Se réveiller au son de Britney Spears. Check
Faire l’amour deux fois à saon fiancé.e. Check et reeeecheck.
Prendre un p’tit déj dégueulasse mais «équilibré ». Check.
Fuir la fournaise de son bureau parce que ça m’emmerde. Un bon gros check !

J'aime remplir mes objectifs ! Et mes listes... sans elle j'aurais perdu pied depuis looooongtemps.
Ce qui explique donc ma petite balade du matin, lunettes de soleil sur le nez, sifflotant comme un couillon heureux, parce que c’est ce que je suis, la clope au bec. Ouais j’ai réussi à refaire du stock. Y’a un deal à nouveau dans le ranch.
Oui, j’emmerde l’Apocalypse et j’emmerde Unseelie. J’suis vivant, fiancé, aux commandes de gars plutôt efficaces et surtout, surtout, j’ai l’impression de faire des trucs utiles dans ma vie ! Des trucs qui comptent.
L’attaque nous a tous foutu un coup de massue derrière le crâne, mais depuis quelques jours, je ressens cette électricité particulière, celle qui se propage comme une trainée de poudre d’homme en homme : l’envie d’en découdre. De rendre les coups.
On est prêt. On attend plus que le signal.

Mais comme c’est pas encore le moment, on ronge notre frein. Y’a parfois des dérapages, des bagarres de cours de récré. Et pour une fois, c’est moi l’arbitre. La plupart du temps, j’laisse couler. Les gars ont besoin de ventiler et tout le monde n’a pas le coup du siècle dans son pieu pour évacuer un peu de tension.

J’ai fait le tour de la caserne et m’avance doucement mais surement vers l’entrée. Je m’arrête un instant sur le chemin quand je capte une silhouette autre que mes deux bidasses devant la barrière.
Quand j’arrive devant ce p’tit monde, les bidasses se mettent aussitôt au garde à vous.
- Major !

Si au début ça me gênait grave, maintenant c’est la routine eeeeeet on va pas se mentir, ça me plait un peu le respect. C’est un poil grisant. Mon regard glisse sur les visages des soldats pour capter un peu leurs expressions et je m’arrête quand j’apperçois… l’un des gars de mon unité.

- O’Shea ? Bordel qu’est-ce que tu fous à la surveillance ici ?
Rouge tomate, O’Shea contemple ses godasses.
- J’ai parié. J’ai perdu.
Je ricane sec en soufflant la fumée de ma cigarette.
- Sans déconner… t’as pas encore compris que t’étais pas doué à ce p’tit jeu ! C’est qui le responsable de tes malheurs ?
- Hailey, évidemment ! grogne le soldat, benjamin de notre petite troupe.
Cette fois j’éclate de rire.
- C’est encore pire avec elle ! Tsss…

Bon allez, on renfile sa majoritude et on inspecte un peu le nouveau gus. Ca a pas l’air d’être un fae… il m’envoie des vibes… démoniaque peut-être ? Depuis qu’on se coltine le surnat, j’essaie de jouer au jeu du « qui est-ce ? ». Est-ce qu’il se balade au soleil ? Abaisse toutes les têtes de vampires connues. Est-ce qu’il s’est téléporté ? Garde les têtes de démons, potentiellement de sorcier et de fae. Est-ce qu’il crache du feu quand il est pas content ? C’est le dragon !
Oui bon vous voyez l’idée quoi…

- Il veut voir Cosgrave, affirme l’autre bidasse. Smith ? J'crois que c'est Smith. On a toujours un Smith quelque part.  
- Gi-Ja ?

Cette fois j’examine le nouveau venu avec beaucoup plus d’attention et plisse légèrement les yeux. J’ai une très, très, très vague idée de qui ça peut être. Et pour le bien de ma caserne, j’aime autant qu’il croise pas Neo à l’improviste. Manquerait plus que ses couillons me pètent ma moche caserne d’amour !

- Rompez les gars.
- Mais… on garde l’entrée !
- Bah allez garder plus loin ou tringler une fée si ça vous fait plaisir, j’en ai rien à carrer ! Laisser-nous du lest ! C’est un ordre, tout ça, tout ça.

Une fois seuls, je lui tends mon paquet de clopes dans un geste évident.
« Ceci est le calumet de la paix, mec. Joue pas au con et tout se passera bien. Surtout pour moi. »
Depuis quand je m’essaie à la diplomatie ? C’est très très récent. Et je suis très très pas doué.

- Salut. Major Jenson, j’suis le supérieur de Gi-Ja. On peut savoir ce que tu lui veux à notre beau gosse coréen ? je demande en toute décontraction.

Un nouveau jour, un nouveau soleil qui se lève paresseusement au-dessus de la plage. Cette nuit, j'ai dormi à même le sable. J'inspire et commence à essayer de faire le tri dans ma tête. Après avoir viré mes fringues, j'ai pris une douche froide où j'ai pu éviter de constater ma propre maigreur. Ouais, j'fais peur. Je manque de sommeil. J'en ai marre des gens. J'en ai VRAIMENT marre de moi.

Et puis, une idée me vient : Gi n'est toujours pas revenu me voir contrairement à sa promesse. Cela m'inquiète, cela m'inquiète même beaucoup parce que je refuse de croire qu'il ait pu simplement oublier ses promesses. Bordel, j'espère qu'il va bien... Et s'il était blessé ? Ou s'il était en détresse et qu'il avait besoin d'un ami ? Parce que c'est ce que je suis pour lui, c'est ce qu'il a dit que je serai, faute de pouvoir être plus, et cela me va tout à fait. Un dernier regard à l'horizon et je marche le long de la plage, pieds nus, regardant la tache de sable qui se forme autour de chaque pas. Je prends mon temps, il est très tôt, et je n'ai absolument pas faim, en fait, la moindre idée de nourriture me dégoûte.

J'arrive en périphérie de la caserne, j'ai les mains dans les poches, et je me demande si je dois m'annoncer, ou directement aller le voir. Normalement, je devrais me matérialiser près de sa porte, toquer, et lui dire un cinglant "bah alors, on a oublié son pote cornu ?"... Cependant, ces derniers temps, je me dis que je devrais sans doute plus suivre le fil de la normalité. C'est pas que ça m'enchante, mais c'est pour Gi-Gi, alors on respecte.

Je salue les premiers soldats que je vois d'une manière sans doute un tantinet familière.

"Bonjour, je souhaiterais voir Gi-Ja !"

Le tout premier regard que je capte de l'un des deux me déstabilise, comme si j'avais dit une connerie. Non, me dis pas qu'il est mort, ou mourant, s'il vous plait ! On vient à peine de se retrouver ! On me fait patienter. Ah...

"Est-ce que vous pouvez au moins me dire s'il va bien ?"

Le soldat hoche la tête, peu assuré.

"Il est avec un dragon, je ne suis pas certain que vous pourriez le voir aujourd'hui."

Lui, je le connais de réputation, et pour avoir vu sa silhouette fendre le ciel quelques fois. Je me redresse, les yeux étonnés.

"Quand vous dites qu'il est avec... ils sont ensemble... ensemble ensemble ?"

Le soldat est mal assuré, mais fini par un sourire en coin sans me répondre. Cette fois, je souffle. Je suis très heureux pour lui, qu'il se soit trouvé quelqu'un avec qui aller. Ses amours au p'tit gars sont loin d'être simples et j'en ai payé les frais plusieurs fois. J'espère juste qu'il ne se complaît pas trop dans son rôle de pervers, avec moi, il était tranquille à ce niveau-là parce qu'il n'était pas le plus pervers des deux.

Au bout d'un moment, un type arrive, beau-gosse, visiblement gradé, avec une lueur intelligente dans le regard... Un vrai connard, quoi. Il me jauge comme je le jauge et je lui souris. J'ai pas envie de chercher la merde, pas aujourd'hui. Merde, j'aurais peut-être dû ramener un truc en cadeau... une boite de capotes par exemple !

Je grimace à l'expression "tringler une fée"... C'est quoi ces manières de parler ? Non parce qu'une fée, ça ne se tringle pas comme ça !

Le type me tend un paquet de cigarette. Je fouille dans ma veste et tombe sur... trois bédos. J'en prends un, et le glisse dans son paquet. Je ne fume pas ce genre de trucs, ça me fait rien. Donc voilà, m'sieur, c'est pour toi ! Et tu verras, c'est de la bonne !

"J'en ai plus beaucoup, donc profite de celui-là."

Il se présente de manière super formelle... mais me tutoie. OK !

"Hé bien c'est mon ami, je veux juste savoir s'il va bien. Il est pas venu me rendre visite depuis plusieurs semaines et je suis un chouille inquiet."

Peut-être qu'il avait plus de perm', c'est comme ça qu'on dit ? Ah... les humains et leur hiérarchie. Il vaut mieux pas que je sois soldat ou tout partirait en...

Qu’est-ce qu’il glande ? Pourquoi il fouille dans sa veste ? Il va me sortir une pétoire comme dans les vieux films de gangsters ? Je vois déjà mon corps étalé par terre, mon visage tragique alors que je rends mon dernier souffle en pensant à Ciulin, la main sur mon cœur qui saigne.
Wooooooow faut que j’arrête de regarder les vieux films que Devane m’oblige à voir. « Pour ta culture p’tit con ! »
*Soupir* le respect est mort.  

Finalement il sort… un truc et j’ai les yeux qui pétillent comme un gosse à Noël. Avec toute la délicatesse du monde, je reprends le bédo entre mes doigts comme une relique sacrée.

- Tu déconnes ? Où t’as trouvé ça ? J’ai demandé à Salomon d’en faire mais… je prends la voix maniérée du démon, je deviens très bon à ce petit jeu. « Billevesée mon jeune ami ! Les denrées consommables sont notre priorité ! ». Roulage d’yeux en règle. Clairement il ne comprend rien à la valeur de ce petit bijou.
- J'en ai plus beaucoup, donc profite de celui-là.
Large sourire d’enfant réjoui.
- Merci, mec ! Je vais le sa-vou-rer.
Petite tape sur l’épaule puis je le porte à mon nez avant de le reposer délicatement. Je le partagerais que si on se montre très, très, très gentil avec moi.

Ah oui, c’est vrai, faut que je sache quand même c’qu’il vient faire dans les parages et pas simplement accepter son propre calumet de la paix. Jouer aux Indiens c’était pourtant sympa !
C’est clairement pas un habitué des lieux. Je relève mes lunettes sur mon crâne et me prépare à ce que j’imagine une conversation où je vais devoir marcher sur des œufs… et on parle d’œuf de cailles pas d’autruches ! Démerdez vous avec cette info.

- Hé bien c'est mon ami, je veux juste savoir s'il va bien.
- AH. Bah il va bien. Laconique. Simple. Efficace. Rajoute rien Cal, rajoute rien… Dis… euh… tu serais pas « le mec », non ! non ! le mec qui quoi ? avec qui il était de temps en temps… ? avant ?

Putain de langue trop pendue !
Au départ, il pensait à un putain de violeur au GHB. Mémoire fragmentaire tout ça, tout ça. Et puis apparemment, si j’en crois Lexi, il a finalement capté qu’il était juste en plein déni d’avoir juste voulu se faire baiser.
Gi-Gi et sa détestation de lui… on pourrait en faire un bouquin. Un coming-out c’est jamais évident j’imagine. Moi j’ai fait ça comme on enlève un sparadrap. Vite et bien. Mais revenons-en a nos coréens.

- Il est pas venu me rendre visite depuis plusieurs semaines et je suis un chouille inquiet.
Je toussote légèrement puis tire sur ma cigarette pour gagner un peu de temps.
- Il est un peu… occupé à euh… dresser un dragon. Mais il va bien. De mieux en mieux j’ai envie d’dire.

Franchement le type en face de moi à plus l’air au bout du rouleau qu’autre chose. On dirait qu’un rouleau compresseur a fait un leeeent aller-retour sur sa tronche. J’le sais parce que cette gueule je l’ai eu pendant un moment aussi.
J’enfonce mes mains dans mon treillis, la clope coincée dans le coin de la bouche.
- J’peux être franc avec toi ? Adieu les œufs… bonjour l’omelette. Je sais pas trop c’qui s’est passé entre vous et c’est carrément pas mes oignons. J’ai cru comprendre qu’il pensait que tu l’avais violé… je lève une main. J’dis pas que c’est vrai parce qu’entre nous, Gi-Gi a une sacrée manie d’arranger la vérité pour jamais admettre sa gayitude et je doute qu’un violeur viendrait voir si sa victime va bien après. Non pas que je connaisse beaucoup de violeurs… Terrain miné, terrain miné, Major ! DEMI TOUR. BREF ce que je veux dire, c’est que j’pense que notre Gigi l’amoroso, il a besoin de s’accepter un peu lui-même avant de… r’venir vers toi. Mais j'lui dirais que t'es passé ! Là il est en service.
Putain… j’ai pas signé pour ça moi ! Etre major c’est être nounou, maman poule, conseiller conjugal et j’en passe ! J’suis pas qualifié moi !

- Ca… ca va aller toi ? Je regarde ma montre. L’ami à écailles va pioncer toute la matinée comme d’hab et Gi’ est au ranch. Je montre la caserne du pouce. T’as l’air d’avoir besoin d’un bon remontant ! Mon bureau est pas loin.

"Fournisseuse spéciale, mon p'tit secret n'à moi tout seul."

Bon, il va bien il est en couple. Je suis rassuré. Je vais pouvoir enfin aller le voir et on va pouvoir mettre les choses au clair et le soutenir réellement... Sauf que... Non... Ce sera pas si simple. Rien n'est jamais simple.

Je serais pas "le mec" ? Un instant, je pense à Lexi... Aurait-elle dit que je suis "le mec de sa vie" ? Elle va débarquer d'un instant à l'autre, me sauter dans les bras, et on va louer un cheval pour galoper vers le soleil couchant. Ah non, rien de tout ça, juste "le mec avec qui il était de temps en temps avant". Gi-Ja veut me faire de la pub ? Ce serait étrange... Cependant, quelque chose me dit que je vais vite déchanter.

"Si si, c'est moi."

Déception prévue dans 5...
4...
3...

"...Violé..."

MAIS PUTAIN DE MERDE ! POURQUOI IL ME COLLE CETTE PUTAIN DE RÉPUTATION SUR LE DOS ?
J'entends à peine la suite. Mon regard se durcit instantanément et je cherche un truc à casser, une porte, ou n'importe quoi ! Mais non, évidemment, il n'y a rien. Je porte la main à ma poitrine. Il ne m'en reste plus que deux, PUTAIN ! Pourquoi je lui ai donné un de mes précieux bédo ? Pourquoi je suis ENCORE le violeur de service ? Je lui en veux. Putain. Je lui en veux. Qu'il l'ait pensé, je le conçois tout à fait, mais qu'il me balance une réputation comme ça, sur le dos ?

Mes yeux se remplissent d'images, de souvenirs, de trop de choses. Je ferme les yeux, pose les mains sur mes tempes et pousse un grognement profond qui vient à la fois du fond de mes entrailles, et du fond de ma frustration.

"JE...NE...L'AI...PAS...VIOLE !"

Je me détourne du type pour forcer le passage. C'est sans compter sur une cavalcade que j'entends venir dans les couloirs jusqu'à moi. Que... quoi ?

Oh !

Je tends les bras pour attraper la boule de poils au vol avant de me faire repeindre le visage d'une bave gluante.

"...Salut Pati ! Ravi de voir qu'il y en a au moins une qui est de mon côté par ici."

Ses jappements joyeux me ramènent sur terre et brise ma colère. Je suis encore tendu et mes mains tremblent autour de sa fourrure. Finalement, je la serre contre moi dans le "taptaptap" de sa queue contre ma jambe. Au bout d'un long moment, je lâche la chienne de Gi-Gi et me retourne vers Major machin, un tantinet menaçant.

"J'ai pas besoin d'un remontant, j'ai besoin de voir Gi' ! Il doit s'expliquer sur les propos qu'il a eus envers moi !"

...et je réalise toute l'étendue de ce que je suis en train de dire ou faire... J'ai pas envie de me faire passer pour le type agressif en plus d'être un violeur. Un calme étrange m'envahit alors que je commence à comprendre ce que je suis pour lui : la personnification de la perversion qu'il cherche à fuir et ce par quoi il est inexorablement attiré.

"Non, oublie. C'est pas grave."

Si Pati pouvait parler... elle leur dirait. Je pose ma main sur sa tête et deux oreilles se redressent de part et d'autre de ma paume. J'attrape au vol les scènes de moi et de Gi-Gi, notre première rencontre, notre premier baiser, sa réticence, mes paroles à son auto-condamnation, sa demande à ce qu'il oublie tout ce qui s'est passé entre nous. Il n'y a pas la scène à proprement parlé, parce que la chienne n'était évidemment pas présente, mais entre moi et Gi, il n'y avait que compréhension, tendresse, et un peu de provocation. Rien de violent, aucun viol. J'ai besoin d'un second allié dans cette histoire ou je vais vraiment m'enterrer sur cette plage. Je pose une main sur le front de Caleb, pour qu'il ait les images de cette rencontre, et de celles d'après, qui n'ont été qu'un enchainement de premières fois, qu'il s'accepte enfin.

Enfin, je lui montre notre rencontre sur la plage, le fait que je l'ai fait renoncer à la noyade, notre petite balade, notre discussion...

"J'ai... un sérieux problème avec le viol. Quand il m'a croisé sur cette plage et qu'il m'a traité de violeur, j'ai pété un câble, j'ai cassé les chiottes d'une ancienne salle de sport. Par contre, sa mémoire a été rétablie. Il n'aurait jamais dû dire ça sur moi. J'dis pas que je suis pas un pervers, je suis même sans doute le pire d'entre eux, mais le viol, je peux pas, je pourrais jamais. C'est la DERNIÈRE fois que j'entends ce genre de propos, c'est compris ?"

Il ne reviendra pas vers moi, je le sens.

Je retire ma main du front de ce soldat. Voilà, tout est dit.

J'inspire avec difficulté, et commence à faire quelques pas vers là d'où je viens, suivit de la chienne qui me suit joyeusement.

"Rentre avec lui, ça vaut mieux."

- JE...NE...L'AI...PAS...VIOLE !

Oh bordel, je viens de sauter à pieds joints dans une mine. Tous aux abris ! Heureusement je suis sauvé par le gong. Enfin par la Pati ! Elle se jette sur mon adversaire … et le léchouille. Bon… On va dire que c’est une technique !

- ...Salut Pati ! Ravi de voir qu'il y en a au moins une qui est de mon côté par ici.
- Hey ! J’suis du côté de personne moi ! Enfin si du chien, elle a toujours raison.
Et elle a le don de calmer le démon. Moi ça me va, j’avais pas prévu de crever aujourd’hui.

- J'ai pas besoin d'un remontant, j'ai besoin de voir Gi' ! Il doit s'expliquer sur les propos qu'il a eus envers moi !
Là son ton me plait moyen et je fronce les sourcils en croisant les bras. J’vais pas me la jouer Gandalf en mode « Vous ne passerez pas », parce que s’il veut il passe largement.
- Il a eu que des propos d’un mec trauma qui se souvient de pas grand chose, ok ? J’comprends que ça te touche mais gueuler servira pas à grand-chose.
- Non, oublie. C'est pas grave.

Lourd soupir alors que je décroise mes bras.
- Si c’est grave. J’vois bien que ça vous mine tous les deux là… cette histoire !
Il s’avance vers moi et j’ai pas le temps de bouger qu’il pose sa main sur mon front et…
Oh
Putain
De
Merde

Respire Caleb, respiiiire. Je mets un temps certain à revenir à moi, à me rappeler que les images qui sont passées dans ma tête, c’est pas ma propre expérience. J’ai les yeux et la bouche grands ouverts comme un putain de poisson hors de l’eau.
Je me secoue soudain.
- Merde… tu viens de me faire quoi là ? J’avais pas demandé une comédie romantique gay au petit déj… un porno non plus d’ailleurs !
- J'ai... un sérieux problème avec le viol. Quand il m'a croisé sur cette plage et qu'il m'a traité de violeur, j'ai pété un câble, j'ai cassé les chiottes d'une ancienne salle de sport. Par contre, sa mémoire a été rétablie. Il n'aurait jamais dû dire ça sur moi. J'dis pas que je suis pas un pervers, je suis même sans doute le pire d'entre eux, mais le viol, je peux pas, je pourrais jamais. C'est la DERNIÈRE fois que j'entends ce genre de propos, c'est compris ?

Il se barre en plus ! Mais… ohhhh non petit gars !
- Rentre avec lui, ça vaut mieux.
Je me mets en action et l’attrape par les épaules.
- Elle va rentrer avec moi et toi aussi. Ah non ! J’accepterai pas de discussion ! Toi t’as pas besoin d’un remontant mais moi SI après ce que je viens d’expérimenter ! Oui, il est 9h du mat et ALORS ! Tu me dois bien ça … et t’as besoin de savoir deux trois trucs. Parce qu’à ce niveau c’est plus un malentendu, c’est un trou noir d’incompréhension !

S’il faut le trainer, j’vais le trainer ! C’est pas un soucis. J’en ai connu des plus coriaces que ça.

- Bon alors ! D’abord, la dernière fois qu’il m’a causé de toi, apparemment, il t’avait absolument pas recroisé. Donc ses infos étaient parcellaires as fuck, soit à côté de la plaque. Tu lui avais pas fait ton truc avec la main… j’veux dire sur la mémoire ! Je veux dévoir ce que j’ai vu. Même si c’était mims… c’est mon meilleur pote quoi ! J’ai pas besoin de savoir qu’il embrasse comme un dieu non plus ! Putain de journée… Ensuite et c’est pas un p’tit détail, t’as dû entendre parler de l’attaque qu’on a subi y’a pas longtemps ? Ben Gi’ a été mortellement blessé parce qu’il a pensé que devenir le griffoir d’un loup-garou était une idée héroïque. S’il est vivant, c’est parce que Neo a foncé à tir d’aile vers le ranch pour que Salomon le rafistole avant qu’il passe l’arme à gauche. Il a eu un moment de rééduc et de ce que j’en sais, il doit se taper un vilain trauma lupin… Bref. Gi’… il en a chié ses dernières semaines, je fais avec une vraie inquiétude dans la voix. Du coup, tu peux comprendre qu’il a pas forcément pensé à nous faire la mise à jour sur toi. Et j’en suis désolé. De ce que j’ai… petit frisson… vu, c’était une rencontre mignonne et normale comme il y en a pleins. Le seul truc sale c’était la façon dont il voulait tout oublier après… Vraiment j’suis désolé que ça te soit tombé sur la gueule, mais faut pas lui en vouloir comme ça. Y’a aucune réputation de violeur. Aucune volonté de t’en faire. Juste un type paumé qu’essaie fort… C’est un peu notre lot à tous finalement.

Caleb Jenson, philosophe à ses heures perdues !

- Tu comprends ?
Je sais pas pourquoi ça me semble si essentiel que ça soit clair… sans doute parce que ça me fait mal pour Gi-Ja et pour lui. Parce que ça me renvoie aussi à ce que j’ai fait subir à Ciulin à une moindre échelle. Moi aussi j'ai fait mal. Moi aussi j'ai été un connard.

“Arrête un peu, je t'ai rien montré de choquant…”

À moins qu'il ne soit homophobe, mais ça m'étonnerait. Bon, il pourrait aussi m'accuser de lui montrer n'imp’, mais cela ferait de moi un manipulateur de mémoire vraiment très puissant, le genre de type avec qui je ne serais pas pote.

Voilà, les choses sont démontrées. On peut enfin passer à autre chose et se barrer ! J'aurais bien pris la chienne quelques jours chez moi, mais d'après ce que j'ai compris, elle est plus importante ici. Brave petite. Désolé ma fifille, je sais qu'avec moi, ta tête est libre de tout sentiment d'obéissance, mais un chien à besoin d'un maître, de son maître.

Oh bordel, voilà que je reçois une leçon juste pour avoir voulu rendre visite à un ami. J'aurais mieux fait de me tordre une cheville !

“Mais putain… C'est toi qui a commencé avec ça !”

Sans rire. Je ne me suis même pas présenté ! Ce mec ne connait rien de moi et BIM ! En échange d'un bédo, il me balance la meilleure claque de ma vie, mais sans vouloir en savoir plus pour autant, en mode ‘j'dis ça j'dis rien’. Je lui apporte la preuve que ce n'est pas vrai, et il est quand même pas content… my GOAT !

J'essaie de me calmer, vraiment, mais mon cerveau de merde me fait repartir pour un tour. On appelle cela le ‘cycle de maintenance’... joli nom pour une telle saloperie. On dirait l'application cool de ta machine à laver. Du coup, je serre les dents, j'enrage, je parviens à peine à rester sur place sans partir vers Gi, ou repartir d'où je viens.

Quand on commence à avoir de tels propos envers quelqu'un, la moindre des choses est évidemment de rectifier le tir ! L'attaque ne s'est pas faite juste après son retour à la caserne. Je sais… JE SAIIIIS que j'ai un souci avec ça, et je sais que ni Machin, ni Gi ne devrait en payer les frais… mais MERDE ! Si Gi est si renfermé, il devrait davantage se concentrer sur les gens qui essaient de l'aider que sur sa sois disant perversion que… première nouvelle… tout le monde partage ! Est-ce que lui juge les autres ? Non ! Est-ce que les autres le juge ? Toujours pas !

“Hé bien je suis ravi de voir qu'il est bien entouré et que des gens veillent sur lui. Il en a besoin.”

Évidemment, je dis cela en serrant un peu les dents. Je n'en suis pas moins sincère. Je ne veux que son bien à ce petit gars, et ça me fait chier de n'avoir pas pu l'aider. Je m'en veux à moi, avant tout, et aussi un peu à Gi pour n'avoir gardé de moi qu'un vague souvenir d'abus.

"Meeeerde, j'espère que ça va aller pour lui... mais tu m'inquiètes, ça ressemble à une tentative de suicide, limite. Me dis pas que c'en était une, si ?"

C'est sur que s'il y a une attaque envers moi… y a pas beaucoup de monde qui s'en soucieront, je pense qu'on retrouvera mon cadavre dans plusieurs années et on se demandera ce qu'est cette bestiole à corne. Mais mes attaques en ce moment me viennent manifestement plus de personnes en qui j'ai confiance. Je prends le loup garou quand il veut ! Vraiment ! Je n'aurais rien contre une bonne bagarre. Quelque chose me dit que j'ai pas fini d'entendre parler de ce faaaaaaaabuleux dragon, et ça commence déjà à me saouler. Sincèrement, le fait que Gi ait préféré volontairement m'oublier à répétition n'est même pas dans le top 5 des trucs qui me blessent le plus.

“T'inquiètes, je comprends”

Je comprends vraiment. Le léger renoncement que j'ai eu ne m'affecte plus. Je me sens toujours en colère, mais ça ira. Je vais rentrer chez moi et... juste ne plus vouloir parler à personne pendant des mois et des mois... mais d'abord...

"Je me sens tout con maintenant... t'aurais pas une salle d'entraînement pour que je puisse me défouler ?"

- Meeeerde, j'espère que ça va aller pour lui...
Je hoche la tête avec un sourire.
- On a mis du gros scotch ! Il va s’en sortir. Peut-être même qu’il aura une nouvelle cicatrice de guerre !
- Mais tu m'inquiètes, ça ressemble à une tentative de suicide, limite. Me dis pas que c'en était une, si ?
J’ouvre la bouche, prêt à nier mais en vrai… j’me rend compte que j’en sais rien. Il allait mal, ça j’en suis sûr. Mais noooon jamais il aurait fait ça.
- J’sais pas à quel point tu le connais en dehors du pieu mais Gi’ a de sacrées tendances de têtes brûlées parfois. Et à vrai dire, je peux pas tellement lui redire quoique ce soit. Si on doit se mettre entre les civils et des griffes de garous. Bah on le fera. C’est notre job.
- T'inquiètes, je comprends.
- Cool !
Ça me soulage pour Gi-Ja. Même si son gros déni lui pourrit la vie, je suis certain qu’il veut pas faire de mal autour de lui à cause de ça.
- Je me sens tout con maintenant...
J’éclate de rire.
- Ca m’arrive assez souvent pour savoir que c’est pas léthal. Heureusement…
- T'aurais pas une salle d'entraînement pour que je puisse me défouler ?

Jeu de sourcils mystérieux.
- J’ai exactement ce qu’il te faut ! C’est quoi ton p’tit nom d’ailleurs ? Parce que « l’ancien plan cul de Gi-Ja » ça fait un peu long…

Je le guide vers les bâtiments, notamment le plus large. On me salue sur le chemin, parfois avec décontraction, parfois plus formellement. La salle d’entrainement est l’un des plus grandes, mise à part le réfectoire. Il y a un peu de tout, rameur, fonte et même un petit ring. A côté y’a un tableau de victoires où je tire la bourre à Lexi pour la cinquième place. Vous pensez que c’est la honte d’être au même niveau qu’une nana ? Bah vous avez jamais vu Hailey cogner ! Evidemment, c’est Ciulin qui nous bat à chaque fois et qui occupe la première place depuis… en fait depuis qu’iel crèche ici !

- Bienvenue dans l’antre de la testostérone et de la sueur ! Même que parfois, on aère ! Et puis on a le net plus ultra. Tu peux venir quand ça t’chante maintenant que tu connais les lieux. C’est comme ça que ça marche non pour vous pour la téléportation ? Vous avez besoin de visualiser l’endroit où vous voulez atterrir ?

Je m’installe en travers du banc l’air songeur.
Un indice chez vous : c’est jamais bon signe.

- Dis donc ton super pouvoir là, de me faire voir des trucs là… je tapote ma tempe du doigt, tu pourrais le refaire dans un but précis ? J’t’explique. Depuis la montée du Brouillard, on essaie de faire en sorte que nous, les bidasses, on soit autre chose que de la chair à canon. C’qu’est pas franchement évident quand tu te sens littéralement à poil avec une grosse cible dans le dos. On veut être utile et compter. Mais pour ça, faut qu’on soit prêt à affronter des ennemis qui nous dépassent en force, en vitesse, en agilité… bref en tout. On s’entraine déjà avec les sorciers d’Emeraude mais l’attaque d’y’a quelques semaines nous a bien prouvées qu’entre la théorie et la pratique y’a un monde. Notamment parce qu’on se frotte ni à des vampires, ni des garous. Du coup j’me dis… dans ta vie t’as dû en voir de ces créatures qui bougent ou qui se battent… tu pourrais nous faire … un genre de compilations pour nous implanter tout ça dans le crâne ? Je m’attends pas à ce que ça fasse des miracles mais ça nous aiderait pas mal ! A anticiper un chouillat, à comprendre comment ils attaquent… Et si ça peut sauver une vie ou deux… je hausse les épaules, c’est déjà ça de pris ! Tu vois l’idée ?

En dehors du pieu ? Il pense que Gi est un garçon facile ? D'autant que je devais faire tout le processus de la séduction à chaque fois ! Je sais qu'il a un sérieux complexe d'infériorité et des pensées suicidaires, mais je tiens ma langue. Je préfère être vu comme une personne qui va droit au but. C'est pas flatteur, mais ça vaut mieux.

Ah le fameux esprit de sacrifice que je n'ai jamais compris et que je ne comprendrai jamais. Certains ont essayé, pourtant, de me l'inculquer. Il faut croire que je suis trop stupide, intelligent, ou anormal pour ça.

“Tu peux m'appeler Maître Corbeau !”

Je m'incline en rigolant. J'ai eu pas mal de surnom de maître, celui-là n'en a curieusement jamais fait partie. Je ne tiens pas plus que cela à me faire connaître. Nous déambulons dans les couloirs que j'imprime dans ma mémoire de manière intacte sans le vouloir, et nous arrivons enfin dans une salle de sport. J'avise le ring avec un sourire et regarde le pool où je vois le nom de Lexi inscrit. Sans rien dire, je m'y dirige, prends le stylo, et ajoute un petit “baby-sexy” à côté de mon écriture un tantinet plus soignée que ce dont on pourrait s'attendre. Elle a le droit de savoir que je suis passée par ici et de casser les dents de quiconque s'aviserait de l'appeler comme ça à part moi.

“Je pourrais revenir, oui. Cependant je n'ai plus l'intention de voir quiconque pendant les prochaines semaines. Je vais être un vrai connard. Connaître l'endroit est essentiel effectivement.”

Rapidement, le sac de frappe à toute mon attention. Je serre les poings et m'apprête à cogner quand…

Euh…

Ça, c'est une chose à laquelle je n'ai vraiment pas l'habitude.

Quelqu'un me demande un service spontanément.

Wow

Reboot système en cours.

D'un coup, tout se remet en fonctionnement dans un clignotement de néon.

“Techniquement, c'est tout à fait possible. Par contre, il faudra être précis. Est-ce que c'est pour se battre avec ou se battre contre. Nous serons physiquement tous différents et différencier les amis des ennemis en plein chaos est délicat.”

Mes bras retombent lentement le long du corps.

“Un autre problème de transmission de mémoire … non… deux. Le premier est les différentes sensibilités. Si quelqu'un a peur d'un truc et le reçoit en masse dans son souvenir, ça risque d'être délicat à gérer.”

J'inspire et mon regard se perd un instant sur le ring.

“L'autre mini souci est qu'ils vont recevoir des souvenirs de potentiels ennemis. Quand une mémoire est lue, il y a un sentiment inévitable de compassion qui se crée, fort, et irrésistible. Je n'ai aucun moyen d'eroder ce phénomène. Je pense pas que vous ayez besoin de sentimentalisme en ce moment. Ça paraît minime, exprimé ainsi, mais c'est presque viscéral. Quand on a les souvenirs de quelqu'un, on devient cette personne, sans pouvoir prendre de recul. On devient elle, on la comprend.”

Entre deux cordes de ring, je peux lire, comme si c'était entouré “Lexi baby-sexy”. Je toussotte.

“Cependant, je vais voir ce que je peux faire. Je peux… vous faire voir des images d'attaque sans souci ! Ou vous donner des cours, c'est sans danger, les cours.”

Mais… pas tout de suite. Je vais avoir besoin d'exprimer mes mauvaises émotions seul. Je frappe le sac d'un coup et du sable se met à glisser entre mes doigts.

“Quand souhaites tu faire ça ? Je vais avoir besoin d'un peu de temps… pour… préparer. ”