Un air ne quitte pas mon esprit. Il reste là, en boucle, voulant être chanté à tout prix, et à tue-tête…

À tue-tête…

Si seulement cela pouvait être aussi simple, chanter, se laisser aller, sombrer.

Je ne sais pas ce qui m’arrive, et je déteste cela. Au moins ai-je retrouvé l’appétit, à défaut de pouvoir bien dormir.  J’ai déjà vécu cela, cela s’est déjà réglé, et je suis toujours incapable de comprendre comment j’avais pu faire par le passé.

‘Cause I can’t help falling…

Soudainement, quelque chose se passe, m’appelle de l’intérieur, comme un instinct urgent et irrépressible. Je me redresse et me concentre sur cet appel chargé d’espoir. Comment je sais où aller ? Je ne le sais simplement pas. Mais c’est comme d’avoir un endroit qui démange sur notre corps, même si on ne perçoit pas clairement le cheminement de la pensée, c’est vers ce morceau de peau que la main va naturellement aller… pour y planter ses griffes.

"Kith…"

Mon corps se dissipe en une fumée noire pour revenir dans un son de claquement de fouet près du corps allongé de la jeune femme. Mes yeux essaient de refaire le point, mes appuis se font un peu laborieusement, et alors je réalise où nous sommes.

Bordel de merde ! Nous sommes si proche du brouillard, j’en avais presque oublié ce froid ambiant, cette vue sur le vide, cet appel implacable…

Non ! D’abord s’occuper des créatures ! J’attrape Kitkiel, laisse mes ailes sortir, et je laisse la lumière embraser leurs yeux. Ça ne les tuera pas, mais au moins ça les ralentira. La p’tite a l’air d’aller bien, secouée, mais en un seul morceau. Je me penche, sens du mouvement dans mon dos avant de voir des plumes tranchées net  voleter autour de nous. Je n’ai pas le temps de me demander ce qui arrive que je sens une douleur cuisante dans mes reins. Je me retourne pour saisir la créature à la gorge et commencer à serrer…

« Mon corbeau blanc »

Je me raidis, les yeux révulsés.

« Embrasse-moi. »

Ma main sur sa gorge n'est plus une menace, mais une invitation à quelque chose de plus fatal, de plus attirant, de plus...

Non...

Je ferme les yeux sur ce qui est en train de se passer. C'est une réminiscence de mon passé, une illusion que je ne reconnais pas. Cela n'est pas à moi... Et cela m'attire jusqu'à ce que le bruit d'un corps tombe au sol juste à côté de moi.

J'ouvre les yeux sur le brouillard, la situation, la panique, et...

"...KITHIEL !"

D'un mouvement ample, je balance la bestiole au loin comme s'il s'agissait de la peste en personne. Je remarque que l'autre est en train de se débattre pitoyablement de son enchevêtrement de racine. Des racines toutes neuves.

"Bien joué, p'tite."

Je la prends par la main et commence à agiter mes ailes quand je sens que ce ne sera pas si simple de prendre la fuite. L'une d'elle a été sectionnée net et ne me permettra sans doute pas de voler avant un moment... Et j'ai une plume qui saigne. Magnifique. D'un geste, je l'arrache en grimaçant pour éviter de me vider de mon sang en une quinzaine de minutes.

"La lumière peut les tenir à distance !"

Je serre Kithiel contre moi, assez fort. Je ne veux pas qu'elle me quitte. Sa seule présence permet aux doutes, aux illusions, et à toutes ces merdes, de rester éloignées.

"Tu t'occupes de les entraver, comme tu l'as fait, je m'occupe de les cramer. Ensemble, on y arrivera. Est-ce que tu es prête ?"

Moi ? Je ne suis pas prêt du tout. Je me sens encore étrangement attiré par le brouillard, comme si au-delà, il y avait... des réponses. Je serre les dents et commence à me concentrer. Il y a longtemps que je n'ai pas joué avec ma lumière. De mémoire, elle ne permettait pas de tuer un vampire, alors ces machins... Mais Kithiel est là.

Kithiel est là.

Je la serre un peu plus, comme pour me prouver à moi-même qu'il faut que j'ai quelqu'un à qui venir en aide.