Le temps a passé depuis l’intervention dragonique dans la – plus si – paisible vie de Tae’alam. Amon ne saurait dire s’il s’agit de quelques jours ou plusieurs semaines, tant il fût occupé par les retombées de celle-ci. Des bonnes, des extraordinaires mêmes, comme des plus délicates. Si les Efrits présents au sein de l’école sont désormais plus vigoureux et forts que jamais, cette victoire primaire pour leur source lui laisse un goût amer depuis.
Pour garantir la survie du peuple de feu, le dernier dragon a failli disparaître. Et le djinn l’a vu, en a porté le poids, même si l’idée n’était pas la sienne.

Il en va de sa responsabilité, quoiqu’ils en disent tous.

Orlov a été le premier a se confondre en excuses, dés lors que sa transe élémentaire s’est entièrement terminée. Toutefois, il ne regrette en rien son geste, ce qui a eu le don de refroidir les relations avec son directeur et allié, dont la confiance semble mise à mal pour quelques temps. Beaucoup trop de choses se passent au quotidien sans qu’Amon n’ait la force, ou même la volonté de les contrôler.

Perdre pied, c’est tout ce dont il n’a pas besoin, en ces temps troubles.

Pourtant…
Pourtant son reflet continue de le chercher.
Pourtant les images rémanentes du passé s’entrechoquent dans son esprit.
Pourtant la voix perdure et ne s’étiole que lorsqu’il parvient, à bout de nerfs, à la repousser de tout son désespoir.

Les conséquences de Fensalir sont plus probantes qu’il ne le pensait. Ou bien sa sanité s’est-elle aussi dissoute dans l’eau divine…

L’occasion de cesser de gamberger se présente enfin, un matin. Avec la confirmation de tout les Efrits et la vérification de leurs pouvoirs, Amon constate avec soulagement que la source d’Hariq est belle et bien rétablie. Alors les mots de Neorvrim lui reviennent, juste avant qu’il ne tombe dans l’inconscience.
Vous viendrez me dire… si cela a fonctionné pour les vôtres…

Il se l’est promis, dés lors qu’il en serait certain.
Il serait donc inconvenant qu’un autre que lui y aille. Amon prend donc entièrement son rôle à coeur et décide, pour la première fois depuis depuis des mois, de quitter l’enceinte de l’école pour se rendre derechef jusqu’à la caserne, seul, en dépit de l’insistance de Jarvis pour lui fournir une escorte.
Ni besoin, ni envie.
C’est une certaine bouffée d’air frais qui vient chatouiller son nouveau visage, alors qu’il aperçoit finalement les murs du camps militaire.

Se jeter dans des eaux inconnues… depuis combien de temps n’avait-il plus osé faire ça ?

En approchant de la porte principale, le djinn constate que deux humains s’y trouvent, sans doute affairés à empêcher quiconque d’entrer sans autorisation. Lui-même n’en a techniquement aucune...

« Bonjour messieurs, », débute-t-il, d’un ton poli. « Veuillez m’excuser du dérangement, je me présente, Amon El-Hadji. Je souhaiterais m’entretenir avec le major Jenson au sujet d’une affaire importante, est-il disponible ? »

Car il serait bien plus simple, selon un rapide calcul, de demander directement après lui que de mentionner le dragon. Son état seul, lorsqu'il a quitté le territoire djinn, suffirait à justifier qu'Amon n'est absolument pas le bienvenu en ces lieux.
Il espère donc que ce stratagème passe... et suffise à les convaincre.

Depuis l’attaque des Hurlants il y a quelques jours, je suis à cran. Faut que je bouge. Tout le temps. Comme si rester en mouvement pouvait chasser le poids des morts ou que je pouvais prendre de vitesse la culpabilité ou l’angoisse que les Hurlants profitent de notre faiblesse pour frapper une seconde fois. Ce serait stratégiquement imparable. C’est presque ce que je ferais.
Et donc, à peine sorti de l’infirmerie – impossible de rester allonger, j’allais péter un plomb – je suis sur tous les fronts quitte à m’écrouler de fatigue à la fin de la journée.

Mon talkie crachote alors que j’aide à repousser les véhicules à moitié cramés par notre dragon national et qui ont méchamment plié notre grillage. On n’a même pas encore eu le temps d’enterrer nos morts qu’on est déjà obligé de se relever. C’est comme ça maintenant.
Je craignais que cette invasion ne foute mes hommes à terre mais au contraire, ils ont la putain de rage ! C’est notre fioul maintenant.
Je prends le temps de finir de pousser la bagnole à moitié cramé et ordonne aussitôt qu’on décarcasse ce truc en récupérant tout ce qui peut l’être. Comme des charognards ! Parfaitement. On prendra tout ce que ces connards nous laisseront.

- Major à Rendall.
- Major, y’a un gus qui se présente comme… c’est quoi votre nom déjà ? Ah ouais. Amon El-Hadji. Il veut vous voir. Je le laisse entrer ou pas ?
Je passe une main dans mes cheveux et essuie la sueur sur mon front avec un soupir.
- J’arrive, je suis pas loin.
- Reçu.

Je laisse les gars poursuivre sans moi et m’avance d’une démarche beaucoup trop énergique vers l’entrée de la base. Et voilà, dès que j’ai plus les mains occupées, je cogite comme un connard. J’ai une de ces envies de clopes ! Mais mon dernier paquet a fini en fumée.
Je colle le sourire de façade que je sers à tout le monde depuis quelques jours sur ma gueule pour accueillir notre invité.
- Salut Amon !

Putain je m’y fais pas à son nouveau visage. Mais si moi j’ai du mal, j’imagine même pas lui. Je lui fais signe de me suivre et on marche presque tranquillement vers les premiers bâtiments. Ça grouille d’activité comme aux premiers jours et on est tous en alerte maximale.

- Merci au fait, pour vos soigneurs. Ca a… certainement sauvé la vie de plusieurs de mes gars. Je lui dédie une œillade en coin. Je me trompe peut-être mais on vous voit rarement quitter votre tour d’ivoire, princesse. Petit sourire de gosse insupportable. Ma meilleure arme de défense… ou d’attaque c’est selon. Vous venez vous encanailler chez les militos ? Bon là on est un peu surmené par les travaux mais y’a moyen qu’on s’occupe de votre cas ! Non mais sans rire… qu’est-ce que je peux faire pour vous ?