I'm buried my neck in the sand
There's no use in us making plans
if there's breath in my lungs
Keeping myself to myself
still gathering dust on that shelf
because I'll still be that boy
the boy in the backseat

Mars, après-midi grisonnant. La gueule enculée à sec par le jet-lag, j'erre dans les rayonnages du super marché à la recherche d'une offrande pour Vesper. J'ai laissé Ass retourner à ses affaires. Le temps viendra bientôt où je devrais remettre le nez dans les miennes : Malsheem, le scoobygand, et ce que cette putain de ville trame. Mais pour l'heure j'ai envie de voir la tronche de ma tsundere préférée. Bières, chips aux crevette, c’est fait. Il me faut quelque chose de sucré... Les néons malmènent mes rétines, au point que je vadrouille lunette de soleil sur le museau. J'ai exactement l'air d'une star du rock  défoncée qui fait ses courses après une nuit blanche de sexe et de biture.

Je ne peux pas qualifier mon voyage en Islande de cette manière.

C'était certes fatiguant mais également la plus belle et puissante bouffée d'air frais jamais inhalée. J'ai envie d'y retourner. Là-bas pas de regrets, pas d'angoisses, pas de certitudes non plus. Tout est balayé par les vents et dévoré de nature. On reprend humblement sa place dans l'échelle de l'existence. C'est comme si j'avais redécouvert Asmodée. C’est comme si j'avais retrouvé un bout de moi même égaré.

J'y ai grandi, je crois.

Si la mort d'Antoine demeure un tesson douloureux fiché dans le cœur. La culpabilité ne m'empoisonne plus. Personne ne peut sauver quelqu'un qui ne le souhaite pas, surtout de lui même.

La vie continue.

Mes déambulations foutraques me perdent au rayon cosmétique : Crèmes pour le visage, soins du corps, cires dépilatoire, maquillages et parfums. Ça cocotte tellement la rose et la poudre pour cul de bébé que j'en ai le nez qui me chatouille. J'allais passer mon chemin avant de me raviser : de l'huile de massage... Ils en ont peut-être. Les idées stupides fleurissent bon train alors que je cherche un onguent qui hume la grenadine ou bien le bonbon. J'imagine déjà Vesper râler, rougir et me foutre des coups de pieds.

Elle m'a manquée cette connasse.

Alors que je sniff un flacon "senteur marshmallow", je remarque la présence d'une discrète silhouette qui semble hésiter devant les tubes de fond de teint. Ce pif trahirait n'importe quel taureaux. Je me glisse furtivement dans son dos.

- 'lut frate ! Comment va ? J'enroule mon bras autour de ses épaules en retirant mes lunettes de soleil. Je lui colle un bécot sonore sur la joue. Nature-peinture. Qu'est-ce tu branles?

Et je zieute sur ses articles.

J’ai réussi à échapper à l’ambiance tendue du loft. En fait, j’ai même tout fait pour éviter les habitants de la maison. J’ai besoin de faire quelques courses, pas le genre où je peux me permettre d’être suivi par Père, Mère ou même Mihaî et Iula. Mon fameux jardin secret nécessite que je sois prudent. Père a beau dire qu’il est prêt à être plus souple, j’ai peur que sa souplesse s’arrête bien avant d’entrer dans le détail de ce que je suis et surtout de ce que je fais.
Sunny Beam est mon secret. Un secret que je ne me sens pas de partager avec ma famille.
Ca et aussi… Léonard et absolument tout ce que ça implique.

J’ai le vertige rien que d’y penser.

Je préfère me concentrer sur autre chose : le futur shooting qu’on a organisé. J’ai besoin d’un meilleur fond de teint et de fard à paupières, de faux cils aussi… Bref, de beaucoup de chose. Heureusement que ni Père ni Mère ne prêtent attention à mes dépenses, sinon je ne sais pas comment je ferais…
Dans le supermarché, je détaille les produits en essayant de me rappeler des conseils que Elie m’a donné. Mon coeur se serre en y pensant. Je n’ai pas eu besoin de demander à Père, simplement de le voir rentrer, il y a une semaine.
Elle m’a dit de prendre quoi déjà… Des finitions haute définition, fait pour la télé, comme ça sur les photos, je suis sure que ça sort de la bonne couleurs…? Je crois…

-’lut frate ! Comment va ?

De l’eau glacée me coule dans le dos alors que j’ai l’impression de prendre du deux milles volts au travers du corps. J’ai deux tube de fond de teint ultra couvrant dans les mains et mon sac est remplie de faux-cils et de produit Anastasia Beverly hills… J’arrête de respirer alors qu’on m’enlace les épaules et qu’on m’embrasse sur la joue.
C’est pas Cristian, Cristian ne me toucherait pas. Ce n’est pas Iula ou Mihaî, pas leur voix, pas leur attitudes. Vioréa encore moins, elle se serait contentée de se moquer et aurait pris quelques photos…  Alors, je comprends qui m’enlace.

-Ciu...Ciulin…? Qu…Je… Ca. Ca va…? Et toi?
-Qu’est-ce tu branles?

Je tourne la tête pour voir Ciulin lorgner sur le contenu de mon sac. Je lae regarde, parfaitement terrifié.
Iel va se moquer, c’est sûr. Il faut que je trouve une excuse, un truc à dire.

-Je...Euh… C’est… Hum. Je cherche des trucs pour… Pour le… Le théatre au… Au lycée.

Mon téléphone vibre, je repose mon fond de teint en me rendant parfaitement compte que je ne suis pas crédible une seule seconde. Je sors l’appareil et jette un coup d’oeil au message.

Leonard
“Trop hâte de voir ta nouvelle tenue Sunny Beam! <3 “

Je baisse la tête, vaincu. Je range le téléphone et reste immobile.
C’est stupide, pourtant, je sais bien que Ciulin pourrait comprendre. Pourquoi je flippe?

Sorin est une petite souris terrifiée qui se trémousse entre les pattes d'un gros matou. Je fais donc si peur ? Je lorgne sur son cadis avec un petit sifflement significatif qui alarme mon petit lémurien de frangin.

- Je...Euh… C’est… Hum. Je cherche des trucs pour… Pour le… Le théatre au… Au lycée.
- Ouais, ouais, ouais...

Je fais du catch. J'en faisais du moins. J'ai même joué dans quelques film de série Z, "direct to video". Le maquillage, les apparences, font parties du show. Tout ça, ça ne tiendra pas sous les feux des projos. Un téléphone vibre dans sa poche de futal. C’est pas le plaisir de me voir, clairement. Finalement, plus pour se donner contenance qu'autre chose, il lorgne sur l'écran de son portable. J'ai le temps de lire par dessus son épaule. "Sunny Beam", ça fait très nom de scène pour une actrice porno -ce dont je doute- ou..... une drag-queen.

Oooooh....

- Détends-toi du slip, "Sunny Beam"... Je l'ébouriffe. J'vais pas te bouffer. T'sais, le maquillage c'est comme la pâtisserie, faut du bon matos et être précis. C'est pourquoi foutre ? Photoshoot ? TV ? Bodypainting ? Dans tous les cas, ces trucs là c'est chouette pour s'tartiner la tronche en soirée, pas forcément pour tenir la longueur sur un shooting. Tu trouveras rien ici qui vaille le coup qu'tu gaspille ton argent d'poche. Le mieux devant une caméra c'est du Make up Forever ou du Serge Louis Alvarez, t'vois, surtout en matière de fond de teint ultra couvrant. Les meilleurs faux-cils se font chez Majama en général. Maq pro c’est pas mal aussi si tu donnes plus dans le FX...

Je penche la tête sur le côté en savourant quelque peu sa mine effarouchée.

- Ça t'pérfore un deuxième anus, qu'j'en sache autant sur l'sujet ? J'éclate de rire et je lui colle une tape dans le dos. Bon, j'finis mes courses et on va shopper ensemble. Tu t'y connais en huile de massage ?

Je fais trois pas  avant de me retourner avec un sourire dentu.

- C'qui Léonard, au fait ?

Le sifflement de Ciulin me mortifie et j’ai une grosse envie de fuir. Le soucis, c’est qu’iel me tient toujours dans les bras et que c’est aussi un.e chasseureuse expérimenté.e . C’est terrible, je suis coincé là, à sortir des excuses qui sentent le mensonge à mille kilomêtre.

T’es bête à bouffer du foin, Sorin.
T’es tellement bête que tu mérites un seau de flotte dans la tronche.

Je m’exaspère tout seul.

-Ouais, Ouais, ouais…

Mon adelphe ne me croit pas. Cela dit, je ne me croirais pas non plus. J’éprouve un stress sans précédent. Ca fait beaucoup avec tout ce qui se passe à la maison. Je ne me sens pas prêt à en parler à quelqu’un d’autre que Léonard. Je n’ai pas envie d’avoir de discussion sur le sujet. Et si Ciulin en parlait à Cristian…? Et si iel en parlait à Mihaï… Je sens mon rythme cardiaque s’emballer à une vitesse hallucinante et j’éprouve de réelles difficultés à respirer.
Sans parler du message de Léonard, que je maudis presque immédiatement avant de regretter aussi sec.

-Détends-toi du slip, “Sunny Beam”...

Ciulin me décoiffe les cheveux.

-J’vais pas te bouffer. T’sais le maquillage c’est comme la pâtisserie, faut du bon matos et être précis.

Je lae regarde en clignant des yeux.

-Euh… Je… oui….

Je sais. J’ai juste peur d’acheter ces produits si bien et de ne pas savoir m’en servir, c’est pour ça qu’Elie m’a donné des marques intermédiaires.

-C’est pourquoi foutre ? Photoshoot ? TV ? Bodypainting ?

Pourquoi ça ne suscite pas plus de réactions de sa part? Remarque, iel est un peu comme moi, non? Je veux dire… Iel aussi est queer. J’ai encore du mal avec tout ça, j’y comprends pas grand chose et c’est pas vraiment auprès de Père et de Mère que je vais avoir des informations.

-Dans tout les cas, ces trucs-là c’est chouette pour s’tartiner la tronche en soirée, pas forcément pour tenir la longueur sur un shooting.
-Ah…?

C’est vrai que Elie m’a parlé de tenir en soirée, j’avais pas pensé à ça.

-Tu trouveras rien ici qui vaille le coup qu’tu gaspille ton argent d’poche. Le mieux devant une caméra c’est du Make up Forever ou du Serge Louis Alvarez, t’vois, surtout en matière de fond de teint ultra couvrant. Les meilleurs faux-cils se font chez Majama en général. Maq pro c’est pas mal aussi si tu donnes plus dans le FX…

Je détaille Ciulin, un peu secoué par tout ce qui se dit. Je dois le regarder assez drôlement. Je sais pas, je me rends plus vraiment compte. Je sais pas si c’est mon pire cauchemar ou un rêve qui vient de se réaliser. J’ai très envie de dormir tout à coup.

-Ca t’pérfore un deuxième anus, qu’j’en sache autant sur l’sujet ?
-N...non, c’est pas…

La tape me propulse en avant de quelques pas. Je cligne des yeux en grimaçant. Aie…

-bon, j’finis mes courses et on va shopper ensemble.

Quoiquoi quoi? On va faire quoi?

Je me retourne vivement vers Ciulin.

-hein?
-Tu t’y connais en huile de massage ?
-Non…

Je plisse les yeux et regarde mon adelphe s’éloigner. Qu’est-ce qui se passe… Et puis iel se retourne me sourit et me lance.

-C’qui Léonard, au fait ?

Je pique un fard et je regarde par terre, silencieux. J’arrive même pas à dire que c’est un ami comme je l’ai fait avec Père. J’arrive juste pas. Pas depuis la discussion avec Mr Njall. Je reste les yeux fixés au sol, je n’arrive pas à trouver le courage de le dire. Peut-être que c’est une blague pour Ciulin mais pour moi, c’est l’entierté de ma vie, cette situation. Je sais qu’iel peut peut-être m’aider mais…

Je suis pas prêt à le dire tout haut. Et j’ai le droit. C’est ce que j’ai retenu de la conversation avec Père et des petites discussion avec Elie. J’ai le droit.
Alors, je prends mon courage à deux mains pour dire.

-Je… Je veux pas… en parler. S’il te plait, Ciulin…

Je souris timidement avant de dire.

-Je… Je sais qu’ils ont des huiles de massages en institut de beauté…

J’avance et je demande.

-Tu… Comment tu connais tout ça? Sur… le maquillage et… et tout?

J’essaie de faire comme si cette conversation ne me fichait pas une peur tangible dans le creux du ventre. J’ai tellement de question à lui poser… Et tellement l’impression de pas avoir le droit de le faire.

Soulèvement d'un sourcil. J'observe les réactions de Sorin. Je me fais plus l'effet de le raquetter que de lui proposer une vadrouille à la cool. Qu'est-ce qui tourne pas rond chez ce gosse ? Je ne suis pas si effrayant, si ?
Et puis je mets en balance le contexte : la mama qui tourne zinzin hystéro, le tata qui suce son deuil à la paille, Iula qui doit se vénère méchant pour compenser, Mihaï qui doit se barricader un peu plus dans son placard. Et peut-être même que Vioréa est une gamine odieuse. Je ne sais pas. Je ne suis pas restée pour la connaitre.
Je me figure assez bien sa sensation d'être une petite merde parce qu'on rentre pas dans la case "comme il faudrait".

Je le vois mobiliser tout son courage à en trembler pour me dire qu'il ne veut pas me causer de son pote.

- Ok, y'a pas de 'blème.
- Je… Je sais qu’ils ont des huiles de massages en institut de beauté…
- J'vais quand même pas aller exprès en institut parc'que'j'ai envie d'recouvrir ma meuf d'huile qui sent bon... Je fais la moue, un peu désabusée que mon idée tombe à l'eau. T'sais quoi ! J'vais plutôt lui faire ma recette de vodka à la fraise tagada ! Amène toi !

Je repars en expédition dans les rayons. Étrangement, les étagères de spiritueux sont plus faciles à trouver que le reste.

- Tu… Comment tu connais tout ça? Sur… le maquillage et… et tout?
- Avant d'être soûlée d'être une meuf, j'ai essayé.

J'ai un petit ricanement sec.
C’est une jolie manière de dire que j'ai fait la pute dans des robes trop courtes, sur des talons que je détestais porter. J'ai même essayé de faire la poule pour un vampire quand j'étais à New-york, histoire de voir comment c'était de "l'autre côté". Bon, j'en ai retiré des ampoules aux pieds, du fric facile et un gout prononcé pour le sexe brutal. Ça aurait pu être pire.

- ... Et puis j'ai fait du catch où ta persona doit être super étudiée et j'ai cachetonné dans quelques films de serie Z aussi : "Shark Mummy VIII : Osiris' Revenge", "Bloody Rage III" et "Zombie Surf". C'était fauché et fun. J'avais la fâcheuse habitude de draguer les maquilleurs-ses et du coup j'ai appris un tas de trucs.

J'attrape une bouteille de vodka et je la laisse glisser dans mon panier, dans un bruit froissé de paquet de chips.

- J'ai eu plusieurs vies... un peu. Grand sourire. Je te raconterais si t'as envie. Je choppe plusieurs paquet de bonbons en sus des fraises. T'sais, quand j'étais gamine, Lavinia essayait toujours de m'habiller comme une poupée. J'étais sa première fille, tu vois l'genre ? Fallait qu'chois une sorte de p'tite princesse. J'revenais toujours avec mes robes salopées et déchirées. Quand j'me suis rasée la tête moi même, avec la tondeuse de Kaelig, elle a hurlé sa race.  J'éclate de rire. J'étais un putain d'cauchemar, mais après ça elle a lâché l'affaire. J'ai hérité des fringues de mes frères ainés et j'tais la gosse la plus heureuse du monde. Parfois faut juste crier haut et fort c'qu'on veut et on l'obtient.

Je dépose mes articles sur le tapis roulant et je prends derechef les achats de Sorin à mon compte.

- Laisse, c'moi qui t'offre.

- Ok, y'a pas de 'blème

Ca me fait bizarre d’entendre quelqu’un qui cherche pas à fouiner. Mon quotidien, c’est surtout Mère et Vioréa et c’est toujours une inquisition dès que j’ai le malheur de faire quoique ce soit qui leur semble sortir de l’ordinaire. J’ai le droit à ça tout le temps et c’est épuisant. Père pose peu de questions mais elles mobilisent beaucoup de choses chez moi, entre ce que je pense qu’il souhaite et l’honnêteté dont il a fait preuve jusqu’à présent. Léonard tente de s’assurer que tout va bien en permanence. C’est épuisant et c’est étonnant d’entendre quelqu’un simplement me dire ok et passer à autre chose. Là, Ciulin me parle des huiles de massages comme si on avait jamais parlé de Léonard et c’est étrange mais ça me soulage.
Je peux prendre mon temps, même si je bafouille beaucoup, ça me calme un peu.

-J’vais quand même pas aller exprès en institut parc’qu’j’ai envie d’recouvrir ma meuf d’huile qui sent bon…

Je hausse les sourcils. Ca fait beaucoup d’informations en très peu de temps et ça me tire un sourire malgré ma timidité. La moue de Ciulin ressemble à celle d’un toon et je n’arrive pas à me dire qu’iel n’est pas vraiment sympathique.

-T’sais quoi ! J’vais plutôt lui faire ma recette de vodka à la fraise ! Amène toi !
-D’accord.

J’ai pas la moindre idée de ce qu’est cette recette à la fraise mais j’ai très envie de lae suivre. J’ai envie d’en apprendre plus. J’ai plein de questions et un mal de chien à en poser. Je bafouille, j’articule mal… C’est terrible. Mais j’arrive finalement à demander comment iel en sait autant sur le maquillage. La réponse sort toute seule.

-Avant d’être soulée d’être une meuf, j’ai essayé.

Je médite la question. Le rire qui ponctue cette phrase me fait dire qu’il y a un sens caché à cette phrase. Je ne pose pas de question dessus, je n’oserais pas. J’ai l’impression que Ciulin n’a pas été épargné.e non plus. Iel me parle du catch, de films. Iel en a fait des choses… C’est fou. J’éprouve une admiration pour mon adelphe et l’envie d’en apprendre encore plus.
Derrière ma timidité, j’ai très envie de te connaître. Je suis donc dans les allées du supermarché, silencieux.

-J’ai eu plusieurs vies… un peu. Je te raconterais si t’as envie.
-Ca...Ca me plairait, oui…
-T’sais, quand j’étais gamine, Lavinia essayait toujours de m’habiller comme un poupée. J’étais sa première fille, tu vois l’genre ? Fallait qu’chois une sorte de p’tite princesse. J’revenais toujours avec mes robes salopées et déchirées.

On dirait l’histoire de Vioréa, sauf que sa robe, elle l’a déchiré qu’une fois, elle a compris très vite ce que Mère voyait en elle. Une petite perfection de fillette, une futur femme. Vioréa, contrairement à Ciulin, est rentrée dans le moule de Mère. Je ne crois pas que ça se soit bien passé tout le temps mais maintenant, elles sont un duo inséparable et redoutable.

-Quand j’me suis rasée la tête moi-même, avec la tondeuse de Kaelig, elle a hurlé sa race.

L’image me fait sourire et me surprend, je lae regarde avec de grands yeux ronds et un sourire discret.

-J’étais un putain d’cauchemar, mais après ça elle a lâché l’affaire. J’ai hérité des fringues de mes frères ainés et j’tais la gosse la plus heureuse du monde. Parfois faut juste crier haut et fort c’qu’on veut et on l’obtient.

L’idée me fait sourire, elle est séduisante, c’est vrai.

-Vioréa est devenue la petite princesse parfaite… Elle… long soupire. Elle est devenue une extension de mama, je crois… Moi… Je…

Je hausse les épaules doucement.

-J’ai pas… Je sais pas faire ça… Crier haut et fort. Et… Jusqu’à y a pas longtemps, j’étais complètement invisible… Pendant Craciun, j’ai disparu de table, personne n’a remarqué.. Alors… Pour le moment… Pour le moment, c’est déjà bien comme c’est. Même si c’est pas parfait. Et puis, je ne veux pas en rajouter. Pas pour le moment…

Tout le monde va mal à la maison. Père, Mère, Vioréa, Iula, Mihaï… L’ambiance est mortelle et je me vois mal arrivé avec un coming out sorti de nulle part pour annoncer à ma famille que je suis probablement pas très hétéro et que ma passion dans la vie, c’est le maquillage.

Ciulin saisit mes articles.

-Laisse, c’moi qui t’offre.

Je souris un peu.

-Merci, Ciulin… tu…

Je ne sais pas vraiment quoi dire alors je me contente de ranger les articles dans les sacs après l’achat.

-... Ciulin… Comment t’as su? Que… que tu n’étais pas… Pas…

Je cherche mes mots et soupire lourdement. Tout ce qui tourne autour de mon ressenti me fait perdre mes moyens.

Boooooon... Le petiot a l'air de se décongestionner du slip. Même qu'il sourit Ça me soulage de ne plus paraître comme un agresseur à ses yeux. En même temps, s'il se fait serrer quotidiennement par la congrégation d'inquisitrices de la casa, je comprends l'oppression. C'est un truc à se creuser des ulcères  à la machette.

La caissière bippe les produits avec une expression morne. Dommage : c'est un joli brun de fille, indienne ou pakistanaise, le teint halé et de grands yeux noirs bordés de cils immenses. J'entends Sorin bafouiller alors qu'il range nos achats dans des sacs :

- Merci, Ciulin… tu…... Ciulin… Comment t’as su? Que… que tu n’étais pas… Pas…
- Pas quoi ? Une "vraie" meuf ?

L'employée de service lève un regard vers nous, la curiosité dégorgeant du fond de ses prunelles. Je lui offre mon plus beau sourire et je lui désigne la rangée de paquets de cigarettes près de son comptoir.

- J'prendrais des malboros aussi.
- Paquet ou cartouche ?

Je m'accoude en me penchant vers elle, oeillade de charmeur.

- Tout dépend... Laquelle d'ses offres est assortie de vot' numéro de téléphone ?

La demoiselle pique un fard, s'empêtre dans une tentative de réparti. Et finalement sourit. Je ris gentiment avant de lui souffler.

- Vous êtes bien plus jolie quand vous souriez... Puis j’emboîte le pas à Sorin vers la sortie.
- Merci... Je... Et vos cigarettes ?
- Je viendrais les chercher à la fin de votre service !

Elle nous regarde partir le rouge aux joues et les yeux ronds. Une fois dehors, je reprends la conversation comme si de rien n'était.

-... J'me suis pas réveillée un matin en étant sur de c'que j'étais, d'ailleurs, jusqu’à très récemment j'étais pas tout à fait sûre d'un certains nombres de points concernant mon genre, ma sexualité ou ma façon d'aimer. Ça a été une sorte d'processus d'longue haleine...

Je regarde le frate avec un sourire malicieux.

- Mais si ça devait commencer que'qu'part se s'rait sans doute quand j'ai réalisé qu'je kiffais ma meilleure amie, en primaire. J'voulais m'marier avec elle. C'était not' voisine et j'la rejoignais la Nuit en sautant par l'f'nêtre pour dormir tout contre elle...

Habitude que j'ai gardé avec tous mes amoureux-ses suivants-tes.
Je lui ébouriffe la caboche alors qu'on marche dans les grandes artères du centre commercial à la recherche d'une boutique de cosmétiques.

- ... Et plusieurs années plus tard, on est sorti ensemble. Enfin bref, tout ça pour dire que chuis passée par un tas de stades : au départ j'pensais juste être une fille un peu garçon manquée, puis une fille garçon manqué lesbienne, puis une fille garçon manqué bi parce que les mecs me déplaisaient pas non plus; Puis j'ai exploré ma féminité en forçant l'trait, j'ai trouvé ça marrant un temps, rassurant même; Puis j'en ai éprouvé une forme de dégoût. J'ai voulu être un homme. Mais c'était pas ça non plus... J'ai essayé d'être en couple, d'être fidèle et exclusif. Mais c'tait bancale aussi.

Long soupir.

- J'ai mis vachement d'temps à cheminer pour m'trouver, et j'ai vécu des expériences parfois traumatisantes, parfois enrichissantes, parfois les deux, qui m'ont permis d'me définir petit à petit... Et t'sais quoi ? J'me sens vraiment "moi" d'puis que j'ai arrêté d'réfléchir à tout ça, d'me couler dans les exigences de chacun : une mère qui voulait une jolie fille à marier, un père qui voulait un héritier, un sugar daddy qui voulait qu'chois une poule docile, un coach qui préférait qu'chois un mec trans pour la fame, des p'tits amis qui voulaient que chois rien qu'à eux.... Et d'vine quoi... Chuis entourée d'gens qui m'aiment comme chuis. Prends l'temps d'savoir qui tu es, à ton rythme. C’est ta vie! Et les gens suivront.

J'ai un rire tranquille.

- C'que j'peux causer, dis ! Faut m'dire si j'te soule! AHAHA !

Et j'entre finalement dans un bar à maquillages, mains dans les poches.

- Pas quoi ? Une "vraie" meuf ?

Je rougis un peu et je regarde mes pieds. C’est pas vraiment ce que je voulais dire. J’avais pas “normal”... Mais je sais pas si c’est mieux, en fait. Je me suis toujours senti en décalage avec les garçons de mon âge. Pas les mêmes sujets de conversations, pas les mêmes aspirations, pas les même préoccupations… J’ai été un sujet de moqueries pour certains et les petites anecdotes de Vioréa à mon sujet n’ont pas aidé.
Je regarde Ciulin draguer la vendeuse, parfaitement ébahi. J’éprouve une admiration sans borne pour la façon dont iel est capable de se mettre en avant et d’être sociale. Rien que demander l’heure me demande l’ensemble de mon énergie et de ma volonté.

Je suis le mouvement dehors en lançant un coup d’oeil à la vendeuse qui sourit toujours. J’aimerais avoir ce pouvoir sur les gens, les rendre souriants… J’ai pas grand pouvoir en fait, sur quoique ce soit. Je ne suis même pas capable d’assumer ce que je sais déjà de moi…
Ciulin parle et j’écoute avec une certaine avidité et avec un plaisir non dissimulé. En réalité, Ciulin est une personne bien. Les gens qui pensent l’inverse ne comprennent pas et je suis content de pouvoir me forger ma propre opinion sur la question. Je l’ai longtemps détesté parce que c’était la chose à faire et puis… J’ai grandi, je crois.

J’écoute l’histoire de sa meilleur amie, de comment iel en est passé par tout les stades avant de finalement comprendre ce qu’iel était.

-J’me sens vraiment “moi” d’puisq ue j’ai arrêté d’réfléchir à tout ça, d’me couler dans les exigences de chacun : une mère qui voulait une jolie fille à marier, un père qui voulait un héritier, un sugar daddy qui voulait qu'chois une poule docile, un coach qui préférait qu'chois un mec trans pour la fame, des p'tits amis qui voulaient que chois rien qu'à eux.... Et d'vine quoi... Chuis entourée d'gens qui m'aiment comme chuis. Prends l'temps d'savoir qui tu es, à ton rythme. C’est ta vie! Et les gens suivront.

Je souris un peu, en écho à son rire.

-C’que j’peux causer, dis ! Faut m’dire si j’te soule ! AHAHA!

On entre dans un bar à maquillages et je prie pour qu’aucun de mes camarades de classe  ne me voit ici.

-Ca ne m’ennuie pas. Vraiment pas. Je…

Je m’arrête un moment et regarde mes mains, je cherche mes mots.

-Il y a… Il y a des choses que je sais à propos de moi… Mais… D’autres que je comprends pas et…

Je regarde Ciulin. C’est un soulagement de savoir que ce n’est pas grave de tatonner. C’est inspirant d’entendre le vécu de Ciulin, réellement.

-C’est… J’ai peur de…

Long soupire.
Ca reste coincé.

-Je voudrais juste… Me sentir bien avec moi… Tata… Je crois qu’il essaie de comprendre… Je ne pensais pas qu’il essayerait.

Je regarde Ciulin, je me sens mal de lui dire ça après tout ce par quoi iel a du passer avec Père. Je me rends compte que j’ai un privilège énorme d’avoir le droit à des moments avec lui quand aucun de mes frères et soeurs n’a eu ce luxe. Je sais bien qu’ils auraient dû exister… Ca n’a simplement pas été le cas.

-L’autre soir, il est rentré alors que je regardais le dernier épisode de Ru Paul… J’ai cru que ça se passerait comme quand j’avais demandé une poupée à Craciun, mais en fait… Il a posé des questions… Il a essayé de… de s’interesser… Mama veut faire de moins le futur parfait gendre mais…

Rire dépité. Pensée à Léonard. Haussement d’épaule fataliste.

-J’aimerais être courageux comme toi. Et réussir à envoyer tout valser ou… ou draguer….

Je hausse les épaules.

-Je…

Je regarde Ciulin, vraiment déterminé.

-Je voudrais vraiment te connaitre plus. Je sais que tu ne veux plus avoir a faire à Tata et à Mama mais… Je voudrais vraiment que tu sois mon adelphe, si tu veux bien.

Sourire doux.

Le bar à maquillage est clinquant tout en noir, argent et miroirs. Les hôtesse toutes soigneusement pomponnées circulent entre les rayonnages de poudres et de crèmes colorées, s'affairent sur quelques visages sagement dans l'attente d'être tartinés. Il n'y a pas un seul homme, mais , c'était à prévoir.

Je déambule entre les étales, tripotant les produits, puis les reposants.

- Ça ne m’ennuie pas. Vraiment pas. Je…Il y a… Il y a des choses que je sais à propos de moi… Mais… D’autres que je comprends pas et…C’est… J’ai peur de…Je voudrais juste… Me sentir bien avec moi…
- La première étape pour qu'tu t'kiffes, frate, c'est d'accepter ce qu't'es dans tes certitudes, comme dans tes flous. Accepter qu'tu finiras par combler les blancs, avec le temps, et la vie, tout simplement. Prends ça comme ça vient et t'angoisse pas du demain. Faut savourer l'temps éphémère qu'on a sur c'foutu caillou. T'as pas d'temps à perdre à écouter la multitude. La seule voix à entendre... Je lui pose une paume sur le torse... Elle est là. Elle ne ment jamais. Elle te souffle toujours c'qu' est bon pour toi, mais souvent on l'écoute jamais.
- Tata… Je crois qu’il essaie de comprendre… Je ne pensais pas qu’il essayerait.

J'écarquille les yeux.
Les miracles d'Elie.

T'es partie trop tôt Fée Bleue.

- Héééé Beeeeh.... petit sifflement circonspect.
- L’autre soir, il est rentré alors que je regardais le dernier épisode de Ru Paul… J’ai cru que ça se passerait comme quand j’avais demandé une poupée à Craciun, mais en fait… Il a posé des questions… Il a essayé de… de s'intéresser… Mama veut faire de moins le futur parfait gendre mais…
- Lavinia, elle écoute pas grand monde à part elle même. Elle est un peu dans son monde. Faut pas s'leurrer, elle pond des gamins compulsivement comme des doudous. Elle s'fout d'savoir si ils ont une personnalité ou non. Quand y d'viennent trop grands ou trop indociles, elle s'en désintéresse. Si t'es pas mignon et exactement comme elle s'l'imagine, elle le prend comme un attaque perso. Silence. Te fourvoie pas, j'adore ma mère. Mais chuis lucide. Si Kaelig est un vieux con buté, Lavinia est aveugle et sourde. T'as plus d'chance d'avoir un dialogue avec l'premier qu'avec la s'conde.

J'ai un petit rire affreux.

- P'tain, et c’est moi qui dit ça....

Sorin rit en écho. On grincent comme de vielle portes.

- J’aimerais être courageux comme toi. Et réussir à envoyer tout valser ou… ou draguer….
- Moi j'te trouve sacrément courageux d't'être balancé au paternel.  T'es monté sur le ring alors qu'tout l'monde trempait son slip pour m'demander d'enl'ver mes godasses. Mec, t'as des bullocks de ouf !
- Je…Je voudrais vraiment te connaitre plus. Je sais que tu ne veux plus avoir a faire à Tata et à Mama mais… Je voudrais vraiment que tu sois mon adelphe, si tu veux bien.
- J'ai coupé les ponts avec les darons et la philosophie merdique des Sang-Coureurs. Mais la fratrie, z'avez rien à voir avec c'bordel. J'ai aucune raison d'vous en vouloir : vous souffrez pareil. Tiens file moi ton portable, j'vais y entrer mon numéro, comme ça quand t'as un gros coup de blues, ou pas d'ailleurs, tu me pokes par sms ou t'appelles!

Une jolie petite playmate pointe sa mouille.

- Puis-je vous aider ?
- On cherche un fond d'teint, bien couvrant mais pas nocif pour la peau. Du Serge Louis Alvarez si vous avez ?
- Oui, bien entendu. De quelle carnation est votre petite amie ?
- C'pas pour ma copine, c’est pour lui...

Je désigne mon petit frère. Un voile de surprise passe sur le visage de la jeune fille qui se reprend vite, en parfaite professionnelle.

- Merveilleux ! Il est toujours plus efficace de tester directement sur la peau. Les réactions ne sont jamais exactement les mêmes.
- On s'en remet à votre expertise alors ! Sourire large. Faites autant d'essais que vous voulez !

La maquilleuse nous renvoie mon sourire et invite élégamment Sorin à s’asseoir sur un fauteuil pour prendre soin de lui.

- La première étape pour qu'tu t'kiffes, frate, c'est d'accepter ce qu't'es dans tes certitudes, comme dans tes flous. Accepter qu'tu finiras par combler les blancs, avec le temps, et la vie, tout simplement. Prends ça comme ça vient et t'angoisse pas du demain. Faut savourer l'temps éphémère qu'on a sur c'foutu caillou. T'as pas d'temps à perdre à écouter la multitude. La seule voix à entendre... Elle est là. Elle ne ment jamais. Elle te souffle toujours c'qu' est bon pour toi, mais souvent on l'écoute jamais.

Je louche sur sa main posée contre mon torse. Son petit monologue ressemble à un film pour adolescent. Aime toi toi-même comme tu es. Je sais tout ça mais ce n’est pas aussi facile. Peut-être que Ciulin s’est libéré des attentes de Mère et de Père mais je vis dans l’inquiétude constante de les décevoir. Quand bien même aucun des deux ne me voient vraiment. Je me contente d’hocher doucement la tête et de sourire un peu. Je sais qu’iel n’a pas tort, je sais bien. C’est simplement plus facile à dire qu’à faire.

Ciulin est aussi surpris.e que moi quand je lui parle de Père et de sa manière d’essayer de me comprendre. Le fait est que je ne sais pas combien de temps ça va durer. Pas maintenant qu’Elie est morte. Peut-être qu’il va retourner à ses vieilles habitudes. Sûrement, même. Quand je parle de Mère, la réaction de Ciulin me surprend.

-Lavinia, elle écoute aps grand monde à part elle même. Elle est un peu dans son monde. Faut pas s’leurrer, elle pond des gamins compulsivement comme des doudous. Elle s’fout d’savoir si ils ont une personnalité ou non.Quand y d'viennent trop grands ou trop indociles, elle s'en désintéresse. Si t'es pas mignon et exactement comme elle s'l'imagine, elle le prend comme un attaque perso.

Ca fait affreusement mal de l’entendre. Mais ce n’est pas comme si ça me surprenait vraiment. Je n’avais jamais vraiment mis les mots dessus, je crois. Comme quand Père m’a parlé de sa maladie.
Je savais. Je ne savais juste pas comment le définir.

-Te fourvoie pas, j'adore ma mère. Mais chuis lucide. Si Kaelig est un vieux con buté, Lavinia est aveugle et sourde. T'as plus d'chance d'avoir un dialogue avec l'premier qu'avec la s'conde. P’tain, et c’est moi qui dit ça…. [/color]

On rit un peu, d’un rire douloureux. Je baisse les yeux un peu pour dire.

-Mama est malade… Tata me l’a dit. Et Tata… Je sais pas s’il va rester aussi ouvert maintenant que la fille aux cheveux bleus est morte…

Long soupire. J’aimerais avoir confiance en Père, la conversation qu’on a eu était merveilleuse et je n’ai jamais eu autant l’impression de compter… Malgré tout, une part de moi n’arrive pas à s’empecher de se dire “ et si…”. J’aimerais avoir le courage de Ciulin.

-Moi j’te trouve sacrément courageux d’t’être balancé au paternel.

Je hausse les épaule, vaguement convaincu. C’est venu dans la conversation, ni plus ni moins. Et l’ambiance était spéciale, Père semblait approchable pour une fois… C’est vrai qu’il fait en sorte que les occasions se multiplient… A l’Arena, il me montre des choses et parfois il m’explique ce que je n’ai pas compris avec Mihaï. J’aime ces moments.

-T’es monté surle ring alors qu’tout l’monde trempait son slip pour m’demander d’enl’ver mes godasses. Mec, t’as des bollocks de ouf !

Petit sourire timide, j’ai le rouge aux joues, c’est certain. J’ai vraiment envie de connaitre Ciulin et je le lui dis même si je comprendrais parfaitement qu’iel ne veule pas. Iel a coupé les ponts avec la famille depuis un moment. Enfin, si on exclue Cirstian et Mihaï… Pourtant, iel me demande mon téléphone, que je m’empresse de lui donner. J’ai un grand sourire sur le visage que je n’arrive pas à cacher. Je ne pensais pas qu’iel dirait oui.

Finalement, une vendeuse vient nous voir et je me fais d’un coup tout petit. Je me mets en retrait, instinctivement et je m’en veux de le faire. La discussion se poursuit sans moi et le coup d’oeil de la vendeuse sur moi lorsqu’elle apprend que le fond de teint m’est destiné me fait piquer un nouveau fard.
Il est alors décidé qu’il faut tester le fond de teint sur moi directement.
Je cligne des yeux et lache un plaintif.

-Ici…?

La vendeuse me designe le fauteuil et je m’y asseois mécaniquement en lançant des coups d’oeil inquiets autour de nous. Si jamais une des amis de Vioréa est dans le coin… Je vais passer un sale quart d’heure… Je me laisse pourtant faire. La vendeuse me donne tout un tas de détails sur les produits qu’elle m’applique.

-Vous avez la peau très clair. Vous vous maquillez souvent? Si c’est le cas, je vous conseillerais également une très bonne crème hydratante et surtout un primer pour bien protéger votre peau.
-Je… J’en ai déjà.

Ce ne sont pas les meilleurs mais ce sont ceux qu’on m’a offert, que ça soit Léonard ou Elie. Je la laisse faire jusqu’à ce qu’elle dise.

-Ah! Je crois que nous avons trouvé la bonne teinte, regardez.

Je me redresse pour regarder. Je souris et je hoche la tête.

-Oui. Oui. Je… Je voudrais bien aussi… Une nuance au dessus et puis… Une en dessous pour…
-Du contouring? Aucun problème. Tenez, si vous voulez enlever ce que je vous ai mis.

Elle me tend un coton imbibé. Je me démaquille avec une attention quasi maniaque.

-Je vous attends au comptoire avec vos trois teintes.
-M… Merci beaucoup.

Je lance un coup d’oeil aux alentours et panique au moment où mes yeux se posent sur Vioréa et ses amis. Je me baisse d’un coup en priant pour qu’elle ne vienne pas par-là.

-Mama est malade… Tata me l’a dit. Et Tata… Je sais pas s’il va rester aussi ouvert maintenant que la fille aux cheveux bleus est morte…

Elie.
Je ne réponds rien. Elle est partie pendant que nous étions en Islande. J'ai un devoir moral envers elle (même si la morale ne m'a jamais étouffée, soyons clairs.) Kaelig doit sans doute ce qu'il sait faire de mieux, crever de l'intérieur sous un masque de granit. Je me tâte à aller le voir.
Soupir imperceptible.

Le frate est passé à autre chose.

- Ici…?
- Non, en Islande ! Allez va poser ton cul, que je fais en rigolant, le poussant légèrement.

La vendeuse est professionnelle et particulièrement adorable. Merci, meuf. J'avais peur que le petiot se liquéfie sur son fauteuil. Il prends même ses aises et pose des questions. Je souris sans en avoir conscience. Fierté tranquille.

-Je vous attends au comptoir avec vos trois teintes.
-M… Merci beaucoup.
-On vous rejoins vite ! Clin d'oeil de connivence avec la demoiselle qui me rends un sourire malicieux, bourré de bienveillance. Je note. Faudra que Sorin retourne la voir à l'occase. Je me tourne vers lui avec un air ravi. Alors c'était plutôt cool, n... Mais qu'est-ce tu branles ?!

Le gamin vient de se tapir à ras de sol, comme une taupe qui tente de se creuser un trou salvateur pour s'y planquer. Je fronce les sourcils et je pige brusquement les bails en relevant la tête.

Vioréa se tient de l'autre côté du miroir de la coiffeuse. Poings sur les hanches, elle me lance un regard venimeux. Elle est entourée d'une poignée de suivantes qui se sapent comme elle et singent ses mouvements. Une vraie Queen Bitch et ses mignonnettes.

- Tiens donc, la trădătoare...
- Vioréa, que je fais avec un sourire ravageur. L'effet est assez immédiat sur la volière de gonzesses qui bruissent déjà de questions fiévreuses et de regards en coin.
- Qu'est-ce que tu fiches dans un bar à maquillage ? Il me semble que tu as renoncé à ce genre de choses... Fait-elle fielleuse.
- Vioréa, qui-est-ce ? chuchote une des ses amies plus hardie que les autres.
- C'est vrai, ça, Vioréa... Tu ne souhaites pas présenter ton grand frère à tes amies ? Je joue mon numéro de charme sans beaucoup forcer. Je sais pertinemment que j'exhale toutes les vibes du "bad guy" qui fait mouiller les donzelles de leur âge. Elles échangent toutes des œillades et des petits rires. Il sera difficile pour la frangine de les convaincre que j'ai été "une" un jour. Enchanté les filles, je m'appelle Ciulin !

Vioréa a un petit froncement de nez agacé qui  la fait furieusement ressembler à Lavinia.

- Et pour répondre à ta question, je me ballade... Je suis venu saluer une de mes amies. Je fais un bref coucou à la maquilleuse qui nous attends toujours en caisse et qui me rend mon salut avec une spontanéité qui appuie mon pieu mensonge. Mais si vous avez besoin d'un chaperon, je peux vous accompagner ensuite....
Piaillements gourmands des dindes.
- Certainement pas ! Coupe Vioréa brusquement affolée par la perspective. De toute façon, on doit partir !
- Mais.. On vient juste d'arriver... s'étonne l'une de ses courtisanes.
- ON. S'EN. VA. J'ai dit.... Humpf ! Regard méprisant pour ma gueule. Salut "grand frère"....
- A la prochaine, sôra ! Et ravi de vous avoir rencontré les filles !

Les gamines glapissent et suivent leur reine à regret, battant des cils en tournant la tête une dernière fois en arrière. Disparues de ma vision, je fais signe à Sorin de sortir.

- Menace écartée ! Allez, sors-toi d'là... Je tends une main secourable. On fait poireauter notre nouvelle copine la vendeuse !

Après un silence j'ajoute.

- Bordel, c'qu'elle ressemble à la mama ! On dirait une Lavinia miniature !

La situation est irréelle. J’ai été imprudent. Le bar à maquillage, j’aurais dû dire non. Si Vioréa me découvre ici, je n’ai pas fini d’en entendre parler. Elle va faire de moi un bouc émissaire au Lycée et surtout, elle va en parler à Mère et là… Là, je suis bon pour une fouille en règles de ma chambre. Je me vois mal aller demander de l’aide à Père, pas pour cet aspect de moi, pas encore. Peut-être même jamais. Ce qui se passe est affreux, quelles étaient les chances que Vioréa soit là aujourd’hui?
Elle aussi doit fuir la maison plus que de raison… Elle vit mal la situation mais elle réagit différement, elle soutient Mère envers et contre tout. Tout monte en tête d’épingle, cette situation est horrible.
Et puis Ciulin arrive.
Ciulin drague ouvertement les amies de Vioréa, iel dégage un charisme que je n’explique pas et qui ressemble à celui de Père en différent, en plus décontracté. Iel retourne la situation jusqu’à ce qu’elle éclate au nez de Vioréa.
J’assiste à la scène depuis mon dessous de comptoire, médusé par l’assurance de mon adelphe.

-Menace écartée !  Allez, sors-toi d’la…

J’attrape sa main et me redresse, un peu honteux. Je dois même rougir un peu.

-On fait poireauter notre copine la vendeuse.
-Ah… oui...Je… Merci pour ça.

Sourire timide.

-C’est… C’est vraiment gentil.

Ciulin est sans doute la première personne cool qui ai jamais vraiment tenu tête à quelque formes de brutes d’écoles pour moi, Léonard excepté. La sensation est étrange, agréable. On reste silencieux un moment et Ciulin lance.

-Bordel, c’qu’elle ressemble à la mama ! On dirait une Lavinia miniature !

Mon sourire se fait plus triste. Je hausse les épaules, comme si je m’en fichais mais ça n’est pas le cas.

-... C’est vrai… Elle ressemble à mama…

Je baisse les yeux et je me sens lourd, tout à coup, comme si je pesais des tonnes. Je soupire un peu avant d’aller vers le comptoire. La vendeuse nous attend et nous souris gentiment.

-Tout va bien?
-Oui oui. Merci.
-Je vous mets un échantillon gratuit, vous m’en direz des nouvelles.
-Ah. C’est vraiment gentil.

Je la vois lancer un coup d’oeil à Ciulin alors je me force à sourire un peu. Elle scanne les produits et je tends la carte sans vraiment croiser le regard de qui que ce soit.

Vioréa… Quand est-ce qu’elle est devenue comme ça ? Où est la soeur qui venait me préter ses jouets quand personne ne regardait ? Elle n’était pas si méchante, si prétentieuse. Elle est devenue une extension de Mère et au-delà de la colère que j’éprouve parfois de devoir la voir comme une enemi pour me preserver, je suis juste… triste. Triste de voir ma soeur comme ça. Elle est douée pour tellement de choses.
Une fois payé, je remercie la vendeuse qui me lance.

-N’hésitez pas à venir me voir si vous avez d’autres questions, surtout.
-Oui, d’accord.. Merci.

J’ouvre mon sac à dos pour y cacher les produits dedans. Je m’éloigne pour sortir du magasin et je vais m’asseoir sur un banc. Je pousse un long soupire fatigué.

-J’ai pas envie de rentrer. Je… Je voudrais que ça soit fini… Quelque soit la fin, en fait. Je… Cette guerre entre Père et Mère, c’est… C’est épuisant. Père nous tient à l’écart, ou tente de nous tenir à l’écart et Mère se sert de Vioréa et de moi pour l’atteindre. J’ai presque hate qu’ils se séparent, que ça soit enfin fini et qu’on puisse enfin avancer.

J’ai un rire nerveux.

-Désolé, je… C’est juste que tout le monde se cache les yeux à la maison et j’ai un peu l’impression d’être tout seul à réaliser que y a plus rien à sauver. Iula s’entraine plus qu’avant pour palier tout ça… Cristian fait ce qu’il peut pour gérer donc il reste loin… Mihaï prend toutes les permanences de nuits à la clinique vétérinaire… Vioréa est le bras armé de Mère, elle lui rapporte absolument tout ce qu’elle voit dans l’espoir que ça la calme. Mais je crois que ça ne l’aide pas du tout mais elles ne risquent pas de m’écouter, je suis en train de devenir le paria vendu à Père. Comme si… Comme si c’était une guerre. Mais… J’ai juste envie de connaitre mon père et j’ai envie d’aider Mama sauf que je ne peux rien y faire à part espérer que finalement l’abcès perce pour qu’on puisse enfin avancer quelques part.

Long soupire. Je regarde Ciulin.

-Vioréa dit que la fille aux cheveux bleus est la cause de tout. Père dit qu’elle n’est que le révélateur et Mère pense que c’est une curva qui mérite bien pire que la mort…. Je lui ai parlé, quand elle dormait dans le bureau de Père à l’Arena pendant l’hiver… Et… Elle m’a semblée… Gentille. Et elle m’a parlé de toi, un peu et de Père et elle m’a donné des trucs pour le maquillage, comme toi et j’arrive pas à lui en vouloir. Mais. J’ai l’impression que, peut-être, je devrais… Comme Vioréa et Mère et puis… Je me dis que j’aurais jamais eu des moments comme j’ai eu avec Tata sans elle…

Je sens les larmes me monter aux yeux et j’ai un rire plutôt pitoyable.

-Haha… Manquait plus que ça… J’aimerais bien réussir à faire quelque chose d’utile pour une fois, ça serait bien.

Les sourires de Sorin sont timides, inquiets. Ce gamin vit dans une terreur constante des autres, de leurs regards et même de son ombre. C'est comme s'il s'excusait de vivre constamment, là où moi je gueule pour m'octroyer ce droit inaliénable.

Non, le poids est bien plus lourd.

Sorin porte plus que ses propres questionnements identitaire, il tient toute cette famille dysfonctionnelle à bout de bras, qu'il a trop frêles et trop courtauds. Coeur trop gros, Il s'en trouve broyé. Tel un fruit trop mûre qui dégorge de jus, les paroles sortent en flots continus. Sorin bouillonne d'un trop plein qui l'éreinte jusqu'à l’asphyxie.
Assise à côté de lui, j'écoute.
Je gamberge.
J'ai été à cette place il y a longtemps.

Cette impuissance fut mienne.

-Haha… Manquait plus que ça… J’aimerais bien réussir à faire quelque chose d’utile pour une fois, ça serait bien.

J'enlace ce petit frère sensible et doux, pas assez égoïste pour sa propre survie. Je le presse contre moi, comme jamais je n'ai pu le faire avec Cristian auparavant. Pas la maturité. Pas la foi de lutter contre sa phobie d'être touché.

- Je vais t’apprendre un truc très simple en tant qu'adelphe, mic frate. Tant que tu s'ras pas solide pour toi même, tu le s'ras pas pour les autres. Sois utile pour toi même, avant toutes choses : prends l'temps et l' recul pour savoir qui tu es, c'que tu vaux et tu pourras donner d'la force aux autres. Moi aussi, j'me suis sentie inutile en dressant tous ces constats. J'croyais dur comme fer à c'que Kaelig m'enseignait, et il m'instrumentalisait comme Lavinia avec la frangine. Je la plains, Vioréa. Vraiment. Quand elle aura perdu son maitre à penser, elle en s'ra démunie et sans doute effondrée.

J'ai un sourire un peu triste.

- C'te famille était déjà merdique avant même ta v'nue au monde, avant même d'la mienne, dis-toi. C'est l' putain d'déni d'Kaelig et les tromperies d'Lavinia qui ont maintenu l'illusion aussi longtemps. Ce mariage s’est constitué sur la base de mensonges et d'un parricide. Ça pouvait pas durer. Ça aurait du péter depuis des lustres. Cristian et moi on a donné des gnons dans l'édifice, Elehiel ça a juste été le coup d'grâce. C'était une chouette nana, radicale et honnête. J'ignore franchement c'qu'elle voyait en Tata... Première fois que le titre arpente à nouveau ma langue... Mais le fait est qu'il avait pas prévu d'se prendre un tel scud sur l'coin d'la gueule. Crois-le ou non, mais la vérité c'est comme un poison, une fois qu'c'est ingéré, digéré, ça part plus. C'est incorporé à ton organisme pour toute la vie. Les faits sont probants : Kaelig a réalisé qu'c'était un sale con et, aussi incroyable que cela paraisse, il travaille à y remedier. J't'envie un poil d'pouvoir en profiter....

Je caresse doucement ses cheveux bouclés.

- Mama... C'est une autre paire d'manches. Elle est bipolaire, mythomane et tristement convaincue du bien fondé de ses actions. On peut pas lutter contre une personne malade. Faut la soigner, s'tout. Le soucis, c'est les gamins. On a beau être grands, pour certains, ça laisse des traces. T'es pas responsable de l'émiettement de ta famille, Sorin, la brèche était déjà dans les fondations, t'es juste victime d'ta propre clairvoyance.

J'ai, moi aussi, un long soupir.

- La situation finira par s'assainir. Sers les fesses. Viens m'voir toutes les fois où t'auras b'soin. Ok ? Chuis pas la grande soeur du siècle, j'ai fuis pas mal d'fois mes responsabilités m'enfin.. Haussement d'épaule... Chuis là. Ça vaut c'que ça vaut...

Iula et Vioréa n'ont pas voulu de cette main tendue.
Mihai et Cristian l'ont prise malgré tout.
Toi, tu feras bien ce que tu voudras.

Je ne bouge pas.

J’écoute Ciulin avec un poid dans le coeur. Le calin est étonnamment bienvenue même si je n’y répond pas. Je n’ai tout simplement pas la force de le faire. Epuisé…
Être utile à moi-même avant tout. Savoir ce que je vaux et qui je suis. Je pousse un long soupire. Ce n’est pas que je me sens inutile. Pas vraiment. Pas pour ce qui se passe à la maison. La discussion avec Père a réglé ce poids. Je me suis mal exprimé, je pense. Mais j’écoute, il y a de précieux conseils, je m’en rends compte. Moi aussi, je plains Vioréa. Je la plains parce que je sais pas si elle croit à ce que lui dit Mère où si c’est sa manière à elle de gérer tout ce qui se passe. Je n’en sais rien et j’aimerais savoir, être là pour elle. Qu’on soit là pour l’un et l’autre. Mais ce n’est pas le chemin qu’elle a choisi. C’est triste parce que tout nos autres frères et soeurs sont beaucoup plus grands que nous deux.
Reste Lua, évidemment… Mais j’ai du mal à lui parler de tout ça, elle aussi a ses problèmes et j’ai la sensation d’en rajouter.
Le mot parricide parvient à mes oreilles, je ne sais pas de quoi il s’agit, en tout cas, relier à ma famille. Je demanderais peut-être à Père. Ou bien, je décide de simplement faire l’impasse parce que ça n’influe pas vraiment ma relation avec Père. Je ne sais pas.
Pour la première fois depuis que je connais Ciulin, iel appelle Père “tata” au lieu de Kaelig. Je me demande si quelque chose a changé pendant que nous discutions. Puis je réalise une chose : Ciulin connaissait aussi Elehiel. Assez pour savoir qu’elle était radicale et honnête… Comment fait-elle des trucs pareils?
Selon Ciulin, Père change. C’est mon avis aussi, je ne sais simplement pas si ça durera et pour le moment. Je finis par dire doucement.

-Je ne me sens pas responsable… Enfin, c’était le cas avant mais… J’en ai parlé avec Père et… Ca va mieux, je crois... C’est juste l’ambiance à la maison qui… me pèse. Iula m’en veut d’être intervenu quand vous étiez sur le ring et en veut à Tata d’avoir trompé Mama… Elle en veut à Mihaï d’avoir choisi ton camps. Mama cache de moins en moins ses petites manigances et Vioréa me flique pour son compte. Les accrochages entre Père et Mère sont de moins en moins subtile et moins ils le sont et plus Mère se rattrappe à moi et Vioréa. Elle nous parle des beaux petits enfants qu’on va lui donner, elle a décidé que je serais avocat… C’est pas prêt d’arriver mais… C’est épuisant. Je sais bien que la vie pourrait être pire mais…

-La situation finira par s’assainir. Sers les fesses.

Ca me fait pouffer de rire sans que je sache pourquoi. Est-ce que c’est parce que je regarde des tuto de tucking…? J’en sais rien.

-Viens m’voir toutes les fois où t’auras b’soin. Ok?

Je relève la tête pour regarder Ciulin, surpris mais surtout touché.

-Chuis pas la grande soeur du siècle, j’ai fuis pas mal d’fois mes responsabilités m’enfin… Chuis là. Ca vaut c’que ça vaut…

Je hoche doucement la tête et lui souris gentiment, réellement touché par sa proposition.

-C’est vraiment gentil et… Je trouve que tu fais un très bon adelphe, tu sais.

Je lui rends son calin, enfin. Mon téléphone vibre à nouveau, c’est Léonard. Je réponds au message devant Ciulin, cette fois, beaucoup moins stressé. Je sais que mon secret est de toute façon bien gardé. Je range mon téléphone et regarde à nouveau Ciulin.

-Je suis vraiment content qu’on se soit croisé aujourd’hui.

Cristian me l'a amèrement reproché : partir en le laissant derrière a été l'émotion qu'il a eu le plus de mal à gérer. Elle l'obsède encore aujourd'hui. A l'époque je n'avais pas réfléchi aux conséquences sur le reste de ma fratrie. Pas eu la maturité et le temps pour mesurer les répercussions de mon affrontement avec Kaelig. Dire que j'ai fui n’est qu'une moitié de vérité.

J'ai été bannie pour insoumission.

Par un hasard fallacieux de destin, me voilà dans la même ville que cette foutue famille. Si Cristian a surmonté les vides que j'ai laissés à sa manière, ce frangin là n'est pas encore armé pour survivre à sa détresse.

- Ecoute, Sorin, je vis chez un mec super, qui m'a accueilli alors que j'étais complètement à la ramasse. Sa maison, c'est un refuge, un foyer. Lui, c'est la famille que je me suis choisie, tu comprends ? Je vais lui en causer, mais je pense qu'il sera ok : si tu éprouves le besoin de venir vivre avec nous quelque temps pour respirer un bon bol d'air frais, fais-le moi savoir, D'acc'? T'as mon numéro, maintenant.
-C’est vraiment gentil et… Je trouve que tu fais un très bon adelphe, tu sais.
- Ahahaha, tu diras pas ça que je te f'rais prendre ta première cuite !
- Je suis vraiment content qu’on se soit croisé aujourd’hui.
- Moi aussi 'tit frère. Allez, viens, je te raccompagne au métro.

J'escorte la belette jusqu'à la bouche du train. On se quitte sur des promesses de se revoir vite. Une part de moi me souffle que je ne suis pas une mauvaise personne, une autre ne peut s'empêcher d'entendre la voix d'Antoine chuchoter que je l'ai tué, que j'ai abandonné ceux qui comptaient sur moi, que j'ai laissé Vesper pleurer toute seule...

TA GUEULE ANTOINE !

"Tu fais une très bonne adelphe". Je souris pour moi même, réconfortée par cette simple phrase. Soupir. Je m'allume une cigarette et je reprends la route. J'ai une chérie grenadine qui m'attend.