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 Thunder in our hearts || ft. Nathan

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Amon El-Hadji
Amon El-Hadji
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Urgh.
J'ai vu bien des choses.
Visité bien des endroits.
Je suis âgé, c'est un fait.
Mais actuellement, j'ai la mollesse d'une jeunot inexpérimenté qui a trop joué avec le feu.
Le soleil tape comme un marteau-piqueur contre la peau de mes paupières. Emmitouflé dans une couverture, je lui fais dos dans un grognement d'outre-tombe et un mouvement de plomb.
Je suis infichu de savoir l'heure qu'il est. Ni même où je suis, de surcroît. Il faudrait que j'ouvre les yeux pour ça, et présentement, c'est impossible.

Alors dans un demi-sommeil nébuleux, j'essaie de me rappeler. L'Eden's Rest... D'accord. Asmodée, oui, ça aussi, je m'en souviens. Nous avons parlé.
J'ai bu.
J'ai beaucoup bu.

Je le sens dans chaque fibre de l'Eau qui me compose. Elle n'est pas ravie. Et j'ai honte, quelque part, tapissée d'un sentiment de soulagement en note de fond.

Il y a des choses qui ont fini par s'exprimer. Je le sais.

D'un soupire à fendre l'âme, je tente de me redresser en me tirant de ma torpeur. Très, très mauvaise idée. Violente attaque nauséeuse suivi d'un mal de tête pourfendeur. Fantastique.

« Hn... »

Me massant les tempes, j'en profite pour regarder autour de moi. Mon sofa. Mon salon. Bon point. Un coup d’œil à mon attirail... des habits de la veille. Je n'ose pas essayer de me rappeler le pourquoi d'une telle paresse à me changer, mais je ne peux pas rester dans un tel état. Je me traîne avec l'énergie d'un décapode jusqu'à la salle de bain.
Je reste une bonne demi-heure sous l'eau chaude, pour tenter de me dégriser. De reconquérir mon élément, également. Une forme de pénitence silencieuse dans la buée.

Un pull large en laine et un pantalon confortable plus tard, je ne suis pas en meilleure forme. Je me sens comme enrobé dans un coton incroyablement épais. Mes cernes sont aussi creusées que ma bouche est pâteuse.
Une nouvelle impulsion me pousse à bouger vers la cuisine. Une tisane, quelque chose, vite. De la menthe poivrée et de la camomille. Oui, bonne idée !

Mais c'est en traversant le hall vers ma sacro-sainte bouilloire que je me confronte à un visiteur inattendu.
Le mal de tête reprend. De toutes les personnes auxquelles je pouvais me confronter, ce jeune homme est celui envers lequel je suis le moins préparé.

Nathan.


Fabuleux.

Mon regard épuisé le fixe, incrédule.

« … ... Bonjour... ? »


Comment est-il entré ? Quelle heure est-il ? Et quel jour sommes-nous, au fait ? Hng, foutue migraine...
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Nathan Brunelle
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◈سكران◈
"Ivre"
Philanthropic toga party
What a place for both the opposite sides of my double life to finally collide
Sharing secrets I was taking to the grave
Nosebleeds from epiphanies I took full in the face

Les heures défilent, ennui palpable à bout de craie. Depuis combien de temps mes doigts talqués s'agitent sur cette résolution d'équation pour tuer le temps ? Tout ce que je puis vous dire c'est que la bête refuse de crever.  Bordel de chiottes*, Amon ?! Vous m'avez oublié.

Il est presque que treize heure quand je quitte finalement le manoir de l'école, croquant rageusement dans un jambon-beurre. J'enfourche ma fidèle bicyclette pour un rodéo qui s'annonce orageux. C'est la goutte d'eau! (Savourez l'humour maritin, je commence à m'y faire...). Je débarque chez lui, je lui balance tout. Ce sera la grande crue ! ( Je vous avez dit que je prenez le pli...).

A coup de pédales déterminées, me voilà bientôt dans les ruelles pavées et étroites du centre-ville, parsemées de bicoques qui se courtisent de balcon à balcon. Meules et mortiers qui rafraîchissent l'été et font crever de froid l'hiver. J'attache ma monture dans la courette intérieure et file à la porte que je cogne fermement. J'ai passé en boucle mon discours sur le chemin, égrainant mon argumentation étayée. Je ne peux pas être pris en défaut.

Seulement pas le silence, peutêtre.

- Fais-chier*... que je fais après deux séries de tambourinage sans réponse. Je déverrouille la porte avec le jeu de clés qu'il m'a confié. Parfois, je me dis, qu'il m'accorde une confiance bien trop facile pour ne soupçonner aucune duplicité de ma part. Je ne suis pas un ange en détresse, Amon. Je suis un petit con buté dont tu ne soupçonnes peut-être pas l'existence.

Quelques pas dans le corridor.

- Amon ?

Rien.

- Il y a quelqu'un ?

Au détour du couloir, je le vois soudainement débouler : pieds nus, un pantalon roulé sur les cheville et un pull vaguement débraillé qui lui tombe asymétriquement sur l'épaule. "Sexy" ne puis-je m'empêcher de penser, avant de corriger mentalement le tir. "Il baise ton géniteur. Juste pour rappel." (Mon Jiminy Cricket a toujours la voix de Hui, avec son timbre nasillard et vaguement blasé. Enquiquinant et qui tape toujours juste.). Amon arbore des poches bleuâtres sous les yeux : je pourrais y mettre toutes mes économies. Je suis pris d'un brusque rire franc et nerveux. Toute ma diatribe s’effiloche sous mon crâne.

- La vache !* Tu t'es fait roulé dessus ?


J'en ai oublié le vouvoiement tellement assister à l'éclosion d'un Amon post-cuite me parait parfaitement incongru.

- Pardon, je ne voulais pas me moquer de to.. vous.. M'en voilà tout troublé. Je connais un remède super efficace contre la gueule de bois. J'abandonne mon sac dans l'entrée. Je te.. vous fais profiter ?

Sourire aux lèvres, retenant des gloussements candides.

- Le secret c'est la poire nachi ! AAah... J'étais sûr qu'avec t...votre  côté un peu snob et fan de bio, vous étiez du genre à en faire importer,
fais-je en dégotant un petit sachet venant du primeur bio-équitable du coin. J'vais te.... Je pouffe un peu en me mordant la lèvre inférieure d'un air désolé... Navré, je suis perturbé par cette brutale "encephalorectomie".  C'est.. inédit !

Je découpe les fruits après les avoir lavés. La peau conserve un maximum de ses propriétés éliminatrices. Je les balance au compte goutte dans le blinder.

- Puis-je en savoir la raison ?

*en français
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Amon El-Hadji
Amon El-Hadji
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Je mets quelques secondes à percuter, avant d’atterrir. Mon cerveau, ou plutôt ce qu'il en reste, trempe encore dans des miasmes alcoolisés comme une grosse prune fermentée. Sous les impulsions de sa réaction, je plisse les yeux, fronce les sourcils. Les vibrations de son rire ont la force d'une perceuse qu'on m'enfonce dans le crâne. Je masse encore la peau de ma tempe d'un geste circulaire pour tenter d'atténuer la sensation. J'utiliserai bien mes capacités de guérison inhérentes à ma caste, mais malheureusement, elles sont inefficaces contre ce genre de mal.
Je vais bel et bien devoir assumer, on dirait.
Devant lui, qui plus est.

« … Doucement... »


Malgré la certaine honte qui m'habite, et les débris de ma dignité que je vois partir en fumée à chacun de ses rires, j'éprouve un certain réconfort à le voir agir ainsi. Il faut bien avouer que nos rapports sont pour ainsi dire... spéciaux. Et c'est bel et bien la première fois que je le vois rire ainsi. Peut-être rire tout court, même.

Recouvrant un peu de bon sens, je daigne enfin jeter un coup d'oeil à la pendule au-dessus de la porte d'entrée. 14h15. Effectivement, je suis un peu en retard.

« Désolé... Hum... Je n'avais pas vu l'heure. Il n'y aura pas cours aujourd'hui, même si je pense que tu t'en doutes... »


Ma main se perd dans ma nuque endolorie par la mauvaise position prise pendant la nuit. Il faudra que je transmette l'information aux autres petits mais pour le moment, je bouge vers la cuisine en même temps que mon protégé. Lui se jette sur mes poires japonaises quand j'appelle et déplace d'un geste las dans l'air l'eau du robinet directement dans la bouilloire avant de l'allumer. Flemme, comme disent les jeunes.

Je l'écoute, tout en prenant à tâtons deux tasses et mon assortiment de thés d'Hiver. Nathan pourra choisir celui qui lui convient le mieux, quand moi j'écrase doucement mes herbes de menthe et de camomille dans mon filtre chromé. J'écoute, et son trouble m'amuse presque. C'est drôle de le voir se dépatouiller ainsi dans son phrasé, complètement décontenancé. A croire que nous étions deux à nous protéger derrière des carapaces savamment huilées.

« J'ai certains contacts au Japon. C'est très utile pour les bobos centenaires comme moi. » J'esquisse un petit sourire en coin. Entre ça et mon Matcha des plaines d'Aomori, ma cuisine est une véritable épicerie asiatique de luxe.

Le silence retombe quand je verse l'eau bouillante sur les feuilles. Je sursaute cependant quand Nathan active le blender. J'ai l'impression d'agir à fleur de peau, façon chat que l'on surprend dans les phares d'une voiture, alors que le bruit sourd de l'électroménager me court-circuite les neurones instantanément.

« … Urrrrrrrrrrrrrrrgh... »

Je finis par m’asseoir, mon infusion et ma mauvaise humeur comme seules vraies amies dans cette histoire. Mon front vient rejoindre le bois de la table, le froid de la cire me calmant quelque peu. Quand cette fichue machine s'arrête enfin, et que la question fuse, ma tête se tourne légèrement pour répondre, sourcil interrogatif arqué, avant que mon épave de corps ne se redresse enfin.

« Tu es bien curieux... »

Des raisons, je pourrais t'en donner des millions, mon garçon. J'en ai toute une panoplie que je consigne avec une culpabilité soignée depuis des années.

« Disons que je suis sorti, hier soir. Une envie de me changer les idées, je crois. J'ai légèrement dérapé... ça ne m'était pas arrivé depuis... »

Depuis quand, en fait ?
Y'a-t-il eu, hors des dunes, des éclats de liberté aussi poussés ?
Y'a-t-il eu, hors de cet ancien Moi, des moments d'allégresse décomplexée aussi sincères ?

Je ne me souviens pas.
C'est peut-être ça, le plus terrible.

« … Depuis trop longtemps. » Je bois une gorgée de breuvage chaud avant que la purée de fruit ne me soit servie. Sensation divine. Et je finis par changer de sujet, observant mon vis-à-vis. « Tu es venu ici parce que tu étais inquiet ? »
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Nathan Brunelle
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Ma présence a l'air de le brusquer jusqu'aux tréfonds de sa chair. Je ne suis pas un être dénué de commisération, loin s'en faut, mais j'avoue que j'éprouve un plaisir malicieux à le savoir aussi perméable aux lendemains de beuverie que tout un chacun.

- Désolé... Hum... Je n'avais pas vu l'heure. Il n'y aura pas cours aujourd'hui, même si je pense que tu t'en doutes...
- Merci pour cette lapalissade, professeur. Sachez que mes petits camarades se sont résignés bien avant moi de cette terrible tragédie.


Je ponctue ma tirade d'une envolée symphonique de blinder qui fait couiner ce pauvre Amon.

- Tu es bien curieux...
- Tu préfères que ça m'indiffère ?


J'opte résolument pour le tutoiement. La situation est trop cocassement intime pour que je me refuse cette petite familiarité. Amon a le faciès de l'homme qui a tenté de noyer toute son existence dans un verre de whisky. Quoi qu'on dise des propriétés de l'alcool : un verre, même une bouteille, reste un trop petit contenant pour l'éternité.

- Disons que je suis sorti, hier soir.
- C'est toujours mieux que de boire seul dans son salon.
- Une envie de me changer les idées, je crois. J'ai légèrement dérapé...
- L'euphémisme est délicieux...
Je glousse tranquillement en versant le contenu du mixeur dans un grand verre à smoothie.
- Ça ne m'était pas arrivé depuis... Depuis trop longtemps.
- Parfois il faut savoir lâcher prise, Amon.
Je lui tends mon breuvage miracle et je pose mon fessier sur l'angle de la table tout à côté de lui. Pour ma part, je trouve très appréciable de te savoir aussi faillible que nous autres. Cela te rend plus... accessible.... Plus "humain", je dirais...

J'adresse un sourire de tendresse honnête à mon mentor. Il m'agace, mais j'ai une sincère affection pour lui.

- Tu es venu ici parce que tu étais inquiet ?
- Hum... Pas exactement, pour être parfaitement franc.... Je suis venu ici parce que j'étais énervé. J'avais dans l'idée qu'une bonne engueulade* serait le plus efficace des programmes détox contre cette fâchâde.
Je me mordille à nouveau la lèvre inférieure pour juguler tout ricanement moqueur. Mais ta tête m'a fait passer l'envie,... Comme ça... "pouf" ! Je pose ma main gantée sur son bras. Tu devrais te soûler plus souvent, c'est miraculeux !

Son expression agonisante aiguillonne ma pitié. Sa migraine a l'air horrible.

- Est-ce que tu me laisserais essayer quelque chose ?

Je me redresse lentement et retire mes gants. Je me glisse dans son dos en prenant une inspiration. Mes interactions avec Anton m'ont permis d'isoler une hypothèse. Je avis tenter de la mettre en application sur Amon. C'est un djinn, un maritin qui plus est, il ne devrait pas souffrir de mon contact.

Je crois.
J'éspère.

Malgré mes gants, mes doigts sont frais lorsque je les appose sur ses tempes. Je les lui masse délicatement, cherchant à ressentir la mécanique des fluides sanguins qui lui congestionnent le crâne. Je distingue confusément les nœuds et les barricades qui éclusent la bonne circulation de son sang. J'essaie d'agir pro-activement dessus, sans forcer, avec la dextérité suave et appliquée d'un horloger. J'étends peu à peu le massage à tout son cuir chevelu.

- Est-ce ça te soulage un peu... ? fais-je dans un murmure un peu inquiet, comme sous la voûte sacrée d'une cathédrale.
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Amon El-Hadji
Amon El-Hadji
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J'écoute ses explications non sans un intérêt vivifié par la chaleur du breuvage et la fraîcheur du smoothie du Soleil Levant. Le goût rond et généreux de la poire se mêle étrangement bien à mon infusion. Ce petit-déjeuner sur le pouce me revigore plus que je ne l'aurai cru. Bien joué, jeune homme.
Un petit sourire taquin naît en coin, secouant légèrement la tête à ses mots.

« Impertinent envers ses aînés et cyclothymique comme personne. Tu as vraiment tout pour plaire, quand tu t'y mets. » Une gorgée de fruit plus tard, je hausse légèrement mes épaules laineuses. « Je ne suis pas certain de me remettre dans des états pareils avant un moment... Il faudra faire avec ! »

Encore que, à bien y réfléchir, le bilan de cette soirée ne fût que bénéfique. Mes angoisses ont débordé à la surface, dans des exhalaisons inconnues mais profondément sincères. Je me rappelle que tout est sorti, sans retenu. J'ai dû confier à Asmodée plus de choses que je n'ai jamais raconter à quiconque. Il n'est pas mon ami pour rien : je sais que je peux faire confiance au démon pour demeurer tombeau de mes secrets.

J'ai enfin accepté de me livrer à quelqu'un.
Il ne m'aura fallu que cinq siècles pour pouvoir de nouveau accorder ma confiance.
Mieux vaut tard que jamais, j'imagine ?


Plus la discussion passe, plus ma tête est pesante. Activer les muscles de ma mâchoire pour converser n'aide pas beaucoup. Mais c'est alors que Nathan se propose en kinésiologue d'un nouveau genre. J'en suis légèrement désarçonné, il bien l'avouer. Mes yeux s’agrandissent de curiosité tandis que j'accepte d'un hochement de tête, le laissant agir à sa guise, trop intrigué. Et peut-être un brin enthousiasmé à la constatation d'un pas de sa part en ma direction.

J'ai une tendresse particulière pour lui, je ne peux le nier. J'en ignore encore la nature profonde. J'ignore même si elle n'est pas biaisée par les circonstances de notre rencontre. Mais il demeure, et demeurera, mon protégé.

Son massage est précis, plein de bonnes intentions. Je les perçois, guidées par les fibres des tissus
qui viennent à la rencontre de mon crâne endolori. Les muscles se détendent, les nœuds se défont petit à petit.
Trouble, cependant. La magie opère, naturelle et vive. Elle trouve écho à la mienne, en mon cœur, en mon Eau.
Il y a ce mélange de soulagement réel et de surprise sous de telles sensations provoquées. Je sens pourtant qu'il pourrait donner plus, bien plus, s'il acceptait à son tour quelques vérités. Sa nature. Son pouvoir. Bridés par la peur transcrite en gants épais.

Mais inutile de forcer les choses. Elles viendront à lui au moment opportun.

A sa question, j'ouvre mes yeux précédemment clos pour en profiter davantage, dans un soupire de bonheur léger enfin retrouvé. Mon sourire peut en témoigner, tandis que je jette vers lui un regard bien plus pétillant de vie qu'il y a quelques minutes.

« … Oui. Merci beaucoup... J'en avais bien besoin. »

Je laisse une poignée de secondes flotter, le temps d'observer les mains gantées. Je comprends sa démarche. Je l'ai moi-même expérimentée, il y a longtemps. Trop terrifié à l'idée de ce que le monstre pouvait faire.

« Tu sais... » Je cherche mes mots, encore groggy de ce moment partagé. « Nous ne sommes pas partis sur les bases les plus faciles, ni les plus saines du monde, mais... même si c'est un peu improvisé, je suis heureux que tu sois ici aujourd'hui. Vraiment. »

Un regard détourné vers la fenêtre où se baigne une lumière d'après-midi resplendissant. De la timidité ? Vraiment ?
Mon pauvre vieux, arrête donc de boire, ça ne te réussit vraiment pas !


« Et je me rends compte que nous n'avons jamais vraiment pris le temps de simplement... discuter, tout les deux. C'est idiot, quand on y pense, tu ne trouves pas ? »


C'est peut-être de ma faute.
Mais j'ai l'envie profonde de réparer ça.
De tout réparer, ici et maintenant.

Ma tête comme mes sentiments.
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Nathan Brunelle
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- … Oui. Merci beaucoup... J'en avais bien besoin.

Mes doigts refluent avec précaution. Dire que je ne suis pas soulagé serait mentir. La manœuvre n'avait rien d'aussi viscérale qu'avec Anton. C'était impétueux, vorace et passionnel, avec lui. Pourtant, j'ai l'impression d'avoir plongé ma main sous une onde toute aussi dense avec laquelle j'ai su communier une poignée de secondes. Amon n'est pas aussi flegmatique qu'il ne le laisse entendre. Amon a le sang qui brûle d'ardeur. Il a beau le diluer de toutes les tasses de thé possibles, j'ai frôlé sa vérité. Sentiment précieux d'être singulier, de posséder une connaissance intime et secrète. D'être spécial. Supérieur. Mon géniteur, lui même, n'a pas du avoir ce privilège.

Ce n'est pas un maritin.

Je me mordille le pouce, les joues échauffées par ma propre importance. Puis je croise le regard d'Amon. Et dans cette étincelle qui lui rend les prunelles plus vives, je devine que si j'ai pu l'entrevoir à nues, il a pu faire de même.

J'en rougi davantage.

-Tu sais...  Nous ne sommes pas partis sur les bases les plus faciles, ni les plus saines du monde.

J'ouvre la bouche, prêt à faire une remarque inutile, drolatique, décongestionnant ma gêne. Finalement, je ne dis rien. Je laisse s'écouler les mots de sa bouche sans l'interrompre.

- Mais... même si c'est un peu improvisé, je suis heureux que tu sois ici aujourd'hui. Vraiment.


Je découvre, alors, avec un ravissement inattendu qu'Amon partage mon trouble. Il fait démonstration d'une pudeur adorable. "Et. Baise. ton. géniteur... Je te dis ça en cas d'oubli" me souffle pernicieusement Hui ma conscience. Quand bien même, j'affiche un stupide sourire.

- Moi aussi, Amon.
- Et je me rends compte que nous n'avons jamais vraiment pris le temps de simplement... discuter, tout les deux. C'est idiot, quand on y pense, tu ne trouves pas ?
- Pas vraiment, tu sais. Ma présence te rappelle le grand amour de ta vie et c'était le but de ce "très cher" Nadim, je pense. Tu as verrouillé naturellement toutes tes écoutilles en maintenant une distance formelle. Tu t'es protégé, ça me parait assez naturelle comme réaction.

Je m'assoie pleinement sur la table et me penche vers lui avec un sourire.

- Nadim est un imbécile de croire que je ne suis qu'une extension  de lui même et tu serais un idiot de persister à penser de même : Je suis moi. Et j’espère que tu sauras me distinguer pour moi seul, un jour.

Sans réflexion, ni calcul, ma main est venue se poser sur la sienne. Sans la protection d'un gant. Sans barrière entre les connexions élémentaires précédemment établies qui, tentent à nouveaux de se rejoindre.

Mon "eau".
La "sienne".
Un même courant.

Je romps lentement le contact.
Mordillement de lèvres.

- Bon... fais-je brusquement en pivotant sur la table. Je m'assoie en tailleur sur le plan de travail avec une expression de radieuse franchise. Que veux-tu savoir ? Je répondrais à toutes tes questions si tu me promets de te montrer aussi ouvert. Bon, je te concède que ça fait un peu "speed-dating" mais il faut bien commencer quelque part !
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Amon El-Hadji
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Le mal s’évapore, petit à petit. Ma tête est allégée, le cœur aussi. Je ne sais pour combien de temps mais déjà, je sens que cette journée va s’avérer moins difficile qu’elle ne le présageait.

Je termine les deux breuvages, délaisse un peu les récipients pour me tourner entièrement vers mon invité. J’écoute en silence ses réflexions qui me laissent songeur.

Nadim…
Nathan…


Cette ressemblance, même dans les patronymes, me fait froid dans le dos. Ce vice accordé aux détails a fait sa grandeur et sa chute. Il n’a pas changé, et c’est le plus douloureux.
Je ne l’ai pas sauvé. Je l’ai brisé davantage. Je n’ai rien réussi de mon pèlerinage.

Mais je connais l'autre pêcheur et son fils en a une vision biaisée par l’amertume. Je ne peux que le comprendre, gravement sur l’instant. Mes yeux se voilent.

« Tu n’es pas tant une extension à ses yeux qu’une sorte de… cadeau. » Soupire. « Une offrande parfaite… pour me ramener à lui, ou me détruire. Sans doute les deux. »

Je n’avais encore jamais prononcé ces angoisses-ci à voix-haute. Mon jardin secret est en train de faner.

Toutefois, mon trouble perd pied quand Nathan amorce une approche. Sans gant aucun, tout contre ma main.

Ricochet.

C’est ce qui me vient à l’esprit en premier, quand la sensation de son toucher afflue en ondes. Le contact a fait office de galet, et nos eaux se sont mêlées. Une seconde. Peut-être plus. Suffisamment de temps pour que ce moment reste gravé en moi. Ce n’était peut-être rien pour le commun des mortels… mais c’est la première fois que nos peaux se rencontrent.
Cette main, dans la mienne, marque un nouveau départ.

J’en reste interdit quelques secondes. Ma bouche se détend dans un sourire étincelant, à l’émotion palpable.

« Nathan… »

J’ignore ce qui suit son prénom. Il glisse tout seul comme une surprise au bout des lèvres. Ses mots, son contact, m’ont touché autant à l’âme. C’est une sensation lointaine que j’avais la sensation d’avoir perdu. Il me l’a faite retrouvée.

Je voudrais que cela dure. Que cette main reste. Que cet instant se suspende, peau à peau dans une capsule douce-heureuse.

Je voudrais, cependant je le laisse rompre le lien doucement, comme pour en laisser quelques bribes au bout des doigts.

Je voudrais le rassurer. Lui dire que je ne perçois pas ses traits empruntés. Sortir naturellement ce qui s’avère être la vérité. Nathan est lui-même avant d’être l’attente d’un Autre.
Mais je me contente de sourire sincèrement. De le laisser cette idée passer dans un échange de regard qui, pour le coup, dure. Peut-être un peu trop longtemps.

Je ne m’étais pas rendu compte que ne l’avais jamais observé réellement. J’ai un peu honte. Beaucoup, même.

Rougissement, yeux vers l’Ailleurs.
Et le garçon veut parler, à la bonne heure.

Quand il enclenche cette phase de « speed-dating », je ne peux m’empêcher de rire légèrement.

« J’espère que nous n’avons pas un temps limité, monsieur Brunelle. Je n’aime pas beaucoup qu’on me mette la pression dés les lendemains de cuite. »

Je me penche en arrière sur ma chaise, l’incline légèrement. Bras croisés sur mon torse, je réfléchis. Il y a un millier… Non, un bon million de sujet que j’aimerais aborder avec lui.

« Voyons voir… »
Commençons par une base, voyons où elle nous mène. « Tu as toujours vécu à Paris ? Dans quel quartier exactement ? »

Un petit rictus de nostalgie me prend soudainement.

« J’ai énormément de souvenirs dans cette ville. J’y ai fait mes études de médecine… en 1980, environ. »
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Nathan Brunelle
Nathan Brunelle
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Tu parles d'un "cadeau". Nadim a simplement oublié une donnée manifeste dans son équation : Moi. Amon, cher Amon, montrons donc à cet imbécile que dans ce savant calcul, il n’est que négligeable quantité.

Dommage, "papa".
Ce qui t'es le plus précieux me revient de droit.
Les absents ont toujours tord.

Je sais.
Je sais bien.
Il est puérile d'engager un bras de fer musclé avec un djinn psychopathe millénaire. Il est infantile et sans doute inconséquent de s'imaginer gagner. Cependant, soyons clairs sur un point (Oui, Hui-Jimini, c’est à toi que je cause.) : Amon n'est pas un jouet que le géniteur et moi-même nous disputons. Il ne sera jamais un prétexte ou un moyen de l'atteindre. C’est une victime. Voir se faner pareil sourire serait criminel.
"Tu m'en diras tant..."

- J’espère que nous n’avons pas un temps limité, monsieur Brunelle. Je n’aime pas beaucoup qu’on me mette la pression dés les lendemains de cuite.

Je glousse en le couvrant d'un regard malicieux.

- Promis, je serais doux... fais-je d'une voix suave.
- Voyons voir…Tu as toujours vécu à Paris ? Dans quel quartier exactement ?
- Toujours ! Ce n'est pas faute d'avoir tenté de devenir banlieusard ou de m'expatrier pour mes études. Et on ne peut pas dire que les petits voyages cossus de mes "gardiens" à l'étranger soient qualifiables de "vivre" comme un autochtone. Ceci étant, j'ai grandi dans un des quartiers les plus agréables et les plus protégés de la Capitale : près des Buttes Chaumont. Notre appartement est immense et j'ai vue sur le parc. Comme se plait à dire Hui : Je suis "un aiglefin sauce oseille, une espèce rare de poisson à chair blanche échappé des eaux du 16ème".
- J’ai énormément de souvenirs dans cette ville.
- Vraiment ?
- J’y ai fait mes études de médecine… en 1980, environ.
- Diantre ! Je n'étais même pas né ! Diderot, Descartes ?.... La Sorbonne peut-être... Tu vivais où ? Sur le campus ? En colloc' ?...
Je pose mon menton dans le creux de ma paume. J'ai du mal à t'imaginer dans le rôle de l'étudiant qui bringue et se défoule en soirée.

Petit rire.

- S'il y a bien une chose qui n'a pas changé dans les facs de médecine de Paris, c'est leur réputation de fêtard. Tu lèves le coude où tu oublies ta place au sérail... Ceci dit, j’espère que tu n'as pas attendu 1980 et les soirées estudiantines parisiennes pour t'envoyer en l'air et oublier Nadim !


Je note l'expression d'Amon et me mordille la lèvre inférieure avec un léger bruit de succion désapprobateur.

- Hum.. Un peu trop tôt peut-être... Nous y reviendrons ! Je me claque les cuisses dans un mouvement inconscient de diversion. Donc...Pourquoi apprendre si tardivement la médecine et à Paris, qui plus est. Tu as du avoir l'occasion bien avant, non ?

Le plus naturellement du monde, je quitte mon promontoire en quête d'une tasse et d'eau chaude. Amon me donne envie avec son infusion de Marquise.
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Amon El-Hadji
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Je remonte la chronologie par la fin. Le fil du temps se suspend et je choisis quelle extrémité tirer prudemment du bout des doigts. Je pourrais continuer de me ligoter de tout ces filins de vorpaline trempée qui m’entourent, sans chercher à m’en extirper… Mais étrangement, cette envie a disparue depuis peu. J’ai une vague idée de la raison… Elle s’applique dans un sourire nostalgique qui naît quand l’aiglefin me ramène à Paris.

Ces années-ci sont particulières.
Mes dernières pérégrinations avant de m’installer en Irlande, d’y retrouver Asmodée, d’embrayer sur ma vie actuelle bien – trop ? - remplie.

Mes derniers espoirs mutés dans des souffles trop courts, et des histoires gâchées, teintées de contre-culture queer et de mondanité lascive.

Un cocktail explosif bu sur des canapés en velours.

J’y repense, souvent. A mes amis partis avant l’aube, aux découvertes et aux expériences.

Les mots de Nathan résonnent avec la fumée des bars et l’odeur des livres de la Bibliothèque nationale.

J’éclate un rire plein de passé. « Les Buttes-Chaumont, hm ? Je connais bien. » Je crois que j’ai traîné mes pattes dans tous les recoins de l’intra-muros plein de paillettes. Je souris à la comparaison et détaille le garçon une seconde : c’est vrai qu’il y a indéniablement un côté aquatique dans la finesse de ses traits. De là à dire que tout ceci justifié par son héritage Maritin, il n’y a qu’un pas… « Gagné pour la Sorbonne. Je vivais dans une chambre de bonne au cinquième étage d’un immeuble de Montmartre, pas très loin du Sacré-Cœur. C’était petit mais très agréable. Et il va sans dire que j’aimais beaucoup la poésie des lieux… »

Une gorgée de thé et quelques affirmations plus tard, je prends le temps de pondérer ses propos, me remémorant mes rencontres marquantes de cette époque. Ses piques provocantes à propos de Nadim étaient à prévoir, malgré le fait qu’elle m’arrache un léger rougissement accompagné d’un roulement d’orbites. La jeunesse et ses espiègleries… La rancœur et son amertume.

« Eh bien… » J’enserre la tasse entre mes phalanges. Léger blanchiment. « Je n’étais pas vraiment adepte de ces soirées-ci. Je préférais rejoindre certains amis dans d’autres un peu plus cachées. On ne se vantait pas vraiment d’aller embrasser une personne du même genre que soi dans un recoin de bar, durant ces années-là. Il y avait des lieux bien précis, quelques codes que l’on se passait d’adeptes à initiés. » Un soupire. « Mais j’ai rencontré beaucoup de jeunes âmes incroyables… éprises de liberté. Beaucoup d’entre elles ne sont plus là pour en parler… Les ravages du Sida étaient bel et bien réels. »

Mon regard se perd dans cette infusion sans fin. Un peu de vapeur dans mes yeux voilés. Baptiste, je repense à tes rêves de pilote, tes déboires avec ta famille, ta manie de laisser traîner tes clés partout.
Tout ça ne restera que des souvenirs gravés dans la pierre de ton marbre. 25 ans seulement.
Tu sillonnerais déjà le ciel si tu n’avais pas eu à le rejoindre si tôt.

« Quand je ne sortais pas… j’étudiais, longuement. Je passais mes journées la tête plongée dans mes livres. Et même ainsi j’ai quand même réussi à rencontrer quelqu’un. Il s’appelait Louis, un autre djinn. Un intellectuel chevronné avec qui j’ai partagé une toute autre vie. Nous étions différents, mais cela ne nous a pas empêché de vivre quelque chose de fort, tout aussi puissant que notre rupture. »

Un nouveau soupire. Louis, Louis, Louis. Je n’aurais jamais su qualifier ce que nous avons vécu d’autre qu’une romance embourgeoisée d’un bonheur taquin. Il y avait quelque chose de culturellement sensationnel, là où nous avions délaissé nos sentiments profonds. Nous parlions peu, mais nous nous abreuvions ensemble.

Les questions d’apparence anodines du jeune homme remuent plus que ce qu’elles ne voudraient. Je finis par perdre mon regard dans la lumière béante de l’après-midi qui vient frapper mes pommettes.

« … J’ai été amoureux, plusieurs fois. Sans jamais oublier ton père. Je n’ai jamais réussi, mais je ne l’ai jamais vraiment voulu non plus. Nadim restait en toile de fond de toutes mes actions. Tout ce que j’ai fais depuis ces derniers siècles… tout découlait d’une entreprise pour le sauver. La médecine psychique en faisait partie »


Mes yeux se ferment, une seconde. J’entreprends de me lever, laver ma tasse vide avant de m’adosser au plan de travail. « J’ai voulu en apprendre plus. J’avais déjà toutes les notions possible de rétablissement des corps, via d’autres études dans d’autres pays et mon pouvoir particulier de caste des Eaux. Mais… je voulais comprendre l’esprit. Je me disais que c’était indispensable pour… » Temps de suspend. « … guérir la corruption du Sheitan. Et je n'y suis pas parvenu. Pas encore. »

Rictus amer. Beaucoup ont ri. Peu y ont cru. Moi-même, j’ai commencé à perdre pied. A oublier. A me dire que rien ne pourrait le ramener à celui qu’il était.

A celui que j’aimais et que j’ai trahi.

Je relève malgré tout le nez vers le garçon. Je continue de sourire vers l’avenir, les bras croisées. « … Passons. » Réflexion. « Comment t’es venu ton amour des mathématiques ? Une passion pareille est plutôt rare, de nos jours. Je suis assez admiratif. »
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Nathan Brunelle
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Je découvre un Amon libre d'accès,  qui se livre sans rodomontade ni formule. C'est extrêmement plaisant. Je projette aisément ses déambulations intellectuelles dans les décors parisiens que je connais si bien. Il ne jure pas dans ce tableau foisonnant de cultures, de vibrations avant-gardistes, d'énergie pure. Il devait être beau le nez dans ses livres, les prunelles brillant de convoitise.
"Les livres, hein ...? Mais bien entendu, Nathan. Tu viens de l'imaginer avec sa langue dans la bouche d'un garçon."

La préparation de mon thé est une distraction bienvenue pour cacher la légère fièvre qui me monte aux joues. L'eau coule sur le mélange d'herbes séchées et d'épices. Amon a tout de même un gout certain pour tout ce qui s'infuse.
"Non, tu ne feras aucune association d'idées saugrenues..."

- Tu aimais cette vie, et ce Louis... Ça ce sent dans la manière que tu as de couver les mots qui les entourent. J'aimerais bien qu'on parle de cette manière de moi, un jour... Si Hui est en charge de mon éloge funèbre ça risque d'être assez brut de décoffrage.  Un truc du style : "J'ai déconstruit ce petit con dès le bac à sable en lui foutant mon poing dans la gueule. Comme dans tout bons jeux de rôles qui se respectent, les futurs amis voués à de grandes aventures se rencontrent pendant une bagarre de taverne ..."  J'éclate de rire. Paris a pas mal changé depuis les années 80... Cette ville a perdu de son adn. Ma génération nait désenchantée et résignée à crever. C'est limite si on pile pas du xanax dès nos premiers biberons. Je porte la tasse à mes lèvres. C’est un peu brûlant. On a perdu l'espoir et la créativité, je crois. La planète est condamnée de toute façon, à quoi bon faire l'effort de se battre...

J'écarquille les yeux sur le fond de ma tasse.

- La vache* qu'est-ce que je digresse... Petit gloussement gêné. Tiens j'y pense, mais. Tu dois savoir parler français... ça t’ennuierait que de temps en temps on échange avec ? Ma langue maternelle me manque.

La conversation se poursuit et Amon évoque sa vie affective avec une simplicité qui m'ébouriffe, bien éloignée de ses manières compassées usuelles. La conclusion s'avère beaucoup moins sympathique.

-Amon... Tu as construit ta vie autour de l'idée de soigner Nadim ?! Cela me sidère que le psychologue qu'il est soit aveugle à son propre diagnostic. Je secoue la tête, sincèrement attristé : Tu te rends comptes que ça n'est pas de l'amour, hein ? C'est une co-dépendance malsaine qui doit faire la joie du paternel. Le Sheitan n'est pas une maladie, à mon sens, c’est une addiction. Guérir implique une volonté du patient de vouloir se sortir du cercle infernal de la consommation et l'acceptation de vouloir être aidé en ce sens. J'ai toute une boite remplie de preuves que mon géniteur est un pervers narcissique avec un énorme complexe de Dieu. Il m'a littéralement créé pour faire un cadeau à son mec. N'importe qui de normal se contenterait d'un bouquet de fleurs !

Encore une fois, je ne réprime pas mon envie de le toucher. Je crois qu'Anton a brisé les scellés de mon inhibition. Mes phalanges viennent délicatement se poser sur son poignet. Une fois encore, la sensation que nos ruisseaux intimes se rejoignent pour former un fleuve singulier m'étreint. Cette fois je ne reflue pas, je laisse aller. Nos eaux s'écoulent, ensembles, mêlées. Je régule son sang comme il dilue le mien. C'est étrange et délicieux.
Je savoure ce sentiment inédit quand la mélancolique m’inonde. Il s'agit bien de la sienne. Lui, je ne sais pas ce qu'il gagne dans ce partage silencieux.

Que suis-je en train de t'offrir, Amon ?

- Tu ne lui dois rien, Amon, fais-je avec douceur. Tu n'es pas son chevalier blanc. La seule personne qu'on est capable de sauver c'est soi même.

Et dans le cas de mon cher professeur, il y a visiblement du travail. Comme si de rien n'était je ponctue d'un rire tendre.

Je n'ai toujours pas retiré mes doigts

- Les maths... Je ne sais pas comment ça m'est venu. Je pense que j'ai toujours eu des facilités. Mais,je me souviens très précisément de mon premier déclic au collège : c'était sur les équations à une inconnue. Ça été comme une sorte d’épiphanie : c'était drôle, exaltant, presque comme une enquête policière, presque comme de la magie.... Depuis ma cervelle est perpétuellement en quête de cette sensation de plaisir intellectuel pur. Je crois que je pourrais aisément me passer de sexe. Après tout, je n'ai même pas besoin de découvrir ce que c'est. Mais pas de mathématiques.

Comme à chaque fois que j'évoque ma passion des chiffres, je me sens incandescent, galvanisé.

Moi-même.

Je me rends compte que je leste toujours son avant-bras de ma poigne. Je me retire, embarrassé.

- Désolé. Je suis un peu bizarre... Pourquoi ça n'a pas marché avec Louis ? Tu es allé dans beaucoup d'autres pays ?

"C'est ça, couillon*, fais diversion."
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Amon El-Hadji
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J’ignore ce que j’arrive à transmettre à Nathan. J’ignore même ce qui se découle de ce passé que peu de mon entourage actuel ne connait. Le fait est que j’en parle, plus librement que je ne l’aurais cru. A force de tout mettre sous-clé, j’ai fini par rajouter tant de cadenas que la serrure de mes secrets s’est chargée inutilement.

Elle était prête à céder, et ce garçon est parvenu à trouver la clé.

C’est étonnant.
Sans être effrayant.
Quelque chose est en train de changer, dans cette cuisine, à ce moment précis.

C’est… assez merveilleux.

J’entends ses inquiétudes blasées à propos de l’avenir et de la capitale. Une opinion de jeunesse pessimiste qui s’accompagne d’une volonté de retrouver sa langue maternelle. D’un sourire franc, j’articule de mon plus beau français un : « Avec plaisir ! » qui n’a pas perdu de ses accents parisiens. Un petit peu de « r » liquide sur la fin, mais ce n’est pas de ma faute. Six siècles de polyglotte m’accordent le droit à quelques approximations.

S’en suit une verve choquée quant à ma croisade personnelle. Je ne m’attendais pas à ce qu’il reste de marbre. J’imaginais sa réaction puissante et vindicative, aussi, je me contente d’écouter. D’encaisser.
D’apprendre ce que je me suis sans cesse rabâché à défaut d’entendre raison.

Je sais, Nathan.
Je le sais.
Je suis aussi drogué que ton Père peut l’être.
Je suis victime de mes propres peurs auxquelles je m’accroche.
Sans elles… Je n’existe plus.


Mais le contact revient. Un courant électrique cisaille subtilement ma colonne. Sa main. Mon poignet.
Nos Eaux mêlées.
Elles se rencontrent à nouveau comme un écho lointain.
L’une manquait-elle déjà à l’autre ? Elles ne peuvent pas mentir.

Je ressens, plus vivement, les sentiments de Nathan. Sa manière d’être. Sa façon de déguiser. Ces terreurs et ses insécurités.
Son cynisme d’enfant provocateur cache un reflet amer que je ne peux m’empêcher de contempler malgré moi.
Les Eaux ne mentent pas.

D’un geste solidaire et tendre, je rencontre ma propre main contre la peau de sa paume. Je complète le cercle.

Un sourire, chargé. Un regard, pesant de non-dits. Doux. Douloureux.

Toi aussi, n’est-ce pas ?
Toi aussi, tu as ces failles que tu as peur de combler.
Je les entends hurler et sache que je serais là pour les apaiser.
Pour toi.


« Je comprends ça. » Réponse calme au sujet donné. Les mathématiques et leurs mystères. « Je trouve qu’il n’y a rien de plus exaltant que de comprendre et trouver une solution. Ça m’a toujours donné… comme un sentiment d’utilité. Si j’arrivais à résoudre des problèmes et m’élever intellectuellement, je trouvais une véritable satisfaction à me faire accepter de mes pairs. »

Sa main s’essouffle et la mienne aussi.
A la prochaine fois, peut-être.

Je souhaite le rassurer, secoue la tête en silence avant de le regarder. « Tu n’es pas bizarre. Ne t’excuse pas. » Tu ne sais pas ce que tu m’apportes, jeune homme.

Tu ne le sais vraiment pas.

Le sujet revient sur mon ancien amant et c’est avec une certaine nostalgie que je le reprends. Je n’ai pas de difficulté à parler de Louis. Sans doute parce que cette histoire est celle qui s’est le mieux terminée.

« Comme je te l’ai dis, nous étions vraiment différents, dans nos essences mêmes. Notre vécu, nos ressentis… Nous nous entendions sur beaucoup de points autant que nous pouvions nous déchirer sur d’autres. Intrinsèquement, nous aimions ce que l’autre avait à faire découvrir, nous aimions explorer, nous cultiver, nous exalter à deux. Mais profondément… Nous ne communiquions que peu. Louis avait des idées arrêtées, une intelligence rare, un charisme volubile et une façon d’être qui m’inspirait. Je crois que je l’admirais trop et que je ne m’imposais pas assez. Je n’ai pas laissé plus de chances à notre relation en me braquant, je ne me suis jamais vraiment livré cœur à cœur, et lui non plus… et nous avons fini par nous séparer. Mais cet imbécile garde malgré tout une place spéciale. Et il possède un véritable talent d’écriture. J’ai encore quelques-uns de ses livres. Je me demande ce qu’il devient… »


Un petit sourire tandis que je finis de me servir une tasse de thé fumé. Un cadeau coréen d’un ancien patient originaire de Séoul.

Je poursuis, tranquille et serein. C’est nouveau. C’est rafraîchissant, également.

« Beaucoup, oui. J’avais soif de découvertes, et de rencontres. Lorsque j’ai quitté mon maître de Caste, il m’a poussé à découvrir les quatre coins du globe. Je ne restais pas très longtemps, mais suffisamment pour profiter de ce que ces cultures avaient à m’offrir. »

Un regard vers le garçon. Je porte la nouvelle tasse à mes lèvres.

« … Voudrais-tu voyager, toi ? Il y a des lieux que tu aimerais visiter ? »

Petit sourire complice. Je commence à me sentir à l’aise. Véritablement.

« Seul ou avec ton amie Hui, peut-être ? Elle semble être très importante pour toi. »
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Nathan Brunelle
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Le temps s'écoule différemment depuis tout à l'heure. Où bien ai-je simplement l'impression d'être en suspension ? La pesanteur fluctue au gré de nos contacts. Valse pudique. Je te cherche, je fuis; Tu me retiens, tu me laisses aller. Je ne sais pas très bien à quels jeux s'adonnent nos  mains. Elles vont à leur guise par des chemins qui leur semblent bien moins opaques qu'à moi.
Qu'est-ce que tu veux au juste ?
Que voulez-vous chère fratrie de doigts ?
Qu'y a-t-il donc là bas qui vous fascinent ?
Un "je ne sais quoi" d'invitation muette.
Un goût de "reviens-y quand tu veux."

Nos eaux s'accordent terriblement harmonieusement.

Mes cils s'ébattent, perplexes, alors que je louche sur le contenu fumant de ma tasse. Si je formule mes hypothèses tout haut, j'ai peur de briser la magie qui se tisse dans le silence de ce menuet délectable.

-Tu n’es pas bizarre. Ne t’excuse pas.
Bien sûr que si.
- C'est l'habitude, je crois...

Amon m'évoque sa courte idylle avec le dénommé Louis et j'ébauche mentalement le portrait d'un singulier personnage débordant du charisme naturel de "l'artiste". "L'intelligence et le talent, c'est vraiment sexy."
A qui le dis-tu, Hui...
J'observe mon mentor par dessus les rebords de ma tasse, œillades dérobées. Je glane ça et là quelques informations visuelles qui ne m'avaientt jusqu’alors jamais frappées : la manière dont ses grand yeux s’effilent en amande biseautés presque parfaites, le soubresaut imperceptible de sa lèvre quand il évoque un sujet qui le fait sourire intérieurement, l'impact de la lumière sur ses prunelles sombres, délivrant quelques couleurs secrètement cachées... "Des âneries".

- … Voudrais-tu voyager, toi ? Il y a des lieux que tu aimerais visiter ? Seul ou avec ton amie Hui, peut-être ? Elle semble être très importante pour toi.
- C'est ma meilleure amie. C’est une tête-en-bois avec un solide bon sens et une sacrée verve. Elle ne s'encombre pas de faux-semblants et rentre dans les choses ou les gens. Je crois qu'elle te brusquerait... De toutes ces collisions parfois brutales, il en ressort toujours du bon. Je déteste reconnaître que la plupart du temps elle a raison.
Je secoue la tête, en fronçant les sourcils. Non, c’est un fait, elle a toujours raison.

J'éclate d'un rire franc qui pétille. Hui me laisse toujours ce gout de bonbon acidulé sur la langue. Ça pique mais on en redemande!

- C'est quelqu'un de plus sensible qu'elle ne le laisse voir. Parfois... parfois elle anticipe mieux les événements que moi. Elle a une compréhension presque surnaturelle des gens. C'est quand même rageant quand on a une expertise de haute voltige dans le calcul de proba'.

Je bois quelque gorgée de mon thé avant de poser la tasse entre nous.

- Quand on étaient gosses on s'étaient dit qu'on deviendraient astronautes. La Terre ne nous a jamais suffit. Je ne crois pas que je sois le type de personne qui aime voyager. Mon imagination me dépayse suffisamment, je crois. Mais.. peut-être que ce serait bien... Peut-être qu'un jour, quand je me connaîtrais mieux... Faudra bien que j'occupe mon éternité jusqu’à la fin du monde, non ?


Petite sourire malicieux.
Cette fois j'ai consciemment tendu mon bras, paume ouverte, sur le rebord de l'évier. Un "Touche-moi" informulé danse dans mes prunelles. "Touche-moi, seulement si tu en as envie..."

Moi j'en ai envie...

- Hui c'est le genre d'amie qui vous accompagne toute une vie. C'est la seule qui sait que je suis un Djinn, la seule qui a compris avant moi que je pouvais aussi aimer les garçons, la seule qui m'a encouragé à te retrouver... Je luis dis tout et.. de toute façon elle a ce sixième sens super agaçant pour deviner ce que je ne lui dis pas. Autant sauter directement à l’étape confessionnal, du coup. Ça évite de perdre du temps et de se sentir idiot. Tu as ce genre d'amis, toi ?
 Peut-être me parlera-t-il d'Enyo. Je penche un peu la tête sur le côté. Est-ce que c'est ceux avec qui tu te murges des soirs comme hier ?

Le besoin de le taquiner est plus que furieux.
"Arrête de draguer, imbécile..."
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Amon El-Hadji
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Voilà que j'éprouve un plaisir certain à l'écouter. Les maux de tête n'ont plus aucune prise sur mon crâne depuis un bon moment déjà. Ces conversations, ces échanges d'une tendre simplicité sont parvenus à consoler mon esprit et mon corps d'une façon inattendue.
Nathan a balayé de sa fraîcheur les fièvres sulfureuses de la veille. C'est à ni rien comprendre. Si peu de temps encore, nos rapports n'avaient rien de cordiaux. Et en l'espace d'une seconde... d'un toucher, tout a changé.

Que se passerait-il alors si... nous poursuivions davantage cette exploration ?

Cette pensée me foudroie et je l'expulse d'un trait.
Alors qu'il poursuit ses éloges à propos d'Hui, je ne peux m'empêcher de paniquer à l'idée de ce qui vient de me traverser l'esprit.
C'est impensable. Impossible. Indécent. Tout un tas de qualificatifs que je ne saurais prononcer mais qui sont lourds de bon sens.

Je ne peux pas.

Donc je me concentre sur ses paroles à défaut de remarquer son grain de peau scintiller par endroit sous la lumière d'hiver. Et ces mèches un peu rebelles à rabattre derrière son oreille. Et ces yeux. Ces yeux terribles auxquels je ne parviens à plus me dérober. Mais ces yeux qui ont gagné toute leur propre singularité.

J'y suis happé pour d'autres raisons
Que leur héritage empoisonné.


Un coup d’œil ailleurs, de force. Je fais abstraction de ces détails et me contraint.
Un peu de discipline, que diable.
… Restons concentré sur le sujet. La jeune Hui. C'est cela, Hui. Mine de rien, les paroles de Nathan font écho à mon propre entourage. J'esquisse un sourire résolu avant de boire une gorgée.

« C'est drôle... Décrite ainsi... elle me fait un peu penser à Enyo. Elle a l'air d'être une jeune femme formidable, en tout les cas. La confiance et l'affection que tu éprouves pour elle sont très touchants. »


Je suis sincère. Il y a quelque chose de beau à l'entendre évoquer ses liens d'attache. C'est comme comprendre ce qu'il a dû quitter pour me trouver, pour se trouver lui-même également. J'aime apprendre de ses sacrifices et leur donner toute leur valeur. Je promets, silencieusement, de leur rendre honneur.

Au fur et à mesure que les minutes s'égrainent, que nous discutons comme je le souhaitais, je ne m'empêcher de remarquer l'invitation.
Je fais semblant, encore un peu, de faire celui qui n'a rien remarqué. Je ne sais pas si cette barrière-ci doit continuer de s'étioler.

Est-ce bien raisonnable ?
Qu'avons-nous à y gagner ?
Il y a tout à perdre, tu sais ?


Et pourtant. Et pourtant, en deux temps, mon regard caresse la paume, puis capte la pulsation de la veine à son poignet. Je sens le sang. Je perçois l'Eau.

J'ai soif de ce Toucher.

Je ne peux le nier.

Je me raccroche encore une seconde avant de m'y noyer. L'évocation d'Asmodée me permettra de ne pas succomber. Les amis sont fait pour ça, n'est-ce pas ?

« … Ah, oui, j'en ai un. J'étais certes avec lui hier soir, bien je ne boive pas souvent en sa compagnie... Et il a bien dû remarquer que je n'avais pas l'habitude ! » Je pose ma tasse. Elle attendra. « C'est un partenaire précieux. Un véritable ami. Il m'a apporté bien plus que personne. Je me demande s'il en a conscience... Mais je sais que je peux compter sur lui comme un frère. »

Ce frère qui me conseillerait de m'écouter davantage et de me laisser aller. Je le connais. Je sais aussi ce qu'il dirait de ce qu'il est en train de se passer.

De la Raison ou de l'Instinct, je suis face à un match de titans. Il n'y a pas de gagnant. 

Je laisse le silence retomber après un rire plein de douceur. Ma voix se fait elle aussi plus douce, plus confiante aussi. Les confidences prennent des atours de confessions tendres qui reviennent de très loin.

Du temps du Sable et du Feu.

« Tu sais... » Murmure appuyé. Je ne sais pas où je vais. « … Tu as parlé de la fin du monde, mais celui-ci change sans cesse, il est en perpétuel reconversion à partir des cendres de ce qu'il fût. Je suis incapable de savoir ce que nous réserve l'avenir, et rien que pour cette inconnue à explorer, l'éternité me paraît bien plus douce. »

Approche. Ma main s'étend. Un doigt frôle la peau. Puis deux. Puis... « … Peut-être le deviendra-t-elle pour toi aussi... Je n'ai pas toujours pensé ainsi... » Je la saisis, précautionneux. Un oisillon ne serait pas mieux traité. En silence, j'en parcoure les lignes, laisse aller le geste à la caresse. Elle s'attarde sur son poignet dans un effleurement prolongé. Un message caché. Ne rompons pas celui-là, s'il te plait. « A ton âge... J'étais si différent... j'ignorais tout. J'étais... »

La rencontre charnelle me fait perdre le fil. Inconsciemment, remonter aussi loin est encore très difficile. Je cachais cette partie-ci derrière mes déboires romantiques mais je crois transmettre ici quelque chose de bien plus sombre.

Toute l'horreur, Nathan.
Une terreur sans lumière. Sans espoir autre que celui d'une poupée.

Mais te le dire, même sans mes mots...
Elle semble s'estomper, petit à petit.


Nos Eaux convergent. Nos Eaux durent. Nos Eaux se trouvent pour parvenir à s'exprimer d'une même couleur.

Elle prend  place sur ma peau, d'un coup d'un seul. Au contact du point de rencontre de nos mains, mes tatouages s'éveillent, comme appelés. Le magnétisme de notre magie est parvenu à rompre mon camouflage naturel que je suis censé être seul à contrôler.

Un seul autre y était parvenu avant lui. A me perturber au point de me mettre à nu.

Pourquoi ?

« Hm ?... »

Je les observe s'esquiver, revenir, s'éclairer même par endroits. Un comportement sporadique que je ne leur connaissais pas.

Je ne sais pas quoi faire. Mais cette sensation est merveilleuse.

Aussi, je reste ainsi. Et je poursuis. Nous avons encore beaucoup à nous dire, n'est-ce pas ?

« … As-tu d'autres questions ? »

Parce que moi, mon garçon, j'en ai des tonnes.
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Nathan Brunelle
Nathan Brunelle
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Les secondes s’égrainent aussi longues que des heures. Rien ne se passe Mon audace s'effrite joyeusement. Je me sens comme un galant éconduit, trop sur de lui, trop précipité.Je n'en laisse rien paraître. J'essaie du moins.

- C'est drôle... Décrite ainsi... elle me fait un peu penser à Enyo.
- Hui est un poil plus survoltée, je dirais,
fais-je, trahissant par là le fait que je la connais.
- Elle a l'air d'être une jeune femme formidable, en tout les cas. La confiance et l'affection que tu éprouves pour elle sont très touchants.

Je rosis un peu, ma paume délaissée faisant tapisserie. (Ça se dit "faire tapisserie" pour un rebord d'évier ? ) Il m'évoque son compagnon de la veille. Un ami, un frère, un vrai. Mes doigts, eux, sont toujours aux aguets. "Crétin... Heureusement qu'un adulte sait à ta place ce qui est raisonnable!"
Oui.
Oui, c'est sans doute bien mieux que nous cessions ce tour de carrousel périlleux.
Oui.
Evidemment, que c'est plus sage.
"Retire cette main, Nathan!"

- Tu sais...
- Non,
dis-je, un brin facétieux. Mais tu vas me le dire...
- Tu as parlé de la fin du monde, mais celui-ci change sans cesse, il est en perpétuel reconversion à partir des cendres de ce qu'il fût. Je suis incapable de savoir ce que nous réserve l'avenir, et rien que pour cette inconnue à explorer, l'éternité me paraît bien plus douce.

Mon coeur retient un battement alors que la pulpe de son index m'effleure. Je déglutis, fébrile, comme on happe une goulée d'air avant de replonger sous l'eau. Nos eaux. Je ne m'entends plus respirer. J'ai le palpitant qui résonne contre les parois de mon crâne. Je vois les lèvres d'Amon bouger, mais le son me parvient, étouffé par l'onde. A chaque caresse prolongée, je m'immerge un peu plus dans cette mer sublime, profonde, mystérieuse.
"Tu vas te noyer"

Je veux me noyer.

Apnée mentale. Je plonge dans l'abîme aqueuse. Les émotions d'une époque révolue m'assaillent : terreur, solitude, douleur, tristesse, désarroi, violence des mots, des gestes. J'aimerais chasser cette obscurité aux mains sales qui empoissent notre beau lagon bleu de son encre sinistre. Amon a vécu des horreurs, des supplices, des vices dont je n'ai qu'un aperçu fugace. Je suis ballotté par la mémoire de son eau. En ces temps troubles, il n'y a eu qu'une main pour ce tendre vers lui.

Mon père.
Une flamme de torche, devenue brasier.

L'humilité fouette ma conscience. Je suis un être insignifiant face à lien si vieux et si intense. Pourtant, je m'efforce de nager à contre courant, de lutter contre la houle qui me renverse. Dans la tourmente de ces vagues centenaires, je me dépouille de tous mes oripeaux, laissant mon âme à nue. Adieu morgue et suffisance, je suis aussi transparent qu'un verre de cristal : ma solitude, ma frustration, mes déraisons, sanguines, cette passion furieuse jetée au fond d'un puits, scellée à la chaux vive... Anton, Amir, ...
Une seule résolution m'anime.
Un désir implacable.

Je veux éteindre ce feu ancien.
Je veux l'éteindre, à tout jamais,
le réduire en cendres mouillées!
Je veux qu'il n'existe plus que le fleuve de nos eaux sur lequel naviguer.
Et j'y parviendrais !


- Amon... fais-je d'une voix étranglée.

Je contemple émerveillé, souffle coupé, ses tatouages dévoilés, sillons lumineux de tous ses cours d'eaux. Jamais spectacle n'a été plus subjuguant. Plus fulgurant aussi. Il s'estompe déjà alors que mes phalanges se referment sur les siennes. Tricot de doigts.

Prisonniers

-… As-tu d'autres questions ?

Je jugule une brutale envie de pleurer. Les palabres se distillent goutte à goutte.

-... Mon.. Mon premier tatouage. Je l'ai reçu de quelqu'un de précieux. Il s’appelait Amir... Il avait les yeux clairs, toujours pleins de rires. Et je ne sais pas.. Comment il se débrouillait, pour toujours sentir cet espèce de parfum sablé. Sucré.. C’est étrange, non... Ma voix s'éraille.... D'avoir la sensation de respirer de la pomme et de la cannelle alors qu'il fumait toujours les même clopes dégueulasses. Rire qui se brise en petit tessons effilés. Il avait l'art d'habiller les silences, comme s'il connaissait déjà tous les scripts de la vie à l'avance, tu vois le genre? Il.. Il attendait juste que je finisse par comprendre. Pas grave si j'avais l'allure d'un escargot. Sa patience , s'en devenait presque froissant...Son souvenir est tellement intense et douloureux. Mon premier tatouage.... Je déboutonne lentement ma chemise de ma main libre, là où une lumière iridescente pulse, au creux de ma poitrine. A la place du coeur. "Alhabu"... Ça veut dire "amour" en arabe.

Ricanement sans joie, aucune.

- L'ironie...

Sourire misérable.

- Le tien... Qu'est-ce qu'il voulait dire , Amon ?
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Amon El-Hadji
Amon El-Hadji
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J'ai choisi un gagnant. Le Coeur sera l'ultime vainqueur, comme il m'a toujours guidé.
A la sensation des sentiments mêlés, j'en conclue que Nathan a lui aussi choisi ce camp.
J'ignore ce qui nous atteindra au fond de l'océan, mais nous avons plongé dans des abysses beaucoup trop troubles pour nous en tiré indemne.

Je ressens, au plus profond de mon Eau, celle qui perle dans ces yeux trop bleus. Ces émotions à fleur de peau me ravage autant que les vagues qui s'écrasent contre la pierre, l'érodant toujours plus.

Encore.
En écho.


Les battements palpitant glissant dans son sang m'entourent de leur rythme régulier. Ils s'agitent quand ses joues se colorent, quand sa carapace s'effrite. Les vagues deviennent un raz-de-marée.

Mes tatouages brillent. Avides. Curieux. Hypnotisés.

Ils ont trouvé de quoi les rendre fous. Une communion sacrée. Une apnée délicieuse entre le pécheur et l'initié.

J'inspire, lentement, laisse le silence témoigner de l'instant si important que j'en oublierai presque les événements qui l'y ont mené.

Je me perd dans sa fragilité nouvelle, si fébrile, si tendre à appréhender désormais. Nathan n'a plus cette verve d'Arlequin désinvolte. Il y a désormais peinturé sur son visage une frimousse de clown triste et terriblement attendrissant. J'allais presque recueillir ses larmes naissantes du bout d'un doigt compatissant s'il n'avait pas renchérit sur autre chose.

Une autre poésie, qui brille sur son torse.

Mon geste amorcé se stoppe dans les airs. Mon regard ébène prend d'autres reflets face à la lumière. Je fixe le mot gravé dans la peau. Amour. Amir. L'histoire qui l'accompagne me remue avec plus de force. Elle appuie là où la douleur de l'encre magique saigne encore.

Et la question suit.

Celle qui amorce le Terrible.

Mes lèvres tremblent, tressautant de panique. On me l'a déjà demandé. J'ai énormément menti. Le Soleil sur mon plexus, le mot Paix sur ma hanche. Même ma lignée d'élite décrite au creux de mon dos faisait office de palabre suffisante pour les plus crédules.
Mais la vérité... La vérité, je suis obligé de la lui révéler.

Les Eaux ne mentent pas. Les flux croisés se doivent d'être honnêtes l'un envers l'autre. Quand bien même ma voix se meure dans ma bouche, quand bien même mes yeux se parent de picotements indicibles.

Tu veux savoir, cher élève ? Tu veux vraiment le savoir ?

Bien.

« Le... mien... » Sourire amer. Difficulté à respirer. Tout revient comme si je venais de le vivre. « Je ne savais même pas lire lorsque l'on me l'a... arraché. »


[…]

« Naa ?... Tu dors ? »


« … Hm, pas toi ? Qu'est-ce qu'il y a ? »


« Regarde, c'était là en me réveillant tout à l'heure ! Tu sais ce que ça veut dire ? »


« … Amon, couvre-ça. Le montre pas, à personne ! Il faut pas qu'ils le voient, tu m'entends !? »

« Mais... »


« Écoute-moi et fais ce que j'te dis ! Il va- »


« Eh, c'est quoi ce raffut ? Qu'est-ce qui se passe ? »


« … Rien ! Rien, on est juste- »


«  Attends, eh toi, fais voir ça ?... Oh... Oooh... Sa majesté sera ravie. Viens par ici, qu'on lui montre comme tu es beau ! »


« Non ! Arrêtez !! Lâchez-le !! »


« Naa... Nadim !! »


« Laissez-le tranquille !! Je vous en prie, faites pas ça !! »


« Nadim, aide-moi !!! »


« Amon !!! »


[…]

Sursaut. Je prends ma toute première respiration depuis des lustres. Comme pour renaître. Sensation de nouveaux nés au-delà du trauma. Mes tremblements se sont étendus à mes bras. Je veux les arrêter. Un réflexe me pousse à poser ma main libre sur le torse à nu du jeune homme. Une caresse près de l'Amour.

Ce dont j'avais le plus besoin à l'époque.

« … Je ne l'ai plus. » Voix étranglée. Assombri. Je n'ose pas le regarder. Mes yeux ont pris la teinte des maritins blessés : une nuance irisée, hérissé de fureur. « On me l'a pris aussitôt qu'il est apparu. Ce fût... rapide. Mais la douleur... ne s'en va pas. » Je ne peux pas en dire plus. Je ne veux pas en dire plus. Ma terreur sourde s'aveugle d'une colère froide.

Je n'ai pas oublié. Je n'oublierai jamais.

Mes phalanges se rétractent contre son cœur d'enfant. Blanches. Laiteuses. Mon poing s'ourle, prêt à frapper ce qui n'en vaut plus la peine.

« J'ai appris cette calligraphie par cœur. Elle est restée gravée dans ma mémoire. »

Tous les jours, je la voyais. Érigée en tableau de cuir soigné, brossé, aimé. Plus que je ne l'étais moi-même.
Je finis par redresser mes orbes abîmées vers lui. J'ai presque peur d'affronter son expression. Seul son Père sait à quel point j'ai pu en souffrir.

Je t'offre ce souvenir en héritage, jeune homme.
Je partage avec toi cette part d'ombre.
Je n'ai pas de meilleur cadeau, je le crains.


« Je n'ai su que bien plus tard ce qu'elle signifiait... en parcourant des livres d'arabe ancien... »

Soupire. Je retiens avec peine ce voile humide contre mes cils. Et je souris pourtant. De cette façon teintée d'ironie mordante qui ravage ma gorge et mes plaies à vif.

« Al'amal. Espoir. »

Rien ne me le rendra.
Rien ne pourra effacer cela.
Mais je continue de croire, cependant,
Que je ne suis pas condamné à renoncer.

Je prends conscience de l'eau qui goutte. D'un revers de main, je quitte son torse, secoue la tête pour les essuyer. Mes tatouages se sont étendus avec mon récit.

Une protection lovante contre ma peau meurtrie.

« Il... y en a eu beaucoup d'autres, depuis ton premier... ? »
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Nathan Brunelle
Nathan Brunelle
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Sa paume sur mon torse produit une chaleur inattendue. Amon a le regard perdu dans l'abîme. Ses gestes tremblants m'inquiètent. Une angoisse sourde me traverse : peut-être suis-je en train de lui faire du mal, comme avec Amir, de l'affaiblir...? Cette idée me pétrifie.
Les mot s'en viennent de loin, et semblent comme autant de coups portés qui l'empêchent de convenablement respirer. Amon est ébranlé, secoué par la vérité qu'il tente de me livrer avec des mots, alors que je la devine avec nos eaux.

Quelle horreur...

Ma réaction est instinctive. elle obéit à un désir spontané de protéger cet homme, de le soulager de sa peine immense, des sables mouvants de ses souvenirs douloureux. Mes  bras entourent ses frêles épaules. Je le blottis tout contre moi. Sa question se perd dans le creux de mon cou alors je pause une paume rassurante sur sa nuque. Mes rétines s'embuent.

- Amon... Je suis désolé. Tellement désolé. Jamais tu n'auras à revivre ça, je te le promets...

J'ignore pourquoi je profère un tel engagement. C’est d'une naïveté sans nom. Je me sens aussi meurtri et démuni qu'il ne l’est. Et résolument, j'insiste pour pouvoir imposer ma protection puérile. Mes poings n'ont pas plus de puissance que ceux d'un enfant et cependant ils insistent pour défendre ce djinn. Cet homme. Amon est fragile. Millénaire et pourtant cassant comme de la silice muée en verre.

- Merci.. Merci de me confier tout ça. Merci d'enfin t'ouvrir à moi, de me laisser une chance de comprendre. Depuis que je suis arrivé ici j'ai la constante impression d'être repoussé, maintenu à distance. J'.. J'étais en colère, tu sais. J'étais frustré d'avoir fait tout ce chemin, d'avoir abandonné tout ce que j'avais dans la vie pour... Pour me heurter à ton mutisme.

Je prends brusquement conscience de l’effusion de mes gestes, de nos corps pressés l'un contre l'autre, du caractère malséant de tout cela.

- Euuuh...aaah... Je me recule brusquement, cramoisi, les mains en l'air façon "hold-up". Le contact rompu entre nos estuaires me procure un frisson de regret. P... pardon ! Je ne voulais pas... hum... Juste.... Je baisse lentement les bras. Je suis heureux que cette barrière ait disparu, voilà tout.

J'adresse à Amon un sourire sincère qui n'arrange en rien mon sentiment d'avoir toute la peau du visage en feu.

- J'ai plusieurs autres tatouages, oui... J'ai commencé la constitution d'un carnet pour mieux en comprendre la signification. C'est étrange comme jeu de piste : il y a des mots en arabe, parfois en hébreux. J'ai même du tibétain. Il y a parfois des prénoms ou des noms : j'ai une liste de quelques patronymes en vieux françois et j'en ai déduit qu'il s'agissait peut-être de mes ancêtres. Tu as ça aussi ? Des fois ce sont des dessins, des sortes de hiéroglyphes. J'ai identifié du sumérien mais je ne parviens pas à le décrypter. C'est hyper curieux.... J'ai recensé une douzaine de tatouages pour le moment. Leur apparition s’est accélérée depuis que je t'ai rencontré. Je suppose que ma formation faisant appel à mes pouvoirs régulièrement, stimule leur émergence...

Je pose sur lui un regard rêveur.

- Tu dois en avoir des milliers, qui se chevauchent... partout ...
"Bave-lui dessus tant que tu y es..."
- Je peux te montrer les miens si tu veux...
"ta chemise est toujours ouverte..."
- Pas sur moi tout nu, j'veux dire.. ahah... sur mon carnet....
fais-je en froissant pudiquement le col de mon vêtement et en me reboutonnant à la va-vite.
"Idiot..."

Un silence s'effiloche entre nous.

- Amon...est-ce que... Est-ce que tu le prendrais mal si je te demandais une faveur ?
Je prends mon courage à deux main en lui faisant face avec aplomb. J'aimerais... j'aimerais vivre avec toi. Je pense que l'on gagnerait à mieux se connaitre. moi, ça m'aiderait à mieux comprendre, en tous les cas...

Je me sens effroyablement seul à l'Institut. J'ai du mal à me lier avec mes quelques autres camarades. Nous sommes tous des solitaires par dépit, se défiant des autres. Notre nature a impacté nos vie de telle manière qu'il est difficile de se lier. Hui me manque. Ma bande de copains de lycée, aussi.
Ce que nous venons de partager, je ne veux pas le perdre. Je souhaite m'y accrocher de toutes mes forces pour ne pas qu'il fane.

J'en ai besoin.

Et de cette manière, je pourrais aussi veiller sur toi et empêcher Nadim de te faire souffrir. Voilà le résonnement que je ne te livre pas, trop anxieux à l'idée d'encaisser ton refus.
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Amon El-Hadji
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Je n'ai pas senti l'étreinte. Pas tout de suite. Elle s'est muée si naturellement autour de mes soubresauts que je n'ai ressenti sa chaleur qu'au moment où mes mots se sont écrasés contre son corps. Rebond au cœur.
La surprise m'a contenu, mais c'est surtout ce geste qui m'a frappé. Si pur. Si spontané. Si doux.

Je ne m'y attendais vraiment pas.

Et d'instinct, j'ai voulu le rendre, laisser la peine être vaincue par cette si tendre affection. J'ai sans doute pris trop de temps, absorbé par sa déclaration. Ses paroles sont le reflet de son soulagement, de ce pont que nous avons réussi à bâtir ensemble sans en comprendre pleinement encore les fondations. Je sais pourtant qu'il sera diablement robuste.

Quand la gêne le prend et qu'il rompt le lien de sa timidité rougissante, je ne peux m'empêcher de le contempler. Adorable. C'est le premier terme qui me vient.

Je n'en saisis pas encore toute la dangerosité. Ou plutôt, je choisis de ne pas la voir.

Je ne veux regarder que ce jeune homme aux joues rouges qui se calquent au rose des miennes.

« N-Non, je... je t'en prie, ce n'est rien... » Je craque un rire calme, une pointe de nervosité dans la voix cependant. Moi aussi, j'ai envie d'être sincère, d'exprimer mes raisons et mes craintes. « J'en suis... heureux également. Je voulais que nous nous rapprochions sans oser vraiment. Et je prenais tout un tas de mauvais chemins sans savoir comment parvenir à te parler comme aujourd'hui. J'avais conscience de cette distance involontaire... et je m'en voulais de ne savoir comment la briser. Mais il semblerait que ce soit chose faite, maintenant... »

Je souris, véritablement serein. Il s'est passé bien plus en cette matinée qu'au bout de mois entiers d'entraînement et de non-dits. Lâcher-prise s'avère être la plus efficace des leçons. J'en suis l'élève avant l'enseignant.

J'écoute ses dires à propos de ses dessins de vie et m'adosse davantage au plan de travail. Mon passé d'encre disparaît tranquillement de ma peau, déjà estompé au moment où Nathan m'a lâché. Comme si j'avais besoin de plus de preuve pour me convaincre que j'ai besoin – à mon grand dam – de sa présence.

Est-ce que ça aussi, je vais choisir de ne pas l'écouter ?
Hm.
Pointons plutôt du doigt le sujet donné.

Je reprends ma tasse encore fumante avant d'y saisir une gorgée et de poursuivre.

« Chaque tatouage d'un djinn est lié à son histoire. De sa naissance à sa mort. C'est en franchissant diverses étapes de sa vie qu'il parvient à les faire apparaître, bien qu'ils soient comme déjà gravés dans son âme dés le départ. C'est comme soulever la couverture d'un livre pour en dévoiler son contenu. Les miens... je ne les ai pas comptés depuis longtemps, je dois bien te l'avouer. Je crois en posséder environ une centaine, peut-être plus ? Mais effectivement, la plupart sont liés à mes aïeuls et m'ont été transmis, tout comme toi. C'est ainsi qu'en rejoignant ma Caste après des siècles d'errance, j'ai appris que j'étais l'un des derniers représentants de la lignée d'Âdy, une descendante directe du djinn primordial Bahr, le premier des Maritin. Mes parents étaient apparemment de grandes personnalités. Je l'ignorais moi-même. On m'a appris à me lire. »
 
Je repose le breuvage, songeur. Sans Maître Gulzar et les autres, je serais resté un bête ignorant. Une épave vagabonde attendant son heure. Seul. Traître.
Si j'en suis là aujourd'hui, c'est bien grâce à eux.
C'est bien pour cela que je veux transmettre ce que l'on m'a donné.

Un coup d'oeil vers mon protégé. Je pourrais peut-être te les présenter, un jour. Tout mes proches d'antan. Toutes ces coutumes baignées de camphre, de parchemins, de légendes et de soieries.

Je souris. « … J'aimerais bien les voir, les tiens. » Une histoire à arpenter, à découvrir. A admirer. Sur sa tendre p... page de carnet. « Je pourrais même t'aider à en traduire certains, si tu lje souhaites... »

Allons bon. Mon regard se dérobe. Ma voix s'étiole. Est-ce encore un brin de timidité que je sens là ? Eh bien. Je ne me reconnais vraiment plus, ce matin.

Je ne peux même plus mettre ça sur le compte de l'ivresse latente.
Ou alors... elle est d'un autre genre.

Je la sens pourtant me donner des vertiges, soudainement. Au moment où Nathan me pose une question que je sens fatidique à l'orée de sa bouche. Elle perce mon cœur d'un cran bien placé. Je pressens un battement manquer.

Une vague s'écrase, capricieuse et quémandeuse, à la recherche de cette autre Eau. Tout est primaire en moi quand je te vois.

Je marque un temps de réflexion pondérée. Le pour et le contre se chevauche, conscients tout deux de ce que cela pourrait entraîner. Ou pas, peut-être. Le fait est que l'occasion est trop belle, trop vraie, pour ne pas être saisie.

« … Pourquoi pas ? »
Mon ton se fait clair. Je n'hésite pas. « Je n'y vois pas d'inconvénient... et si tu te souviens bien, je te le l'avais même déjà proposé le jour de notre rencontre... » J'ajoute ceci dans un virement un peu taquin, orné d'un sourire en coin qui se mue en ombre fugace. « Je n'ai jamais osé te le redemander... »

J'avais peur.
Peur que tu me détestes.
Peur que tu ne veuilles plus de moi comme professeur. Comme présence.
C'est étrange, n'est-ce pas ?
J'ai traversé les siècles sans gagner une once de confiance en moi.

« Mais... ce serait avec plaisir, Nathan. Vraiment. »

Comme pour corroborer mes dires, j'ai de nouveau cette envie d'un contact entre nous. J'ai bel et bien l'impression que ça va finir par devenir une habitude, pour le meilleur comme pour le pire. Mais tant pis. Ma main vient désormais vers son visage directement, haut perché de son port de tête élégant, et le dos d'un doigt vient rabattre une mèche rebelle, frôlant doucement sa pommette.

Quelle idée. Il a parcouru mon corps en un instant. Mon souffle s'est coupé dans le même temps. Une foudre au cœur.

Torrent puissant.
Ravageur.


Mon Soleil antique pare mon torse, je le sens, tapi sous la laine de mon pull.

Ce n'est que bref, suspendu dans le temps. Une seconde perdue qui ne reviendra pas.

Bien vite j'éloigne mon bras, recule un peu également. Décontenancé. Secoué. Mais toujours souriant. Toujours en émoi.

Devant toi.

« … Voudrais-tu, hem... profiter de cette journée de convalescence alcoolisée de ton directeur pour déménager tes affaires chez lui ? Ce n'est pas très grand, mais tu verras, le quartier est très agréable. »

Continuons. Faisons mine de rien.
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Nathan Brunelle
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Lui comme moi évoluons avec une prudence maladroite sur le verglas. Le dégel est pourtant de rigueur et j'en ressens directement tous les bienfaits. Un soleil radieux réchauffe mes côtes. Je me sens presque crépiter de l'intérieur alors que je ne suis pas un efrit. Sincérité, soulagement, joie timide s’émulsionnent. J'écoute avec un pétillement passionné animant mes rétines, l'histoire au delà de nos tatouages. Il me manque encore tant de données et de paradigmes pour saisir toutes les subtilités de mon héritage. J'ai la certitude, désormais, d'être moins solitaire dans cette quête de soi.

-… J'aimerais bien les voir, les tiens.
- Quand tu veux...,
fais-je avec ce petit sourire qui creuse malgré moi des fossettes sous mes pommettes saillantes. Hui trouve que j'ai un air de perpétuel effronté qui induit en erreur sur mes intentions. Tortillements nerveux de doigts. J'espère que ça n'est pas cela que retient Amon.

... mais qu'il en prend note tout de même.
Paradoxales pensées équidistantes.

- Je pourrais même t'aider à en traduire certains, si tu le souhaites...
- Vraiment , ça.. j'en serais très heureux.


Mon regard tombe sur mes chaussures. Le carrelage est soudain particulièrement fascinant. Je m'arme de courage pour pousser mon audace plus loin. J'attends la réponse, prêt à essuyer un refus bien naturel. Raisonnable.


Raisonné.

… Pourquoi pas ?  Je n'y vois pas d'inconvénient...
- Sérieux ?!
mon regard s’agrandit d'étonnement. Mon rire juvénile débonde brusquement mon appréhension. Celle-ci s'évapore en un instant. Je suis hyper content ! fais-je avec une sincérité qui me prend moi même au dépourvu.
- ...et si tu te souviens bien, je te le l'avais même déjà proposé le jour de notre rencontre... Je n'ai jamais osé te le redemander...
- C'est juste, mais...
Je me frotte la nuque d'embarras. Mais à ce moment là j'avais peur de n'être que de la chair à canon. Je ne voulais pas servir les desseins cachés de mon père, quels qu'ils soient. Il m'a "façonné" pour toi et je ne voulais pas être réduit à cette idée. Mais... je crois que maintenant tu.. hum... Je risque une oeillade vers Amon...Tu me vois pour ce que je suis, enfin j’espère !
-... Ce serait avec plaisir, Nathan. Vraiment.


Une phalange qui m’effleure. Une décharge brusque qui foudroie jusqu'à l'âme. Une vague, un déferlement, une envie de se jeter contre les falaises de sa peau. D'antiques arabesques sillonnent sur ma joue, comme des ronds dans l'eau lisse d'un étang. Je pose un regard fébrile sur lui.
Déglutition.

Je veux savoir sans oser déchirer le voile de non-dit.
Je veux comprendre sans briser cette silencieuse alchimie.

Le trouble d'Amon ne m'échappe pas, comme sa tentative très digne de l'évacuer.

-… Voudrais-tu, hem... profiter de cette journée de convalescence alcoolisée de ton directeur pour déménager tes affaires chez lui ? Ce n'est pas très grand, mais tu verras, le quartier est très agréable.
- Mais très volontiers ! Mon cher directeur aurait-il une voiture pour se faire... ? Je le préviens d'emblée qu'afin de ménager les avaries de son alcoolisme notoire, c'est son élève qui va conduire !
Dis-je avec quelques moulinets cabotin du poignets.

Raccrochons nous aux wagons du déni.
Progressons ensemble vers l'inconnu...

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