Grâce à la Flamme, il a rapidement retrouvé le contrôle de ses instincts et appétits après avoir tant nourri son feu ce soir-là. Il a fini par se rhabiller puis s’est transformé.
Il a passé la nuit à voler et à chasser une pauvre biche au goût bien fade. Il est presque certain que ce à quoi il aspirait dans cette clairière aurait eu bien plus de saveur.

Il ne saura jamais.
Et cette pulsion était de toute façon totalement déplacée.

Depuis quand a-t-il envie de manger des amis ?
Depuis qu’ils sont humains et terriblement appétissants…

Mais au petit matin, le dragon est revenu à nouveau apprivoisé et les choses purent retrouver leur court habituel ou presque.
Il est allé voir le Major dès que possible, mais il a bien fallu qu’il se rende à l’évidence qu’effectivement, celui-ci ne savait rien des agissements de Titania. Il a toutefois renouvelé sa promesse de l’aider au mieux en lui expliquant que les choses seront sans doute plus faciles à négocier une fois cette entité nommée Unseelie vaincue.
Il a soupiré de désespoir mais a entendu la raison derrière ces propos.
Résigné.

- Ta garde ! Plus haute ! indique-t-il à celui qui est devenu son élève.

Il a naturellement proposé à Gi-Ja de cultiver ses dons à l’épée et le soldat a accepté. Avec la permission du Major, ils s’entrainent donc lorsque le jeune soldat n’est pas demandé ailleurs.
Il repousse une attaque un peu plus faiblarde, indication nette qu’il est sans doute temps d’arrêter. Il pare et contre-attaque vivement jusqu’à réussir à arracher l’épée des mains du soldats et de le menacer avec.
Il sourit néanmoins parce qu’il progresse à une vitesse fulgurante alors même qu’ils n’ont commencé qu’il y a quelques jours.

- Beau travail. Hydrate-toi et nous arrêterons la cession d’aujourd’hui.
Il l’aide à se relever et lui tend son arme. Il a plaisir à voir combien elle semble faire corps avec Gi-Ja. Comme souvent depuis quelques jours, le dragon note que le regard de l’humain s’attarde sur lui. Il ne se le permet pas souvent et avec beaucoup de discrétion mais les sens de Neorvrim les interceptent souvent.

Il en cherche encore la signification.
Craint-il qu’il ne se laisse aller à nouveau ? Qu’il perde soudain toute civilité pour dévorer l’ensemble de la caserne ?
Possible.

- Gi-Ja… concernant la…
Il s’arrête soudain en sentant tout un tas d’odeurs qu’il n’a encore jamais croisées à la caserne et qui se rapprochent. Le dragon se tourne pour voir arriver le Major, tout sourire, flanqué de tout un tas d’enfants de tous âges. Les plus petits ont pris la main de Caleb et le tire presque pour qu’ils aillent plus vite.
Neorvrim observe leur avancée avec une certaine fascination. Depuis combien de temps n’a-t-il pas vu de petits ? Il s’avance d’un pas.
- Des enfants… murmure-t-il avec beaucoup de révérence et d’émotions.
- Neo ? T’as de la visite mon vieux ! Ces gosses meurent d’envie de faire ta connaissance. Les mômes je vous présente notre dragon ! Mais aujourd’hui je veux bien vous le prêter un peu.
- Ouais non parce que moi j’escorte juste la marmaille hein. Je suis carrément pas là pour le dragon, réplique un grand bonhomme à la barbe drue et noir.

Neorvrim observe les enfants tour à tour – deux d’entre eux sentent fort le loup et l’homme hirsute l’ours à plein nez – avec un sourire.

- Bonjour.

- Ta garde ! Plus haute !

Gi-ja corrige immédiatement sa posture.
Il n'est pas au meilleur de sa concentration aujourd'hui. Depuis la fameuse nuit où il a verbalisé son besoin d'avoir Neorvrim auprès de lui, depuis cette même nuit où il a découvert que le dragon était capable d'une terrible capacité de séduction, le jeune homme est complétement perdu. Il patauge au milieu de ses contradictions.
Pourquoi éprouve-t-il des étincelles étranges dans sa poitrine quand il songe à son ami draconique ?
N'est-il plus attiré par Caleb ? (Il l'est toujours, il a pu encore le vérifier il y a quelques heures en le croisant à moitié nu en sortant de la douche. Son palpitant s'emballe avec la même constance.)
Et que dire de l'homme sur la plage qui suscite des flashs torrides dans sa mémoire ?
Si c'est uniquement de la frustration sexuelle, pourquoi la masturbation ne le soulage pas ?

Son attaque est ridiculement molle. Il n'y a pas mis assez d'attention et grimace en la voyant contrecarrée avec une aisance presque humiliante. La fatigue sonne le glas de la leçon d'escrime.

- Beau travail. Hydrate-toi et nous arrêterons la cession d’aujourd’hui.
- Ne me ménage pas ! J'étais vraiment mauvais sur la dernière estoc... déclare-t-il avant de boire à grandes gorgées à sa gourde.

Il se mouille la tête pour baisser en température. En s'essuyant, il ne peut pas empêcher ses prunelles de chercher la silhouette élancée de Neorvrim et de dévaler la chute de ses reins avant qu'il n'enfile sa sempiternelle tunique. C'est devenu une sorte de reflexe. Ses yeux le captent où qu'il soit dans la caserne comme si ne plus l'avoir en visuel était aussi insupportable que de manquer d'air. Il se trouve stupide de le penser mais surtout de le ressentir.
Le dragon tourne la tête et croise son regard. Gi-Ja baisse les yeux et enfile son t-shirt pour se donner contenance.

S'est-il fait prendre ?
"Par pitié, non..."

- Gi-Ja… concernant la…
- La... s'enquiert le soldat, l'air de rien. Neo ?
- Des enfants…

Le Major est de retour et avec lui une équipée sauvage de gamins avec leurs parents. Il en a déjà croisé certains. Le grand brun à la tignasse bouclée est un ami proche de Rory. Le blondinet musculeux avec un katana (qui n'a pas manqué de l'intriguer) est souvent dans leur sillage avec la brunette au nez pointu. Il y a souvent trois autre filles avec eux, dont la soeur de Ciulin. Les plus jeunes, par contre, il ne les a jamais vus. Caleb est trainé par une blondinette haute comme trois pommes qui lui tient la main. Dans son autre pogne elle trimballe un ours en peluche complétement défoncé. Un petit garçon, qui ressemble beaucoup à la fillette, accourt vers Neorvrim, un petit balèze trapu sur les talons.

- C'toi l'dragon ?
- Pouah , ça s'peut pas! Il a l'air juste d'un humain en robe  de chambre !
- Tyron, soit poli ! claque une rouquine en lui tapant sur la tête.
- Aïeuuh !
- Sois poli où tu finiras en rôti ! complète la gamine noire qui tient la main de la rousse.
- Conneries...
- Neo ? T’as de la visite mon vieux ! Ces gosses meurent d’envie de faire ta connaissance. Les mômes je vous présente notre dragon ! Mais aujourd’hui je veux bien vous le prêter un peu.
- Merci, Cal ! T'es trop choupi ! L'adolescente avec un tarin de caractère et des frusque multicolores lui colle un bécot sonore sur la joue. Puis s'en va se poster en face de Neorvrim pour lui faire... un câlin. Enchantée de te rencontrer Neo ! Moi c'est Katie, mais appelle moi Kat ! Voici Marnie, William, Neve, Norah, le petit con là, c'est Tyron...
- Va chier !
- Lui, c'est Declan. Un jeune garçon à lunettes agite timidement la main, avec un carnet et un crayon contre la poitrine. Il va te souler de questions, donc arme toi de patience, ok ?
- Dis-lui "Ta gueule Brainy !", ça coupe l'robinet  en général ! assène une gamine efflanquée aux cheveux filasses.
- Voici Dairine ; le taiseux là c'est Scott, c'est notre quota loup-garou ; Ryan...
- Yo...
- Et çaaaa c'est notre papa ours à nous : Magni !
- Ouais non parce que moi j’escorte juste la marmaille hein. Je suis carrément pas là pour le dragon.

Une femme élancée, équipée comme pour aller chasser à l'arc, sort de l'ombre du grand barbu et toise Neorvrim. Son air méfiant, pour ne pas dire hostile, ne met pas du tout l'artificier en confiance. Quelque chose chez elle semble faire tiquer le dragon mais Gi-Ja est incapable de dire quoi. Instinctivement, le soldat s'est posté tout prêt du dragon, prêt à s'interposer au besoin.

- Et.. euh.. notre maman, Jolhane, ajoute Katie soudain tendue par l'attitude de son ainée. La susnommée Jolhane ne pipe mot tout en s'approchant de Neo comme pour renifler son odeur de plus prêt. Et.. euh.. je vois que tu as un ange gardien !  fait l'adolescente pour tenter d'alléger l'atmosphère. Elle désigne Gi-Ja du menton. Il a un nom ce samouraï mignon ?

- C'toi l'dragon ?

Les hostilités semblent lancées et les enfants piaillent dans tous les sens. Le dragon les observe, les yeux rieurs. Il s’accroupit à la hauteur des petits et déclare posément.

- Oui, je suis le dragon. Je me nomme Neorvrim. Ceci est en vérité une tunique tissée avec des fils d’or issu des mines de mon ancienne cité et offerte par ma Reine. Son dernier cadeau. Et… effectivement il est en mon pouvoir de vous rôtir. Néanmoins il se trouve que j’apprécie bien plus la cuisine coréenne que l’enfant, conclue-t-il en se redressant.
- Neo ? T’as de la visite mon vieux !
- Je constate.
- Ces gosses meurent d’envie de faire ta connaissance. Les mômes je vous présente notre dragon ! Mais aujourd’hui je veux bien vous le prêter un peu.
Le dragon roule des yeux, habitué au possessif du Major quand à sa personne.
- Merci, Cal ! T'es trop choupi !
- Je sais ! fais le Major avec une sourire resplendissant et un rien fier en recevant son baiser.  
L’adolescente se dirige vers lui et l’enlace subitement. Les bras le long du corps, Neorvrim baisse les yeux vers la toute jeune fille, indécis.
- Enchantée de te rencontrer Neo ! Moi c'est Katie, mais appelle moi Kat ! Voici Marnie, William, Neve, Norah, le petit con là, c'est Tyron...

S’ensuit une liste de nom qu’il mémorise facilement. Sa mémoire a toujours été un atout, surtout lorsqu’on se prête au jeu de la politique où un mot de travers pouvait froisser les egos et provoquer des conflits évitables.
- Heureux de vous rencontrer. Cela fait une éternité que je n'ai pas vu...d'enfants.
L’humaine – non pas tout à fait – rousse se détache du groupe et le toise avec une méfiance et une hostilité qui glisse sur les écailles du dragon comme de la soie. Néanmoins, elle attise sa curiosité. Gi-Ja se déplace à sa hauteur, tout aussi sur ses gardes

- Et… euh… notre maman, Jolhane.
- Nymphette ? lance le grand ours, à la peau humaine, l'air inquiet, avant d’arrêter ladite Jolhane avant qu'elle ne s’approche de lui. Faut donner le bon exemple aux enfants. Il est clean, ok ? Sinon il serait pas là.
- Euh… ouais… il est cool, Jolhane, ajoute Caleb. Il va même nous aider avec Unseelie. Pas vrai ?
- Si je le peux, oui.

Neorvrim penche la tête sur le côté et observe toujours la femme en plissant les yeux. Rien dans son attitude ne laisse voir qu’il répond à l’attitude peu amène de la jeune femme. Il incline au contraire galamment et respectueusement la tête.

- Dame Renarde. Voilà bien longtemps que je n’ai pas croisé l’un des vôtres. Vous n’avez rien à craindre de moi. Nous sommes, après tout, tous deux des créatures animales. En partie du moins.  
- Et… euh… je vois que tu as un ange gardien !  
- Oh il occupe bien des rôles … Kat. Tout va bien, souffle-t-il à Gi-Ja. Je ne mangerai personne, tu sais.
- Il a un nom ce samouraï mignon ?
- Le caporal Gi-Ja Cosgrave. Il tourne la tête vers son ami. C’est lui qui m’a tiré de mon long sommeil, précise-t-il avec un sourire bien plus mélancolique.
- Neo dormait dans les mines.
- Un sort pratiqué sur moi il y a bien longtemps.
- On faisait une expédition et mon caporal aux deux pieds gauche est tombé dans une sorte de trou qui l’a mené dans le mausolée de Neo. Du coup je sais même pas comment t’as fait au juste ! T’as joué le prince charmant de la belle au bois dormant avec un baiser ?

- Dame Renarde. Voilà bien longtemps que je n’ai pas croisé l’un des vôtres. Vous n’avez rien à craindre de moi. Nous sommes, après tout, tous deux des créatures animales. En partie du moins.
- Tu sens plus la ferraille que le sang. C'est encourageant, assène finalement Jolhane. Par contre... Elle fixe Gi-Ja de ses prunelles mordorées. Toi, tu as été marqué...

Cosgrave réprime un frisson mais garde une expression composée. Il ne va pas se laisser  déboulonner par une bande de sauvageons et une ... Femme-renarde ?

- Merci de ne pas confondre avec du bétail, réplique-t-il en soutenant l'intensité de l'oeillade de Jolhane.
- Et… euh… je vois que tu as un ange gardien !
- Oh il occupe bien des rôles … Kat.
- J'imagine assez bien, oui... et cette fois la dreige étire un fin sourire moqueur, propre à son animal totem. Encore une femme trop perceptive dont il faudra se méfier.
-  Tout va bien. Je ne mangerai personne, tu sais, souffle Neorvrim à son ami. Ce dernier le contemple avec une expression offusquée.
- Je sais bien, enfin ! C'est pas de toi dont je me méfie.
- Il a un nom ce samouraï mignon ?
- Le caporal Gi-Ja Cosgrave. C’est lui qui m’a tiré de mon long sommeil.
- Neo dormait dans les mines.
- Un sort pratiqué sur moi il y a bien longtemps.
- On faisait une expédition et mon caporal aux deux pieds gauche est tombé dans une sorte de trou qui l’a mené dans le mausolée de Neo. Du coup je sais même pas comment t’as fait au juste ! T’as joué le prince charmant de la belle au bois dormant avec un baiser ?

Ricanement gêné. Gi-Ja se gratte le nez en lorgnant ailleurs. Il espère ne pas rosir comme un imbécile.

- Non. Les dragons ne s'embrassent pas.
- Ah bon, comment tu sais ? S'enquiert Marnie qui s'est faufilée jusqu'à eux.
- Il a déjà essayé, j'imagine...., raille Ryan qui s'allume une clope pour passer le temps (Un dragon en robe médiévale. Pas de quoi  se taper le cul par terre...)
- Absolument pas, lâche l'artificier, pincé. Je me suis contenté de faire la même chose que toi : m'en griller une en craquant une allumette sur son nez. Il a absorbé les étincelles et la flamme.
- Ca fait parfaitement sens ! Je le note... se précipite Declan.
- T'as... allumé ton dragon, s'esclaffe Dairine, suivie d'un concert de gloussements des Ninies.
- C'est pas si loin de la galoche finalement... continue Ryan sur sa lancée.

Gi-Ja, agacé, plisse les yeux en les posant sur Jolhane.

- Vous les avez super bien éduqués vos gamins, bravo... ironise-t-il.
- Je ne les ais pas éduqués du tout, répond-elle tranquillement. Je les ai trouvés dans le Brouillard et je leur ai appris à y survivre.

Le soldat écarquille les yeux, toute morgue quittant ses traits, et se sent soudain profondément bête. Il en avait entendu parler, mais pensait à une sorte de légende urbaine, un canulard : des rescapés ayant survécu deux ans dans les brumes d'Unseelie, entourés de ses monstres.
"Des enfants. Putain.. ils sont si jeunes..."

- Je... Je suis désolé. Je ne savais pas.

Marnie brandit son ours en peluche aux pieds du jeune homme.

- Doudou t'exuz' ! Y peut t'faire un bisou s'tu veux ?
- Euh.. ok.

Gi-Ja s'accroupit et laisse la gamine frotter la peluche mitée contre sa joue avec un sourire attendri.

- Bon c'est super tout ça, mais c'quand qu'tu craches du feu ! s'impatiente Tyron qui n'a pas perdu de vue les sujets importants.

Le dragon lance une œillade perplexe vers le soldat. S’il ne le croit pas capable de dévorer ces enfants sans état d’âme, pourquoi se sent-il donc contraint de le surveiller du coin de l’œil constamment ? Voilà qui le laisse encore plus confus.

- Non. Les dragons ne s'embrassent pas.
- Ah bon, comment tu sais ?

Le dragon pose une main chaude sur la tête de la petite fille. Elle est si minuscule… revoir autant de jeunes enfants lui sert le cœur. Le dernier dont il se souvient est mort dans ses bras. Il ne devait pas être bien plus haut que celle-ci.

- Parce que je le lui ai dit. Nous ne marquons pas non plus, d’ailleurs. C’est le propre d’autre animaux.  
- Il a déjà essayé, j'imagine...
Neorvrim secoue la tête. Il ne s’attendait certes pas à ce genre de discours avec des enfants. Mais après tout qu’y connait-il ?
- Absolument pas.
- J’étais simplement curieux du phénomène. Notre cher Major ici présent n’est pas avare en baiser avec son compagnon.
- Oups, rétorque Caleb avec un sourire malin plus que désolé. Toujours là pour instruire !
- Je me suis contenté de faire la même chose que toi : m'en griller une en craquant une allumette sur son nez. Il a absorbé les étincelles et la flamme.
- Ca fait parfaitement sens ! Je le note...
- T'as... allumé ton dragon.
- C'est pas si loin de la galoche finalement...
- Détrompe-toi, Ryan. Le terme approprié est nourri. Il pose une paume contre son torse. Mon cœur est fait de flamme. Une flamme très ancienne qui a été figé pour m’endormir. Une simple étincelle a suffi à le sortir de sa torpeur.
- Vous les avez super bien éduqués vos gamins, bravo...
- Ils sont curieux comme leur mère, voilà tout.
- Je ne les ais pas éduqués du tout. Je les ai trouvés dans le Brouillard et je leur ai appris à y survivre.

Un silence pesant s’installe alors que le dragon observe un peu mieux chacune de ces jeunes vies. Ils ont tous survécu à un enfer dont des soldats aguerris parlent encore, traumatisés par leur expérience au sein de la brume.

- Vous êtes donc tous de jeunes guerriers. Ça sera un honneur de combattre à vos côtés le jour J.
- Je... Je suis désolé. Je ne savais pas.
- Doudou t'exuz' ! Y peut t'faire un bisou s'tu veux ?
- Euh.. ok.
Le caporal se laisse docilement embrassé par le bout de tissu dans un état déplorable appelé « Doudou » sous l’œil attendri de l’homme-ours.
- Bon c'est super tout ça, mais c'quand qu'tu craches du feu !
- Ah. C’est donc cela que vous êtes venu voir, rétorque Neorvrim avec un sourire en coin. Il écarte les bras. Cette forme vous parait sans doute trop commune, n’est-ce pas ? Je n’ai pas pour habitude de me métamorphoser sur commande mais pour des guerriers aussi accomplis, je vais faire une exception. Reculez, je vous prie. Je ne voudrais pas vous blesser.

Lui-même effectue quelques pas en arrière. Pour la première fois, il se sent légèrement nerveux à l’idée de vêtir sa véritable forme. Les pulsions de la dernière nuit reviendront-elles ? Il jette un bref coup d’œil vers Gi-Ja puis vers les enfants – et les deux adultes – qui le regardent tous avec attention.
Lentement, des volutes de fumées épaisses l’encerclent et Neorvrim ferme les yeux, près à contrôler des instincts irrépressibles. Heureusement, rien ne se passe et il en soupire intérieurement de soulagement. Son corps écailleux et imposant en émerge. Il se dresse sur ses pattes arrière et agite les ailes pour créer une brise propre à décoiffer avant de cracher un long trait de feu vers le ciel, augmentant considérablement la température environnante. Sans doute en rajoute-t-il un peu pour la galerie. Mais après tout, ce sont des enfants, ils ont le droit à un peu de magie.
Neorvrim retombe lourdement au sol, plantant les piques de ses ailes dans la terre. Son long cou se tend vers ses invités curieux et sa lourde tête se penche dans un signe d’amusement difficile à interpréter pour qui ne l’a jamais vu sous cette forme.
- Suis-je plus « dragon » à présent, jeunes humains ? demande-t-il. Je n’aimerais pas vos décevoir.

- Putain de bordel de merde… lâche l’homme ours qui a instinctivement récupérer la plus petite dans ses bras et lui a bouché les oreilles pendant ses injures.
- Ouaiiiis, impressionnant hein !

- Ah. C’est donc cela que vous êtes venu voir.
- Bah ouais, qu'est-ce t'as cru ? Fait Tyron en croisant les bras. S'pas un barbichu en robe qu'on veut !
- On a déjà Magni pour la barbe, ajoute William
- Pour la robe aussi ? s'amuse Ryan.
- Cette forme vous parait sans doute trop commune, n’est-ce pas ?

Les plus jeune enfant lance des "oui" en chœur en levant les bras.

- Je n’ai pas pour habitude de me métamorphoser sur commande mais pour des guerriers aussi accomplis, je vais faire une exception.
- Euh.. ici ? s'inquiète Gi-Ja. T'es sûr de ton coup ?
- Reculez, je vous prie. Je ne voudrais pas vous blesser.

Les plus âgés de la bande écartent les plus jeune dans un élan spontané forgé par l'habitude de prendre soins les un des autres. "Une vraie famille.. ou une unité d'armée." pense alors le caporal. La dénommée Jolhane est certaine la cheftaine de ce petit gang disparate.
Neorvrim fait son numéro -en cabotinant même un peu - créant l'attroupement général, et Gi-Ja ne peut s'empêcher de sourire. Le spectacle est une réussite et les enfants poussent des cris ébahis. Ryan en perd sa cigarette de la bouche et même le fameux Scott affiche des yeux ronds. Pati est venue piaffer auprès de Cosgrave à la fois curieuse et inquiète. Le jeune homme la caresse pour la tranquilliser en lui causant en coréen en en anglais.

- C'est Neo, tu connais Neo, n'est-ce pas ?
- Suis-je plus « dragon » à présent, jeunes humains ? Je n’aimerai pas vous décevoir.
- Putain de bordel de merde…
- Faut que je fasse un dessin ! s'agite Declan sur son carnet.
- Prend un toph, t'es con ou quoi ? le bouscule Squirrel.
- GRAVE QUE OUAIS ! balance Tyron au comble de l'excitation. Venez on monte d'ssus !

Flanqué de William, il s'approche de la bête, sans peur et sans reproche. Marnie gesticule dans les bras de son père pour tenter de les rejoindre mais celui-ci la retient fermement. Les deux gamins commencent leur escalade sans égard pour le dragon. Gi-Ja a tôt fait de les rattraper et de chopper chacun par les aisselles pour les faire descendre de force.

- Arrêtez ! Un dragon a les écailles plus sensibles qu'on ne croit.

Les deux terreurs se débattent furieusement. Tyron ne s'embarrasse pas de délicatesse en assénant un coup de boule au soldat surpris, pendant que William lui décoche un tir de pied dans le tibias.

- 졸라 새끼 ! crache Gi-Ja en se frottant douloureusement le crâne.
- Tyron ! Will ! Jolhane n'a pas eu besoin d'élever la voix. Elle irradie d'une autorité naturelle qui stoppe immédiatement l'acharnement des deux garçons. Excuses.

Les deux petits s'alignent devant l'artificier, l'air penaud et contrarié à la fois;

- Désolés. On s'excuse... grommellent-ils.
- Ca va choupi ? Il t'as pas cassé ton joli nez ! demande Katie, navrée, avant de se tourner vers les garnements. Franchement, les gars, on avait dit qu'on se comportait pas comme des sauvages.
- On a pas été sauvages! s'insurge Tyron.
- Ouais, on a pas pris nos couteaux, renchérit William.

Ryan étouffe un petit rire qu'il maquille en toux.

- Déso, hein... on a zéro chill dans c'te famille. Mais faut partager un peu aussi, gars.

L'adolescent impertinent a l'air de beaucoup s'amuser de la situation et Gi-ja renifle, piqué au vif. Peut-être qu'il y a un peu de ça, peut-être qu'il considère un peu trop Neorvrim comme sien. Or, le dragon n'appartient qu'à lui même. Lui ? Lui, il n'est rien. Tout juste une luciole éphémère qui s'éteindra vite.

- Ca va, c'est bon. Il n'y a pas mort d'homme. Vous avez de sacrés réflexes pour des mômes...
- C'est ta manière d'dire qu'on est balèze ?

Le jeune homme se met à rire à la surprise de ceux qui le connaissent.

- Ouais, on peut dire ça...
- Dragon, autorises-tu mes renardeaux à te chevaucher ? demande alors Jolhane en s'inclinant poliment devant Neorvrim.

- GRAVE QUE OUAIS ! Venez on monte d'ssus !

Neorvrim recule instinctivement la tête mais se fait bientôt assaillir par de petites mains qui n’ont nullement conscience de l’agression qu’elles produisent. Ses écailles sont certes dures et résistantes mais s’en trouvent irritées du manque d’égard des enfants. Il pousse un grondement bas, incapable de bouger sans leur faire du mal, il est contraint à l’immobilité.
Heureusement son « ange gardien » vient à sa rescousse et le débarrasse des enfants.

- Arrêtez ! Un dragon a les écailles plus sensibles qu'on ne croit.
Les coups que se prend l’humain font monter une vive colère chez le dragon et ses yeux brillent d’un feu mal couvé.

- 졸라 새끼 !
- Il suffit !
- Tyron ! Will ! Excuses.

Les deux garnements s’excusent auprès de l’humain mais oublie le dragon dont la fierté a été égratigné. Il dresse son cou vers les hauteurs, passablement courroucé.
- Tout va bien ? demande le dragon, inquiet à l’humain.
Le Major s’est déjà précipité vers son caporal, comme une mère-poule surprotectrice. Il lève son visage vers lui et l’inspecte avec un pétillement amusé dans le regard.
- Rien de casser à priori. Hey les mômes, me casser pas mes soldats sinon je serai obligé de vous mettre dehors à coup de pied au cul !
- Déso, hein... on a zéro chill dans c'te famille. Mais faut partager un peu aussi, gars.

Le plus vieux de la bande semble trouver tout cela fort amusant et Neorvrim ploie brusquement sa tête vers l’adolescent au ton déplaisant. Ses naseaux exhalent de larges traits de fumée.

- Et nul respect, il semblerait. Sa voix gronde, autoritaire et grave. Si j’excuse les enfantillages des plus jeunes, je tolère bien moins le manque de déférence. Je ne suis pas une attraction que l’on partage très jeune humain. Je suis une créature vivante, douée de conscience et de libre arbitre. Ne m’insulte pas.
L’homme ours vient aussitôt se poster au côté de l’adolescent dont il entoure les épaules d’un bras protecteur.
- Riri, t’as l’art et la manière de te faire des potes toi hein… Pardonne lui, il ne voulait pas te manquer de respect, c’est juste… un adolescent un poil insolant avec tout le monde. Faut pas le prendre personnellement.
Neorvrim ne quitte pas l’adolescent des yeux dont la pupille finit par se rétracter.
- Neo ? … s’enquiert le Major, un peu tendu.
- Je pardonne.
Mais il se dit qu’il y réfléchira à deux fois avant d’être l’attraction de qui que ce soit.  

- Ca va, c'est bon. Il n'y a pas mort d'homme. La remarque du caporal finit de détendre l’atmosphère. Vous avez de sacrés réflexes pour des mômes...
- C'est ta manière d'dire qu'on est balèze ?
- Ouais, on peut dire ça...
- Dragon, autorises-tu mes renardeaux à te chevaucher ?
La renarde a perdu un peu de sa méfiance et s’incline humblement, apaisant l’humeur du dragon.
- Je crains que non. Nous ne sommes pas de vulgaires montures. Et mes écailles ne souffriront pas un deuxième assaut de la sorte.

Son regard glisse vers Gi-Ja et ses paupières se rétractent comme une sorte de clin d’œil. Il restera la seule exception qu’il ait consenti et qu’il consentira encore. Un secret entre eux.
L’homme ours désamorce immédiatement la déception que provoque sa décision.

- Eh c’est pas grave ! C’est déjà super chouette d’avoir pu te rencontrer ! Hein les gosses ? C’est une sacrée expérience !

Une fois de plus, le coeur de Gi-Ja s'essore quand Caleb le palpe avec inquiétude. Il se laisse dorloter avec un sourire affectueux.

- Tout va bien ?
- Rien de casser à priori.
- Rien qu'un hématome et une grosse migraine. Je vais survivre.
- Hey les mômes, me casser pas mes soldats sinon je serai obligé de vous mettre dehors à coup de pied au cul !
- Déso, hein... on a zéro chill dans c'te famille. Mais faut partager un peu aussi, gars.
- Et nul respect, il semblerait.
- On se détend, ok ? C'est qu'des gosses, défend aussitôt le "grand frère".
- Si j’excuse les enfantillages des plus jeunes, je tolère bien moins le manque de déférence. Je ne suis pas une attraction que l’on partage très jeune humain. Je suis une créature vivante, douée de conscience et de libre arbitre. Ne m’insulte pas.

L'expression de Ryan, se fait aussitôt aussi féroce qu'un roquet.

- Déférence, mon cul. Le respect ça se gagne, qu'on est trouzemille ans ou trois piges...

Imperceptiblement, Scott a posé la main sur la garde de son katana.

- Okaaaaaaaay, il a pas voulu dire ça, temporise aussitôt Katie.
- Riri, t’as l’art et la manière de te faire des potes toi hein… accourt Magni à son secours. Pardonne lui, il ne voulait pas te manquer de respect, c’est juste… un adolescent un poil insolant avec tout le monde. Faut pas le prendre personnellement.
- On est grave pas sortables, je suis sincèrement navrée... s'excuse la brunette bariolée.
- Parle pour toi, font les Ninies dans un bel unisson. On a mis nos plus belles robes !
- Neo ?
- Je pardonne.

La tension se dissipe. Jolhane formule poliment la requête de ses enfants et se voit opposé un refus. Inexplicablement, Gi-Ja s'en trouve soulagé. Doucement, il vient caresser les écailles endolories par les assauts brutaux des enfants. Sous sa forme bestiale, il n'a pas à craindre qu'on interprète ses gestes de manière déplacée. Il peut toucher Neorvrim tout son content.

Pendant que Magni gère la déception des enfants, aidé de Katie, Jolhane s'approche du  dragon.

- Merci d'avoir enduré notre présence et leur avoir offert un peu de magie. Parfois, il est bon de leur rappeler qu'ils sont encore des enfants. Son sourire est pétri de gratitude. Merci pour ce cadeau.

Marnie, qui a échappé à la surveillance de son "Papa-Ours", vient patouner un bout de mâchoire du dragon et déposer un bisous sur sa peau écailleuse.

- Bisou qui guérit ! T'a pu bobo maint'nant ! Elle lui offre un magnifique sourire à trou, puis vient tirer la jambe de pantalon de Gi-Ja. Toi aussi, tu veux ?

Le soldat sourit et la soulève délicatement du sol pour qu'elle puisse atteindre sa joue. Un bécot sonore y claque.

- Je vais infiniment mieux, maintenant. Merci Marnie !

Le dragon, plus détendu grâce aux mouvements de cette main apaisante sur ses écailles, observe le spectacle de ce débordement de mots, d’actions, de gestes… de vie. Un lourd sentiment de regret étreint son vieux cœur et il cherche inconsciemment du réconfort auprès de son ami.
Sa lourde tête cogne contre son épaule, quémandant une caresse.
Il se reprend toutefois et adresse un signe de tête à la femme renarde qu’il fixe avec un semblant de sourire qui révèle ses crocs acérés.

- Je t’en prie Dame Renarde. Qu’ils portent donc ce souvenir dans leurs jeunes mémoires. Prenez soin d’eux, ils sont ce futur pour lequel je me battrai à vos côtés.  

La plus petite du groupe, Marnie, s’approche de sa gueule monstrueuse et y dépose ses lèvres sans aucune crainte. S’il le pouvait, le dragon froncerait les sourcils, perplexe. A la place, il souffle par ses larges naseaux.
- Bisou qui guérit !
- Tu es capable d’une telle chose ? Quelle grande magicienne tu es, petite Marnie.
- T'a pu bobo maint'nant !
- C’est tout à fait vrai ! Merci à toi.
Il répond à son sourire par un rictus qui pourrait s’en rapprocher et observe le soldat recevoir le même traitement avec un sentiment de tendresse au creux de sa poitrine.

- Bon maintenant que tout le monde va bien grâce à toi, je vous raccompagne blondinette ? déclare le Major en tendant la main à la petite.
Le reste de la portée se fend d’au revoir sonores et plus ou moins déçus.
- Nous nous reverrons, leur indique calmement le dragon. Il tourne toutefois sa large tête vers celui qui sent le loup. Scott, n’est-ce pas ? Si tu le souhaite, je pourrais t’enseigner deux trois choses sur le maniement de ton katana.

Alors qu’ils tournent tous les talons, Neorvrim reprend forme humaine et se touche le menton, là où les lèvres de Marnie y ont déposé le « bisou qui guérit ».
- Je viens de recevoir mon premier baiser je crois, s’amuse-t-il en tournant la tête vers le caporal. Il fut très doux.

Comme aimanté, son regard se déporte vers les lèvres du soldat et le fond d’envie qui l’a pris il y a quelques jours revient brusquement. Affolé qu’elle ne s’accompagne d’autres pulsions, il préfère détourner le regard et lui sourit plutôt.

- Merci d’avoir affronté cette horde sauvage pour mes écailles. Il lève la main pour frôler le front de Gi-Ja, là où l’enfant y a violemment cogné sa tête. Tu en seras quitte d’une petite bosse. Ne vaudrait-il pas mieux que tu passes à l’infirmerie pour être certain que tout va bien ? Ta tête a déjà été fortement éprouvée par ta chute.

Il pousse un léger soupire et abaisse sa main.
- Tu n’as toujours pas peur de moi n’est-ce pas ? De ma… bestialité ? demande-t-il de but en blanc. Tous ses gestes proclament le contraire mais il sent toutefois que quelque chose à changer. J’ai l’impression que ton regard s’attarde plus longuement sur moi depuis cette nuit-là. J’en ai déduit que tu me surveillais… Chaque connexion avec le feu nous ramène à notre nature première. Et s’il est vrai que j’ai eu… des pensées impropres à notre amitié, saches que tu ne crains rien. Il ne se l’explique pas. C’est un fait. Alors qu’il devrait être furieux contre celui qui l’a sorti de son doux sommeil, il se sent lié à lui d'une certaine façon. J’ai, depuis fort longtemps, appris à policer le prédateur que je suis.

- Nous nous reverrons....Scott, n’est-ce pas ? L'adolescent pivote la tête vers la créature. 0]]Si tu le souhaites, je pourrais t’enseigner deux trois choses sur le maniement de ton katana.[/b] Il hoche sobrement la tête en silence et rejoint les autres.

- Pas causant, fait remarquer Gi-Ja tandis que Neorvrim regagne des atours plus humains. Il se tourne vers le dragon qui se tripote le menton, perplexe.
- Je viens de recevoir mon premier baiser je crois.
- Et donc, retour d'expérience...? demande malicieusement son ami.
- Il fut très doux.

Un drôle de silence flotte entre eux. Indéfinissable.

- Merci d’avoir affronté cette horde sauvage pour mes écailles.
- Mon devoir "d'ange-gardien", faut croire ! fait-il en prenant le chemin de leurs quartiers respectifs.
- Tu en seras quitte d’une petite bosse. Ne vaudrait-il pas mieux que tu passes à l’infirmerie pour être certain que tout va bien ? Ta tête a déjà été fortement éprouvée par ta chute.
- Mais non ! balaie le soldat d'un geste nonchalant de la main tout en se laissant commodément toucher par son camarade à écailles. J'ai juste été surpris par ce petit teigneux. Ils sont coriaces, ces gamins...
- Tu n’as toujours pas peur de moi n’est-ce pas ?
- Quoi ? Non ! Pourquoi ? réplique Gi-Ja surpris.
- De ma… bestialité ?

Le jeune homme fronce les sourcils.

- Non, ça ne m'intimide pas spécialement. J'ai toujours été plus à l'aise avec les bête que les hommes.
- J’ai l’impression que ton regard s’attarde plus longuement sur moi depuis cette nuit-là. Une poigne glacée agrippe les entrailles de l'artificier. J’en ai déduit que tu me surveillais… Chaque connexion avec le feu nous ramène à notre nature première. Et s’il est vrai que j’ai eu… des pensées impropres à notre amitié, saches que tu ne crains rien.

"Des pensées impropres à notre amitié."
Chaque mot tombe comme un pavé dans son estomac et fait vibrer sa carcasse. Gi-Ja s'ébroue d'un ricanement bouffi d'embarras. Neorvrim n'est pas le seul. Cependant, il n'est pas certain que le dragon partage le même genre de fantasmes secrets que les siens.

- J’ai, depuis fort longtemps, appris à policer le prédateur que je suis.
- Neo, je... L'artificier se passe une main sur le visage. Je ne te regarde pas pour te surveiller, lui avoue-t-il soudain à mi-voix. C'est juste.. que.. Je ne sais pas pourquoi, j'ai besoin ... C'est plus fort que moi, mes yeux te cherchent systématiquement... Il a l'impression de passer pour un gros détraqué. Il pousse un soupir à fendre l'âme. Je suis désolé si ça t'a inquiété. A aucun moment je n'ai songé que tu serait dangereux pour les autres...

Il se mordille l'ongle du pouce.

- Moi.. moi aussi j'ai eu de drôle de pensées, ce soir là... confie-t-il à mi-voix, sans oser vraiment le regarder.

- J’ai, depuis fort longtemps, appris à policer le prédateur que je suis.
- Neo, je...

Le soldat a l’air profondément gêné, comme à chaque fois qu’il doit s’exprimer sur ce qu’il ressent, Neorvrim l’a bien noté. Mais le dragon préfère largement aborder le sujet plutôt que de le laisser pourrir et gangréné. S’il perd l’amitié de Gi-Ja, il ne lui restera plus grand-chose en ce bas-monde.

- Je ne te regarde pas pour te surveiller.
- C’est ce que tes mots ont laissé entendre à l’instant… néanmoins, je ne m’explique pour autant pas cette nouvelle attitude à mon égard.
- C'est juste… que… Je ne sais pas pourquoi, j'ai besoin ... Le dragon s’arrête et l’observe attentivement. C'est plus fort que moi, mes yeux te cherchent systématiquement...
- Oh. Il garde le silence et réfléchit à cette nouvelle donnée avant qu’un sourire léger ne flotte sur ses lèvres. Il plante son regard dans celui, plus fuyant du caporal. Est-ce la visite d’Obéron et les menaces de sa reine qui t’inquiète ? Elle ne prendra pas le risque de m’enlever ici tu sais. Du reste, je compte opposer un peu de résistance dans le cas contraire.

Il n’y a que cette explication qui lui parait logique. Mais le soupire de Gi-Ja lui laisse craindre une nouvelle bévue d’interprétation de sa part.
- Je suis désolé si ça t'a inquiété.
Il émet un rire bref.
- Je suis une vieille créature, tout changement est perturbant à mes yeux. Quand bien même je dois en faire face à de nombreux depuis mon réveil. J’ai connu suffisamment de pertes en une seule existence pour ne plus avoir envie de ressentir son étreinte glacée. Je ne souhaite pas perdre ce que nous partageons, Gi-Ja.
- A aucun moment je n'ai songé que tu serais dangereux pour les autres...
Cette fois le sourire est franc, même s’il est terni par ces fameuses pensées. Insidieusement, elles lui rappellent son état d’esprit d’alors, cherchent à déstabiliser cette civilité acquise après bien des années et des sacrifices.

« Quel mal y aurait-il à goûter ? »
« A s’abandonner quelques instants ? »

Il met ces pulsions au pas, mais elles continuent à planer dans son esprit comme d’agaçants insectes.
- C’est heureux. Je ne ferai rien qui vous mettrait en danger.  
- Moi… moi aussi j'ai eu de drôle de pensées, ce soir-là...
Le dragon s’arrête à nouveau et fixe l’humain. Il tergiverse, sachant bien que le caporal n’aime pas être poussé aux confessions mais ces pernicieux insectes veulent savoir.  
- Quel genre de pensées, Gi-Ja ? demande-t-il finalement dans un souffle.

Et les insectes de lui répondre :
« Il nous aurait laisser faire, il nous aurait laissé le dévorer lentement. »

Il secoue brusquement la tête.
Cette idée l’horrifie autant qu’elle l’attire.
Il sert les poings.
Non il n’est pas qu’un animal.

- Est-ce la visite d’Obéron et les menaces de sa reine qui t’inquiète ? le jeune n'infirme ni ne confirme cette déduction. Elle ne prendra pas le risque de m’enlever ici tu sais. Du reste, je compte opposer un peu de résistance dans le cas contraire.
- Ouais.. Ca doit sûrement être ça... Je suis désolé si ça t'a inquiété.

Comment expliquer un concept qu'il a lui même du mal à identifier ?
Comment clarifier une situation qui n'a rien de limpide à ses yeux ?
Peut-être qu'il y a effectivement, dans le fond, l'angoisse de le perdre. Mais cela ne se limite pas uniquement à cela.

- Je suis une vieille créature, tout changement est perturbant à mes yeux. Quand bien même je dois en faire face à de nombreux depuis mon réveil. J’ai connu suffisamment de pertes en une seule existence pour ne plus avoir envie de ressentir son étreinte glacée. Je ne souhaite pas perdre ce que nous partageons, Gi-Ja.

Une fleur de lave s'épanouit dans sa poitrine en écoutant le draconien. Inconsciemment, le soldat a posé sa paume entre ses deux muscles pectoraux.

- Moi non plus, je ne veux pas le perdre...A aucun moment je n'ai songé que tu serais dangereux pour les autres...
- C’est heureux. Je ne ferai rien qui vous mettrait en danger.

Ils sont à présent devant la porte de la chambre de Neorvrim et l'artificier se fait violence pour arracher cette propre confession à son déni.

- Moi… moi aussi j'ai eu de drôle de pensées, ce soir-là...
- Quel genre de pensées, Gi-Ja ?
- Je.. Je crois que nous étions dans un état un peu second... commence-t-il comme une manœuvre de rétropédalage maladroite. Oublie, ce que je viens de dire...

Le jeune homme lui tourne le dos pour se diriger vers sa chambre.
S'il a acquis la certitude que Neorvrim n'est pas un danger pour les autres, il est bien loin de l'affirmer pour lui même. Cette bestialité, il l'a ressentie par tous les pores de sa peau, dans chaque fibre de son être et sa réponse n'a pas été la fuite. Cette nuit là, il a failli se jeter lui aussi dans les flammes. Sans restriction. Sans regret. Il voulait s'abandonner aux griffes du feu incarné.

Avant que le dragon ouvre sa porte, Gi-ja lui jette quelque derniers mots en pâture.

- Tu es le Feu, Neo. Et à ce moment là..... A ce moment là, j'ai eu envie de m'immoler.

Le Caporal Cosgrave gagne ses quartiers avant d'en claquer la porte.

La soirée est festive.
Cela arrive assez souvent depuis qu’il partage la vie des militaires à la caserne. Mais aujourd’hui, l’ambiance est particulière… électrique presque. Elle picote sa peau et avive son feu intérieur.
Il observe les uns boire, les autres rire à gorge déployée ou danser en faisant totalement fi de l’Apocalypse à leur porte.
Le dragon observe tout cela en spectateur attentif. Il a accepté quelques verres et se découvre un goût particulier pour la bière humaine, bien moins forte que celle que les nains brassent et plus savoureuse.

Son regard glisse et finit par s’accrocher à celui de Gi-Ja.
« - Tu es le Feu, Neo. Et à ce moment là..... A ce moment là, j'ai eu envie de m'immoler. »

Il ne sait comment interpréter tout ceci, si ce n’est qu’il avait vu juste.
Il aurait offert sa vie à son feu ravageur.

Il ne peut qu’espérer que cette volonté n’ait été que passagère, tout comme ses envies inavouables. Mais quelque chose lui dit que cela traduit néanmoins un mal-être profond chez le soldat et cette conclusion là le ronge.  
Tout comme les images qui le hantent lorsqu’il ferme les yeux à présent. Des cauchemars récurrents où il se voit planter ses crocs dans sa chair. Parfois il le guide au milieu des flammes avec lui et ils s’y consument alors que le visage de Gi-Ja exprime une exaltation sauvage qui n’a rien à voir avec la douleur. Moins souvent encore, il se trouve dans sa peau humaine et goûte aux lèvres du soldat avec un appétit féroce.
Ce sont ces étranges rêves là qui sont le plus troublants, et le laisse fébrile et inexplicablement tendu.

Cependant, le jour venu, il ne change pas ou peu d’attitude et aide comme il peut au bon fonctionnement de la caserne. Evidemment, il continue à entrainer Gi-Ja et comme leurs moments en tête à tête se rarifient, il attend toujours ces passes d’armes avec joie.

Il est soudain arraché à ses pensées par le Major qui, monté sur une chaise, demande l’attention générale. La musique est baissée et tout sourire, Caleb tend la main à Ciulin pour qu’il grimpe à ses côtés. Un bras passé autour de la taille de son compagnon, il se lance finalement.
- Les gars ! J’ai une grande nouvelle ! Du genre même énorme !! Il laisse flotter un silence, les yeux pétillants.
- Ouais bah accouche !
Le Major éclate de rire et finit par lancer avec force.
- J’suis fiancé !!! Ciulin et moi on va se marier !

Passé la première stupeur, ses camarades se mettent à siffler, hurler et les congratuler bruyamment. Le Major et son tout nouveau fiancé rayonnent et – à leur habitude – manifeste leur joie et leur amour sans aucune forme de pudeur. Neorvrim s’y est habitué. Il sourit et félicite le jeune couple mais un bruit de porte le fait subitement tourné la tête. Il note soudain qu’un membre de l’unité ne s’est pas mêlé aux réjouissances ou en tout cas les a fui…

Gi-Ja…
C’est alors que tout le reste se met en place dans son esprit : les regards plus tendre qu’il adressait au Major, son expression particulièrement plus ouverte et souriante lorsqu’il est proche de lui, les intonations de sa voix lorsqu’il en parle…
Gi-Ja éprouve sans doute plus que du respect et de l’affection pour son supérieur. C’est une chose qu’il n’aurait pu envisager au début de son séjour ici mais qui a fini par faire son chemin.
S’il a vu juste, cette annonce a dû l’attrister profondément. Il a assez côtoyer Obéron pour savoir combien un amour à sens unique fait mal.  

« A ce moment-là, j'ai eu envie de m'immoler. »

Inquiet, quant à l’état de son ami, le dragon s’apprête à quitter la pièce à son tour sous le regard d’Hailey qui semblait avoir eu la même idée. Elle hoche simplement la tête et désigne la porte du menton.
Neorvrim ne tarde pas à retrouver le jeune homme sur les toits, lieu qu’il sait être son refuge. Lentement, il s’avance et demande avec douceur.

- Puis-je te tenir compagnie ?

Les jours s'égrainent, se ressemblent et Gi-Ja s'y noie. Mortifié par sa confession cryptique à Neorvrim, ils n'ont jamais réabordé le sujet. Les deux amis ont eu du mal à se voir longuement en tête à tête ces dernières semaines, hormis leurs séances d'escrime. L'artificier partage son atelier avec l'étrange chef des Dormeurs : une petite donzelle énergique enceinte jusqu'au cou. Une démone. Elle est singulière et créative et, de fait, une source tant de stimulation que de distraction. Il cesse de penser dans ces moments là. Sa cervelle se concentre sur les problématiques d'ingénierie et non sur des divagations sulfureuses et contre-nature.
La Nuit, par contre, sa tête décide de lui faire payer son oubli. Il ne compte plus le nombre de fois où il se réveille en sueur, le souffle court et les sens ensuqués d'images brulantes carnassières.

Comme souvent les soirées au mess sont une ode de résistance à la morosité. Chacun devise, joue, rit fort et s'alcoolise. Habitude contre laquelle il ne lutte plus, Gi-Ja chercher Neorvrim des yeux. Retrouver son épaisse tignasse noire et sa tunique médiévale parmi les treillis est une vision qui le rassénère toujours. Ils échangent un sourire discret mais complice.
Soudain l'effervescence s'élève comme une vague. Le Major et son compagnon grimpe sur une table main dans la main, la face barrée d'un sourire plus rayonnant que le soleil lui même.

- Les gars ! J’ai une grande nouvelle ! Du genre même énorme !!

Silence impatient pour ménager l'annonce de sa nouvelle.

- Ouais bah accouche !

Le rire de Caleb pourrait illustrer la définition de "bonheur" dans le dictionnaire.

- J’suis fiancé !!! Ciulin et moi on va se marier !
- Il m'a mis une rondelle de sauciflard au doigt ! J'pouvais pas r'fuser !

Les deux heureux fiancés s'embrassent à pleine bouche sous les vivats. Toutes ces manifestations de félicité s'assourdissent aux tympans de Gi-Ja. Les couleurs s'affadissent. Il a la sensation terrifiante d'être aspiré de l'intérieur et vidé de tout ses sucs.
"Ils vont voir... Ils vont comprendre..."
Le jeune homme se passe une main sur le visage et recule lentement jusqu'à la porte qui conduit vers le toit. Dans la liesse générale, personne ne remarquera sa fuite. Il grimpe les marches comme un automate et termine son cheminement incertain appuyé sur la rembarde.
Il savait.
Il y était préparé, résigné...
Mais l'annonce lui a fait l'effet d'un coup de poing dans l'estomac.
Malgré ses efforts, sa lèvre tremble et ses yeux s'embuent.

- fait chier... murmure-t-il en tâchant de les chasser. Elles reviennent, pourtant, infatigables, pour lui diluer la vue.

Il récupère sa dernière clope dans son paqué écrasé. Celle-ci, il l'a faite durée jusqu'à la lie. Un peu comme lui, quelque part. Les allumettes, par contre, ont déserté. On a donc décidé de le torturer jusqu'au bout. Il croise les bras sur la rembarde et enfouit son visage dedans, bataillant pour refouler toute cette foutue peine.
"Ressaisis-toi, Cosgrave ! Tu savais que ce trop plein d'affection irait dans le vent. Tu le savais... Une bonne claque dans la gueule pour t'en rappeler. Ce n'est rien de plus... Rien de plus..."

Le froissement de tissus caractéristique glissant sur le sol lui indique qui vient instamment de le rejoindre.

- Puis-je te tenir compagnie ?

Gi-Ja s'ébroue d'un pauvre rire fêlé, sans se retourner.

- Tu y tiens vraiment ? Il y a une fête du tonnerre en bas.

Ce rire brisé et sa position avachie sur la rambarde valent bien mille mots. Il a vu juste. Il sait voir le chagrin lorsqu’il le voit. Neorvrim attend toutefois d’avoir la certitude que sa présence n’est pas de trop.

- Tu y tiens vraiment ? Il y a une fête du tonnerre en bas.
Le dragon, considérant qu’il ne s’agit pas d’un refus catégorique, approche et s’accoude à ses côtés.
- J’ai félicité les futurs mariés comme il se doit, ma place n’est plus nécessaire en bas. Je crois qu’elle est ici.  

Son regard dérive vers l’horizon puis avise la cigarette éteinte entre les doigts du caporal.
- Je pense pouvoir au moins t’aider avec ceci.
Il la récupère délicatement et souffle sur l’embout pour l’allumer avant de la lui tendre. Il garde le silence un moment, tâchant de le réconforter par sa simple présence pour lui faire savoir qu’il n’est pas seul.

- Savais-tu qu’Obéron est passionnément amoureux de sa reine ? Je parle de Titania oui… Depuis que je le connais, il attend, espère qu’elle lui retourne ses sentiments.

Sachant parfaitement que s’exprimer clairement sur ses sentiments gênerait Gi-Ja, il choisit des chemins détournés.

- Jusqu’à ce qu’elle l’oblige à se marier avec sa propre sœur. De nombreuses fois je l’ai écouté, de nombreuses fois j’ai été là pour lui prodiguer du réconfort lorsque sa peine était trop grande. Et rien ne fait plus mal que celle du cœur, n’est-ce pas ? J’aurais aimé qu’il sache l’oublier, qu’il cesse de s’accrocher à des chimères… Mais le propre des sentiments c’est qu’ils sont souvent incontrôlables. Surtout l’amour. Lorsqu’il dit lui avoir tout sacrifié, c’est bien vrai… même sa chance d’être heureux. Il tourne alors la tête vers l’humain et cherche son regard. Je ne peux qu’espérer que tu oublies ta Titania un jour. Sois malheureux ce soir, demain et peut-être encore un peu après-demain mais laisse toi l’opportunité de trouver le bonheur ailleurs à ton tour. Et si tu le souhaites je t’accompagnerai sur ce chemin de la guérison, jusqu’à ce que la plaie se soit refermée.

Le caractère réconfortant des câlins lui revenant en mémoire, il s’autorise à passer un bras autour des épaules du jeune humain avec la maladresse de celui qui ne sait comment si prendre exactement.

- J’ai félicité les futurs mariés comme il se doit, ma place n’est plus nécessaire en bas. Je crois qu’elle est ici.

La considération de Neorvrim le touche, mais il n'est pas certain qu'elle l'aide à enfouir son chagrin dans l'habituelle boite -déjà trop pleine- où il a l'habitude d'entasser ses peine et ses déceptions.

- Je pense pouvoir au moins t’aider avec ceci.

Le dragon lui allume sa cigarette et Gi-Ja se fend d'un merci à peine audible. La nicotine se consume dans un grésillement et un souffle nuageux.

- Savais-tu qu’Obéron est passionnément amoureux de sa reine ?
- Titania ?
- Je parle de Titania oui… Depuis que je le connais, il attend, espère qu’elle lui retourne ses sentiments. Jusqu’à ce qu’elle l’oblige à se marier avec sa propre sœur. De nombreuses fois je l’ai écouté, de nombreuses fois j’ai été là pour lui prodiguer du réconfort lorsque sa peine était trop grande. Et rien ne fait plus mal que celle du cœur, n’est-ce pas ?

Gi-Ja ne répond pas. Il lutte âprement avec les châtaignes dans sa gorge et l'orage dans sa poitrine pour qu'ils restent confiné en dedans.

- J’aurais aimé qu’il sache l’oublier, qu’il cesse de s’accrocher à des chimères… Mais le propre des sentiments c’est qu’ils sont souvent incontrôlables. Surtout l’amour. Lorsqu’il dit lui avoir tout sacrifié, c’est bien vrai… même sa chance d’être heureux.

Le dragon harponne son regard et, proie facile, le jeune homme est incapable d'échapper à ses deux prunelles sombres.

- Je ne peux qu’espérer que tu oublies ta Titania un jour.
- Ma Titania... répète--il avec un rire amère qui ressemble d'avantage à un sanglot. Rien n'a jamais été à moi, Neo. Rien du tout...
- Sois malheureux ce soir, demain et peut-être encore un peu après-demain mais laisse toi l’opportunité de trouver le bonheur ailleurs à ton tour.
- "Ailleurs", le soldat secoue la tête, son beau visage froissé de désespoir. Tu ne comprends pas... Il ne peux pas y en avoir. Il n'y aurait même pas du y avoir "d'Ici"...

Gi-Ja se cache la face dans une main. Sa mâchoire se contracte. Il ferraille sauvagement avec lui même. [bIl se dégoute d'être ]anormal[/b], il se déteste d'éprouver ce qu'il éprouve, il aurait voulu que cela n'arrive jamais.

- Et si tu le souhaites je t’accompagnerai sur ce chemin de la guérison, jusqu’à ce que la plaie se soit refermée.

C'est tout son être la maladie, toute sa personne qu'il faudrait reprogrammer.
Le bras solide de Neorvrim explose les derniers reliquats de volonté qu'il possède. Sa tristesse suppure, humide, salée, pathétique. Il attrape le tissus de sa cotte et le sert dans son poing. Son front chute sur sa clavicule. Gi-Ja enfouit son nez dans le creux de ce cou qui hume bon les braises d'un feu de cheminée chaleureux et laisse éclater la tempête.

- Sois malheureux ce soir, demain et peut-être encore un peu après-demain mais laisse toi l’opportunité de trouver le bonheur ailleurs à ton tour.
- "Ailleurs". Tu ne comprends pas... Il ne peut pas y en avoir. Il n'y aurait même pas dû y avoir "d'Ici"...

Non effectivement, le dragon ne saisit pas ce qui ronge autant de l’intérieur Gi-Ja, ce qui le rend si fermé à ses propres sentiments, ni pourquoi un tel dégoût se lit sur son visage.

- Gi-Ja… souffle-t-il, profondément en peine pour son ami.
Il s’en veut de ne pas être plus habile au décryptage des émotions humaines, de ne pas être suffisamment instruit de ce monde pour comprendre pourquoi il lui fait tant de mal.
Mais l’heure n’est pas aux questions.

Il ne peut qu’être présent et lui offrir son réconfort et sa chaleur.
Lorsqu’il se laisse finalement aller à pleurer, Neorvrim le sert plus fort contre lui, absorbe les sanglots et les soubresauts du corps de l’humain mis à terre par un cœur en miette. Il a rarement été témoin d’un tel chagrin et il trouve une certaine beauté dans ses larmes que le soldat laisse sans doute exploser pour la première fois depuis longtemps.

- Pleure, mon ami… pleure… lui chuchote-t-il en lui frottant le dos.
Il fait totalement fi de l’inconfort de l’humidité sur sa peau et ses vêtements et il espère qu’une partie de sa peine s’écoule par le même chemin.  

Patiemment, le dragon attend.
Et veille sur son chagrin comme il veillerait sur un trésor précieux.  

Gi-Ja ne s'est jamais épanché de cette manière, et certainement pas avec un autre être vivant. Il a toujours absorbé les chocs, enterré les vicissitudes, tus ses chagrins dans l'œuf. A quoi bon gaspiller son énergie dans un combat qui l'aurait donné perdant de toute façon ? Il a fait sienne cette leçon durement apprise : Jamais on ne l'accepterait telle qu'il est alors, autant faire une croix sur sa propre personne. La boite lui semblait suffisamment vaste et sans fond pour engloutir cette "autre" qui ne correspondait pas aux attentes d'autrui. A présent, il en atteint les limites. Tout explose comme les bombes qu'il compose avec tant de minutie.
Tout se délite en pluie.
Le plus gros du grain semble être passé quand le jeune homme se redresse, échevelé et les yeux rougis.

- Je suis en train de ... de te mouiller. C'est pas bien.... Il s'essuie piteusement le visage avec ses doigts. Tu as mal ? Sous leurs pieds la musique se déchaine et les vociférations festives font vibrer le sol. Nouveau tremblement de menton. Je ne veux pas.. Ne les laisse pas me voir comme ça, s'il te plait... Emmène-moi ailleurs.. par pitié...

Quoi que le dragon fasse, Gi-Ja se laisse conduire, comme une poupée de chiffon sans consistance ni volonté. Une fois loin du tumulte joyeux, le jeune homme savoure le silence en prenant une grande inspiration. Il n'a pas eu la force de rompre le contact avec Neorvrim et reste pelotonné contre sa chaleur familière et rassurante.

- Je ne voulais pas entrer dans l'armée, déclare-t-il soudain, d'une voix atone. Je souhaitais faire une école de cuisine. Mon père était si furieux qu'il ne m'a plus adressé la parole pendant des semaines. Ma mère a beaucoup pleuré. Si bien que le jour où je devais passer le concours d'entrée, je n'y suis pas allé. J'ai postulé dans l'armée à la place. Mon père m'a de nouveau aimé comme avant. Un silence meurtri s'ensuit. S'il était capable de me repousser pour un simple choix de carrière, imagine ce qu'il aurait fait si je lui avais avoué de but en blanc que je n'étais pas attiré par les femmes ?

Le jeune homme déglutit douloureusement.

- Je me suis forcé, toute ma vie, pour qu'on continue de m'aimer. J'ai fais tout ce que j'ai pu... J'essaie... J'essaie de toute mes force d'être normal, mais ça ne marche pas !

Cri de détresse déchirant.
Ses larmes se remettent à couler, muettes.

- J'en voulais pas, de ces penchants... et encore moins de ces sentiments.... Mais c'est là.... ça reste là chevillé à moi ! Il se gratte la poitrine comme s'il cherchait à arracher toute cette crasse agrippée à ses pauvres os. Son timbre se brise. Ca refuse de partir....

- Je suis en train de ... de te mouiller. C'est pas bien...
Le dragon le couve d’un regard tendre.
- Certainement. Le dernier dragon… terrassé par des larmes. En voilà une jolie fin.
- Tu as mal ?
- Je survivrais.
Ils baissent tous les deux les yeux lorsque les festivités semblent redoubler en bas. Les humains ne font jamais rien à moitié. Le boucan qu’ils font doit certainement empêcher Unseelie et ses sbires de dormir sur ses deux oreilles. Mais il semble également ramener le caporal à son chagrin.
- Je ne veux pas… Ne les laisse pas me voir comme ça, s'il te plait... Emmène-moi ailleurs… par pitié...

Neorvrim hoche la tête et attrape son poignet pour le guider vers l’escalier de secours qu’ils descendent rapidement. Sans un mot, le dragon le guide vers la clairière, la leur presque.
Les restes calcinés du feu que le soldat lui a fait il y a quelque jour sont toujours là.
- Là, tu peux respirer sans crainte.

Comme il ne semble pas vouloir s’écarter, il encercle à nouveau ses épaules d’un bras solide.
A l’abri des regards et des oreilles, le caporal se confie, lâche des petits bouts de lui, du vrai lui. Il découvre un homme profondément blessé et qui cherche à tout prix l’amour des siens.

Il est compliqué pour le dragon de se mettre à sa place et de comprendre son vécu mais il a pour lui le recul de l’âge, la sagesse et une vision tout à fait autre des choses.
Lentement, il agrippe fermement les mains du jeune homme pour qu’il cesse de se faire du mal et l’oblige à s’assoir sur une souche coupée. Il se poste ensuite à genoux devant lui assez proche pour qu’il ne puisse échapper à son regard.

- Il serait mentir de te dire que je comprends exactement la gravité de tout ce que tu viens de me confier et sans doute vais-je te paraitre abrupte. Je suis une créature régit par d’autres systèmes de pensées que les humains. Rarement ai-je eu le choix des différentes voies que prenaient mon existence. Et je m’en suis contenté sans question. Mais rien de ce dont tu viens de me parler ne me semble irréparable ni si terrible.

Il prend ses mains dans les siennes et les frotte doucement pour les réchauffer.

- La normalité n’est qu’un mot sans consistance. Le premier qui prétend l’être n’est qu’un fieffé menteur ! Suis-je normal ? Le Major l’est-il ? Ces enfants qui ont connu l’horreur le sont-ils ? Peu importe. Ton monde a basculé et pourrait bien être à feu et à sang demain. Ne serait-il pas temps pour toi d’être celui que tu souhaites être ? Tes parents ne sont pas là pour te juger et tu as la chance d’avoir des personnes aimantes et bienveillantes dans ton entourage. Puise en eux la force de t’accomplir. Quant à ce que tu appelles tes penchants… il fronce les sourcils pour chercher les mots justes, si cette idée m’a paru étrange au début, je n’y vois finalement qu’une expression différente de l’amour. Si cela est ta façon d’aimer, alors soit ! J’admire beaucoup votre libre-arbitre mais il vous faut parfois accepter que certains choix nous sont retirés. Les sentiments ne se commandent pas. Ils sont. Tout simplement.

Vague sourire accompagné d’une caresse pour retirer les reliquats de larmes sur ses joues.  

- Alors abandonne cette bataille contre toi-même parce que tu risques de te perdre en route. Et je te l’ai déjà dit… je ne souhaite pas perdre celui que j’ai entendu rire à gorge déployée alors que nous volions, celui dont le visage s’illumine lorsqu’il cuisine, joue avec le feu et se bat à l’épée ou qui éprouve un amour immodéré pour sa chienne … et je doute être le seul.

Il garde le silence un instant, incertain de l’effet de ses mots et grimace.
- Pardonne-moi si ce que je te dis ne t’apporte aucun réconfort. Il m’est très difficile de savoir si j’ai été maladroit. As-tu envie de voler avec moi pour... eh bien prendre de la hauteur et oublier un instant les problèmes terrestres ? C'est peut être la seule manière qu'il aura de lui apporter quelque chose de bien ce soir.

La clairière.
Leur clairière.
Assis sur une souche, la seule chose qui ancre Gi-Ja à l'instant présent consiste en ces deux mains chaudes et ces doigts brûlant qui en caressent le derme. Il aspire brutalement à davantage de contacts. Se laisser pétrir par ces doigts là et s'oublier dans leur tiédeur. Tout oublier.

Le discours de Neorvrim l'extirpe peu à peu de sa torpeur. Certains mots s'impriment en lui avec plus de prégnance que d'autres.
" Rien de ce dont tu viens de me parler ne me semble irréparable ni si terrible."
"La normalité n’est qu’un mot sans consistance."
"Quant à ce que tu appelles tes penchants…je n’y vois finalement qu’une expression différente de l’amour."
"Les sentiments ne se commandent pas. Ils sont. Tout simplement."

Ils sont...
Contradictoires.
Déchirants.
Brûlants.
Doux.
Sulfureux.
Tendre.
Et même que parfois, ils prennent pour cible plusieurs personnes en même temps.

- Alors abandonne cette bataille contre toi-même parce que tu risques de te perdre en route. Et je te l’ai déjà dit…je ne souhaite pas perdre celui que j’ai entendu rire à gorge déployée alors que nous volions, celui dont le visage s’illumine lorsqu’il cuisine, joue avec le feu et se bat à l’épée ou qui éprouve un amour immodéré pour sa chienne … et je doute être le seul.

Gi-Ja contemple Neorvrim avec une profonde intensité.

- Tu m'aimes comme je suis, alors ? murmure-t-il.

Il éprouve le besoin de l'entendre. Les mots ont un pouvoir profond, sa mère le lui a toujours dit. Ils recèlent une forme de magie qui leu est propre.

- Pardonne-moi si ce que je te dis ne t’apporte aucun réconfort. Il m’est très difficile de savoir si j’ai été maladroit. As-tu envie de voler avec moi pour... eh bien prendre de la hauteur et oublier un instant les problèmes terrestres ?

Le jeune homme ploie vers le dragon, épousant son front en fermant les yeux. Il frotte sa tête contre son crâne comme un chaton en mal d'affection. Leurs nez se frôlent, se caressent.

- Comme tu veux, du moment que tu me tiens la main... lui souffle-t-il, pour la première fois au monde, en pleine confiance avec un autre. Je crois que si tu me tiens la main, tout ira bien... ajoute-t-il avec une honnêteté neuve, candide.

La profondeur du regard de Gi-Ja lui fait craindre un instant d’avoir dépassé des limites qu’il a déjà dépassé. Il ne se dérobe pas néanmoins.

- Tu m'aimes comme je suis, alors ?
Neorvrim lui sourit avec une affection sincère que lui non plus n’a pas demandée mais qui est bel et bien présente malgré tout.  

- Oui Gi-Ja. Comme tu es. Exactement comme tu es. Pardonne-moi si ce que je te dis ne t’apporte aucun réconfort. Il m’est très difficile de savoir si j’ai été maladroit.

Le soldat vient chercher le réconfort de son contact, front à front et Neorvrim le laisse s’imprégner de sa chaleur et de la tendresse qu’il éprouve à son endroit, légèrement perturbé par le contact de son nez contre le sien.
Le dragon soupire en fermant les yeux à son tour, simplement heureux et soulagé d’avoir été à la hauteur et d’avoir pu soulager en partie la peine du jeune homme. Sans doute souffrira-t-il encore un moment mais il veut croire que sa présence lui est bénéfique. Après une certaine hésitation, il remonte ses lèvres jusqu’au front du jeune homme et les dépose avec beaucoup de délicatesse sur sa peau.  

- Je m’essaie au « bisou qui guérit ». Avec certainement bien moins de réussite que Marnie. As-tu envie de voler avec moi pour... eh bien prendre de la hauteur et oublier un instant les problèmes terrestres ? propose-t-il en cherchant son regard.
- Comme tu veux, du moment que tu me tiens la main...
- Les dragons n’ont pas de mains, réplique-t-il avec de la malice dans la voix. Néanmoins je serai là. Je serai tes ailes.
- Je crois que si tu me tiens la main, tout ira bien...
La paume de Neorvrim glisse sur la sienne et vient l’agripper fermement.
- Dans ce cas, allons-y.

Il se remet sur ses pieds et le tire vers lui sans grande difficulté. Il doit pourtant le lâcher pour se transformer et comme la première fois, s’aplatit au sol le plus possible pour le laisser grimper sur son dos. Le décollage se fait en un clignement de cil, ses ailes battant avec force et régularité. Ils fendent les nuages, prennent de la vitesse et grimpent, grimpent, s’enivrant de vent et de ciel nocturne.

Neorvrim saluent quelques Merrows d’un trait de feu droit devant lui qui les éclairent brusquement et elles agitent leurs petites mains pour les saluer. En passant sur les falaises, ils croisent le chemin d’une harde affolée et l’instinct prédateur du dragon reprend brusquement le dessus.

- Accroche-toi, gronde-t-il en préparant son attaque. J’ai faim.
Il rebrousse brutalement chemin et part en piqué avant de déployer ses ailes pour stopper aussitôt sa descente.

La biche choisie pour cible n’avait aucune chance et son cou fini rapidement entre ses crocs. Le dragon pousse un rugissement de satisfaction sauvage avant de dévorer sa proie.

- Navré, s’excuse-t-il après avoir festoyer. Je ne t’en ai même pas laisser un morceau… il laisse échapper un grondement qui ressemble à un rire avant de redécoller.

Il n’atterrit dans la clairière que bien plus tard, une fois tous deux rassasiés de vol et d’oxygène pure. Une fois le jeune homme descendu, il reprend ses atours humanoïdes et lui sourit.
- Comment te sens-tu ?

- Oui Gi-Ja. Comme tu es. Exactement comme tu es.

Sa poitrine se réchauffe comme irriguée de veines de magma.
Ne se préoccupant plus d'être jugé, le jeune homme s'adonne à des marque d'affection, qu'il aurait censurées en d'autres circonstances. Les lèvres tièdes de Neorvrim s'écrase tendrement sur son front. Une poignée de secondes, Gi-Ja ferme les yeux et se gave du geste, qui n'a rien de naturel pour un dragon.

- Je m’essaie au « bisou qui guérit ». Avec certainement bien moins de réussite que Marnie.

Le soldat a un sourire fragile et se laisse guider par la prévenance de son ami. Leur envol permet à l'artificier de tutoyer les étoiles. Il lève une main pour attraper un nuage qui s'effiloche en brume insaisissable entre ses doigts. Il se gorge du paysage nocturne, moucheté de lumières. Les roulis de la mer et le parfum des embruns lui fouettant le visage libère ses poumons. Il se sent de nouveau respirer sans entrave. Son esprit pétille comme des bulles de savon, comme cajolé par l'altitude et la brise. Un instant, il ouvre les bras, alors que Neorvrim plane au dessus des falaises. Il agite une main en apercevant les sirènes les saluer avec des rires mutins. En survolant les bois, le spectacle d'un troupeau de cervidés en cavale attire leurs regards.

- Accroche-toi. J’ai faim.

Gi-Ja lui caresse les écailles et encercle deux épines de ses bras.

- Vas-y !

Le soldat découvre la facette prédatrice de son ami. S'il a un peu de peine pour la biche, il s'en console en se disant que c'est dans l'ordre des choses. Les animaux sont honnêtes : ils ne tuent pas pour le plaisir, il le font par necessité.
Et puis, il y a quelque chose de fascinant à voir Neorvrim en action.

Finalement, ils regagnent la clairière, l'un repus, l'autre plus léger.

- Comment te sens-tu ?
- Mieux...

Néanmoins, il attrape la manche de son ami pour solliciter une ultime requête.

- Neo... Est-ce que.. Est-ce que ça t'ennuie si je dors avec toi cette nuit ? Il a un rictus embarrassé. Je sais que ça sonne puérile, mais je n'ai pas envie de me retrouver tout seul avec moi-même, dans ma chambre...

- Comment te sens-tu ?
- Mieux...
Il le voit, il le perçoit mais l’entendre de sa bouche lui parait important et achève de le soulager. L’humain a encore les yeux qui pétillent et le port de tête moins bas qu’avant leur longue balade aérienne.
- Bien. J’en suis heureux.

Et son expression l’exprime sans détour.
Neorvrim baisse les yeux sur les doigts qui le retienne par la manche de sa tunique et remonte son regard vers le visage embarrassé de son ami.

- Neo... Est-ce que.. Est-ce que ça t'ennuie si je dors avec toi cette nuit ?
Les coins de la bouche du dragon s’étirent vers le haut.
- Tu veux que je veille sur ton sommeil à nouveau ?
Il semble de plus en plus gêné et Neorvrim ne peut s’empêcher de trouve cela charmant.
- Je sais que ça sonne puérile, mais je n'ai pas envie de me retrouver tout seul avec moi-même, dans ma chambre...
- Accordé, consent le dragon d’une voix très douce. Tu as besoin de repos.

Et il s’assurera ainsi qu’il ne souffre pas d’une rechute, seul. Naturellement, il lui tend la main et ils cheminent vers la caserne en silence. La fête semble s’être finalement étiolée et seule quelques voix discutent et gloussent encore par les fenêtres ouvertes. Afin de ne croiser personne, Neorvrim fait des détours – il commence à connaitre la base comme sa poche – pour regagner le baraquement des chambres.
Ils ont la surprise de découvrir Hailey, fumant sur le seuil et qui sourit à leur approche. Débarrassée de son maquillage autour des yeux, elle a l’air bien plus juvénile que d’ordinaire.
- Je m’inquiétais, déclare-t-elle sobrement. Je t’ai vu volé…
- Tout va bien.
- Je vois ça. Elle se relève après avoir écrasé son mégot pour le remettre dans sa poche et claque sur ses cuisses. Bon bah je vais me pieuter alors ! Bonne nuit !
Avant de rentrer, elle claque une main ferme dans le dos du dragon et bien plus surprenant, enlace le jeune homme sans un mot. Le dragon échange un regard complice avec Gi-Ja qui veut clairement dire « Je te l’avais bien dit ».

Il les guide naturellement vers la chambre du soldat. Une fois à l’intérieur, il retire sa tunique pour la suspendre à la chaise et la tire vers le lit comme lorsqu’il l’a veillé pendant sa convalescence.

- Cela ira comme ça ?

Gi-Ja lui offre un sourire plus franc quand il répond favorablement à son caprice infantile. Ils rentrent tranquillement main dans la main. le soldat sursaute presque en voyant Hailey et lâche brusquement les doigts du dragon.

- Hailey... ? Qu'est-ce que tu fais là ?

A-t-elle surpris leurs mains jointes dans le noir ?

- Je m’inquiétais. Pour qui ? Pour lui ? Je t’ai vu volé…
- Tout va bien.
- Je vois ça. Bon bah je vais me pieuter alors ! Bonne nuit !

Estomaqué, le caporal Cosgrave se laisse enlacer par sa camarade et lance une oeillade d'incompréhension et d'émotion mêlées. Il n'a pas la présence d'esprit de rendre son étreinte  à la jeune femme mais pivote la tête en la regardant partir, mains dans les poches.

- Bonne nuit... bredouille-t-il à rebours, tout chose.

Neorvrim le conduit à sa chambre et il commence à se déshabiller mollement, le regard dans le vague. Le dragon a retiré sa "robe de chambre" comme l'ont qualifiée les gosses, et s'est aménagé un petit coin pour le veiller. Pourtant, Gi-Ja en se glissant dans les couvertures, ne les rabat pas immédiatement.

- Cela ira comme ça ?
- Tu... Tu veux pas venir là, plutôt... Il baisse les yeux, un peu honteux d'abuser de la patience de son ami. C'est un peu étroit, mais une fois que je roupillerais, tu pourras partir.... Promis. Juste.. Juste pour cette nuit... s'il te plait.

Voyant le caporal s’allonger et se préparer à dormir, Neorvrim s’assoit sur la chaise – non sans un certain déplaisir, sa carcasse lui rappelle à quel point elle est inconfortable – et tente de trouve une position adéquate pour tenir la nuit. Où ce qu’il en reste.

- Cela ira comme ça ?
- Tu... Tu veux pas venir là, plutôt...
Le dragon fronce les sourcils en observant le bout de lit qu’il est invité à occuper.
- Avec toi ? préfère-t-il demander pour éviter tout malentendu ou mauvaise interprétation de sa part. Mais au vu de la réaction très embarrassée de son ami, il semblerait qu’il est vu parfaitement juste.
- C'est un peu étroit…
- Euphémisme, très cher. fait-il en balayant son propre corps de la main.
- Mais une fois que je roupillerais, tu pourras partir... Promis. Juste… Juste pour cette nuit... s'il te plait.

Neorvrim hésite mais il n’a jamais su résister à ce genre de demandes à deux doigts de la supplication. Il n’a pas été taillé pour y résister. Iska était la spécialiste de ce genre de « petits caprices ». Il secoue la tête amusée, se débarrasse de ses chaussures puis tente de glisser sa haute silhouette tant bien que mal dans l’espace qu’il reste dans ce lit prévu pour une seule personne. Il découvre la sensation inédite de la peau nue et presque fraiche du jeune homme qui se presse contre la sienne.

Troublante expérience.
Le dragon se contorsionne comme il peut et finit par trouver une position pas trop désagréable. Bien plus confortable que la chaise à vrai dire. Il émet un petit rire.

- Si tu entends quelque chose chuter durant la nuit, il y a de fortes chances pour que ça soit moi… Tu risques d’avoir un peu chaud à mes côtés…
Il tourne la tête vers Gi-Ja et lui sourit avec amusement en retirant une mèche noire de devant ses yeux.
- Bien. Monseigneur est-il satisfait ? Dors à présent. La soirée fut riche en émotion pour toi.
Il le regarde s’endormir, une chaleur particulière au creux de sa Flamme puis sombre à son tour, reput de vol, de viande et de contact.
Cette nuit, il ne retrouvera pas la chaise.