversant tous les jours, ça ne vaut que pour lui, pas pour une parfaite inconnue. Quelque chose chez elle m'est étrangement familier, pourtant...

- Est ce que tout va b...

Mes mots fondent sur ma langue. La peau de la femme s'est couverte de tatouage turquoises. J'en reconnais certains et pour cause, je les ai moi même gravés sur l'épiderme.
J'ecarquille les yeux de stupéfaction. La djinn maritin libère son eau sans sommation. Mon cœur fait une brutale embardée. Son essence me tourne autours comme un animal câlin. Je suis parcouru d'un terrible frisson. Mon eau est réceptive comme si elles se connaissaient et j'en éprouve une sidération totale. Mes propres marques se révèlent sans que je ne les sollicite.

Pourquoi ?
Qui est cette femme ?

Mes entrailles forment une pelote d'angoisses vertigineuses. Mon rythme cardiaque s'accélère. Je suffoque, oppressé par un poids incompréhensible sur la poitrine. Mes doigts s'enfoncent dans le tissus de ma chemise et la froisse, comme si je pouvais extraire mon palpitant de ma cage thoracique.
Détresse aiguë.

- Je suis… je suis désolée…mon pauvre bébé… je…

Je recule, terrifié. Les larmes dévalent mes joues.

- N...non..... C'est impossible ! Fais-je en trébuchant puis en tombant au sol.

Cette femme, c'est celle de l'esquisse qui dort dans la boîte de Nadim.
C'est ma mère !

L'apparition du jeune homme stupéfie tout le monde. Silviu se tourne immédiatement vers Thalie, inquiet de sa réaction. Elle perd pieds, complètement submergée par la surprise et l'émotion. Le prêtre maudit sa condition qui l'empêche de se lever pour l'enlacer, la soutenir. La voir dans cet état de détresse lui est insoutenable. La seule chose qu'il puisse faire c'est de lui attraper la main et la serrer.
Lui rappeler qu'il est là.

- Thalie.... Draga mea... Calme toi....

Il lui presse les doigts tendrement et cherche à capter son attention.

- Respire doucement. Vous êtes en train de mutuellement vous secouer....

Il tente de la tranquilliser en lui caressant le plat de la main.
Josie reprend ses esprits et s'agenouille auprès de Nathan.

-Tout va bien poussin. Tu fais une crise de panique. Regarde moi.... Nathan a du mal à détacher son regard de Thalie mais le Docteur King a déjà fait face à ce genre de situation et avec un calme olympien, ramène le jeune djinn à focaliser sur elle. Énumère-moi le nombre Pi... 3,14...?
- 3,14...1...5....9...2...6.....5......3...5.... égraine-t-il en s'apaisant, peu à peu.

- Je suis… je suis désolée…mon pauvre bébé… je…

Nathan recule et son beau visage se plisse d’une panique et d’une détresse qui lui transperce le cœur. Elle s’y est prise n’importe comment, elle aurait dû museler mieux que cela ses émotions, garder le contrôle de son eau mais la surprise et l’émoi l’ont conduite à ses erreurs. Elle qui a si souvent imaginé ce moment, le voilà qui s’étiole sous ses pas malhabiles. Elle gâche tout !
Et tout aussi maladroitement, elle tente de rectifier les choses.

- Nathan… laisse-moi…laisse-moi t’expliquer...
- N...non...

A son tour, elle recule comme s’il venait de la gifler jusqu’à buter contre le lit. Elle halète, le cœur broyé par ce refus, les traits déformés par la douleur. Ses épaules s’affaissent alors qu’elle se referme comme une coquille, une coquille qu’elle souhaiterait vide à nouveau.
Que croyait-elle ?
Elle s’est bêtement laissée bercer par l’idée qu’il serait plus heureux qu’autre chose de la revoir.
Vraiment stupide.
Pourtant, elle essaie encore.

- Je sais… je sais combien c’est difficile à croire. Mais… je suis là…
- C'est impossible !
Il recule à nouveau et si vite qu’il trébuche. Spontanément, Thalie et son eau se tendent vers lui, voudrait effacer cet air affolé qu’il arbore pour le consoler mais elles se recroquevillent toutes deux. La djinn affronte ce refus de son existence avec un soubresaut. L’esprit plus clair, elle verrait qu’il est simplement trop troublé, qu’il lui faut du temps pour assimiler la nouvelle.
Mais son esprit, bien plus fragile qu’elle ne l’avait estimé, est obstrué par la surprise, la joie d’enfin être dans la même pièce que son enfant, la souffrance et le rejet.

Nadim avait raison.
Elle n’est pas une mère. Elle ne l’a jamais été et ne le sera jamais.
Elle n’est qu’un vague souvenir douloureux, une ombre du passé qui n’avait pas vocation à revenir à la lumière.
Elle n’aurait pas dû venir en Irlande, elle n’aurait pas dû venir dans ses bunkers. Sa quête n’a aucun sens.

Elle aurait dû rester dans sa bouteille.
C’était là sa place. Morne, inutile, solidaire, mais sans douleur, sans passion, sans surprise.
Personne ne vous blesse lorsque vous êtes seule.

- Thalie....
On l’appelle. Une main chaude s’est refermée sur ses doigts glacés.
- Draga mea... Calme toi...
Elle a tout perdu.
Lentement, elle tourne des yeux voilés vers Silviu. Son gentil prêtre… lui aussi elle le perdra. C’est ce qu’elle finit toujours par faire : perdre.

- Respire doucement. Vous êtes en train de mutuellement vous secouer....
Que lui importe de respirer alors qu’elle a un trou béant à la place du cœur ?
- Je n’aurais pas dû venir Silviu… Sourire d’une tristesse infinie. C’était une erreur. Je lui fais du mal…Elle pivote lentement la tête vers Nathan mais Josie lui cache le visage de son fils. Il faut que je m’éloigne. Et instinctivement, c’est ce qu’elle fait reculant encore, se dérobant à tout contact. Elle se cogne maladroitement contre les paravents, cherchant l’obscurité d’un coin pour s’y terrer.

- Je n’aurais pas dû venir Silviu…
- Ne dis pas de bêtises....
- C’était une erreur. Je lui fais du mal…
- Tu sais bien que non. Il est juste choqué. Il vient brutalement de découvrir que tu étais toujours en vie. Il faut simplement qu'il digère l'information. Il lui faut un peu de temps, voilà tout.
- Il faut que je m’éloigne.
- Ne fais pas ça...

La maritin lui lâche la main et, malgré la douleur, il se tend vers elle pour tenter de la rattraper. Ses doigts se referment sur du vide.

- Thalie ! Thalie, je t'en prie... Il grimace, son corps craque comme une branche morte sous une botte. Il décide sciemment de l'ignorer. Il faut que tu te calmes. Il tend une main désespérée vers elle. Il est à deux doigts de se lever. Viens là. Ne te coupe pas de nous... Ne te coupe pas de de moi... S'il te plaît....

"Ne me laisse pas" exprime tout son être.
"Ne fuis pas" supplie son regard.

Silviu se redresse, pose un pied hors du lit et tente maladroitement de s'en extirper.

J’observe la scène comme un spectateur un peu horrifié par la tournure des évènements, clairement tendu sur ma chaise.
Les deux protagonistes principaux sont tellement sous le choc qu’ils sont juste en train de se faire du mal inutilement. Le gosse, pris en main par Josie, semble arrivé à remonter la pente. Par contre… la maritin patauge complètement dans la détresse. Ca suinte de tout son corps et l’échange entre mon frère et elle me laisse passablement sur les fesses. D’autant plus lorsque cet imbécile fait mine de se lever alors que la djinn recule toujours, le visage tellement vide d’expression et de toute….vie que ça en est flippant.

Je suppose que c’est plus ou moins la description parfaite d’une situation de crise.

Si je n’ai rien dit jusque-là c’est avant tout par pudeur (oui vous avez bien lu) et…parce que c’est une histoire entre cette Thalie et son fils. Mais là Silviu fait n’importe quoi et je vois bien qu’il est déterminé à la faire jusqu’au bout, même si ça signifie qu’il finisse par terre à l’agonie.
Une amie hein ... ? A d’autre Silv' je te connais peut-être pas tant que ça, mais y’a des choses que tu es incapable de me cacher. Notamment que t’en pince sérieusement pour cette djinn. Sinon tu n’aurais pas cette impuissance et ce désespoir sur la tronche.

OK… intervention !

En un battement de cil je suis au côté de mon jumeau et je l’oblige à se recoucher.
- Tu crois aller où, prost ?
S’il se débat, ça n’est pas un souci, je suis bien plus fort que lui. Mais j’essaie de le faire en douceur.  
- Reste tranquille Silviu, s’il te plait, j’ordonne avec une certaine tendresse dans la voix. Détériorer ton état va pas arranger le sien. Je croise son regard et comme ça nous arrivait parfois, pas besoin de mot pour que je comprenne. Je sais… je fais en lui pressant l’épaule.

Il a besoin de se sentir utile pour elle et refuse de la voir s’enfoncer dans le trou noir qui est en train de l’absorber toute crue… je le connais ce trou. Je l’ai déjà laissé me prendre aussi. J’entends Silviu.

- T’as autant l’art de choisir tes nanas que moi toi hein…
J’attrape le poignet de la djinn qui ne lève même pas les yeux sur moi mais lutte pour échapper à mon étreinte. Avec un soupir, je l’empoigne plus fermement et la repose fermement sur le matelas.
- Là… bouge pas d’ici, Thalie. Crois-moi, je sais où tu vas et c’est pas là que t’as envie d’être. Ca va passer.
Nouvel échange de regard avec Silviu alors que la maritin se recroqueville en boule comme un petit animal blessé. J’espère qu’il sait ce qu’il fait.

Bon une bonne chose de faite.

Je m’agenouille ensuite auprès de l’autre maritin en détresse qui a l’air de reprendre un peu des couleurs.
- Comment tu te sens mon grand ? Josie ? On va le sortir de la pièce ok ?
Lentement, je le relève et ma haute stature l’empêche de voir sa mère dans un état pas joli joli. Je le détourne et avec le doc, on décide de lui laisser un peu de temps dans sa petite salle de consultation.
- Je crois qu’on peut se passer d’Adn. Pour aujourd’hui au moins. Je me tourne vers Josie. Tu peux prendre soin de lui quelques minutes le temps que j’aille chercher son loup ?
Je jette un dernier coup d’œil vers mon frère avant de partir. Thalie s’est finalement callée contre lui et a arrêté de vouloir s’enfuir. Je considère que c’est un mieux même si elle semble toujours hors de son corps. Les lèvres de Silviu remuent, donc j’imagine qu’il la console comme il peut.

Loooooooong soupir.
Tu parles d’une nuit et d'un début de journée toi…
Qui a décrété que me donner des responsabilités était une bonne idée ?

- Tu crois aller où, prost ?
- Tu.. Tu ne comprends pas... Il faut que je l'aide, se débat-il mollement.
- Reste tranquille Silviu, s’il te plait
- Elle n'est pas en mesure.. Elle va mal comprendre... Les doigts du prêtre s'enfoncent dans la chair pâle du bras de son frère. Je dois...
- Détériorer ton état va pas arranger le sien.
- Elle... Elle a confiance en moi...

Silviu adresse à son frère un regard désespéré. Bertus a beau avoir raison, il ne supporte pas de voir Thalie dans cet état catatonique. Cela lui déchire le cœur en lambeau. Sa faiblesse le frustre comme jamais. Alors, suppliant, il prie pour que son jumeau la sauve à sa place.

- Je sais…
-... S'il te plait...
- T’as autant l’art de choisir tes nanas que moi toi hein…

A cela il ne trouve rien à répondre. Il n'en a a pas l'énergie.
Le reste va trop vite pour que Silviu ne parviennent à en prendre la pleine mesure. Ses quelques mouvements lui ont couté un effort faramineux. Il ferme les yeux, reprend son souffle doucement et ne les rouvre qu'en sentant le corps de la djinn se recroqueviller en boule contre le sien. Il referme faiblement ses bras autour d'elle.

- Thalie... Thalie écoute moi... Tu n'as pas fait d'erreur, tu as suivi ton coeur. Ne va pas t'imaginer que ton fils te repousse... Il est juste chamboulé. Il lui faut un peu de temps pour pouvoir revenir vers toi. Tu ne lui fais pas de mal, je te le promets...  Il embrasse délicatement son front. Il va bien.... Il va bien...

Il lui répète cette litanie encore et encore, jusqu'à ce qu'elle s'apaise, qu'elle chemine vers sa conscience. Vers lui. Il a oblitéré le monde tout autour d'eux, ne concentrant son attention que sur elle seule. Aussi, ne remarque-t-il que longtemps après qu'ils sont de nouveau seuls.

- Thalie ! Thalie, je t'en prie... Quelques secondes, son regard se déporte vers lui. Il faut que tu te calmes. Elle est pourtant très calme, excessivement calme comparée à la tempête qui règne en elle mais qui se fait grignoter petit à petit. Elle fixe cette main tendue, aimerait la toucher mais elle sait que cela non plus ne rime à rien. Viens là. Ne te coupe pas de nous... Ne te coupe pas de de moi... S'il te plaît...
A quoi bon…Elle finira seule de toute façon. Mieux vaut ne pas se faire d’illusion.
Elle ouvre la bouche pour parler mais il semblerait que sa voix aussi se soit faite avaler.

Thalie voit bien que Silviu en fait trop et lorsqu’il cherche à se lever, elle secoue la tête. Heureusement Bertus se charge de prendre soin de son frère. Puis elle se trouve soudain manipulée comme une poupée de chiffon et un rien de combativité la prend. Elle se débat, sans doute mollement, les yeux braqués vers son fils en pleine crise d’angoisse.
A cause d’elle !
Tu parles d’une mère… Ce constant ne la plonge que plus profondément dans sa petite noirceur personnelle, là où elle se sait à l’abri.

Sans trop savoir comment, elle finit sur le lit, aux côtés de Silviu et c’est sans réfléchir, tout à fait instinctivement qu’elle s’allonge contre lui en formant une boule muette et pleine d’un désespoir suintant par tous les pores de sa peau comme ses larmes s’écoulent silencieusement sur ses joues.
Des bras l’enlacent. Elle se sent bien là, dans une bulle. A l’abri du reste du monde, cet horrible monde qui n’est pas fait pour elle.

- Thalie... Thalie écoute moi... Tu n'as pas fait d'erreur, tu as suivi ton coeur. Elle hoche la tête de gauche à droite et vient la caler tout contre le creux de son épaule. Elle aimerait qu’il se taise, qu’il la laisse là où elle est. Ne va pas t'imaginer que ton fils te repousse...
- C’est pourtant ce qu’il vient de faire…chuchote-t-elle d’une voix désincarnée.
- Il est juste chamboulé.
- Je sais. Et il n’a pas besoin de moi. Il n’a jamais eu besoin de moi. C’est moi… et je me suis imposée à lui.
- Il lui faut un peu de temps pour pouvoir revenir vers toi. Tu ne lui fais pas de mal, je te le promets...  Des lèvres se pressent contre son front et elle ferme un instant les yeux, émettant un sanglot déchirant. Il va bien.... Il va bien...

Ils restent un long moment ainsi. Elle, à sangloter sur lui et lui à lui chuchoter ces mots en boucle. Elle aimerait tellement le croire. Peut-être qu’elle l’entend suffisamment pour la sortir de sa coquille. Même si elle ne le souhaite pas vraiment.  

- Non… tu l’as vu… Il ne va pas bien et c’est parce que je m’y suis prise n’importe comment en lui jetant presque mes sentiments au visage… j’ai tout gâché ! J’ai… j’ai tellement attendu ce moment… et maintenant je n’ai plus rien. J’ai lutté pour rien, Silviu. Nadim a gagné. Je ne serai jamais mère. Il est trop tard. Elle relève la tête pour le regarder dans les yeux et caresse sa joue du bout de doigts. J’arrive beaucoup trop tard.

Pour mon fils,
Et pour toi…

Son visage exprime une lassitude extrême et une résignation désabusée. Son visage se plisse d’émotion lorsqu’elle se rend compte que Silviu a besoin de repos et de récupérer une énergie qu’elle lui siphonne. Elle se redresse avec un rire piteux.
- Et je suis en train de te faire mal… tu n’as plus à t’occuper de moi tu sais. L’aventure est finie, je crois. Il faut… que tu te concentres sur toi et sur ta guérison.

- Thalie... Thalie écoute moi... Tu n'as pas fait d'erreur, tu as suivi ton coeur. Ne va pas t'imaginer que ton fils te repousse...
- C’est pourtant ce qu’il vient de faire…
- Pas du tout. Le déni est une réaction naturelle de préservation. Il est juste chamboulé.
- Je sais.
- Cela va lui passer...
- ...Et il n’a pas besoin de moi. Il n’a jamais eu besoin de moi. C’est moi… et je me suis imposée à lui.
- Tu sais que c'est faux. Il a appris à se construire sans toi, mais cela ne signifie pas qu'il n'a pas besoin de toi. Nous avons tous besoin de nos parents et en particulier d'une maman. C'est une absence qu'il a du forcément ressentir. Il lui faut un peu de temps pour pouvoir revenir vers toi. Tu ne lui fais pas de mal, je te le promets...

Toute son énergie, à présent, est dirigée vers elle, pour l'apaiser, pour la rassurer, pour lui insuffler un peu de confiance en elle.

- Lorsque l'on m'a annoncé la mort de Bertus, j'ai perdu pieds. J'ai du apprendre à vivre sans lui. Il était comme une partie de moi, indivisible, et soudain... on me l'avait amputée. Je me suis reconstruit, bon gré, malgré. Quand il est revenu d'entre els morts, je l'ai rejeté. Je n'arrivais pas à me faire à l'idée que la stabilité que je venais de péniblement retrouver devait de nouveau voler en éclat. Mais j'a regretté ce geste, chaque nuit que Mère-Nuit a faite. Nathan a besoin de toi.. Il faut simplement qu'il encaisse ce choc.... Il va bien.
- Non… tu l’as vu… Il ne va pas bien et c’est parce que je m’y suis prise n’importe comment en lui jetant presque mes sentiments au visage… j’ai tout gâché !
- Tu n'a rien gâché. C'était imprévu pour toi comme pour lui. Vous n'avez pas eu le temps de vous préparer psychologiquement. C'est normal que ça vous ai bousculé.
- J’ai… j’ai tellement attendu ce moment… et maintenant je n’ai plus rien. J’ai lutté pour rien, Silviu. Nadim a gagné. Je ne serai jamais mère. Il est trop tard. J’arrive beaucoup trop tard. Et je suis en train de te faire mal… tu n’as plus à t’occuper de moi tu sais. L’aventure est finie, je crois. Il faut… que tu te concentres sur toi et sur ta guérison.

Silviu s'autorise alors un geste qu'il ne se serait jamais permis devant autrui, ou même sans le consentement de Thalie : il lui attrape la nuque et l'embrasse à pleine bouche.

- Stop ! ordonne-t-il fermement, avec une autorité naturelle dont il s'est toujours cru dépourvu. Je veux que tu arrêtes de parler si c'est pour dire pareilles bêtises. Tu es une bonne personne, Thalie. Tu es méritante. Tu as largement gagné le droit d'être mère. Tu as été meurtrie par la vie mais tu es toujours debout. Tu t'es battue jusqu'ici pour atteindre ton fils et tu vas me faire le plaisir de te battre encore jusqu'à ce qu'il t'entende. Tu es forte, tu es une pirate, tu es une guerrière ! Compris ?! Tant que ça ne sera pas le cas, je te collerais au train pour te le botter. Tant que tu ne croira pas en toi, je serais là pour t'épauler et te porter. C'est toi qui décides si l'aventure s'arrête ici : ni moi, ni ton fils. Alors fais moi le plaisir de reprendre la barre, Capitaine ! Et quant à moi, je fais mes propres choix en mon âme et conscience -et avec la bénédiction de la Nuit- tant que j'ai encore une once de souffle, je m'octroie le rôle de navigateur pour ton rafiot.

Silviu se met soudain à rire...et à regretter de le faire vu les soubresauts douloureux.

- Empêche-moi de continuer à faire des métaphores marines, ça devient franchement ridicule...

Peu de temps après le djinn maritin du nom de Solveig fait son apparition.

- Bonjour ! Je vois que vous avez l'air d'aller mieux. Prêt pour être définitivement sur pieds, mon père ?
- Plus que jamais, répond ce dernier en serrant la main de Thalie dans la sienne.