Feu rouge.
J’m’arrête même s’il est foutrement tard et que je suis presque seul sur la route. Je caresse presque amicalement le volant de ma nouvelle bagnole et mon toit ambulant que j’ai renommé Christine. Elle sent encore le neuf ma toute belle.
Un coup d’œil dans le rétro m’apprend rien de neuf.

J’ai l’air d’un déterré.

Des cernes sous mes yeux qui expriment un vide qui me happe de plus en plus depuis des mois – depuis ce jour –, une barbe qui commence à manger mon visage parce que je prends plus le temps de me raser correctement – en même temps Daphné détestait quand j’étais pas impeccable, raison de plus pour faire ce que j’ai envie – et les cheveux ébouriffés à force de passer mes doigts dedans.  

Hygiène douteuse ? Check
Chemise hawaienne qui me fait plaisir ? Check
Mon vieux cuir sur la couenne ? Check, check et encore check !

C’est le nouveau moi à priori. Va falloir que je m’y fasse.
Comment on peut encore aimé quelqu’un qu’on déteste aussi fort ? J’imagine que même la colère efface pas une relation de plus de quinze ans. Quinze ans qui n’ont pas été que déguelasses. J’veux même croire qu’on a été heureux…
Mais c’est fini maintenant.
Est-ce qu’il voudrait pas mieux que j’m’enfonce dans la forêt et laisse mon ours me tuer ? Berserker solitaire, sans clan ni famille. Sans personne. Ma mort passera inaperçue. P’t-être que je devrais ouais…mais j’ai la vie chevillée au corps. Un jour j’mis résignerai sans doute. Pas aujourd’hui.

Feu vert.
Je démarre quand une silhouette toute fine se jette sous mon capot.
Je freine comme un maboule !
Heureusement j’allais pas vite. Mes phares éclairent un visage blafard, jeune, vraiment jeune et surtout apeurée comme une biche aux abois. Y s’passe quoi bordel ? Aussi vite qu’elle est apparue, la silhouette de l’ado se barre comme si elle avait le diable aux trousses.

Rapidement trois autres silhouettes foutrement rapides suivent le même chemin.
Des putains de dents-longues. J’peux sentir leur odeur de charogne d’ici.

Je réfléchis même pas.
Je braque et me gare à moitié sur le trottoir – désolé ma Christine chérie ! – j’attrape ma hanche à une main et sort de la bagnole comme un diable de sa boite.
Les suivre me pose aucun soucis. L’odeur de la mer arrive pas à couvrir leur immonde parfum Suceur n°5. Je cours comme un malade. Des bruits de lutte et des cris me parviennent jusqu’aux oreilles et j’accélère encore ma course. Je cherche même pas à savoir ce qui se passe exactement et je leur fonce dessus comme un boulet de canon. J’ai même pas besoin de transe, ni de quoique ce soit d’autre que la colère bouillonnante qui m’habite depuis que j’ai surpris ma femme pour qui j’ai tout quitté, en train d'écarter les cuisses pour son mort-vivant d’amant dans notre lit.

A vrai dire. J’fais un massacre. Ma hache chante alors qu’un rictus de satisfaction sans doute pas joli joli à voir déforme ma tronche. Je les découpe sans merci et plus le sang m’inonde, plus je frappe comme un bourrin. J’m’arrête uniquement quand les trois vampires ressemblent à des puzzles de chair. L’ours est vraiment pas loin et gratte à la porte. J’arrive à la claquer sur son museau avant qu’il ne foute le nez dehors pour refaire un carnage.
J’ai la respiration lourde, les muscles gonflés par l’adrénaline et une tête à faire peur. Lentement, j’abaisse ma hache et fait l’effort de me calmer, levant le nez vers le ciel piqueté de jolies étoiles.

Respire Magni…
C’est pas ta colère qui te définie…
Tu es maître à bord…

C’est qu’une fois complètement calmé que je me tourne enfin vers la gamine qui a failli passer sous mes roues.
Elle est dans un piteux état, effrayée, mordue, molestée.
Les putains de salaud.
Je glisse ma hache à ma ceinture et m’approche doucement, mains levées en signe de paix pour venir m’agenouiller devant elle à distance raisonnable. J’veux pas la brusquer. Je passe une main sur mon visage pour essayer de retirer le sang qui le macule mais j'suis pas sûr que ça me donne l'air plus respectable ou moins effrayant.

- Hey ! Salut gamine…c’est fini. Ils te feront plus rien. Et moi j’vais pas te faire de mal…promis.
Je lève tout doucement une paluche pour écarter les cheveux roux de son minou. Elle est toute jolie ! Et si jeune putain ! Ça me sert le cœur. Elle est dans un sale état et l’odeur de sang couvre pas totalement une autre…plus musquée, qui ressemble un peu à la mienne. Elle a pas pris de douche depuis un moment la gosse. Fugueuse ?

- T’es dans un sale état poupette. Je tente un sourire que j'espère rassurant. J’peux t’amener à l’hôpital si tu veux. Ou appeler tes parents. T’inquiète…peu importe c’que t’as fait, ils doivent mourir de trouille et seront contents qu’tu reviennes chez eux. Qu’est-ce t’en dis ?

Elle a un mouvement de recul à mon approche et j’peux pas vraiment dire que ça m’étonne vu ma dégaine de serial killer en puissance.
La morsure me surprend bien plus et je regarde les p’tites marques sur ma peau avec un soupir. Elles partiront en moins de deux.
Qu’elle soit effrayée, j’le conçois à cent pour cent. A cause de moi en partie ? Ca me parait une évidence. Mais ce geste dénote d’un truc animal qui va bien au-delà de la trouille. C’est un geste d’animal acculé qui a connu les coups, voir plus.
Je la regarde escalader le container avec une compassion et une pitié immense.
Pov’ gosse !
Qu’est-ce qu’on a bien pu faire à une jolie poupette comme toi, hein ?

~ J'ai pas d'parents, pas d'argent et à peine la peau sur les os et pas de quoi bouffer, alors merci, non merci et au revoir.

Ah.
C’est donc encore pire que c’que je craignais. Une gosse de la rue et qu’a plus personne non plus. Bon j’peux définitivement pas la laisser ici avec son trauma, son corps malingre et ses blessures. Faudrait être le dernier des connards pour tourner les talons maintenant.
Lentement, je traine une sorte de cagot pour assoir mon cul dessus et en priant pour que le bois tienne le choc de mon poids qu’on peut pas qualifier de « plume ». Si elle est bien là-haut qu’elle y reste. J’suis pas du genre à débusquer les animaux acculés de leur refuge. Aussi dérisoire soit-il.
Ma carcasse installée, j’étends mes jambes devant moi. J’ai l’air d’un roi à la con sur mon trône de misère entouré de mes ennemis mort. La classe absolue.

- J’suis désolé t’entendre ça poupette. T’es bien jeune pour être à la rue.
Je lui adresse un p'tit sourire de connivence.
~ C'est quoi votre nom d'abord ?
Ah bah c’est qu’elle est curieuse quand même la jolie Roussette ! Mon sourire s'accentue sérieusement pour devenir une belle banane.
- Magni. Magni Oxärsson. Et toi ? C’est quoi ton p’tit nom ?

Je pousse un long soupir.
- Ecoute. J’sais que ça doit faire beaucoup pour toi. Mais moi j’suis pas comme les gus qui te courraient après. J’suis même le contraire puisque mon job c’est de les chasser. Pour pas qu’ils s’attaquent à des innocents comme toi tu vois ?
J’ai un petit rire craquelé.
- Je sais que j’te fous la trouille et j’comprends. J’viens de foutre en l’air ma plus belle chemise avec tout ce sang. Mais t’es blessée, t’as visiblement besoin d’un p’tit coup de main et pourquoi pas de grailler un truc. J’suis pas bien riche non plus, j’crèche dans ma bagnole tu vois, alors je comprends c’que tu vis. Mais j’peux décemment pas te laisser derrière moi comme ça. Je marque un temps d'arrêt et sort un mouchoir pour m'essuyer un peu la face. J’te propose deux trucs. Soit tu penses que tu finiras par descendre de ton perchoir : dans c’cas j’t’attends et on se trouve un endroit au calme pour que j’puisse soigner tes blessures, manger et se reposer. C’pas pressé hein. J’peux patienter autant qu’il faut.
Soit t’arriveras pas à me faire confiance, c’que je conçois totalement, dans ce cas j’vais juste faire l’aller retour jusque Christine – euh c’est ma bagnole, j’lui ai donné un p’tit nom – pour récupérer ma trousse de secours et un truc à bouffer quand même que je déposerai là. Dis moi juste où tu comptes passer la nuit comme ça je viendrai voir demain matin si tout va bien pour toi ok ? J’te laisse le choix poupette, mais m’demande pas de partir sans savoir si ça va aller pour toi, parce que j’risque de m’faire des cheveux blancs avant l’heure.

Ses remarques d'ado faussement rebelle me font plus sourire qu’autre chose.
J’suis à deux doigts de trouver ça chou. Je hausse les épaules quand elle refuse de donner son prénom.
- C’toi qui vois Poupette ! Moi ça me va. Un nom c’est qu’un nom. J’suis pas fana du mien mais j’fais avec.  
Quand elle parle de ma bagnole et se moque de son p'tit surnom, je souris tranquillement. Difficile de lui avouer que la solitude me pèse tellement que j’reporte mon affection sur un tas de ferraille avec un moteur.

~Qu'est-ce qui t'dit que je suis pas un monstre moi aussi ?
- J’ai un monstrosomètre vachement affuté et il s’affole absolument pas en ta présence. Sans rire, j’ai un bon « instinct ».

Celui d’un animal et d’un prédateur qui sait reconnaitre le danger quand il lui fait face. Je lève ma main qui arbore la trace déjà à peine visible de ses p’tites quenottes.

- Pis si t’as que ça comme armes « monstrueuses » j’devrais m’en sortir, je fais avec un p’tit rire.
~Puis.... pourquoi ça changerait ta couleur de cheveux si jte dis de partir ? On se connaît pas. Je suis pas importante. Pour personne... alors pourquoi tu voudrais savoir si ça va aller pour moi ?

Gros, gros soupir.
Je relève mes jambes et calle mes coudes sur mes genoux, le corps penché vers elle, entièrement à son écoute.

- J’sais pas quel parcours de vie t’as eu Poupette. J’devine qu’il a été dégueulasse et moi tu vois…ça m’fous la rage que t’es dû subir des trucs pas cool alors que t’es qu’une gosse. Ca me fout la rage que tu sois dehors à crever de faim et de froid sans que personne s’en inquiète. J’suis pas quelqu’un de bien. En atteste le plaisir que j’ai eu à découper du moche. Mais j’ai des principes, des valeurs qu’on m’a transmises. J’peux supporter beaucoup de truc mais la violence sur des enfants. Jamais. C’est comme ça. C’est ce que je suis.  

C’est peut-être pas un discours hyper convainquant ou même clair pour elle mais c’est la vérité. Brute. Y’a jamais que ça qui sort de ma bouche de toute façon. Une honnêteté farouche qui est devenue ma ligne de conduite.
Je lève les yeux vers la gosse et saisit quelques subtiles grimaces de douleur.

~C'est pour avoir leur adresse ? Parce que ça jte la donne sans soucis.
J’éclate de rire.
- L’adresse de ces connards ? Rien à carrer ! Ils auront plus l’occas d’y r’tourner c’est moi qui te le dis !

~Si je décide de descendre.... on mange quoi ?
Cette fois j’ai un vieux sourire de canaille et j’ricane dans mon début de barbe.
- Tu veux l’programme de la soirée ? Légitime. Alors…j’attrape mon menton pour une réflexion intense. C’est-à-dire qu’à la base j’avais absolument rien prévu. Mmmm d’abord j’peux t’emmener dans un endroit à l’abri pour te soigner et pourquoi pas prendre une douche. J’sais pas toi mais moi j’en ai drôlement b’soin. C’est le garage où je bossais avant. Il est en passe d’être vendu mais pour le moment l’endroit est toujours à moi et y’a une douche et même un canapé ! Ensuite, une fois qu’on s’est retapé un peu la face, enfin l’travail sera surtout pour moi, on peut soit se commander une pizza soit j’t’emmène bouffer dans un bon dîner que j’connais ! Je calcule mentalement la thune qu'il me reste. Pas grand chose mais ça devrait suffire. Pas contre après, j'serai presque à sec. Après si tu veux tu pourras te casser si jamais t’en as envie mais au moins tu seras soignée, lavée et t’aurais l’ventre plein ! T’en dis quoi ?

Je lève un regard tout doux vers ce p’tit chaton roux tout ébouriffé. Mais j’vois les signes, j’les connais. Elle aussi ça l’emmerde d’être seule.
Elle non plus cracherait pas sur un peu de compagnie. Même passagère.

Elle douille la gamine. J’suis un peu le pro de la souffrance et j’vois bien qu’elle en chie un max. Son visage se pare de tristesse quand elle mentionne sa mère mais j’me garde bien de faire le moindre commentaire. J’veux croire qu’une mère abandonnerait jamais sa fille à la rue comme ça. J’imagine donc qu’elle est morte. Par contre je relève un autre truc.

- Des particularités hein ? De quoi qu’on cause exactement ?
~ Ok. Je descends.
- Sage décision Poupette.
D’instinct je m’approche, manque m’étaler comme un con en glissant sur un bout de chair – ils m’emmerderont jusqu’au bout ces connards de dents longues – et tend les bras vers elle.
- Va pas te casser un autre truc. J’vais t’aider va ! Lâche je gère.

Je la rattrape sans aucune difficulté et la retourne doucement vers moi avant de la lâcher. Elle a pas l'air fana du contact et franchement elle fait bien ! Le visage amical, j’lui souris doucement.
- Eh ben voilà ! C’était pas si difficile. Rien de cassé en plus ?

Elle me fixe un long moment et je continue à lui sourire, tranquille.
~ Merci Herra Oxärsson...
Je fronce comiquement le nez.
- Tssss, j’sais que j’suis pas loin d’avoir l’âge de ton père mais y’a des limites. Magni tout court va ! C’est suffisant. Attend avant de partir j’ai un truc à faire.
Négligemment, je sors une pochette pleine de poudre de verveine de ma veste et en asperge généreusement les bouts de corps. Ca les empêchera de se regénérer jusqu’au lever du soleil demain matin.
La p’tite en a profité pour aller récupérer son sac

~ J'suis prête à rencontrer Kona Christine la voiture.
J’éclate à nouveau d’un rire tonitruant.
- Elle va plus se sentir non plus si tu l’appelles comme ça. Mais bon, j’suis sûr qu’elle appréciera elle, que je fais avec un clin d’œil. Bon t’es toute cabossée de partout on va éviter d’en rajouter.
Je me tourne et lui présente mon dos.
- En piste Poupette !
Mais évidemment elle rechigne. Je lève les yeux au ciel et me redresse.

- Franchement, tu devrais éviter la fierté mal placée, ça apporte que des emmerdes. Moi j’en ai plus depuis looooongtemps et j’t’assure qu’on vit sans. J’vais au moins t’aider à marcher et ça s’est pas négociable.

Je passe donc un bras autour de sa taille et après quelques laborieux mètres je pousse un « Bordel de merde on y s’ra encore là demain » je la soulève le long de mon flanc. Franchement sur le dos ça aurait été plus simple mais bon…
- Arrête de gigoter ! je ricane en la voyant lutter. Mais j’ai une force d’ours. Transport gratuit jusque Christine !

Une fois devant ma bagnole, je la repose à terre et lui ouvre galamment la portière avant de m’engouffre devant le volant.
Aussitôt j’allume le chauffage tandis que la radio égraine des notes de vieux blues. Moi j’en ai pas besoin, j’suis un radiateur ambulant mais les doigts bleuis de la gamine me racontent une autre histoire.

- Christine, j’te présente Poupette ! Poupette, mon fidèle destrier et ma baraque depuis quelques temps.
Je nous remets sur la route et me dirige vers mon ancien garage tout en faisant la conversation.
- Alors ? T’as pas de questions ? T’as dû voir que les espèces de salopards qui te suivaient étaient pas tout à fait normaux non ? T’as des traces de morsures…Moi j’ai des tas de questions pour toi… mais la plus importante à mon sens c’est : y’a personne pour t’aider Poupette ? Personne qui pourrait te sortir de la misère ? Même en laissant de côté ta fierté ?

~T'es crade, t'es bourrin mais t'es vachement costaud. T'as mangé un ours ou quoi ?
Je me marre encore. Un peu nerveusement on va pas se mentir et note qu’elle répond jamais à mes questions. Pas grave. Ca viendra quand ça viendra.
- Si tu savais…
~Pour le moment j'ai deux questions.
- Balance ! que je fais en prenant un virage et en sifflotant l’air de la musique qui passe à la radio.
~Tu vas me tuer si je te dis ce que c'est mes "capacités" ?
Je lui lance un coup d’œil sur le côté, sérieux comme un pape.
- Non. J’te ferais pas de mal quoiqu’il arrive, Poupette. J’ai pas pour habitude de faire du mal aux femmes et aux enfants. T’as du bol t’es les deux ! Encore moins de chance donc…
J’lui dédie un petit sourire en coin.
- Confidence pour confidence, j’ai aussi des « particularités ».
- Et t'es sûr que tu veux pas l'adresse des mecs que tu as massacré ? Non parce que si c'est ton travail sache qu'il était pas que trois...
Je pile soudain (non y’avait personne derrière nous) et la dévisage, les yeux ronds.
- Tu déconnes ! Et tu me le dis que maintenant ??? Un lent sourire, qu’on pourrait qualifier d’inquiétant, voir de féroce étire ma bouche. Mais fallait le dire plus tôt Poupette !!! Donne l’adresse…Magni le Costaud va leur rendre une petite visite de courtoisie !
~Troisième question, c'est quoi ta couleur préférée ?
Je glousse alors que je fais demi-tour avec aisance pour me rendre dans le lieu qu’elle vient de me communiquer.
- Vert et toi ?
On arrive vite à destination et je me penche vers elle pour attraper ma hache. Nouveau sourire rassurant.
- J’en ai pour mmm deux ou trois minutes ? A tout casser. Je laisse le moteur tourner pour que t’aies chaud. Christine j’te confie Poupette ! J’lui adresse un regard, de la malice plein les yeux. Te barre pas avec ma bagnole, ça me ferait chier de devoir te courir après.

Je disparais effectivement moins de cinq minutes le temps de dézinguer le mini-nid qui vivait dans l’appartement. Je me colle plus de sang partout et je récolte une belle balafre au cou qui va cicatriser toute seule comme une grande alors j’m’en carre totalement.
Je reviens dans la voiture pour constater qu’elle est toujours là et je ça me fais bêtement plaisir avant de rentrer dans la voiture.
Je me débarbouille le visage avec un autre mouchoir en me servant du rétroviseur central et grimace en voyant la plaie sur mon cou.  

- Eh voilà ! Ils feront plus de mal à personne comme ça. Bon maintenant douche, bouffe et dodo ! Dans cet ordre ! Sinon on en était à causer de tes particularités. Epate-moi Poupette ! Tu sais jongler avec une main ? Roter l’alphabet ? Chanter du Maria Carey sans qu’on ait envie de te taper dessus ? J’suis toute ouïe !

~ T'es quoi comme surnaturel ?

Ah.
La question à dix mille dollars. Ma franchise naturelle et pas franchement contrôlée me pousse à l’honnêteté la plus brutale. Mais…et c’est un gros mais… je sais pas encore qui elle est cette Poupette et même si elle a l’air parfaitement inoffensive, j’en suis pas si certain que ça. Notre existence reste un secret bien gardé par mon clan depuis des millénaires…du coup c’est pas tant pour moi que j’hésite mais pour eux. Ma famille. Ouais même s’ils m’ont banni, ça restera ma famille. C’est comme ça.
Donc, sans doute pour la première fois depuis un bail, je contourne un peu la vérité. J’verrais bien par la suite si j’peux lui confier le tout.

- Un genre de guerrier. De guerrier puissant. Désolé d’être flou mais j’dois protéger les miens, tu comprends ? P’t-être que j’t’en dirai plus plus tard.

Elle approche soudain sa main de mou cou blessé et j’ai un léger mouvement de recul.
- T’en fais pas ça va guérir tout seul. C’est qu’une égratignure de rien du tout.
~J'te ferais pas mal. Promis. Et puis c'est toi qui voulais savoir.
- Oh…je fais bêtement. Ca a un rapport avec tes « particularités » ?

Je lui jette un regard de côté tout en essayant de garder un œil sur la route. Les siens sont d’ailleurs devenus tout bizarre. Si les miens deviennent complètement opaque pendant mes transes, ses pupilles à elle semblent avoir explosées pour prendre toute la place. Une drôle d’aura nous encercle et l’animal en mois se tend, tous les poils de mon corps se mettent au garde à vous.
Les ampoules des lampadaires éclatent et tout redevient normal.
La p’tite me fixe, retire sa main et un simple coup d’œil dans le rétro m’indique que j’ai plus une égratignure.

- Wow… c’était quelque chose.
~Alors.... tu vas me tuer ?
Je lui coule un regard amusé et lui sourit.
- Nope, toujours pas. T’as l’air d’y tenir à c’que j’te tue dis donc ! Désolée de te décevoir mais faudra pas compter sur moi. Ni aujourd’hui, ni jamais.
Je reprends un peu mon sérieux alors que je gare Christine avec délicatesse.
- T’es une p’tite sorcière, Poupette ? Je viens gentiment poker son nez. Je fais pas dans la chasse aux sorcières. Juste aux vilains vamps et aux créatures qui perdent la boule.
Ce qui, quand on y réfléchit, est assez ironique. L’être le plus à même de devenir cinglé, c’est moi.
- Merci pour les soins. Allez viens !

Je descend de bagnole et nous guide vers un lourd rideau de fer que je remonte avec ma clé. L’intérieur du garage est cosy, j’en ai toujours pris un soin méticuleux. Bien plus que de ma personne aujourd’hui. C’est grand, c’est vide et ça me fout le cafard. J’en ai passé des heures à bichonner des bagnoles ou à les retaper. Y’a encore quelques affaires à moi que j’dois récupérer, notamment un mur recouvert de photos de ma famille. Moi avec mon grand frère tout doux qui connaitra jamais la dureté de notre existence, moi avec ma mère et mon frère…bref des clichés qui respirent le bonheur et une autre vie. Daphnée voulait pas les voir à la maison ses photos alors je les avais mises là… elle venait jamais au garage de toute façon. Trop sale pour elle. J’ai retiré celles où y’avait mon ex-femme dessus et les marques de cadres vides sont clairement visibles. Un coin plus cosy avec canapé se trouve dans le fond de la pièce. Je ricane soudain un peu.

- Ca fait repère de serial killer hein ! Heureusement que j’en suis pas un ! Partante pour une bonne douche ? J’regarderai tes plaies après.
Je lui indique une porte dans le coin.
- C’est par là ! Mon ex aimait pas que je rentre cradingue du boulot alors j’ai installé ça !
J’ouvre la salle de bain, minuscule mais munie d’une douche, un wc, un lavabo, du savon et des serviettes. Tout ça relativement propre !
- Fais toi plaiz ! Après tu préfères pizza ou dîner à l’extérieur ?

~Mais tu ES un serial killer. Tu tues un certain type de personne, tu en as tué plusieurs, tu as l'air d'y prendre du plaisir...

Son exclamation m’arrête soudain et je la fixe un moment sans rien dire en la fixant avec intensité. Je fais comme si l’Ours était l’être le plus abominable entre nous deux mais finalement, j’vaux pas mieux qu’lui. J’suis une bête au même titre que mon ours sans doute. J’l’ai prouvé pas plus tard qu’il y a quelques mois.

- Ouais…t’as sans doute pas tort…
~Après tu en est pas un juste parce que c'est ton boulot.
Je souris mais le cœur y est pas.
~Désolée... C'était pas pour être méchante. T'es pas un tueur en série.
Je croise les bras sur mon torse.
- Non, non c’est pas méchant. C’est honnête.
~ Vas-y d'abord toi. Comme ça je risque pas de prendre toute l'eau chaude pour me réchauffer. Et je veux bien dîner dans ton fameux restau.
- Comme t’le sens.

Je lutte pas. J’ai effectivement besoin de me décrasser et de reprendre forme humaine. Dans tous les sens du terme. Et le sang d’vampire commence à sérieusement titiller mon odorat.
Je fais ça vite et bien. Je gratte ma peau jusqu’à ce qu’elle soit rougie pour mais propre. J’enfile rapidement un vieux jeans et ronchonne en notant être à court de chemise.

Oh rage !
Oh désespoir !

Bon bah…tee-shirt donc. Uni. C’est d’une tristesse infinie j’vous raconte pas. J’pourrais en pleurer. Il laisse mes bras à nu et donc le gros tatouage de mon clan visible sur mon biceps gauche.
Je finis par sortir pour lui laisser la place et découvre de nouveaux billets dans ma veste.

Qu’est-ce que … ?
La Poupette !

Bordel j’le crois pas. J’vais te les refiler à la première occasion, t’y échapperas pas ! Quand j’invite, j’invite !
Lorsqu’elle revient, pieds nus et englobée de buée, j’lui souris.
- Eh beh t’es toute pimpante ! Et jolie comme un cœur.
~Donne ta chemise pleine de sang.
- Qu’est-ce tu veux foutre avec ma chemise ? Elle est sans doute irrécupérable. On va plutôt commencer par vérifier qu’tout va bien. Viens t’asseoir !
Je l’entraine gentiment vers le canapé, sors ce dont j’ai besoin.
- T’as un truc en-dessous de ton vieux pull ? J’dois regarder ta morsure, elle avait l’air bien dégeulasse ! La ch’ville comment ça va ?

"T'es pas un tueur en série."
Sa petite phrase tourne encore dans ma tête. La chaleur de sa p’tite main est restée imprégnée dans ma paluche et je la regarde pensivement.
J’aimerais le croire mais j’suis presque certain qu’elle a dit tout haut ce que je refusais de voir. Bah…après tout je suis pas fait pour les regrets ou les grandes introspections sur ma vie. J’peux pas défaire ce que j’ai fait, ce que je suis. Et j’suis un tueur. Daphné a jamais voulu le voir parce qu’elle l’aurait pas supporté. Et moi aussi j’ai préféré fermer les yeux sur cette partie de moi pour lui plaire.
Il est tant que j’redevienne moi-même, que je me fasse une raison.

~ J'arrive, laisse-moi cinq minutes.

La gamine n’en fait qu’à sa tête et j’observe son étrange ballet avec nos fringues poisseuse de sang, une moue amusée sur mon visage.

- Si tu sauves ma chemise, tu d’viendras ma nouvelle héroïne ! Tu l’sais ça ? Bon allez, maintenant que t’as fait ta BA d’la journée, viens par là et assis-toi. T’as un truc en-dessous de ton vieux pull ?
~J'ai un débardeurs. Pourquoi ? T'as jamais vu de femme à poil à ton âge ? C'est triste.
J’me marre sous cape et agite mes sourcils.
- Tu crois qu’j’ai eu un mariage platonique ? C’est pas mon genre ! Mais merci de t’inquiéter pour moi. J’dois regarder ta morsure, elle avait l’air bien dégeulasse ! La ch’ville comment ça va ?

Elle retire enfin son pull. Du pouce et très délicatement, je fais pivoter sa tête pour exposer la vilaine morsure entre son cou et son épaule. Je grimace et siffle entre mes deux.
- ‘tain ils t’ont pas loupé ces connards.
Même si elle a foutu du savon dessus, je préfère désinfecté encore la plaie correctement avant d’y poser un pansement. J’œuvre vite et bien. La force de l’habitude.

~ Tu sais c'est pas la première fois que ce genre de choses arrive.
- Va pas croire que c’est la normalité pour autant Poupette.
~ Là c'était des... vampires ?
- Tout juste ! Et ils ont bien mordu ta couenne.
~ Mais t'inquiètes pas que les humains aussi ils ont leur lots de violence.
Je lui balance un regard entendu.
- Tu prêches un convaincu. Mon père a coutume de dire qu’on a chacun une Bête en nous. Sans distinction. J’applique du ruban adhésif sur le pansement. Et que les plus forts sont ceux qui arrivent à la dompter.
~ Sinon la cheville ça va. Je vais avoir un peu mal quelques jours et voilà.
Je tapote ma cuisse.
- Installe-là ici que j’jette un œil. Je fais doucement pivoter son pied entre mes mains pour faire jouer l’articulation avec extrêmement de délicatesse.
- On va la bander quand même ça sera plus prudent.
~ Si je te dis mon deuxième prénom ça te va ?
Je m’arrête, relève le menton mais elle me regarde pas. Lentement un sourire ravi barre ma trogne alors que je déroule lentement de quoi strapper sa cheville.
- Comme tu le sens, Poupette… mais ouais…ça m’f’rait vachement plaisir !
Super plaisir même !

~ Tu promets de pas te moquer ?
Je masse la cheville avec une crème de mon cru qui sent fort la pourriture végétale mais qui est plutôt efficace contre les douleurs après transe.
- Croix de bois, croix de fer si j’mens j’vais pas au Valhalla !
Pour parfaire le serment, je fais une petite croix avec mon pouce sur mon cœur, la mine solennelle.
~ Je m'appelle Ombre.

Je la regarde. Je fais semblant de me pincer les lèvres comme si je retenais mon hilarité et puis je laisse éclater mon sourire.
- Baaaaah c’est pas si terrible Ombre ! Chelou, on va pas se mentir… mais pas moche ! Et puis t’sais tu parles à un « Magni » j’ai pas tiré le gros lot non plus question prénom. Ca veut dire « puissance colossale ». C’est quand même couillon que j’sois le plus gringalet d’la famille ou presque. Bref tout ça pour dire que je trouve ça adorable ! Maiiiiis je préfère Poupette !

Petit clin d’œil alors que j’ai fini de passer ma crème miracle et que je commence à enrouler un pansement autour de son pied et de sa cheville blessée.
- J’avais prévenue…
~T'as eu des enfants monsieur le pas platonique.

Je m’arrête à nouveau de bouger. Les gosses ça a toujours été un sujet sensible. J’en ai toujours eu envie, on va pas se mentir. Depuis tout p’tit j’ai été entouré de gosses qui gambadaient un peu partout. Ils ont fait partie de mon paysage. Mais je sais aussi que j’y ai pas le droit…Et puis Daphnée a jamais voulu non plus et mon patrimoine génétique merdique l’a pas aidée à changer d’avis.

- Non…non on a pas eu d’gosse. Heureusement quelque part… j’aurais pas supporté de plus les voir. J’en aurais sans doute jamais. Il est pas écrit que je sois père un jour. C’est mieux comme ça… j’ai pas un super bagage génétique tu vois…C’est…c’est comme ça.

Je fais mine que tout cette petite conversation me touche pas mais évidemment c’est carrément pas le cas. Du coup je préfère changer de sujet et demande d’une voix douce.

- Et toi alors ? C’est quoi ton histoire à toi ? Tu veux bien me raconter ? Ombre ?

J’écoute son histoire tout en finissant de strapper sa cheville serrée. La bouger devrait être beaucoup moins douloureux maintenant. Je me contente de prendre son p’tit pied toute gelé entre mes paluches pour le réchauffer.

Son récit me bouleverse le cœur et me donne des envies de meurtre contre cette putain de vie qui sépare des familles, qui laisse des gosses seuls, si affreusement seuls.
J’observe son visage, d’abord pétri de douleur. Une douleur normale, légitime. Le vide qui suit est bien plus flippant et me glace de l’intérieur.
J’suis presque étouffé par un puissant sentiment de compassion pour cette jolie Poulette Roussette. J’ai des envies de lui dire que tout ira bien, qu’elle aura plus à affronter d’autres merdes dans ce genre mais la vérité c’est que j’en ai aucun droit. Parce que j’suis bien placé pour savoir que la vie fait pas de cadeau et c’est pas parce que j’le veux très fort qu’elle sera en sécurité à partir de maintenant.

Et puis qui lui apportera hein ? Moi ? C’te bonne blague !
Si j’peux lui offrir une soirée et une nuit convenable ça sera déjà chouette.

~Voilà. Tout ce qui me reste pour moi c'est ma vie et les cours. C'tout.

Je hoche la tête doucement. Elle a l’air ailleurs, perdue dans des souvenirs que je sais maintenant atroces. J’aimerais la prendre dans mes bras pour lui transmettre un peu de chaleur humaine. Enfin mi-humaine mi ours. Mais j’suis pas certain que ce genre de geste soit bien apprécié alors que je me contente de lâcher sa cheville pour agripper sa main dans la mienne. J’la masse doucement, essayant de la ramener à moi, un sourire compatissant sur le visage.
- J’suis désolé…désolé que toute cette merde te soit tombée sur la gueule, Ombre. Vraiment.

J’ai pas envie de lui poser plus de question que ça sur ce passé dramatique, traumatisant. Et puis ça serait presque de la curiosité morbide à ce stade. J’ai pas besoin d’en savoir plus. J’veux me tourner vers d’autres questions, vers son avenir. Ca je sais qu’y’a encore une chance pour qu’il soit plus lumineux. Mon sourire se fait plus doux, moins "olala dans mes bras Poupette tu me brises le coeur".

- T’arrives encore à suivre des cours ? Comment tu fais ? C’est super ça ! J’te trouve hyper courageuse. Moi j’ai fait que le circuit classique. T’as envie de quoi toi ? Pour ton avenir ?

~T'as pas à être désolé. C'pas ta faute et puis c'est comme ça, c'tout. Être en vie c'est déjà plus que beaucoup.

Je connais ce genre de raisonnement et j’peux pas dire que j’y adhère pas. Mais c’est une enfant putain ! Elle devrait avoir des rêves ! Des envies pour demain, après-demain !

~Je me suis raccrocher à l'école pour pas perdre le nord. J'ai jamais été déscolarisée. J'ai encore cinq ans avant mon diplôme de fin de lycée. C'est gratuit alors je peux encore. Après je sais pas. Déjà si je vis jusque là ça sera pas mal.
Je lui souris avec chaleur.
- T’as raison…finis des études Poupette. Tu vas t’en sortir de cette merde. T’es un sacré bout de petite nana pleine de courage.

Je sens son petit pouce qui caresse ma main et j’me fais la réflexion que Poupette c’est un p’tit animal social qui est en manque de câlins, de contacts humains « normaux ». Mais surtout qu’elle est super courageuse d’en accepter encore… d’en avoir encore envie, d’y croire, après tout ce qu’elle a subi.
Elle aurait pu devenir totalement frappé, être détruite par tout ça.
Mais non.
Elle est là, toujours debout, sa main dans la mienne.
Pt-être que c’est pour ça que j’me sens l’obligation de l’aider.
De résilient à résilient.
De survivant à survivant.

~Tu veux bien qu'on discute en mangeant, Herra Oxä... Herra Magni?
Je lui fais les gros yeux en me levant.
- Magni tout court, Poupette ! J’ai l’impression d’être quelqu’un de respectable quand tu m’appelles comme ça.
Le grognement de son estomac me fait éclater de rire.
- Ouais ! J’crois que c’est tout indiqué !

J’enfile un pull moi aussi puis mon cuir que j’ai nettoyé comme j’ai pu. Faut être vraiment con pour partir à la chasse aux créatures et faire ça à la hache viking avec un manteau en cuir. Plus salissant tu meurs. Mais personne n’a dit que j’étais quelqu’un de logique après tout.
La petite s’habille aussi et lève les yeux au ciel. J’suis dans son dos et tout ce que je vois c’est le sac qui s’envole vers le haut. Je le suis des yeux, un poil fasciné par le phénomène mais aussi un peu interloqué. La capacité de soin ça a rien à voir avec savoir bouger des objets par la pensée ? Ca me semble être deux pouvoirs bien différents. T’es quoi exactement Poupette ?
Je garde pour moi mes réflexions. Après tout ça change pas qui elle est. Une gosse perdue. Si elle veut me parler de ce qu’elle est vraiment, elle le fera, sinon c’est pas bien grave.
Amusé, je croise mes gros bras sur mon torse.

~J'suis prête. Ah ! et... Merci pour les soins.
- J’t’en prie ! T’sais que j’vais fermer à clés derrière nous hein ? Sinon j’ai un coffre-fort dans le bureau. Remarque là où il est, ton sac risque rien. Aller en route !

Je rabaisse le lourd rideau derrière nous, referme comme promis et en quelques minutes on est en route. Il faut à peine dix minutes pour y aller.
- J’allais y bouffer le midi quand je bossais encore au garage, je lui explique avant de me garer.
L’intérieur du diner à l’américaine à une bonne odeur de viande griller. Des banquettes rouges, bien occupées, s’alignent des deux côtés de la porte d’entrée et j’me fais accueillir chaleureusement par une bonne femme bien en chair d’une cinquantaine d’année.

- Magni !!! T’es revenu ! J’ai cru que j’te verrai plus ! Olli !!!! beugle-t-elle soudain. Viens voir qui est là.
Je dédie un sourire rassurant à Poupette avant de me pencher au-dessus du comptoir pour embrasser la joue de Rikka au moment au Olli apparait dans l’ouverture du passe-plat
- Magni ! Mon grand ! Ca fait une paie !
- On a appris pour ton divorce… et le garage,  déplore Rikka avec de la pitié plein les yeux.
- Bah… c’est la vie.
- Tu sais c’que tu vas faire ?
- Sans doute bourlinguer un peu. Pas tellement envie de rester en ville.
Le regard de Rikka tombe sur Ombre.
- C’est qui cette jolie jeune fille qu’tu nous ramène?
- Ma…nièce. J’aime pas mentir mais c’est franchement plus simple. Et on meurt de faim.
- Installe-vous ! On a encore d’la place.

Je récupère les menus que Rikka me tend et guide Poupette pour qu’on s’installe face à face.
- Voilà ! Choisis c’qui te fais plaisir ! C’est moi qui offre. Gros yeux. Sans utiliser le billet qu’tu m’as glisser dans le manteau, p’tite maligne. Je parcours le menu, l’eau à la bouche. Alors dis-moi… t’as pas essayé des foyers ? Des associations ? J’ai compris que tu… t’étais tombée sur la lie de l’Humanité mais tout le monde est pas comme ça.

~Oh! Tu as trouvé que celui là ?
Je plisse les yeux en la dévisageant et sourit malgré moi devant son petit air satisfait.
- Garde ta thune Poupette ! Moi j’me débrouille.
~Et puis on verra selon ce qu'on commande et la note.
- C’est ça…t’as le droit d’y croire…

Elle me parle ensuite des foyers et je fronce le nez.
- Deux ans…c’est encore long non ? Et pourquoi que t’essaierai pas de te trouver un p’tit logement étudiant ? Ou mieux un p’tit taff après les cours si tu t’en sens le courage…
Une idée émerge dans un coin de mon cerveau….
~Et toi ? Pourquoi tu garde pas ton garage ?
La question me surprend un peu et j’ai un sourire un peu tordu.
- Parce qu’il est pas qu’à moi. Partage des biens. Il est autant à mon ex qu’à moi. J’ai pas la thune pour lui racheter ses parts donc…reste que la vente. Mais c’est pas plus mal. J’voulais changer de crèmerie de toute façon. Et puis j’suis plus fait pour descendre du pas beau que de réparer des bagnoles. Même si j’adorais ça…

Petit soupir mais Rikka vient pour prendre notre commande et j’éclate de rire en entendant la demande très complète de la Poupette.

- Eh ben j’en connais une qui a la dalle ! Prends, prends, ça me fait plaisir… Je passe commande d’un simple burger et Rikka me fait un clin d’œil.
- J’t’offre la bière mon grand…et les dessert. Vous partirez pas sans avoir pris un p’tit dessert.
Je croise les bras sur mon large torse et me calle contre la banquette.
- Dis Rikka… t’aurais pas besoin d’un peu d’aide pour le service ?
- Oh bah toujours, t’sais bien ! On désemplit jamais et j’suis plus de la prime jeunesse.
- Tu rigoles !! T’es aussi fraîche et pimpante que quand j’t’ai connu.

Rikka glousse coquettement alors que je souris doucement. C’est vraiment des gens en or. Une fois seuls à nouveau, j’me tourne vers la Poupette avec un grand sourire.

- Qu’est-ce que t’en dis ? Imagine avec un p’tit salaire ce que tu pourrais faire ! J’peux t’aider à chercher un logement. On dirait pas comme ça, mais j’connais du monde ici et là…

Je sais pas pourquoi…mais j’veux vraiment qu’elle s’en sorte cette jolie roussette, j’veux l’aider. Sans doute que c’est une façon d’échapper à mes problèmes mais c’est aussi parce que j’en ai profondément envie et besoin de me prouver que je peux encore faire des choses bien.