When your position remains fixed
Results can be mixed
I fear there's a stasis

Depuis leur sortie nocturne, Gi-Ja et Neorvrim n'ont jamais réabordé le sujet qui l'a fait sortir de ses gonds. Pourtant, le caporal continue de rechercher la présence du dragon et de partager une bonne partie de ses journées avec lui quand les manœuvres ou l'entrainement ne l'exige pas. Aucune nouvelle ne leur est encore parvenue de la part du Major sur l'évolution de la situation de leur invité. Pas plus qu'ils n'ont reçu de délégation de faes furieuses exigeant sa tête. Le temps se faisant long, il faut bien l'occuper.
Cosgrave essaie d'enseigner les bases de la gastronomie au dragon ainsi que quelques rudiment de coréen, ce dernier remarquant que le jeune homme s'exprimait parfois dans un idiome différent de celui usité en Irlande. Le soldat s'est plusieurs fois trouvé sur le point de confier des éléments personnels de sa vie au dragon, mais s'est toujours interrompu juste au bord de cette falaise infranchissable sans sauter. Sa pudeur est un frein terrible et sa honte un verrou efficace. L'envie ne manque pas pourtant, il en de plus en plus conscience, et se demande si Neorvrim l'a remarqué.
Il repense souvent à la manière dont leur escapade s'est terminée, à cette caresse lancinante et douce sur son menton, à la frontière de ses lèvres. Elle le hante encore lorsqu'il se trouve seul avec lui même. Il se surprend à effleurer l'endroit ou sa peau est entrée en contact avec le pouce du dragon. Il ignore quel sens donner à ce geste. Aucun serait préférable.

Aujourd'hui le duo fait l'inventaire des armes blanches endommagées de l'armurerie. Le Major a jugé bon de mettre à profit les talents de forgeron de leur invité en lui faisant faire quelques menu travaux de ferronnerie. Au milieu de leur tri, Gi-Ja s'interrompt soudain en découvrant la présence de katanas aux lames salement endommagées ou émoussées. Son visage s'éclaire d'un pétillement plaisant.

- Incroyable ! Je ne pensais vraiment pas en trouver ici. Il les montre à son acolyte. J'ai fait du kendo et de l'escrime, deux pratiques martiales à l'épée, explique-t-il tout en manipulant les épées d'une manière qui trahit l'habitude. J'ai même fait quelques démonstrations artistiques de katana et des duels habillé en tenue traditionnelle de samouraï. On me prenait pour un japonais pure souche. Ce que ça peut me manquer...

Son expression nostalgique le prouve.
L'artificier se rend soudain compte que c'est la première fois qu'il confie cette information à quelqu'un. Une vérité sur lui. Il se dit qu'il a peut-être mis le pied à l'étrier.

Le dragon commence à s’impatienter.
Plus le temps passe, plus il se sent prisonnier et les louvoiements du Major ne font rien pour l’apaiser. Il en vient même à se demander s’il ne lui ment pas purement et simplement. Les journées s’étirent, secouées de leur morne court uniquement par la présence de Gi-Ja et de ses leçons ou de quelques soldats curieux.

Depuis ce fameux soir qui reste sous silence, Neorvrim s’applique à ne jamais plus laisser filtrer une remarque ou question qui les amèneraient sur des terrains trop « intimes » et blessants. Ça n’est pas tant la colère que l’air profondément blessé sur le visage de l’humain qu’il ne veut plus revoir.
Mais plus il passe de temps avec Gi-Ja plus il note de minces changements. Subtiles mais existants. Par exemple, il se pince souvent les lèvres, comme pour s’empêcher de dire quelque chose. Dans ces cas-là, Neorvrim le fixe, attend de voir s’il libèrera sa parole ou non sans jamais la brusquer puis se détourne lorsqu’elle ne sort finalement pas avec une pointe de déception.  

Reste que la caserne est un lieu bien huilé où il ne se sent pas à sa place. On lui refuse de voir le brouillard, on lui refuse de sortir des périmètres très stricts de la base ou de voir autre chose que tout ce béton gris et parfaitement déprimant. Il s’emploie à la patience, à respecter les règles établies, mais un dragon n’est pas fait pour vivre dans une cage. Pas pleinement éveillé.
Neorvrim reste un être sauvage, fier et libre. Du moins il l’était.
Il en est venu à la conclusion qu’il allait devoir agir seul. Il a appris qu’une ambassade se tenait en un lieu proche. Dans une sorte de ferme. Avec un peu de chance, un nain en faisait partie et il pourrait enfin faire avancer les choses dans son sens. Il lui suffirait de repasser une nuit par la brèche que Gi-Ja lui a montré.
La seule chose qui l’arrête, c’est qu’il considèrerait trahir l’humain en s’enfuyant de la sorte.
Mais il a besoin d’agir.

Le Major Jenson lui ayant demandé de se rendre un peu utile – n’était-il pas parfaitement gonflé celui-ci ? - il passe présentement ses nerfs sur une pierre à aiguiser. Occupé à trier tout un tas d’armes blanches avec le caporal, il tente de ne pas laisser filtrer la mauvaise humeur qui commence à gangréner son corps qu’il sent cloué sur place. Il passe son doigt sur le fil d’une dague qui ne couperait sans doute même pas du beurre et la balance avec dédain dans le bac des armes à aiguiser.

- Incroyable ! Je ne pensais vraiment pas en trouver ici.
- Quoi donc ?
Toute à sa mauvaise humeur rentrée, Neorvrim se tourne vers son compagnon et ne remarque qu’à cet instant son visage plus ouvert qu’il ne montre que rarement. Son regard descend vers la pauvre épée émoussée qu’il tient entre les mains avec assez d’habileté pour que la chose ne lui soit pas étrangère.
- J'ai fait du kendo et de l'escrime, deux pratiques martiales à l'épée. J'ai même fait quelques démonstrations artistiques de katana et des duels habillé en tenue traditionnelle de samouraï. On me prenait pour un japonais pure souche.
- Artistique ? relève le dragon. Je ne savais pas que les humains élevaient les différentes façons de tuer avec une épée au rang d’art.
Il s’approche et empoigne une arme similaire à celle que tient le soldat.
- Un seul tranchant… intéressant.
- Ce que ça peut me manquer...

Neorvrim l’observe un instant puis étire un sourire carnassier. Il fait tourner souplement son poignet pour faire danser l'arme dans sa main.
- Souhaites-tu échanger quelques passes ? Elle ne ressemble en rien à ma propre épée mais je devrais me débrouiller avec celle-ci. Au moins, je ne risquerai pas de te blesser. Et j'ai moi-même besoin de me... défouler.
Et cela l’aidera peut-être à évacuer sa frustration et les élans impétueux de sa nature qu'il sent s’éveiller malgré lui.

- Artistique ?
- Absolument.
- Je ne savais pas que les humains élevaient les différentes façons de tuer avec une épée au rang d’art.
- Ce n'est pas tant le fait de tuer que la chorégraphie du combat qui prime, la manière dont on ne fait qu'un avec sa lame. Il y a plusieurs écoles et pour certains c'est même une philosophie de vie.
- Un seul tranchant… intéressant.
- Il s'agit de katanas, pas en très bon état, l'arme privilégiée des samouraïs. "L'honneur ou le déshonneur ne sont pas dans l'épée, mais dans la main qui l'empoigne."  était leur devise. La Voie du samouraï impliquait une certaine éthique guerrière qui a contribué à leur légende. J'adorais les duels de démonstration.... Ce que ça peut me manquer...
- Souhaites-tu échanger quelques passes ?

Gi-Ja le regarde avec stupéfaction.

- Tu es sérieux ?
- Elle ne ressemble en rien à ma propre épée mais je devrais me débrouiller avec celle-ci. Au moins, je ne risquerai pas de te blesser. Et j'ai moi-même besoin de me... défouler.

Le caporal se mordille la lèvre inférieure, en proie à l'hésitation.

- Je ne sais pas si on en a le droit...

Ce serait tout de même désobéir sciemment à un ordre direct de son supérieur. En même temps, il est également conscient que Neovrim a besoin de se dépenser. Il n'est pas dupe. On le retient ici comme un prisonnier et il trépigne comme un lion en cage. Il se convainc qu'il le fait davantage pour son bien que pour le sien.

- Oh et puis merde!  Lache-t-il avec l'expression mutine du Gi-Ja décidé à braver l'interdit. Viens.... On a besoin d'espace mais dans un coin  à l'abri des regards.

Ils se glisse en catimini  derrière un hangar longeant le grillage et qui sert de débarras pour le moment. Contrairement au coeur bruissant d'activités de la caserne, ce coin qui offre une vue directe sur le Brouillard est complètement désert.

- Ici, ça devrait le faire. Qu'est-ce que tu en dis ?

- Tu es sérieux ?
Neorvrim lui lance un regard entendu.
- Comme toujours. Elle ne ressemble en rien à ma propre épée mais je devrais me débrouiller avec celle-ci. Au moins, je ne risquerai pas de te blesser. Et j'ai moi-même besoin de me... défouler.

Le voyant tergiverser, le dragon, que l’idée de jouter faisait pétiller ses yeux de petites étincelles lui susurra d’une voix inconsciemment charmeuse.

- Pourquoi hésiter ? Nous ne ferions rien de mal.
- Je ne sais pas si on en a le droit...
- Tu n’auras qu’à dire que j’ai menacé de te rôtir si tu n’acceptais pas. Je suis certain que tu as meilleur goût que du bœuf, même mariné, lance-t-il tout à fait innocemment.
- Oh et puis merde !  Son expression malicieuse fait sourire le dragon, heureux de sa victoire. Viens.... On a besoin d'espace mais dans un coin à l'abri des regards.

De même que lors de leur escapade nocturne, leur duo se déplace sans être vu. La tâche ne fut pas aisée considérant le nombre d’humains vaquant à mille occupations.

Arrivés sur les lieux choisis par Gi-Ja, Neorvrim trépigne à l’idée de dépenser un peu de cette énergie accumulée depuis son dernier et unique vol.
- Ici, ça devrait le faire. Qu'est-ce que tu en dis ?
- J’en dis que te suivre dans des lieux « interdits » commence à devenir une habitude. Pas déplaisante au demeurant. Il examine attentivement les lieux, assez éloignés pour qu’ils ne soient pas dérangés, avec satisfaction. C’est parfait.

Alors qu’il commence à délasser et déboutonner sa tunique, il observe encore, songeur, cet intriguant Brouillard qui sent la magie à des kilomètres, mais une magie étrange…viciée. Définitivement pas fae. Mais pas inconnue non plus.
D’un coup d’épaules, il laisse tomber son vêtement au sol et fait face à son adversaire dans une sorte de tee-shirt sans manche et plaqué contre son corps musculeux et d’un simple pantalon noir resserré autour des chevilles.
Il joue de son épée et fait la moue en constatant son déséquilibre. Après réflexion, il la jette finalement au sol.

- Zahkrii Aak, appelle-t-il et comme toujours, son épée lui répond, son pommeau trouvant le chemin de sa paume. C’est une épée longue qu’il manie à deux mains. Son poids et son contact familier lui tirent un sourire. Ma vieille compagne… chuchote-t-il amoureusement à sa lame. J’ai changé d’avis. Il passe la main sur l’acier parfaitement aiguisé et prononce une formule dans sa langue. Le métal flamboie soudain alors que des runes s’inscrivent sur son fil. J’ai retiré son tranchant, tu n’as rien à craindre.

Il tourne un instant autour de Gi-Ja, son épée nonchalamment posée sur l’épaule puis se décide soudain.
- Dansons alors.

C’est le seul avertissement qu’aura l’humain avant son attaque foudroyante. S’il retient sa force, il conserve pratiquement toute sa vitesse. Il découvre alors que le soldat a dit vrai.
Gi-Ja sait manier une arme.
Le plaisir qu’il ressent à échanger des coups est clairement visible sur ses traits. S’il éprouve au préalable quelques difficultés à appréhender la légère courbure de l’arme, Neorvrim finit par s’y faire. Il ne fait pas de cadeau à son adversaire et s’il perçoit des failles dans sa garde à plusieurs reprises, il préfère largement continuer à croiser le fer que tout arrêter dans une attaque punitive. Le dragon se montre habile mais surtout féroce, et sa lame tournoie, implacable, exploitant chacune de ces failles sans faire plier Gi-Ja. Il alterne judicieusement entre attaques et parades, ses yeux s’illuminant de dorée à mesure qu’ils s’exercent.

Il recule vivement pour éviter un coup particulièrement bien préparé de Gi-Ja visant son ventre et il éclate de rire.
- Bien ! s’exclame-t-il aux anges.
A peine essoufflé, le visage réjoui mais dépourvu de la moindre goutte de sueur, Neorvrim plante son regard dans celui de l’humain.

- Tu as toutes les qualités d’un vrai guerrier Gi-Ja. Tu manques simplement de pratique… et d’un bon professeur.
Encore une fois, il se met à tourner lentement autour de lui.
- Mais quelque chose me dit que tu ne me montres pas tout… dans ce cas, je pars en chasse.

Cette fois, il met toute sa vitesse et sa puissance dans son attaque surprise, obligeant le jeune homme à ne montrer aucune de cette retenue qui le caractérise pour parer.
Car sur le champ de bataille, il ne s’agit nullement de démonstration.
Vivre ou mourir. Et pour éviter le second, mieux vaut se donner entièrement à son épée.
Et à son adversaire.

Gi-Ja imite le dragon et retire sa veste. Sans sa longue tunique princière, Neorvrim est terriblement bien bâti. Ses muscles ciselés aurait fait le bonheur de sculpteurs grecs. Il remarque que le reptilien désavoue soudainement le katana pour invoquer son épée. C'est toujours aussi impressionnant que la première fois. Ceci étant, cela affole un poil le soldat.

- Attends, là ! Tu vas pas utiliser ton épée magique !?
- J’ai changé d’avis.
- C'est un peu de la triche...

Neorvrim baragouine quelques mots dans une langue gutturale et caressant le fil de sa lame.

-J’ai retiré son tranchant, tu n’as rien à craindre.

Cela ne rassure le métisse qu'à moitié. Cependant, le dragon ne lui laisse aucunement le luxe de rouspéter. Il attaque sans tarder et Gi-Ja a tout juste le temps de se mettre en garde. Son adversaire est non seulement véloce, mais puissant.
Au départ, le jeune homme ne fait que parer les coups et échapper aux estocades meurtrières. Il s'en acquitte honorablement, malgré tout, extrêmement souple sur ses appuis et particulièrement agile. Puis, les reflexes revenant vite, il gagne en confiance et tente de renverser la vapeur. Ses coups sont de mieux en mieux placés, de plus en plus construits, voir parfois sournoisement trompeurs. La manière de combattre en dit long sur un guerrier : le caporal Cosgrave privilégie la finesse, les feintes, la prise au dépourvue,... Si son style de départ découlait du kendo de façon un peu scolaire, il a finit par l'étoffer de bottes plus européennes, voir de coups typiques de l'enseignement militaire.
Une frappe particulièrement bien chorégraphiée parvient à tirer une exclamation approbatrice de son adversaire. Le plaisir de Neorvrim est manifeste. Ses prunelles s'enflamment et son sourire carnassier sublime les angles de son visage. L'artificier n'a probablement pas conscience de sourire aussi férocement, une joie sauvage irradiant de tout son être.

- Tu as toutes les qualités d’un vrai guerrier Gi-Ja. Tu manques simplement de pratique… et d’un bon professeur.
- Est-ce une proposition ? fait le soldat en retirant son t-shirt trempé de sueur.

Il révèle alors les nombreux tatouages qui martèlent son torse et souligne sa musculature. L'un particulièrement saisissant est un trompe-l'œil dévoilant son cœur battant, comme si sa peau aussi fine qu'un tissu avait été arrachée par endroit.

- Mais quelque chose me dit que tu ne me montres pas tout… dans ce cas, je pars en chasse.
- 씨발 ! jure-t-il en évitant tout juste l'attaque de son adversaire déchainé.

Son corps, agissant à l'instinct saute lestement sur le côté tout en faisant tournoyer son katana. Il réplique aussitôt, titillé par cette estoc sans sommation. Cette fois, il y met une énergie fauve, bien plus débridée et fait preuve d'une inventivité féline. Il parvient à déstabiliser parfois -mais pour une courte durée seulement- le dragon enfiévré par leur combat.
La symphonie du choc des lames finit par attirer des curieux et, malgré leur volonté de rester discrets, un public se constitue. Indifférents au monde extérieur, complétement absorbés l'un par l'autre, les deux duellistes n'y prêtent pas attention et poursuivent leur danse.

Mais Gi-Ja s'épuise et bientôt ses attaques s'amollissent. Il n'est pas imperméable à la fatigue comme semble l'être le dragon...

En creusant un peu, Neorvrim trouve un combattant plus fin encore, presque retors parfois. Il sent que cette fois, il met dans chaque attaque une réelle volonté de toucher et l’énergie déchainé qu’il a longuement pu observer chez les humains. Sans présenter une menace suffisante pour le dragon surentraîné, il n’en reste pas moins un adverse plaisant et assez surprenant pour faire de leur duel un moment exaltant.

Ses sens perçoivent vaguement l’apparition de spectateur, mais le dragon ne ménage pas son opposant pour autant. La fatigue commence à se faire sentir chez Gi-Ja, ses mouvements se font plus lourds et moins précis. Souhaitant conserver la flamboyance de leurs premiers instants de joute, Neorvrim y met fin avant que le manque d’énergie ne le fasse à sa place.

Dans un mouvement leste, il crochète l’épée du soldat, l’empêchant de la bouger à sa guise et l’attire vers lui pour lui faire perdre l’équilibre. Il suffit d’une balayette ferme sur ses jambes pour le mettre à terre. Le genou du dragon vient s’écraser contre le bras portant toujours le katana et sa propre lame tournoie une dernière fois pour se planter à quelques centimètres du cou de Gi-Ja.

Penché vers lui, les deux mains tenant le pommeau de son épée, le dragon lui sourit, les yeux toujours aussi flamboyants.
- Ce fut un beau combat.

Il se redresse avec souplesse et lui tend une main pour le relever. Autour d’eux, leur public siffle et applaudit.

Neorvrim recule et incline respectueusement la tête.
- Tu es un bon combattant Gi-Ja. Ce fut un honneur.

Une silhouette féminine familière s’approche, tout sourire et battant des mains comme les autres.
- Eh ben… sacrée spectacle, Trésor ! Et hyper sexy en même temps. Vous avez mis le feu, sans mauvais jeu de mot, Neo.
Elle coule une œillade indéchiffrable vers le dragon puis vers son camarade.
- Sexy ?
- Sexuellement attirant et excitant, clarifie Hailey alors que Neorvrim fronce les sourcils sans comprendre en quoi leur combat pouvait être… ça. Vous étiez pas sensé bosser dans l’armurerie ou quelque chose comme ça ? La jeune femme tapote son menton d’un doigt. Je me demande ce que le Major penserait de cette petite suée en pleine air…
Neorvrim, qui commence à saisir les taquineries et l’ironie dont font preuves beaucoup des membres de l’unité du Major.
- Tu n’auras qu’à lui dire que c’était cela où je grillais l’un de ses soldats par manque d’action. C’est moi qui aie insisté.
Hailey éclate de rire et croise les bras sur sa poitrine.
- C'est toi qui déprave notre Gi' alors ? En tout cas vous aviez l'air de vous éclater. C'est pas souvent qu'on te voit si... libéré. fait-elle en se tournant vers son collègue. Mais vous feriez mieux d'y retourner avant que ça n'arrive vraiment aux oreilles du Major...

Neorvrim prend pitié de l'humain qui se vide littéralement de son eau et met fin au combat avec un certain panache. Gi-Ja est essoufflé, exténué, mais rayonnant. Il accepte la main tendue avec un large sourire qui fait pétiller ses yeux.

- Ce fut un beau combat.
- Vrai ? Tant mieux... Difficile de tenir tête. Tu as une endurance de malade !
- Tu es un bon combattant Gi-Ja. Ce fut un honneur.

Le jeune homme flatté et heureux, lui rend son respectueux salut. Cette joute était exaltante et terriblement satisfaisante. Il y a longtemps qu'il ne s'est pas dépensé de cette manière, sans compter ses efforts, sans mesurer ses gestes, sans penser à qui le regarde. Alors seulement, il se rend compte qu'ils sont observés par quelques badauds lorsque ses derniers applaudissent.
Mal à l'aise, Cosgrave part en quête de ses vêtements. Son T-shirt est importable tant il est humide et il décide de s'essuyer le torse avec pour remettre sa veste directement.

- Eh ben… sacrée spectacle, Trésor !

Cette voix familière glace brusquement le soldat. Hailey. Pourquoi fallait-il qu'ils se fassent choppés par un des gars de l'unité, et elle en particulier ?

- Et hyper sexy en même temps. Vous avez mis le feu, sans mauvais jeu de mot, Neo.
- Sexy ?
- Sexuellement attirant et excitant...
- Faut toujours que tu salisses tout, Hailey... grogne Gi-Ja tout rembruni. Ca ne lui parle pas ce genre de choses, de toute façon.
- Vous étiez pas sensé bosser dans l’armurerie ou quelque chose comme ça ?
- On nous a demandé de faire du tri. Il faut bien tester les armes pour jauger si elles sont encore valable, non ? rétorque le caporal à son homologue, avec un aplomb féroce.
- Je me demande ce que le Major penserait de cette petite suée en pleine air…
- Qu'il a manqué un beau spectacle ?
- Tu n’auras qu’à lui dire que c’était cela où je grillais l’un de ses soldats par manque d’action. C’est moi qui aie insisté.
- C'est toi qui déprave notre Gi' alors ? En tout cas vous aviez l'air de vous éclater. C'est pas souvent qu'on te voit si... libéré.

Gi-Ja se passe un coup de langue sur la lèvre, embarrassé. Le poison de la culpabilité et de la honte d'avoir pris du bon temps, coule insidieusement dans ses veines. Il a toujours peur de trahir "quelque chose" quand il se laisse à ce point aller.

- Trouve-toi une épée magique et on en reparle, pirouette-t-il pour dissimuler sa gêne.
- Mais vous feriez mieux d'y retourner avant que ça n'arrive vraiment aux oreilles du Major...
- On y va... mais tu serais une super nana, la meilleure dumonde, si tu consentais à nous rapporter une bouteille de flotte. Sinon, je vais m'écrouler de déshydratation et c'est mon cadavre qui va arriver au Major... Petit sourire en coin charmant. S'il te plait...?

- Mais vous feriez mieux d'y retourner avant que ça n'arrive vraiment aux oreilles du Major...
Neorvrim fait disparaitre sa lame et enfile sa tunique qu’il s’applique à refermer tranquillement. Il a les nerfs apaisés, l’humeur pacifiée par l’exercice et l’air presque détendu
- On y va... mais tu serais une super nana, la meilleure du monde, si tu consentais à nous rapporter une bouteille de flotte.
Hailey le toise de haut en bas, l’air peu amène.
- La flatterie marche pas sur moi. Tu m’as prise pour ta boniche, Cosgrave ? T’as qu’à en récupérer une sur le chemin de l’armurerie.  
- Sinon, je vais m'écrouler de déshydratation et c'est mon cadavre qui va arriver au Major... S'il te plait... ?
Elle claque de la langue et lève les yeux au ciel.
- T’abuses, franchement ! T’as bien de la chance d’être irrésistible dans ton genre. Elle tourne les talons. Tu viendras pas chouiner si vous vous faites capter pendant ce temps.
Petit à petit, tout le monde se disperse et le dragon scrute les motifs encore visibles sur la peau du caporal.
- Très esthétique ces dessins, commente-t-il. Le serpent donnait l’impression de bouger lorsque tu te mouvais. C’était assez troublant pour me déconcentrer quelques secondes. Ils sont sous ta peau pour une raison particulière ?

Bien vite, Hailey est de retour avec deux bouteilles qu’elle leur balance. Neorvrim en attrape une par réflexe et grimace comme si l’eau l’avait touché.
- Moi je retourne bosser. Tu m’en dois une autre Trésor ! Tes dettes font qu’augmentées ! balance Hailey avant de les laisser là.
Le dragon s’approche de Gi-Ja et lui tend sa bouteille.
- Pour t’éviter la déshydratation. Moi je n’en ai pas besoin. Nous y retournons ? Un long frisson dévale son échine et il frémit en levant la tête vers le ciel. Il va pleuvoir, grimace-t-il. Le temps pluvieux le rend toujours grognon et passablement affaibli. Il ne pleuvait presque jamais dans leur cité. Il laisse filer un silence, semble tergiverser, chose qui lui arrive rarement puis se lance finalement. J’irai voir les ambassadeurs demain, j’ai réussi à apprendre où se trouvait ce fameux « ranch », où ils logeraient et je sais qu'il y a un nain parmi eux. Il a un mince sourire. Il suffit de laisser trainer ses oreilles lorsque tes camarades discutent pour obtenir tout un tas de choses allant des ragots les plus basiques aux précieuses informations. Je passerai par le même chemin que tu m'as montré le soir où nous avons volé. Je suis presque certain que le Major ne me dit pas tout et … j’en ai assez t’attendre pour rien. Cette… parenthèse fut agréable et enrichissante mais il est tant que je retrouve ma place. Je ne souhaite nullement que tu m’accompagnes mais je tenais à ce que tu le saches.

Cosgrave n'est pas mécontent de faire enrager Hailey. C'est un bonus fort appréciable en sus de ce petit duel exaltant. Il contemple la jeune femme s'éloigne avec une expression malicieuse.

- Très esthétique ces dessins.
- Hum... ? Fait-il pris au dépourvu par le commentaire. Il se demande de quoi parle le dragon.
- Le serpent donnait l’impression de bouger lorsque tu te mouvais. C’était assez troublant pour me déconcentrer quelques secondes.
- Oh... Mes tatouages ? fait-il  en s'effleurant le torse tout en louchant dessus.
- Ils sont sous ta peau pour une raison particulière ?
- Pas spécialement... ment-il. Je trouve ça joli c'est tout.

Hailey ne tarde pas à revenir avec deux bouteilles d'eau fraiche qu'elle leur balance à la figure. Gi-Ja réceptionne la sienne en manquant de justesse de se la prendre en pleine poire.

- Moi je retourne bosser. Tu m’en dois une autre Trésor ! Tes dettes font qu’augmentées !
- Merci Hailey pour ton coeur sur la main parfaitement désintéressé... Le soldat ricane en dévissant le bouchon de sa bouteille et boit à grosses goulées.

Il sait que la demoiselle tient les comptes et que ça finira par lui retomber sur le paletot un jour ou l'autre, mais pour l'heure, la voir fumasse est une récompense en soi. Il récupère la seconde bouteille avec gratitude, ayant avalée la première d'une traite.
Les deux comparses regagnent l'armurerie avec les katanas émoussés et reprennent leur tri monotone. Le toit de taule se met à crépiter confirmant l'annonce prémonitoire de Neorvrim. La pluie tombe, ruisselant aux fenêtres

- J’irai voir les ambassadeurs demain, lance soudain le dragon après un long silence besogneux.
- Hein ?! fait Gi-Ja qui croit avoir mal compris.
- J’ai réussi à apprendre où se trouvait ce fameux « ranch », où ils logeraient et je sais qu'il y a un nain parmi eux.

Le visage du jeune homme se décompose. Toute la joie éprouvée plus tôt s'évanouie comme neige au soleil.

- Comment tu...
- Il suffit de laisser trainer ses oreilles lorsque tes camarades discutent pour obtenir tout un tas de choses allant des ragots les plus basiques aux précieuses informations. Je passerai par le même chemin que tu m'as montré le soir où nous avons volé.

L'artificier baisse les yeux vers les machettes rouillées qu'il s'apprêtait à jeter. La nouvelle coule en lui comme une flaque de poix sale, collante, ...corrosive.

- Je suis presque certain que le Major ne me dit pas tout et … j’en ai assez t’attendre pour rien. Cette… parenthèse fut agréable et enrichissante mais il est tant que je retrouve ma place.

Evidemment.
Cela a toujours été son but premier. Il a été stupide de l'oublier, suffisamment stupide pour s'attacher. Pourtant, il avait été le premier prévenu : le dragon ne serait qu'une rencontre éphémère. Il aurait dû se prémunir de toute sympathie à son égard. Qu'allait-il s'imaginer ? Qu'il serait une raison suffisante pour qu'il accepte de rester ? Quelle arrogance de sa part. Il n'apprendra donc jamais. Ses désirs, ses envies, ses espoirs seront toujours secondaires quelque soit la personne qu'il côtoie. Les vieilles blessures ne se referment jamais vraiment et celle-ci saigne, fielleux rappel qu'il ne sera jamais la priorité de qui que ce soit.

- Je ne souhaite nullement que tu m’accompagnes mais je tenais à ce que tu le saches.
- Je le ferais quand même, déclare-t-il, le visage désormais fermé, tout en poursuivant son ouvrage, une saine distance érigée à nouveau entre lui et le dragon. Je me suis engagé et je n'ai qu'une parole. Je t'emmènerais voir ce Brunja. J'espère pour toi que tu obtiendras ce que tu souhaites.

Lui, n'aspire désormais plus à grand chose et se prépare à retrouver l'anesthésie émotionnelle dans laquelle il s'est résigné à baigner.

Neorvrim n’est ni aveugle, ni stupide.
Mais les méandres de l’esprit de Gi-Ja restent terriblement brumeux à ses yeux. Si bien que lorsqu’il s’est à nouveau enfermé en lui-même après son annonce, il n’a absolument pas su comment réagir, ni ce qui en était la cause. Et par peur de le blesser en éraflant sa carapace aussi épaisse que ses écailles, il n’a rien dit.
Rien su dire.

Il se rend soudain compte à quel point il ne sait rien de cet homme ou si peu alors qu’il n’est lui-même pas avare de questions sur lui. Et le dragon s’est ouvert, dans l’idée de transmission, de laisser une trace.
Gi-Ja ne cherche qu’à s’effacer.
Et lorsque Neorvrim croit avoir réussi l’exploit de l’ouvrir un peu, la moindre incursion trop brutale l’éloigne aussitôt.
Ce constat le laisse profondément triste.

Mais qui peut-il ?
Sans doute pas grand-chose. Il n’a pas les bonnes clés de compréhension et de subtilité. Sa nature trop franche et brutale, même policée par autant d’années de civilité et de sort, n’est pas ce dont le caporal a besoin.
Il a dépassé les limites qu’il s’était fixé, s’est impliqué bien plus qu’il ne le souhaitait et le résultat est quelque peu désastreux.
Il est vraiment temps qu’il parte.
Cependant, il ne souhaite pas le faire de cette façon, dans le silence et l’oubli. Il en aura bien assez par la suite. Non, il cherche un dernier moyen de l’atteindre. Inexplicablement.
Une dernière fois.
Pour qu’ils ne se quittent par sur de mauvaises pensées.

Alors le dragon s’est attelé à la tâche. L’idée lui est venue naturellement et il a passé le reste de l’après midi seul puisque le caporal a été appelé ailleurs. Il s’est enfermé dans la pièce jusque dans la soirée, travaillant sans relâche, s’appliquant sur son ouvrage comme il ne l’a plus fait depuis des années. Il souhaite que le résultat soit parfait. A la hauteur du dernier cadeau qu’il fera à un humain.

Finalement satisfait, il sort et part en quête de Gi-Ja. Le soldat ne répondant pas lorsqu’il frappe à sa porte, le dragon s’oblige à sortir malgré l’humidité dans l’air. Elle pénètre sous sa peau jusque dans ses os et il sent déjà sa vigueur fondre mais il fait fi de son inconfort. Il n’a que peu d’importance à cet instant.
Finalement, c’est Pati qui le repère en premier et après avoir reçu tout son comptant de caresses, elle le guide jusqu’à son maitre, en train de fumer non loin de la forêt, l’air tout à fait ailleurs.
Neorvrim s’approche sans être repérer apparemment et pose une main chaude sur son épaule.

- Bonsoir. Navré, je ne voulais pas t’effrayer…
Il s’assoit à ses côtés sur le rocher et frissonne. Même la pierre lui parait humide.
- Une belle soirée, commente-t-il en levant la tête vers la voûte céleste redevenue claire après le passage de la pluie. Un peu trop humide à mon goût.

Avec beaucoup de déférence, il lui présente un fourreau poser à plat sur ses larges paumes. Il a récupéré l’un des katanas rouillés et s’est appliqué à non seulement lui rendre tout son tranchant et sa grandeur mais il s’est également permis de ciseler dans le métal de la lame un serpent, le même qui court sur la peau de Gi-Ja. Son travail a une précision et une finesse surnaturelle.  

- Un cadeau, précise-t-il avec un sourire, pour te remercier des moments passés avec toi. Je l’ai enchanté. Elle restera à jamais affutée et ne se brisera plus.
Et lorsque le jeune homme la prendra en main, le serpent bougera très légèrement. Une illusion simple qui déstabilisera son opposant.
- Il me plaira de savoir que tu l’utilises de temps à autre.

Pourquoi est-ce si difficile ?
Qu'est-ce qui a changé ?

D'ordinaire, il retrouve facilement ses habitudes grises, son attitude en demi-teinte : jamais trop lointaine, jamais trop trop proche. D'ordinaire, mentir est comme une seconde peau et son cœur, habitué à la déception retrouve sa neutralité comme un élastique retrouve sa forme après tension. Aujourd'hui, la chose lui est laborieuse, pénible même.

Qu'est-ce qui a changé ?

Neorvrim, sans doute.
Pas tout à fait un homme, pas tout à fait un animal. Il s'est laissé berné par sa franchise candide et sa bienveillance. Il a commencé à se bercer du doux sentiment d'être exceptionnel : celui qui a trouvé un dragon ! Celui qui s'est lié d'amitié avec ! Son "Trésor". Une illusion veloutée qui s'est infiltrée en lui malgré les années de méfiance prévoyante.

Cigarette entre les lèvres, il exhale la fumée dans l'air nocturne. Si dormir a toujours été compliqué, c'est devenu pire à présent. Il a rêvé de son père. Il s'est revu enfant, pleurant devant le cadavre d'un oiseau dont il avait pris soin après la chute de son nid. Il l'avait dorloté, nourri, pansé et puis, il avait été temps de le laisser prendre son envol. Son père l'avait assisté, l'obligeant à une dignité stoïque. Quand il avait retrouvé le moineau dans le caniveau, devant chez eux, à peine le lendemain, la carcasse broyée par le pneu d'une voiture, son père lui avait fait cette déclaration qui l'avait marqué durablement : "Parfois, certains ne sont pas destiné à survivre."
Neorvrim n'était pas destiné à être réveillé par lui.
Gi-Ja n'était pas destiné à devenir son ami.

Pourquoi n'arrive-t-il pas à s'y résoudre ?

Une main se pose sur son épaule, chaude et familière. Le caporal sursaute, arraché à sa plongée en apnée introspective.

- Bonsoir.
- Neo !
- Navré, je ne voulais pas t’effrayer…
- C'est moi... j'étais ailleurs. répond le jeune homme en se dégageant doucement du contact du dragon.

Il vient s'asseoir auprès de lui, ce qui n'arrange pas vraiment l'humeur chagrine du soldat. Il s'arme intérieurement pour faire face à la discussion de la manière la plus détachée et tranquille possible.

- Une belle soirée. Un peu trop humide à mon goût.
- Il ne fallait pas sortir, dans ce cas. Craignant d'avoir été un peu abrupte, il adoucit son propos en ajoutant : C'est mauvais pour ta santé.

Son regard tombe alors sur le fourreau que lui tend cérémonieusement le dragon. L'artificier fronce les sourcils et écrase son mégot sur le bord du rocher, avant de le fourrer dans sa poche.

- Qu'est-ce que c'est... ? demande-t-il prudemment.
- Un cadeau...
- Pour moi ?
- ... Pour te remercier des moments passés avec toi.

Gi-Ja glisse la lame hors du magnifique fourreau et s'étrangle d'émotion. Incapable du moindre mot, il contemple la gravure qui danse au dessus de la garde. Le katana est d'une facture superbe et épouse parfaitement sa poigne. Ses prunelles miroitent, menaçant d'imiter la météo de ces derniers jours.

- Je l’ai enchanté. Elle restera à jamais affutée et ne se brisera plus.
- Je.. Je ne la mérite pas. C'est... ironique pour un homme déjà brisé.
- Il me plaira de savoir que tu l’utilises de temps à autre.

L'artificier range soigneusement l'arme dans son étuis et déglutit. Son regard se perd momentanément dans un flou incertain. Son expression est émue, presque douloureuse. Finalement, il prend Neorvrim dans ses bras et l'étreint avec toute la force de son humanité, de ses contradiction et de sa peine.

- Merci... souffle-t-il le timbre fêlé. Tu vas me manquer.... Beaucoup. Il maquille un début de sanglot en rire pathétique. Peut-être que s'il presse les paupières très fort sur ses yeux, il ne pleurera pas.... Je n'ai pas envie que tu t'en ailles, Neo....

Aveu intime.
Moment de vérité crue.

- Je.. Je ne la mérite pas. C'est...
- … pour toi, assène gentiment le dragon en lui coupant la parole. Je considère que si. Tu le mérites. Il me plaira de savoir que tu l’utilises de temps à autre.

La joie de Neorvrim d’avoir su toucher le jeune homme par son geste est teintée d’un rien de tristesse déjà. La même qu’il lit dans son regard. Comme pour des adieux en avance. C’est bien ce qu’il est venu chercher d’ailleurs. Des aurevoirs plus intimes, comme l’ont été leurs échanges durant le peu de jours qu’il a été recueilli par les humains.

Gi-Ja l’étreint brusquement et si le geste rapide le fige un instant, il sourit finalement et passe ses bras autour de ses épaules, comme il a appris que cela se faisait, pour le serrer maladroitement contre sa chaleur un peu moins brulante ce soir mais avec force.
Oui cette parenthèse fut belle.

- Merci...
- Je t’en prie. Il frotte gentiment son dos, comme il l’a déjà vu faire. Pour le réconfort. Parce qu’il sent que c’est de cela dont il a besoin.
- Tu vas me manquer.... Beaucoup.
Le dragon ferme les yeux. Le rire brisé de l’humain lui tord les boyaux et un fort sentiment coupable l’étreint. Alors il ressert son étreinte.
- Toi aussi. J’ai été heureux de faire ta connaissance, Gi-Ja Cosgrave. J’emporterai les souvenirs de ces derniers jours avec moi. Ainsi tu ne mourras jamais toi non plus. Ni toute ton unité. Promets de penser parfois à moi et à ceux de mon espèce pour nous faire revivre quelques instants dans ce monde…
- Je n'ai pas envie que tu t'en ailles, Neo...

L’aveu est déchirant et il laisse filer un silence, incapable de trouver quoi répondre à cela. Il finit par reculer puis pose son front contre le sien. Il prend une profonde inspiration, les paumes plaquées sur les épaules de l’humain, paupières clauses à nouveau. Il trouve cela à la fois terrible et très réconfortant de savoir que son bref passage aura au moins marqué une personne.

Il chérit cette rencontre.
Il aura aimé qu’elle n’ait pas lieu pour ne pas faire souffrir Gi-Ja.
Lui encaissera un regret de plus.  

Finalement il se retire et le fixe dans les yeux.
- J’ai une promesse à tenir. Des fantômes à contenter. Nous avons tous une place quelque part Gi-Ja. La mienne n’est plus nulle part parce qu’on me l’a arrachée. Je suis une vieille créature de légende mourante et sans avenir. Il lui offre un sourire plein de mélancolie et de tendresse alors que l’une de ses mains se cale contre la joue de l’humain. Toi c’est différent. Ta place est encore là. Il suffirait que tu te laisses l’embraser pleinement. Tu as encore des choses à offrir à ce monde, des gens qui tiennent à toi. Tu m’as parlé de tes luttes avec toi-même… un jour elles cesseront et tu te libèreras. C’est tout ce que je te souhaite. Prends cela comme une ultime bénédiction.

A présent, Gi-Ja connait la signification de ce front à front et l'accueille paupière toujours closes, refoulant son chagrin pour qu'il ne déborde pas sur ses joues. Ca il s'agit bien de cela : une peine profonde. Une émotion bien plus violente que la perte de toute sa précédente unité, plus poignante que de se résigner à taire l'affection trouble qu'il a pour son supérieur, plus terrible que d'abandonner ses rêves d'enfant. L'absence prochaine de Neorvrim lui parait insurmontable malgré la courte période où ils se sont fréquentés.

Il s'agit du deuil de trop.

Le dragon reflue, mais caresse la joue d'un Gi-Ja qui ne sait plus comment endiguer ses larmes. Il s'essuie les yeux d'un revers de main brusque et honteux. Chouiner de cette façon est si peu virile, si peu digne de ce que ses parents lui ont inculqué. Il est puérile. C'est sans doute comme cela que la créature antédiluvienne le voit, et pas autrement. Un pauvre gosse, faible et émotif.

- J’ai une promesse à tenir. Des fantômes à contenter. Nous avons tous une place quelque part Gi-Ja. La mienne n’est plus nulle part parce qu’on me l’a arrachée. Je suis une vieille créature de légende mourante et sans avenir.

"C'est faux!" a-t-il envie de hurler. "Tu as ta place : auprès de moi ! Auprès de mes camarades ! Tu aurais pu être mon maitre d'armes ! Tu aurais pu nous aider à sauver le monde,... à me sauver moi." Mais tout cela reste coincé dans sa gorge. Il n'a aucun droit de s'agripper égoïstement à lui. Les enfant n'ont pas à réclamer aux adultes.

- Toi c’est différent. Ta place est encore là. Il suffirait que tu te laisses l’embraser pleinement. Tu as encore des choses à offrir à ce monde, des gens qui tiennent à toi. Tu m’as parlé de tes luttes avec toi-même… un jour elles cesseront et tu te libèreras. C’est tout ce que je te souhaite. Prends cela comme une ultime bénédiction.
- Je prends ce que tu veux bien me laisser, puisque je ne parviendrais pas à te faire rester.

L'amertume perce dans ses derniers mots, malgré une volonté évidente de ne pas la laisser filtrer. Il se barricade dont derrière un pauvre sourire usé et soutient son regard.

- Merci d'avoir traversé mon existence insignifiante. Je te ferais vivre toi et ton peuple à travers moi, autant que je le peux.

Un silence recueilli accompagne cette tirade, dans lequel les deux être s'abîment un moment.

Et puis, soudain, une fragrance florale vient chatouiller leurs narines, anormalement puissante. Une silhouette se distingue à la lisière de la forêt et Gi-ja ne parvient pas à distinguer s'il s'agit d'un homme ou d'une femme. La créature dégage une aura scintillante mauve et douce. Un être apparait, à la peau tannée, gorgée de soleil, enroulé dans de l'étoffe précieuse qui tombe en drapés élégant sur ses jambes. Son torse nu est gravé d'arabesque d'or, sa chevelure sombre miroite sous les rayons de lune et la traine derrière lui ressemble à s'y méprendre à de grande ailes violacée repliées. Chacun de ses pas dans l'herbe humide fait naitre une fleur en bourgeon qui ouvre ses coroles sur son passage.
Le soldat sait reconnaitre les caractéristiques d'une fae quand elles s'agitent sous ses yeux. Aussitôt Gi-Ja se lève, dégaine son sabre et se poste devant Neorvrim pour barrer la route à l'importun. Ce dernier lève une main paisible vers le jeune homme.

- Inutile, jeune humain. Je ne viens pas chercher querelle et ne souhaites nullement causer désagrément. Il se tourne vers le dragon. Bonsoir vieil ami. Cela fait bien longtemps.

Obéron leur offre un sourire bienveillant dépourvu de la moindre hostilité. Mais qui peut vraiment savoir, avec les fées ?

- Je prends ce que tu veux bien me laisser, puisque je ne parviendrais pas à te faire rester.

L’amertume qui perce dans la voix de Gi-Ja le blesse au cœur mais il la reçoit avec une certaine compréhension et beaucoup de résignation. Il est difficile d’expliquer sa lassitude profonde et le gouffre qui s’est ouvert devant lui le moment où il a compris qu’il avait tout perdu. Et plus difficile encore pour le jeune homme de le comprendre.

Sans doute sont-ce là les limites de leur compréhension mutuelle.

- Merci d'avoir traversé mon existence insignifiante.
Neorvrim est terriblement heurté par cette assertion parfaitement fausse. Ses yeux flamboient soudain, toute lassitude mise de côté.
- Je n’ai jamais insinué que c’est ce que je pensais. Tu es le premier humain à qui j’ai offert un cadeau, le seul à pouvoir se targuer d’avoir voler avec moi ! Je t’interdis de te déprécier de la sorte !
- Je te ferais vivre toi et ton peuple à travers moi, autant que je le peux.
Neorvrim frissonne à nouveau. Il sent comme des fourmillements désagréables le parcourir alors que l’humidité monte de la forêt non loin d’eux.
- Merci… Dii Fahdon.
Le silence retombe, presque aussi désagréable que cette sensation de picotement. Il aurait aimé pouvoir faire plus pour le jeune homme… sans savoir ce que ce plus englobe exactement.

Soudain, une odeur reconnaissable entre toute parvient jusque ses narines. Il inspire profondément et se redresse, sur ses gardes.
Evidemment. Il fallait qu’ils viennent alors qu’il était affaibli aussi bien physiquement que moralement.
Forbes et vicieuses créatures !
Une silhouette apparait entre les troncs sombres et malgré lui, Neorvrim a un soupir de soulagement et un sourire fugace. Le geste de protection de l’humain fait briller ses iris d’une tendresse certaine.

- Inutile, jeune humain. Je ne viens pas chercher querelle et ne souhaites nullement causer désagrément.
Neorvrim prend quelques secondes pour se reprendre puis avance. Toute attitude martiale l’a déserté – en apparence – et s’avance l’unique prince déchu de sa race, l’attitude altière, le dos droit, et le menton fièrement dressé, comme soutenu par l’ensemble des siens.
Il est aussi royal que leur visiteur.
Le dragon pose une main dans le dos de Gi-Ja et lui adresse un sourire rassurant.
- Tout va bien.

Il vient se poster à ses côtés et abaisse la garde de son épée.
- Bonsoir vieil ami.
- Ami ? Je le croyais oui, déclare tranquillement le dragon comme si la rage et la trahison ne lui dévorait pas le cœur. Seuls ses yeux le trahissent. Mais les amis ne vous poignardent pas dans le dos, Obéron. Cela dit, peut-être est-ce là la vision que vous avez de l’amitié. Difficile de le savoir avec les tiens.

A l’époque, lui et Obéron se voyait souvent, chacun œuvrant pour sa Reine et son peuple. Avec les ans, un lien étroit s’était tissé entre eux. Après tout, ils se ressemblent sur de nombreux points.

- Cela fait bien longtemps.
Neorvrim a un sourire carnassier.
- Depuis que ton peuple a anéanti le mien.

Il avance d’un pas, cache ses poings serrés dans son dos.
- Comment se porte ta très chère reine ? … Mieux que la mienne, je présume. Il scrute le nouveau venu avec attention. Dis moi mon ami , commence-t-il sur un ton bien trop doux pour être naturel, as-tu tenté d’arrêter Titania ? Ou était-ce ton idée ? Il a un rire aigre. Après tout, cela n’a plus la moindre importance désormais. Tu peux t’en retourner auprès de ta traitresse de reine pour lui transmettre que je ne suis pas un danger pour elle et sa cour tant qu’elle restera loin de moi. Je ne vous sacrifierais pas ma vie contre une vendetta inutile qui ne me ramènera pas les miens.

- Inutile, jeune humain. Je ne viens pas chercher querelle et ne souhaites nullement causer désagrément.
- A d'autres ! réplique Gi-Ja aussi peu dupe que le dragon. Si vous êtes là pour lui, il faudra me passer d'abord sur le corps.

Obéron coule sur le soldat un regard attendri et un rien condescendant. Il serait bien facile pour lui de faire ce qu'il demande. Les humains sont si fougueux et si fragiles à la fois. La paume de braise de Neorvrim se pose entre les omoplates de l'artificier.

- Tout va bien.
- Tu es sûr ?

Gi-Ja n'est pas convaincu, mais rengaine néanmoins son katana. Le voilà désormais relégué au rang de spectateur dans une joute qui le dépasse. Pauvre mortel qu'il est.

- Bonsoir vieil ami.
- Ami ? Je le croyais oui. Mais les amis ne vous poignardent pas dans le dos, Obéron.

Le beau visage du fae se froisse d'une expression peinée. Est-ce sincère ? Si c'est le même Obéron dont il a entendu parlé, c'est sans doute le représentant le plus diplomate et le plus mesuré de son peuple.

- Neorvrim...
- Cela dit, peut-être est-ce là la vision que vous avez de l’amitié. Difficile de le savoir avec les tiens.
- Cela fait bien longtemps.
- Depuis que ton peuple a anéanti le mien. Le sourire féroce du dragon semble accentuer la tristesse navrée de son interlocuteur. Comment se porte ta très chère reine ? … Mieux que la mienne, je présume.
- Je t'en prie, Neorvrim...
- Dis moi mon ami, as-tu tenté d’arrêter Titania ? Ou était-ce ton idée ?

L'expression d'un pieuse et terrible colère transfigure brutalement la beauté d'Obéron. Ses scarifications dorées se teintent d'encre sombre et ses ailes s'empourprent, s'ouvrant en grand, fouettant l'air. Gi-Ja retient son souffle. Le spectacle de cet éclat d'ire faerique remue ses trippes. Il n'aurait pas du ranger son arme.

- Comment oses-tu ?! Comment oses-tu simplement le penser ! Aussi vite qu'elle a éclaté, la tempête se disperse. Reste l'attitude blessée d'Obéron qui ne semble en rien feinte. Toi même, as-tu jamais réussi à arrêter ta souveraine une fois sa décision prise ?

Il baisse les yeux avec mélancolie.

- Le contrôle est une illusion, n'est-ce pas ?
- Après tout, cela n’a plus la moindre importance désormais.

Un silence pesant accueille cette assertion.

- Tu peux t’en retourner auprès de ta traitresse de reine pour lui transmettre que je ne suis pas un danger pour elle et sa cour tant qu’elle restera loin de moi. Je ne vous sacrifierais pas ma vie contre une vendetta inutile qui ne me ramènera pas les miens.
- Je ne suis pas là pour cela. Mais, pour ta gouverne, Mab met tout en œuvre pour apaiser sa soeur et la détourner du souhait de te voir pourrir dans une des geôles végétales de sa composition. Ton existence est moins une menace qu'un affront à ses yeux. Elle a âprement puni les nains renégats qui t'ont caché ici et posé un interdit sur quiconque voudrait t'aider à retrouver le sommeil éternel.

Le coeur de Gi-ja fait un bond dans sa poitrine. Est-ce que cela veut dire que le diplomate nain du haras refusera d'intercéder en sa faveur ? Est-ce que Neorvrim va rester ?

- Vue la situation préoccupante qui lie les Monde Ordinaire et Extraordinaire, peut-être n'est-ce pas un mal. Tu ne crois pas ?

Obéron pousse un long soupir.

- Cependant, comme je l'évoquais plus tôt, je ne venais pas pour cela. Je voulais simplement, te voir et te présenter mes excuses, et mes condoléances. Elles ne valent sans doute rien à tes yeux, mais, il était important pour moi de te les formuler. Je serais fidèle à ma reine pour l'éternité et ce, malgré ce que j'ai dû sacrifié pour elle. Cela, je sais que tu le comprends..... Mais sache que j'ai pleuré un ami qui m'était cher, ce jour funeste.

Son regard se porte vers Gi-Ja qui déglutit.

- Prenez soins de lui, fait-il avant de s'apprêter à quitter les lieux.

- Comment oses-tu ?! Comment oses-tu simplement le penser !

L’ire de la fae ne le fait pas frémir d’un cil. Il reste stoïque et se déporte devant Gi-Ja pour créer un rempart entre lui et la colère, qu’il estime parfaitement illégitime, de son ancien ami.  

- De la même façon que vous avez osé nous trahir, réplique-t-il très calmement une fois la colère passée.
- Toi même, as-tu jamais réussi à arrêter ta souveraine une fois sa décision prise ?
Un mince sourire qui est bien loin d’en être un déforme ses lèvres.
- Parfois. Mais pas pour la seule décision qui ait compté.
- Le contrôle est une illusion, n'est-ce pas ?
Cette fois son expression se teinte d’une connivence et d’une complicité lointaine.
- Et il est doux de s’y accrocher. Après tout, cela n’a plus la moindre importance désormais. Tu peux t’en retourner auprès de ta traitresse de reine pour lui transmettre que je ne suis pas un danger pour elle et sa cour tant qu’elle restera loin de moi. Je ne vous sacrifierais pas ma vie contre une vendetta inutile qui ne me ramènera pas les miens.
- Je ne suis pas là pour cela. Mais, pour ta gouverne, Mab met tout en œuvre pour apaiser sa soeur et la détourner du souhait de te voir pourrir dans une des geôles végétales de sa composition.
Le rire de Neorvrim est aigre.
- Qu’elle vienne donc me le dire en face…
- Ton existence est moins une menace qu'un affront à ses yeux. Elle a âprement puni les nains renégats qui t'ont caché ici et posé un interdit sur quiconque voudrait t'aider à retrouver le sommeil éternel.
- Quoi ? Son masque d’impassibilité craque sous l’horreur et la colère. Comment peut-elle… ? Comment ose-t-elle ? N’avons-nous pas assez souffert pour satisfaire son ego et son ambition ? demande-t-il d’une voix grondante alors que la chaleur semble irradiée de tout son corps.
- Vue la situation préoccupante qui lie les Monde Ordinaire et Extraordinaire, peut-être n'est-ce pas un mal. Tu ne crois pas ?
- Pas un mal … ? Crois-tu que sauver ton monde m’importe ? s’emporte-t-il, poussé par le désespoir. Comme jadis, il a l’impression d’être gobé par des abîmes sans fond, noirs et privés de toute vie. Pourquoi... ? Pourquoi toute cela … ? Qu’a-t-elle à y gagner à me rabaisser encore ?

Il n’est plus rien. Rien qu’une tâche qui refuse de partir et que Titania refuse de camoufler.

- Cependant, comme je l'évoquais plus tôt, je ne venais pas pour cela. Je voulais simplement, te voir et te présenter mes excuses, et mes condoléances. Elles ne valent sans doute rien à tes yeux, mais, il était important pour moi de te les formuler. Neorvrim garde le silence, défait et tentant de la cacher, porté uniquement par sa dignité et son sang royal. Je serais fidèle à ma reine pour l'éternité et ce, malgré ce que j'ai dû sacrifier pour elle. Cela, je sais que tu le comprends... C’est la plus stricte vérité. Quand bien même il se sent profondément trahi par le fae, il le comprend sans doute mieux que quiconque. Mais sache que j'ai pleuré un ami qui m'était cher, ce jour funeste.
Le dragon garde le silence, mâchoires serrées puis articule avec difficulté.
- Mes condoléances. Pour ton ami.  
- Prenez soins de lui.
Le voyant tourner les talons, Neorvrim effectue un pas vers lui
- Obéron !
Fae et Dragon s’affrontent du regard, deux cavaliers sur un échiquier où la partie leur a échappé, menés par deux Reines qui voulaient en découdre.
- L’as-tu-vu… ? As-tu assisté à ses derniers instants ?

Peu importe la réponse, Neorvrim le regardera s’enfoncer dans la forêt, le cœur morcelé. Ce n’est qu’une fois qu’il n’est plus capable de sentir son odeur qu’il s’écroule à genoux, finalement harassé par le poids de sa culpabilité, de son chagrin et de ses fantômes. Les épaules basses et parcourues de frémissements, le menton baissé, il pousse finalement un hurlement d’impuissance en frappant la terre de son poing.
- Elle n’a pas le droit… elle ne peut pas…

Il a subitement envie de mourir, avalé par les ténèbres, mais même cela, il ne le peut pas...
Il a promis...
Il restera le dernier dragon.
Seul pour l'éternité.

Gi-Ja se sent complétement exclu de cet échange entre entités pluri-centenaires. Il se sent même parasite. Il reste présent, par égard pour Neorvrim, car il est tout à fait conscient que la conversation ouvre des plaies suppurantes. Il doit être présent pour le soutenir. Les réactions du dragon sont déchirantes. Le jeune humain s'en trouve profondément ébranlé. Son être vibre au diapason de cet immense désespoir. Il comprend sa colère, sa détresse, la morsure amère de l'injustice et de l'humiliation... Et malgré cela, tout ce qu'il retient du marasme est que Neorvrim reste.

Il reste avec lui.

- Obéron !

Le fae se retourne lentement et partage avec le prince-consort des dragons un silence éloquent.

- L’as-tu-vu… ? As-tu assisté à ses derniers instants ?
- Non, je m'y suis refusé. Sans doute ai-je fait preuve de lâcheté. Je t'en laisse seul juge, mon ami... Adieux, Neorvrim.

L'époux de Titania disparait comme il est venu, tel un mirage. Le dragon s'effondre. Son hurlement ramène brusquement Cosgrave à la réalité. Son ami laboure la terre de ses poings et de son chagrin. Un sentiment d'urgence étrangle le soldat, comme si le sol allait s'ouvrir sous Neorvrim pour l'engloutir à tout jamais. Il se précipite auprès de lui. Il tente maladroitement de le retenir en lui attrapant les épaules.

- Hey ! Hey ! Stop !.... Neo, regarde-moi... Regarde-moi s'il te plait. Le jeune homme cherche à attraper son regard, tenant fermement son visage entre ses mains. Je suis là, tu n'es pas tout seul, d'accord ? Je suis là... On trouvera une solution. Je te le promets...

Il colle doucement son front contre le sien, sans le quitter des yeux.

- Tu es peut-être le dernier de ta race, mais tu n'es pas tout seul... Il se mord la lèvre avant de poursuivre résolument. Tu.. Tu m'as dit tout à l'heure que tu n'avais pas ta place en ce monde, mais c'est faux. Moi, j'ai une place pour toi. Je sais que c'est dérisoire, je suis dérisoire, mais tu as ta place parmi nous. Peut-être que tu ne veux pas sauver le monde de Titania, mais le mien, peut-être... peut-être que tu voudras bien... ? Avec moi ? souffle-t-il dans l'obscurité.

- Hey ! Hey ! Stop !
On l’agrippe par les épaules et ce simple contact le ramène un instant loin des profondeurs de son affliction. Il prend une profonde inspiration. Si ses yeux sont secs, son cœur saigne si fort qu’il pose sa main sur sa poitrine et y crispe ses doigts. Il se sent glacé, gelé de l’intérieur.

- Neo, regarde-moi... Regarde-moi s'il te plait.
C’est ce qu’il fait. Le peu de fierté et de dignité qu’il lui reste l’obligent à s’exécuter. Il croise le regard inquiet et compatissant du soldat. Ses paumes sur son visage lui procurent un grand bien.
- Je suis là, tu n'es pas tout seul, d'accord ? Je suis là...
Son visage se plisse de tristesse.
- Titania m’a ôté mon dernier espoir de pouvoir partir dignement et dans le respect des miens. Je n’ai plus rien Gi-Ja… plus rien…
- On trouvera une solution. Je te le promets...

Il secoue doucement la tête. Des autres solutions, il en a cherché et il n’y en a pas. Le jeune homme vient poser son front contre le sien et encore une fois, le corps de Neorvrim tressaille. Il agrippe la nuque de Gi-Ja avec une brutalité désespérée et presse plus fort contre sa tête.
A cet instant, il a besoin que les mots s’accompagnent d’action.
Il a besoin de sentir sa chaleur et sa rayonnante humanité.
Si belle, si vivante pour le mort ambulant qu’il est.

- Tu es peut-être le dernier de ta race, mais tu n'es pas tout seul... Tu… Tu m'as dit tout à l'heure que tu n'avais pas ta place en ce monde, mais c'est faux.
- Vraiment ? souffle-t-il. C’est pourtant bien ce que je ressens. Ils me hanteront à jamais, Gi-Ja. Et leurs voix et leurs flammes me pèsent. Ce fardeau est trop lourd, je suis incapable de vivre encore avec.

Incapable de vivre, incapable de mourir.
Voilà ce qu’il reste du dernier dragon.

- Moi, j'ai une place pour toi. Je sais que c'est dérisoire, je suis dérisoire, mais tu as ta place parmi nous. Peut-être que tu ne veux pas sauver le monde de Titania, mais le mien, peut-être... peut-être que tu voudras bien... ? Avec moi ?
Leurs yeux ne se sont pas quittés, le dragon s’y accroche avec autant de force que sa main tient toujours sa nuque.
- Etre ton ami… et sauver ton monde ou périr en essayant à tes côtés…
Il bouge légèrement la tête, comme une étrange caresse et le bout de son nez cogne contre celui de l’humain.
- C’est une bonne place… je l’accepte. Peut-être que mon fardeau s’allègera grâce à toi… comme lorsque tu m'apprends à cuisiner, quand nous avons voler ensemble ou que nous nous sommes affrontés à l’épée.

Lentement il se redresse et sa main glisse de sa nuque à son cou. Etrangement, il n’arrive pas à la détacher de là. Il a peur soudain de se faire gober par le froid et l’obscurité s’il cesse de le toucher. Gi-Ja ne peut que constater à quel point son toucher est bien moins chaud qu’habituellement, comme si une partie de lui venait de s’éteindre après la visite d’Obéron.
- Je suis navré que tu aies dû assister à ce triste spectacle.  Une idée lui vient soudain et son visage se durcit soudain. Ton Major... il savait n'est-ce pas ?  

Jamais Gi-Ja n'a eu de contact aussi intime avec un autre être humain. Jamais il n'a eu si peur de perdre quelqu'un. Jamais il n'a ouvert son âme et ses émotions à quelqu'un de la sorte. Peut-être est-ce parce que Neorvrim est un animal.
Peut-être aussi est-ce la première fois que l'humain sort de sa torpeur pour se battre, défendre un sujet sur lequel il refuse de transiger.

- Etre ton ami… et sauver ton monde ou périr en essayant à tes côtés… C’est une bonne place… je l’accepte.

Gi-Ja est submergé par une vague de soulagement. Durant un bref instant , il a suspecté Neorvrim de vouloir en finir avec lui-même. Et cette perspective, son esprit s'y refuse catégoriquement.

- Peut-être que mon fardeau s’allègera grâce à toi… comme lorsque tu m'apprends à cuisiner, quand nous avons voler ensemble ou que nous nous sommes affrontés à l’épée.

Alors, c'est vrai ?
Sa présence lui est bénéfique ?
Le soldat le couve d'une expression tendre et pétri de gratitude. Si le dragon s'accroche désespérément à lui, il en fait de même. Agrippés l'un à l'autre, les funambules tentent de ne pas tomber dans le vide qui n'attend que de se repaitre d'eux au moindre faux pas.

- Je te promets que je ferais tout mon possible pour... Je vais prendre soins de toi, Neo... Ok ?

Le reptilien reflue, laissant Gi-Ja un peu hébété, soudain privé de cette effusion de contacts. Il pose sa main sur celle de Neorvrim pour ne pas perdre leur dernière connexion. Ses doigts sur sa peau sont étonnamment tièdes, presque à température humaine.

- Je suis navré que tu aies dû assister à ce triste spectacle.
- Ne le sois pas... Les amis sont faits pour se soutenir dans de pareilles situations, non ? Il lui adresse un sourire encourageant.
- Ton Major... il savait n'est-ce pas ?
- Non. La réponse est immédiate et catégorique. S'il avait su que Titania avait instauré cette mesure, ils t'en auraient informé. Ciulin aussi. Ces deux là sont peut-être spéciaux à tes yeux mais ce sont aussi les personnes les plus frontales que je connaisse. Ils ne dissimulent pas. Jamais. S'en est même franchement fatiguant...ironise l'artificier. Mais, je peux te l'assurer, un info pareille, ils ne te l'auraient pas cachée. Ce sont de super mauvais menteurs, ça leur aurait brulé la gorge... Il s'ébroue d'un petit ricanement. Tu crois qu'ils détestent la politique pour quoi à ton avis ?

Gi-Ja frotte les doigts de plus en plus frais de son compagnon entre ses deux paumes et souffle dessus pour les réchauffer.

- Ta température a beaucoup baissé. Ca m'inquiète. On ferait mieux de rentrer...

Le jeune homme ramasse le katana et se lève adroitement. Il tend sa main libre à Neorvrim.

- Viens... dit-il doucement. Et c'est main dans la main, préoccupé de mesurer sa chaleur corporelle en chute libre, qu'ils marchent vers la base.

- Je te promets que je ferais tout mon possible pour... Je vais prendre soins de toi, Neo... Ok ?

Neorvrim a un mince sourire. Plaisant changement pour lui qui a passé l’intégralité de son existence à mettre les besoins d’une autre avant les siens. Ces humains sont décidément bien surprenants.
Cet humain en particulier.
Il recule toutefois, avec regret, en ramassant les restes de sa dignité éparpillés aux quatre vents.  

- Je suis navré que tu aies dû assister à ce triste spectacle.
- Ne le sois pas... Les amis sont faits pour se soutenir dans de pareilles situations, non ?
- Sans doute oui, approuve-t-il en écartant légèrement les doigts sur la joue du caporal.

Il est particulièrement touché par les déclarations de Gi-Ja et son vieux cœur éprouvé en est quelque peu réchauffé. Il espère lui apporter autant qu’il lui apporte et s’assurera qu’il trouvera le bonheur avant… avant de décider de son propre destin.  
Une idée pernicieuse lui traverse soudain l’esprit.

- Ton Major... il savait n'est-ce pas ?
- Non. S'il avait su que Titania avait instauré cette mesure, ils t'en auraient informé. Ciulin aussi.
Et pendant que le caporal lui explique exactement pourquoi, le dragon soupire.
- Peut-être… les trahisons vous amènent à voir la duplicité partout. Je vais néanmoins avoir une petite conversation avec eux demain matin.
Etonné, il regarde l’humain frotter et exhaler un petit souffle tiède sur sa peau.

- Que fais-tu ?
- Ta température a beaucoup baissé.
- Tu as raison. J'ai froid. Mon coeur a été rudement frappé et la pluie n'est pas pour améliorer ma condition.
- Ça m'inquiète. On ferait mieux de rentrer...

Il l’observe se relever et mettre fin à tout contact. Un réflexe stupide le prend de rattraper la main du caporal. Mais bien trop affaibli, le dragon frissonne de la tête au pied, détestant cette sensation d’engourdissement de son corps. Ils sont trop près de la forêt, trop près de toute cette humidité nocturne.

- Viens...

Il accepte la main tendue et essaie de se redresser à son tour sans montrer sa faiblesse. D’un commun accord, leurs mains restent unies et le dragon savoure ce contact, se laissant parfois aller à caresser ce derme humain du pouce.

Quelle amitié improbable que la leur.
Quelle précieuse amitié que la leur.  

- Gi- Ja ? fait-il soudain, interrompant le silence de la nuit. Merci… d’être resté auprès de moi. De ne pas m’abandonner alors que j’étais prêt à le faire.
Arrivé à la base Neorvrim réfléchit et le retient soudain. Sa main libre se porte machinalement sur son cœur. La vibration élémentaire s’est affectivement amoindrie. Retrouver un environnement sec ne suffira pas.
- Mon cœur a besoin d’un feu pour raviver ma Flamme intérieure. Un grand feu. Il dédie un sourire las à son ami. Rien de bien sorcier pour un artificier n’est-ce pas ?  

- Gi- Ja ?
- Hum ? Fait paisiblement l'interpellé en tournant son profil vers lui.
- Merci… d’être resté auprès de moi. De ne pas m’abandonner alors que j’étais prêt à le faire.
- Tu n'as pas à me remercier pour quelque chose de normal, fait-il en cheminant toujours, son sourire perceptible dans le timbre de sa voix. Ne nous voilons pas la face, je suis un peu égoïste. Ce que Titania te fait endurer est dégeulasse, tu as assez souffert et tu devrais pouvoir disposer de toi même comme tu l'entends. Mais... je te garde un peu plus longtemps pour moi alors je ne vais pas m'en plaindre... Il réalise soudain l'ambiguïté de sa déclaration. Avec moi, je veux dire, et les autres bien sûr. Avec nous..., corrige-t-il en se rattrapant maladroitement aux branches.

Une bénédiction que la lune ne trahisse pas son teint et la jolie teinte rosée qu'il a pris. La garnison atteinte, en passant une nouvelle fois par l'ouverture secrète du grillage, Neorvrim s'arrête, obligeant le jeune homme à se retourner.

- Qu'y a-t-il ?
- Mon cœur a besoin d’un feu pour raviver ma Flamme intérieure. Un grand feu.
- Oh...
- Rien de bien sorcier pour un artificier n’est-ce pas ?

Gi-Ja lui rend son sourire avec un rien d'espièglerie.

- J'adorais faire exploser quelques une de mes créations pour tes beaux yeux, mais je vais réveiller toute la caserne si je fais ça. Par contre on peut retourner dans la clairière où je t'ai emmené voler, pour y allumer un beau feu de joie, tu pourras y danser tranquille sans alerter les gars qui patrouillent. On va simplement passer par mon atelier avant.

Le Caporal Cosgrave s'est approprié un petit coin d'atelier non loin de l'armurerie, pour préparer des munitions pyrotechnique artisanales. Il l'a déjà présenté au dragon, mais ne s'est jamais vraiment attardé sur ce qu'il y faisait. Attrapant discrètement plusieurs combustibles et accélérants qu'il fourre dans un grand sac d'armée, il fait signe à son compagnon de se faire discret. Les deux comploteurs se cachent d'une patrouille qui fait le tour des bâtiments avant de ressortir par leur entrée secrète. Gi-Ja a la délicieuse impression de faire le mur comme à l'époque du lycée, pour aller boire et fumer avec ses camarades. La sensation de braver un interdit le grise et lui chatouille le ventre. Elle débride ses réactions d'ordinaire plus mesurées.
Il a sans doute besoin d'évacuer également toutes les tensions précédemment endurée.
Il organise son petit bûcher en désherbant une zone circulaire suffisamment large pour l'y accueillir. La terre est un peu humide, mais en quelques gestes experts l'artificier contourne le problème. Le feu prend et monte rapidement. Le jeune homme a clairement une attirance particulière -pas franchement saine- pour les flammes et ses prunelles pétillent d'une félicité particulière. Cet élément l'a toujours fasciné : à la fois destructeur et symbole de vie.

- Voilà de quoi te réchauffer les écailles !

Cela fait maintenant la deuxième fois que Gi-Ja se laisse aller à parler plus librement et Neorvrim sourit imperceptiblement. Cette volonté farouche qu’il reste est un véritablement baume pour sa solitude et ses idées noires.
Il ne se débarrassera jamais vraiment de ses fantômes mais il sait au moins qu’ils ne sont pas les seuls à… avoir envie de sa présence… besoin peut-être ?
Cette pensée à un rien de quelque chose d’interdit pour être comme lui qui ne fera que passer brièvement dans sa vie.
Mais en attendant, il est ici et il va devoir faire avec cette nouvelle épreuve, grandement facilité par l’accueil des humains et les sourire de son ami.

- J'adorais faire exploser quelques unes de mes créations pour tes beaux yeux, mais je vais réveiller toute la caserne si je fais ça.
- Hum… et je suppose que çe ne serait pas une bonne chose, déclare-t-il avec un soupçon de malice retrouvée dans la voix. Cela dit, j’adorerai te voir œuvrer avec le feu.
- Par contre on peut retourner dans la clairière où je t'ai emmené voler, pour y allumer un beau feu de joie, tu pourras y danser tranquille sans alerter les gars qui patrouillent.
Le dragon émet un petit ricanement.
- Bonne idée. Mais navré de te décevoir, je ne compte nullement danser. Il n’y a que dans les airs que l’expression pourrait éventuellement s’appliquer.
- On va simplement passer par mon atelier avant.

Il hoche la tête et le suit. Il regarde avec curiosité le soldat se mouvoir dans ce nouvel espace. Comme la première fois, le trajet est relativement court et tout aussi furtif. Un adjectif qui s’appliquait bien rarement au dragon. Mais à voir l’air réjoui et malin de son comparse, sans doute est-il plus habitué que lui à de telles escapades.
Il le laisse œuvrer, le scrute avec attention et bientôt un grand feu ronronne dans une large zone. Sa chaleur s’insinue déjà sous la peau du dragon qui inspire avec satisfaction. Il croise le regard de Gi-Ja et y lit avec étonnement la même joie brute.

- Tu aimes le feu toi aussi.
- Voilà de quoi te réchauffer les écailles !
- C’est parfait.

Sans se presser, il retire ses vêtements un à un, dévoilant un corps massif et musculeux. Une large cicatrice barre sa cuisse droite, comme un vicieux coup de griffe. L’herbe humide est un supplice pour ses pieds nus mais sitôt qu’il approche du feu, celui-ci se tend vers lui comme s’il accueillait un vieil ami puis s’incline presque devant la créature. Neorvrim prononce quelques mots dans sa langue et le feu s’amplifie soudain alors qu’il y pénètre sans aucune hésitation ni aucune crainte.

Les flammes l’entourent, lèchent sa peau, font miroiter ses yeux qui apparaissent comme rougeoyants. Neorvrim se tient à présent au centre du brasier, un sourire féroce sur le visage et lève la tête en écartant les bras, s’offrant pleinement à la chaleur environnante et à la faim dévorante du feu. Le dragon disparait presque à la vue de Gi-Ja tant il gagne en intensité. Les flammes semblent se recroqueviller sur elle-même, puis danser avant de former des sortes de spirales infernales autour du dragon qui scande de nouveaux mots de pouvoir.

Aussitôt, l'effet s'inverse et c’est le corps de la créature qui avale le feu et l’absorbe complètement avec une vitesse folle jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucune flammèche.

Neorvrim se tient toujours debout, le corps fumant et le visage exalté. Son torse se soulève au rythme d’une respiration plus courte et sa peau rougeoie encore comme si les flammes se trouvaient juste sous sa peau, particulièrement là où se trouve son cœur élémentaire. Elles se reflètent encore dans ses iris qu’il tourne vers l’humain.

- Cela va mieux. Même sa voix semble réchauffée et a retrouvé un timbre hypnotique et envoutant. Il tend une main vers lui. Peux-tu m’apporter mes vêtements, je te prie. J’aimerais éviter le contact de l’herbe mouillée.

- Tu aimes le feu toi aussi.

Gi-Ja éclate de rire.

- Je plaide coupable ! J'adore ça. Le feu est libre, avide de vie et ambivalent. Il fait un peu ce qu'il veut au gré de son envie. Apprendre à la canaliser est exigeant mais incroyablement exaltant... Bref !  Voilà de quoi te réchauffer les écailles !

Il se dit alors qu'il doit être un peu ivre, ou passablement fatigué pour se laisser aller à tant de confessions intempestives.

- C’est parfait.

Médusé, le jeune homme regarde le dragon s'effeuiller, récupérant ses vêtements un à un. Il a beau savoir que ceci n'est pas son apparence véritable, qu'il s'agit d'une enveloppe au même titre que cette tunique, qu'il ne devrait pas s'en trouver gêné, mais le draconien est plastiquement une œuvre d'art incontestable : le dessin parfait de ses larges épaules, son torse puissant, ses jambes longues et fuselées, son abdomen musclé, le galbe ferme de ses fesses, son... La carcasse du soldat s'échauffe. Hailey a raison : Neorvrim est sexy. Effroyablement sexy. Incapable de quitter son camarade des yeux, il est conscient de tout le sang qui afflue en dessous de sa ceinture et gonfle ses lubies déplacées.

Il est infâme.
Détestable.
Sale....

Les insultes s'égrainent dans sa caboche et s'étiolent face au spectacle incroyable dont il est témoin. Norvrim n'a pas seulement besoin du feu. Il est le feu. Le pouls de Gi-Ja s'accélère et son excitation avec. Il assiste à l'immolation le souffle court, erratique, comme les rares fois où il se permet de... (Non. Il ne peut même pas le formuler dans sa tête tant il a honte de ces moments intimes).
L'instant de grâce prend fin. La clairière perd ses teintes rouge et or pour replonger dans une froide pénombre. L'artificier prend alors conscience de l'état de trouble dans lequel il se trouve. Il espère que Neorvrim n'en a rien vue.

- Cela va mieux. Peux-tu m’apporter mes vêtements, je te prie. J’aimerais éviter le contact de l’herbe mouillée.
- O... Oui, évidemment.

Mal à l'aise, Gi-Ja tend les habits au dragon à bout de bras en essayant de ne pas loucher sur son entre-jambe.

- Cela va mieux. Peux-tu m’apporter mes vêtements, je te prie. J’aimerais éviter le contact de l’herbe mouillée.

Il fait jouer les muscles de son cou et de ses épaules. L’engourdissement du froid à laisser la place à une énergie qui charrie dans ses veines une adrénaline folle qui fait gonfler tous ses muscles et tendons. Il a envie de chasser, de voler, de décharger ce surplus de vigueur.

- O... Oui, évidemment.

Son attention se reporte vers le soldat et son regard semble se faire plus aigu, plus intense. Il le fixe comme un animal scrute sa proie sans même en avoir conscience. Il fait un pas vers lui dans les cendres, puis un deuxième avant de récupérer ses vêtements. Il ne l’a pas lâché des yeux et ploie légèrement la tête pour ne pas briser le contact.

- As-tu apprécié le spectacle, adorateur du Feu Sacré ? coule-t-il de la même voix suave.

Il ne fait toujours pas mine de s’habiller. Le froid est une notion qu’il vient de reléguer dans le domaine de l’insignifiant. Il fronce légèrement les sourcils en constatant le trouble du jeune homme.
Ses narines frémissent légèrement.

L’humain sent bon.
Du fin fond de sa cervelle reptilienne, il se demande quel goût il peut bien avoir. Sa chair sera-t-elle aussi tendre que sa peau semble douce ? Aura-t-il la saveur des épices ? Fera-t-il chanter ses papilles comme jamais ?
Il s’en veut immédiatement pour ces pensée indignes de lui et de leur amitié.

Goûter, il voudrait simplement pouvoir goûter.

Pourtant ces pulsions irrépressibles stagnent, tourbillonnent et bientôt d’autres les rejoignent. Ses iris enflammés descendent vers les lèvres du soldat humain. Ces baisers que s’échangent cette race, ne sont-ils pas cela après tout ? Un avant-goût de l’autre. Cela le rassasiera-t-il ? Ses lèvres pleines gardent-elles jalousement la saveur unique de ce corps humain si tentant ? Il se le demande…
Neorvrim rassemble les dernières notions de civilité qu’il lui reste pour secouer la tête, espérant disperser une bonne fois pour toute ses idées impies.

- Navré. Je crains de ne plus être tout à fait moi-même… ou peut-être un peu trop.

Sa connexion avec le Feu l’a rapproché de ce qu’il est vraiment.
Chasseur.
Destructeur.
Créature.
Dragon.
Animal.

Lentement, sa main brûlante se dresse vers la joue du jeune homme dont il ne fait que frôler la peau puis descend vers ses lèvres.
Douces. Tendres. Appétissantes.
Par la Flamme Sacrée que lui arrive-t-il ? Il retire sa main.
Il ne s’agit pas d’un vulgaire bout de viande mais de son ami ! Gi-Ja. Il ne mérite nullement d’être considéré de la sorte.

- Peut-être vaudrait-il mieux que tu rejoignes la base seul, souffle-t-il finalement. Après un tel apport d’énergie, je serais de toute façon incapable de m’endormir paisiblement cette nuit.

Les flammes ont nourri le magnétisme surnaturel du dragon. Gi-Ja se trouve happé par le regard luminescent de Neorvrim. Dès lors qu'il est harponné par ses prunelles dorées, il se trouve incapable de détourner les yeux. La voix grave du draconien coule au creux de ses tympans, produisant un frison indescriptible qui lui secoue l'échine.

- As-tu apprécié le spectacle, adorateur du Feu Sacré ?
- Oui... Comme plongé dans un état second, il s'entend souffler : Tu es tellement beau....

Le soldat bataille avec lui même pour ne pas céder à la pulsion de le toucher. Neorvrim semble lire dans ses pensées car il s'approche de lui même. Ses iris incandescentes glissent sur l'humain avec une avidité prédatrice. Gi-Ja devrait être tétanisé par la terreur mais c'est un autre sentiment qui prédomine : un désir viscéral. Il y a dans le creux de son ventre et le vide de son coeur l'envie sauvage de s'offrir à lui. Peu importe qu'il le dévore et le tue. Ce serait la plus intense et délicieuse des expériences de sa misérable existence. De cela, il est certain.

Neorvrim secoue la tête et Gi-Ja se libère une poignée de secondes de son pouvoir d'attraction. Et surtout de ses idées malsaines. Il a la sensation que l'oxygène retrouve le chemin de ses poumons. Avait-il à ce point oublié de respirer ?

- Navré. Je crains de ne plus être tout à fait moi-même… ou peut-être un peu trop.
- Moi aussi.. Je... Il.. Il faut... balbutie-t-il, inapte à formuler une parole sensée.

Le contact de ses doigts sur sa peau lui font brièvement clore les paupières. Il entrouvre inconsciemment les lèvres, lorsque le dragon en explore la pulpe. Un signal d'alarme sonne faiblement au fond de son crâne. Il doit fuir, échapper à cet autre "lui" qui n'aspire qu'à se libérer et exprimer, lui aussi, ses appétits.

- Peut-être vaudrait-il mieux que tu rejoignes la base seul. Après un tel apport d’énergie, je serais de toute façon incapable de m’endormir paisiblement cette nuit.

Le soldat saute sur cette porte de sortie. C'est une question de survie : il n'aura pas d'autre chance.

- Oui... Tu as raison, fait-il en reculant doucement. Je suis épuisé, de toute façon. Un nouveau pas en arrière pour appuyer le mensonge. Essaie de te faire discret en rentrant, ok ? Faible sourire.

Voilà, il a réussi, il a tourné les talons. Il se frotte la nuque d'une main, complétement chamboulé, et ne s'autorise à lui lancer un dernier aurevoir de la main que lorsqu'il est certain d'avoir suffisamment de volonté pour ne pas rebrousser chemin.
Une fois seul, dans la pénombre de ses quartiers, l'artificier se laisse tomber sur son lit. Le regard fixé au plafond, les images de cette étrange soirée le visitent à nouveau. Il glisse honteusement sa main à l'intérieur de son pantalon, relevant son t-shirt pour le mordre et ne plus s'entendre gémir.

Cette nuit là, ce n'est pas le prénom de Caleb qu'il soupire.