La journée est belle, les oiseaux chantent et les militos sont de sortie ! Je crois qu’on est tous franchement soulagés et heureux d’échapper à la routine du quotidien même pour une micro-mission. Moi le premier.
On a étrenné le camion de transport de troupes flambant neuf pour l’occase. On aurait pu y aller à pied mais je n’exclue pas un bobo ou deux au passage et je préfère avoir un véhicule pour ramener les blessés au cas où. Lunettes de soleil sur le pif, c’est moi qui conduis notre joyeuse petite troupe qui chante à tue-tête à l’arrière. Leur doux chant propre à réveiller les morts est sûrement audible à des kilomètres à la ronde. Je souris de temps à autre à Ciulin, assis-e sur le siège passager et ma main vagabonde parfois jusqu'à sa cuisse.

Retrouver un semblant de vie commune avec iel me fait un bien fou. Rien que le fait de m’endormir et de me réveiller à côté d’iel ça me gonfle le cœur comme jamais. Ça m’arrive souvent de lea regarder dormir et juste… respirer.
Bref. Je digresse.

J’immobilise le véhicule non loin de l’entrée principale et tout le monde en descend. Je vois avec un soupçon de fierté que les gars ont repris tout leur sérieux une fois le pied à terre. Enfin presque sérieux. Ils s’harnachent tous du paquetage réglementaire, vérifient leurs armes et la batterie des lunettes infra-rouge.

De mon côté, je suis logé à la même enseigne et je pose un casque sur la tête de Ciulin.
- Désolé pour ta super coiffure amore, mais tu descends pas sans ça. Et t’auras le droit à tes lunettes. C’est un peu bizarre au début mais on s’y fait vite. Je désigne les flingues du menton. Je sais que t’es pas fana d’armes à feu mais si t’en veux une, sers toi !
J’étale ensuite la carte des mines sur le large capot et rameute la troupe d’un sifflement.
On est qu’une dizaine plus Ciulin. La troupe habituelle est là, Devane évidemment, Hailey, O’Shea, Egan, Smithens, et quelques fidèles d’avant en qui j’ai une totale confiance. Je vois briller dans leurs yeux la même excitation teintée de l’envie de se rendre vraiment utile avec un peu d’action.

- Bon les bidasses ! Vous savez tous pourquoi on est là aujourd’hui ! Je leur indique l’entrée choisie du doigt. Petit rappel pour les lents du bulbe. On va pénétrer dans les mines par ici. Y’en encore du vieux matos qui datent certainement et qui doivent trainer dans tous les coins. Evidemment on va pas remettre l’électricité en marche et comme j’ai aucune idée de l’état des échelles, on va y aller en rappel. Egan t’as testé le matériel ?
- Deux fois, Major.
Je peux pas m’empêcher de sourire en entendant son ton super sérieux. Ca les fait de moins en moins marrer de m’appeler comme ça et ça sort plutôt naturellement.
- Super… tu passeras devant comme ça on mettra ça sur ton épitaphe si t’y restes, le taquine Hailey en lui donnant un coup de coude.  
Ça ricane sec et moi aussi pour être franc mais je suis obligé de les rappeler à l’ordre. Parce que c’est mon job maintenant.
- Concentration les gars. Je veux pas de perte. Pigé ? Alors ouvrez vos esgourdes. Une fois en bas, on sait absolument pas ce qu’on va y trouver. Le but est de sécuriser les lieux pour commencer, puis remettre en marche l’exploitation des mines dans un second temps. Y’a encore un max de charbon là-dessous et on va en avoir besoin. Mais aujourd’hui les maitres mots, c’est discrétion, prudence et efficacité. Le premier qui me fait une Pippin aura le droit aux corvées latrines pendant un mois.
- Une Pippin ? répète Hailey perplexe.
Je soupire.
- Sérieux ta culture gé, meuf !
- Tolkien ça te dit rien ? La Moria ? renchérit Devane l’air scandalisé.
- Même moi je connais ! déclare un O’Shea rayonnant de pas être à la ramasse en tant que benjamin de la bande.
- Bon bah t’as gagné Hailey… tu vas te taper douze heures de film en rentrant. Mais pour la faire courte… reste discrète. Bon ça c’est le boulot habituel. Rien de sorcier en somme. La subtilité, c’est qu’on sait pas trop ce qu’on va trouver là-dessous. Il semblerait que ça a été le repaire d’une tripotée de vampires mais que ça a été nettoyé depuis. En théorie. Tout le monde à son chargeur spécial Dents Longues ?
Ça hoche sobrement du chef.
- Qu’est-ce qu’on peut y trouver d’autres ? demande Devane et on se tourne tout d'un commun accord vers Ciulin.  

The monotony
And the rising tide
Is under my skin, is crawling inside
Adrenaline to rewire my mind
I'm only human, I come with knives

La perspective d'action rend mon Major euphorique. Je le regarde, lunettes de soleil sur le pif, l'admirant claironner des ordres et bouger massivement des culs. L'autorité a quelque chose de sexy, surtout quand je superpose ses éclats de voix virils à ses envolées lyriques orgasmiques. Je me mordille la lippe avec envie.
Retiens-toi, Ciu, t'es pas en pique-nique-baise !
Un peu de sérieux !
Quelque part, j'ai plaisir à retrouver la fine équipe de mon chéri, prêts en s'enjailler dans la gadoue et les vieilles pierres. Certains manquent à l'appel -perdus dans le Brouillard- mais de nouvelles têtes se sont ajoutées à la file indienne, comme le mignon asiat tatoué à la coupe pas franchement réglementaire.

On roule donc, cheveux au vent, trop peu de temps à mon gout. Même pas moyen de flirter avec la cuisse du conducteur que nous voilà arrivés aux mines. Tout le monde saute du camion et s'harnache pendant que je les matte, adossé-e au capot, pépouze, mains dans les poches, avec l'envie de cloper qui me démange. Caleb fait tomber un machin lourd comme un parpaing sur mon crâne.

- Putain ! C'quoi c'truc !? que je m'insurge en retirant le bouzin.
- Désolé pour ta super coiffure amore, mais tu descends pas sans ça.
- Ca bute mon swag salement...
- Et t’auras le droit à tes lunettes.
- Les infrarouges ? Les bidules technos qu' tu veux jamais que j'tripote ? Le casque antiglam peut pas être juste en option ?
- C’est un peu bizarre au début mais on s’y fait vite. Je sais que t’es pas fana d’armes à feu mais si t’en veux une, sers toi !
- Non merci, pas b'soin. J'ai ma machette.

J'écoute le brief d'une oreille que j'essaie de rendre attentive malgré tout. Perso, j'ai toujours agit seul-e et à l'instinct. Là, il est pas question uniquement de mon derche : je dois assurer les arrières d'une dizaine de gugus fraichement initiés au surnat. Pas de pression, hein ! (Je check discrètement ma prise d'anti-dépresseur. Je n'ai pas raté la prise du matin. Je serais bientôt à cour de venlafaxine. L'avatarisation ne soigne pas la dépression semble-t-il. Le sevrage va être un peu dur.)

-... Le premier qui me fait une Pippin aura le droit aux corvées latrines pendant un mois.
- Une Pippin ?
- Sérieux ta culture gé, meuf !
- Tolkien ça te dit rien ? La Moria ?
- Même moi je connais !
- Vas pas m'dire que t'as pas vu un seul des films de Peter Jackson, Blondie ?!
- Bon bah t’as gagné Hailey… tu vas te taper douze heures de film en rentrant.
- J'espère que t'auras les director's cut, parce que sinon, tu vas rien capter, s'amuse Mignon-Asiat dont j'ai toujours pas le nom, avec un petit sourire en coin.
- Mais pour la faire courte… reste discrète. Bon ça c’est le boulot habituel. Rien de sorcier en somme. La subtilité, c’est qu’on sait pas trop ce qu’on va trouver là-dessous. Il semblerait que ça a été le repaire d’une tripotée de vampires mais que ça a été nettoyé depuis. En théorie. Tout le monde à son chargeur spécial Dents Longues ?

Quelle belle brochette de têtes qui s'agitent en chœur dans le même sens. La jolie mélodie de l'obéissance. Kaelig aurait kiffé à l'époque des Sang-Coureurs.

- Qu’est-ce qu’on peut y trouver d’autres ?

Et c'est avec cette même fabuleuse synchronisation que tout ce petit monde pivote vers moi.

- Euh..... Eloquence au max. J'adore être pris-e de court.... J'en sais foutre rien, les gars. Dans la mesure ou notre monde a commencé à merge avec celui de la Faërie, il est possible qu'on trouve des créatures complétement barrées là dessous : des nains, des trolls, des hobbits... Pour ce que j'en sais ! Ce qui est certain c'est qu'le deal mis en place oblige le p'tit peuple à ne pas nous agresser. Par contre pas impossible qu'en échange de fouiller sur leur territoire on soit obliger de "payer" un genre de taxe de passage, v'voyez ? Genre, un exemple... Mon oncle quand y va pêcher y d'mande la permission à une sirène si y peut prélever du poiscaille. Et elle lui d'mande un truc en échange.
- Du troc ? fait Mignon-Asiat-Sans-Nom. On aurait peut-être dû préparer de quoi en avance. Il demande quoi en échange ?
- La subtilité c'est qu'il est impossible de savoir à l'avance quel "truc" et qu'si tu formules mal ta d'mande, ben... ça peut se retourner contre ta pomme vénère. Bref... On va la faire simple : peuplade autochtone, vous la bouclez c'est moi qui cause. ça vous va comme ça ?

Le discours de Ciulin n’est pas franchement rassurant sans être alarmiste non plus. Il est juste franc. Mais je vois bien les coups d’œil que s’échangent les gars. Je hausse donc les épaules et conclue nonchalamment.
- Bon bah ça changera pas beaucoup de d’habitude, hein…on va le faire au feeling et être prudents. L’improvisation c’est notre truc ! On va partir du principe qu’on s’attend à tout surtout à l’improbable.
- Bref... On va la faire simple : peuplade autochtone, vous la bouclez c'est moi qui cause. Ça vous va comme ça ?
- Si Capo, je fais avec mon meilleur accent italien et un clin d’œil pas très professionnel, c’est vrai que t’es pas mal doué.e en langue. Et puis nous on est un peu du genre à tirer d’abord et à causer après alors…
Je suis nerveux et quand je le suis, je dis de la merde ! Cela dit, si j’en crois les ricanements qui suivent ma remarque, je suis pas le seul. En même temps c’est notre première intervention sur le terrain depuis le Brouillard. Je reprends des airs plus « majorables » avant de conclure.
- On joue pas les héros, on ouvre ses sens et ses chakras et si vous voyez un truc qui sort de l’ordinaire vous transmettez. Ne tirez qu’en cas de danger immédiat. Je vous fais confiance pour pas foutre la honte à toute l’Humanité.

J’organise notre équipe et entend agréablement raisonner des « Oui Major ! ». Derniers préparatifs et je me tourne vers Ciulin. Je sais que c’est pas son truc de travailler en équipe et que ça lui demande sans doute des efforts.

- Ce qu’on fait là, tu te dis peut-être que c’est inutile mais c’est important pour nous. Et je sais que t'es pas fan du boulot en équipe. Merci d’être là, Ciu, je déclare le plus sérieux du monde. Je lui cale les lunettes sur le casque. Les allume pas avant d’être à l’intérieur et dès que tu vois une forte source de lumière tu les éteints fissa sinon ça risque d’abimer tes cornées et tu vas finir ébloui.e quelques minutes.
Je lui décoche un dernier baiser, pas du tout réglementaire, avant le départ, sous les sifflets des gars à qui j’offre mon majeur bien haut sans me détacher de la bouche de Ciulin tout de suite.
- Fais attention à ton joli p’tit cul, je lui souffle avant de tonner vers mon unité du jour un, Départ dans cinq minutes.

J’aide à décharger le matériel d’escalade et on enfile tous un harnais. Avant de partir je m’approche de Gi-Ja.
- Hey caporal ! Tout roule pour toi ? T’as ton matos de prêt au cas où ? Tu seras notre joker suivant ce qu’on trouve là-dessous. Pas de pression hein…
Il a le droit à un clin d’œil lui aussi avant qu’on se mette en position. Chacun connait sa place et on avance presque d’un même pas. C’est Ciulin et moi qui menons la marche. On pénètre dans la grotte dont l’ouverte avait été bouchée par de vulgaires morceaux de bois cloués. Mais quelqu’un ou quelque chose plutôt, les avaient violemment arrachés, créant un passage assez large pour deux. Le boyau dans lequel on débouche est peu large mais assez haut pour qu’on se tienne debout sans problème.

Rapidement, le chemin descend et après un premier embranchement, on se retrouve dans le noir le plus complet. Très léger sifflement et tout le monde allume ses lunettes. On met tous quelques secondes à se faire à notre nouvelle vue infrarouge. On avance vite, les mains sur notre Steyr AUG, prêt à dégainer au moindre mouvement suspect. Des vieux débris jonchent le sol ici et là, des trucs qui datent sans doute des premières exploitations de la mine au siècle dernière (oui j’ai fait mes recherches.) On arrive finalement à un lieu plus large avec des tas de casiers vieux et rouillées, des vieux casques au sol, des tables avec des gamelles, et un bureau ouvert ou est accroché une pointeuse.

Au fond un vieil ascenseur nous attend. Quelques gestes secs et brefs pour rassembler tout le monde.
- Bon on a l’air d’être seuls à ce niveau, va falloir qu’on descende plus profond… Au travail.
Comme des petites fourmis besogneuses, les gars s’occupent d’ouvrir les portes closes de l’ascenseur qui grincent en me faisant grimacer.
- Merde ! Doucement avec ce boucan ! je siffle entre mes dents.
- Ouais bah j’aimerais t’y voir. Ces trucs sont pourris.
Quelques curieux, dont moi, regardons vers le gouffre noir qui s’ouvre à nos pieds.
- Cool, chuchote Hailey.
Une fusée de détresse est allumée et lâchée dedans. J’observe sa chute de quelques mètres avant de s’écraser sur la pauvre cabine de l’ascenseur éclaté au sol plusieurs niveaux en dessous.
- Des volontaires pour jouer les éclaireurs ? je balance nonchalamment. Sinon j'y vais.

And when they all were seated,
A Service, like a Drum -
Kept beating - beating - till I thought
My mind was going numb -

Gi-Ja observe ses -nouveaux- camarades de mission. A part lors des séances d'entrainement avec les Dragons d'Emeraude, il n'a jamais vraiment eu l'occasion de partir avec sa troupe sur le terrain. Comme souvent -toujours - il ne se sent pas à sa place parmi eux. Cette escouade là a une mécanique déjà bien huilée, forgée par l'expérience, l'amitié, les galères ou les victoires. Il est une greffe qui n'a pas encore prise. Il donne habilement le change, se coulant malgré tout dans les pompes du bizu. Il subit les blagues et les sobriquets avec son éternel sourire, un peu niais, de gendre idéal. Il trouve ça plutôt ironique que le Major lui prête des vertus comme le calme et la solidité alors qu'il a l'impression de s'effriter de l'intérieur.

Caleb Jenson est un drôle de gars, un livre ouvert, entier et sans concession. Il l'a vu pleurer, s'énerver ou rire avec toujours la même ébullition, sans la moindre honte ni retenu. Fascinant. C'est sans doute pour cela qu'il est tombé sous le charme. Gi-Ja s'est même pris à fabuler que, sur un malentendu, les circonstances apocalyptiques aidant, il pourrait peut-être le consoler de la perte de cette fameuse "Ciulin", le grand amour de sa vie. ( Rien que l'emploi de cette expression lui parait abscons. "Le Grand Amour d'une vie". Tant de mots aliens pour lui.) Des élucubrations idiotes : il est de notoriété publique que le bonhomme est hétéro jusqu'au bout de la queue.
Lorsque "la" fameuse Ciulin est reparue, fraiche et vivante, le Caporal Cosgrave s'est rendu compte qu'il s'agissait d'un garçon. Une sorte de gouffre abyssal s'est ouvert sous ses pieds, aspirant les maigres espoirs qu'il entretenait pour se tenir chaud. Histoire d'enfoncer le clou, il s'est forcé à écouter la symphonie de cris et de soupirs de leurs retrouvailles, en fumant une cigarette juste sous leur fenêtre. Ca, c'est tout ce qu'il ne pourrait jamais obtenir. Une piqûre de rappel était forcément nécessaire. Hailey était venue le rejoindre pour partager une clope avec lui.

- Ca va ?
Il s'était tournée vers elle avec un de ses rictus factices, automatique. Il avait feint la surprise.
- Oui, pourquoi ça irait pas ?
- Pour rien.

Il avait su à son expression qu'elle n'était pas dupe. Une fille dangereuse cette Hailey, qu'il s'appliquait désormais à fuir. Les jours s'étaient de nouveau égrainés, le suivant ressemblant un peu plus au précédent, et Gi-Ja avait retrouvé sa platitude émotionnelle coutumière.

- Bref... On va la faire simple : peuplade autochtone, vous la bouclez c'est moi qui cause. Ça vous va comme ça ?
- Si Capo ! C’est vrai que t’es pas mal doué.e en langue. Et puis nous on est un peu du genre à tirer d’abord et à causer après alors…

Gi-Ja baisse les yeux lorsque le couple s'embrasse. Il ne s'y fera jamais vraiment, à toute cette liberté, à tout cet amour débordant. Parfois, il se demande ce que cela ferait si il y avait droit, à ces marques d'affection publiques, à ces œillades pétillantes de bonheur, et puis, il se rappelle qu'il est inutile de se poser la question : il ne dispose pas du choix.

- Hey caporal ! Tout roule pour toi ?
- Oui, Major. Sourire réflexe du bon gars.
- T’as ton matos de prêt au cas où ?
- Toujours...
- Tu seras notre joker suivant ce qu’on trouve là-dessous. Pas de pression hein…
Haussement d'épaules débonnaire.
- Jamais Major. Ce serait trop bête de passer à côté de l'opportunité de faire péter des trucs...

Sa bouche rebique dans un coin. C'est à peu près sa seule joie dans la vie avec la cuisine et Pati, sa chienne. Ils s'élancent donc dans le boyau de la mine. C'est étroit et son casque manque de râcler le plafond. L'ascenseur est une antiquité qu'on a jamais pris le temps d'huiler au fil des décennies d'abandon et la plateforme intérieure est absente. Gi-Ja craque une fusée éclairante et la jette dans les profondeurs insondables de la terre. Constatation faite : ils n'useront pas de ce moyen pour descendre.

- Des volontaires pour jouer les éclaireurs ? Sinon j'y vais.
- Pas besoin.

Le Caporal Cosgrave est déjà en train de préparer la corde et les mousquetons pour descendre. Bon petit soldat obeissant. La vérité c'est qu'il n'a pas envie de côtoyer Ciulin plus que de raison et que, peut-être, sur un malentendu, il se fera bouffer par un truc ou écrasé sous un éboulis en bas. Dans les films d'horreur, c'est celui qui s'éloigne du groupe qui se fait crever en premier.

- Des volontaires pour jouer les éclaireurs ? Sinon j'y vais.
- Pas besoin.

Je le regarde commencer à s’harnacher pour le grand saut et lève les mains.
- Wow, wow ! Attends un peu !

Je me place devant lui et teste machinalement la solidité des mousquetons. Que moi j’aille me casser la gueule dans le gouffre sans fond je m’en balance, mais envoyer l’un de mes gars là-dedans ça me fiche soudain une trouille sans nom.

Ouep. Un vrai papa poule. C’est ridicule…

Mais c’est ça aussi d’être Major. Envoyer ses gars sur le terrain en les préparant au max sans savoir s’ils vont survivre. Pour moi aussi c’est l’épreuve du feu…Et je ressens chacune de mes décisions comme des petits poids sur mes épaules que je redresse machinalement.
Je prends une profonde inspiration et le fixe dans les yeux une fois certain que l’équipement est en place et en bon état.

- Je sais que ça va bien se passer mais je préfère me répéter. On joue pas les héros, Caporal. Tu sais quoi faire si tu repères une saleté de vilain Dracula hein ? On sera avec toi de toute façon. Pas après pas. Egan ? La caméra de Cosgrave c’est ok ?
- Ouep Major, je vois ta tronche en 4k.
- P’tit veinard ! Je reviens à Cosgrave. Dès que t’as pu établir un périmètre on te rejoint là-dedans. Canal 7 pour la communication. Test ? … ça m’air l’air bon aussi. Si ça craint, tu nous le dis et on te remonte fissa. Prêt ? Je lui donne une légère tape dans le dos et lui offre un sourire. Allez, file ma caille où je vais vouloir venir avec toi. Sergent Devane, ça en est où ?
- Equipement sécurisé et mis en place, Major.

Je m’approche du trou pendant que Cosgrave commence à descendre et disparait de plus en plus. Ma jambe s’agite toute seule. Je suis trop nerveux ! Bordel c’est juste un trou Jenson !
Dans une grotte où y’avait des vampires… tout va bien donc ! Je croise brièvement le regard de Ciulin et y puise de la détermination. Moi aussi faut que je me montre à la hauteur pour eux.
- Cosgrave ! Crève pas, sinon je viendrais personnellement te botter le cul aux Enfers avant de le ramèner ici. Capito ?
Lorsqu’il disparait totalement, je m’approche du pc qui nous montre tout ce que capte sa caméra infrarouge.

- Les autres préparez-vous à descendre à mon commandement. J’enclenche la liaison de mon micro. Bon tu sais que t’a rien à craindre… normalement c’est les blacks qui crèvent en premier dans les films d’horreur.
- Hey ! proteste Egan.
- Quoi ? Soit content de pas être à sa place. T’as déjà vu le film The Descent, Cosgrave ? Sinon faut qu’on te montre ça un de ces quatre. Un petit bijou de spéléologie horrifique.
Bras croisés, jambes bien plantées au sol, je fixe l’écran mais me tais soudain lorsqu’il pose le pied sur du solide. Enfin c’est ce que j’espère. Machinalement, on retient tous notre souffle.

- Wow, wow ! Attends un peu !

Gi-Ja le contemple avec une expression étonnée qui se réchauffe lorsque le Major vient vérifier son équipement. Il ne peut s'empêcher de le couver d'une oeillade affectueuse en le voyant s'acharner sur les mousquetons et les sangles.

- Tout ira bien, Major, lui glisse-t-il d'un voix douce. Je n'en suis pas à ma première descente en rappel.
- Je sais que ça va bien se passer mais je préfère me répéter. On joue pas les héros, Caporal.
- Oui, Major.
- Tu sais quoi faire si tu repères une saleté de vilain Dracula hein ?

Son sourire s'accentue et laisse filtrer une tendresse un peu trop palpable. Il est si prêt que lui aussi pourrait lui voler un baiser.

- Oui, Major.

Pensée stupide et inappropriée.
Ga-Ji sent le regard pointu de Hailey lui chatouiller la nuque, même dans le noir. Pire, il note que Ciulin le fixe avec un étrange petit sourire. Le caporale se raidit aussitôt et retrouve une attitude neutre et concentrée.

- On sera avec toi de toute façon. Pas après pas. Le Caporal hoche la tête sobrement. Egan ? La caméra de Cosgrave c’est ok ?
- Ouep Major, je vois ta tronche en 4k.
- P’tit veinard ! Dès que t’as pu établir un périmètre on te rejoint là-dedans.
- Ok.
- Canal 7 pour la communication. Test ?
- Mission Blanche-Neige, Caporal Cosgrave au rapport. Lâche l'artificier, faisant glousser quelques autres soldats.
-… ça m’air l’air bon aussi. Si ça craint, tu nous le dis et on te remonte fissa.
- Bien, Major.
- Prêt ?
- Toujours...
- Allez, file ma caille où je vais vouloir venir avec toi. L'éclaireur volontaire lui rend un sourire bien moins beau que le sien. Sergent Devane, ça en est où ?
- Equipement sécurisé et mis en place, Major.
- Parfait ! J'y vais.

Ga-Ji entame sa progression avec prudence et dextérité. Il ne fait pas mentir son CV. Il est vraiment bon dans tout ce qu'il entreprend. Mais cela ne semble pas rassurer leur Major-Poule.

- Cosgrave ! Crève pas, sinon je viendrais personnellement te botter le cul aux Enfers avant de le ramener ici. Capito ?
- 약속 * , rétorque -t-il en coréen, comme cela lui arrive parfois quand Caleb jongle avec l'italien. C'est presque devenu un jeu entre eux.

A présent le voilà dans le noir total. Ses lunettes infrarouge colorent sa vision d'un voile verdâtre. Inutile de brancher la thermographie pour le moment, il n'y a pas âme qui vive dans ce goulot : pas même des mulots ou des chauve-souris. Ce qui, en soit n'annonce rien de bon.

- T’as déjà vu le film The Descent, Cosgrave ?
- Nope.
- Sinon faut qu’on te montre ça un de ces quatre. Un petit bijou de spéléologie horrifique.
- On a qu'a enchainer ça après les 12h de Seigneur des Anneaux d'Hailey, ça la réveillera.

Le soldat pose pied à terre pour confirmer que la cabine de l'ascenseur s'est bien crachée au fond du gouffre. De toute évidence, on l'a faite exploser.

- Cosgrave à Base Alpha. Je suis bien arrivé en bas. L'ascenseur a été vraisemblablement dynamité. Il fait un tour sur lui même pour offrir une vision panoramique de la cavité. Pas de trace de Draculas en vue. Il y a deux entrées de galerie visibles : une bouchée par un éboulis à l'est, une autre qui parait praticable à l'ouest et qui est munit d'un rail pour chariot à minerai... Il y a l'air d'avoir des traces de sang un peu partout. Si c'était un nid de vampire, ça peut s'expliquer. En tous les cas je ne vois pas de cadavres.

L'artificier plante un piquet muni de capteurs dans le sol pour faciliter la transmission du signal.

- Je m'avance dans la galerie ouest en suivant le rail, annonce-t-il avant de joindre le geste à la parole. La galerie a un sol en pente légère qui semble descendre un peu plus profondément dans les souterrains....  Il pivote de temps à autre pour faire constater aux autres que la plupart des boyaux creusés par les mineurs ont été condamnés par des planches avec des têtes de mort peinte en blanc dessus. Hé bien... Je ne sais pas ce qui a pu se passer ici, mais ce n'est clairement pas de la déco d'Halloween.

Après un certain temps, la structure de la galerie se fait plus chaotiques. Il y a de moins en moins de poutre pour soutenir les voies et Ga-Ji est obligé de progresser quasiment plié en deux.

- J'ai l'impression que les mineur sont pas allés plus loin... Tiens, la pierre a changé de couleur, elle est... vachement plus sombre, On dirait presque comme...
- De l'Onyx ? crachote la voix de Ciulin dans sa radio.
- Oui, c'est ce que j'allais dire.
- Ne va pas plus loin ! fait vivement lea roumain-e. Ca ressemble un peu trop à la matière dont est construit le Palais d'Emeraude. J'aime pas ça.
- C'est un ordre Major ? claque Ga-Ji un poil pincé par cette intrusion tout en continuant à avancer. Je dois faire halte ?

Au moment où il prononce ces mots, il se sent glisser sur une surface vermoulus et perd l'équilibre. Il culbute dans une fissure dans laquelle il dégringole en chute libre. L'objectif de la caméra s'écrase quand la tête de l'artificier valdingue contre la paroi sombre. Ses équipiers perdent alors à la fois le son et l'image.

*(Yagsog= "Promis")

- Cosgrave à Base Alpha. Je suis bien arrivé en bas. L'ascenseur a été vraisemblablement dynamité.

Je jette un coup d’œil à Devane et Ciulin. Est-ce que les ouvriers ont fait ça pour empêcher des trucs à dents longues de remonter ? Je me penche pour mieux voir chaque détail sur l’écran.
- Pas de trace de Draculas en vue.
- Pour l’instant. On reste sur ses gardes, Caporal. Fais-nous un petit tour du propriétaire, tu veux ?
- Il y a deux entrées de galerie visibles : une bouchée par un éboulis à l'est, une autre qui parait praticable à l'ouest et qui est munit d'un rail pour chariot à minerait... Il y a l'air d'avoir des traces de sang un peu partout. Si c'était un nid de vampire, ça peut s'expliquer.
- Tout juste. Ils mangent salement.
- En tous les cas je ne vois pas de cadavres.
- J’imagine que c’est pas hyper Feng Shui… on peut clairement entendre mon sourire dans ma voix. Quelle voix te parait la plus sûre ?
- Je m'avance dans la galerie ouest en suivant le rail. La galerie a un sol en pente légère qui semble descendre un peu plus profondément dans les souterrains.
- Bon choix.
Je martyrise carrément le bois de la chaise sur laquelle Egan est assis alors que je note avec un certain scepticisme les têtes de mort un peu partout.
- Hé bien... Je ne sais pas ce qui a pu se passer ici, mais ce n'est clairement pas de la déco d'Halloween.
- Dans le doute reste loin de ces machins.

La progression de Cosgrave se fait plus laborieuse mais le mec reste d’un calme et d’un professionnalisme à tout épreuve. Meilleure recrue que j’ai faite pour cette unité. Vraiment.
- Ca va toujours, Caporal ?
- J'ai l'impression que les mineurs sont pas allés plus loin...
Je me penche encore, le menton presque sur l’épaule d’Egan.
- Bon… on plonge dans l’inconnu alors. Dans ce cas…
J’allais lui dire de revenir sur ses pas, mais il me coupe en notant une particularité nouvelle du boyau dans lequel il est.
- Tiens, la pierre a changé de couleur, elle est... vachement plus sombre, On dirait presque comme...
- De l'Onyx ? intervient Ciulin. Je lea regarde, tendu soudain. Je connais cette inflexion dans sa voix et j’aime pas particulièrement ça.
- Oui, c'est ce que j'allais dire.
- Ne va pas plus loin ! Ça ressemble un peu trop à la matière dont est construit le Palais d'Emeraude. J'aime pas ça.
- C'est un ordre Major ? Je dois faire halte ?
Je consulte à nouveau Ciulin du regard. D’un côté, j’ai terriblement envie de savoir ce qui se trouve là, mais de l’autre je fais confiance à l’instinct de Ciulin et j’ai aucune envie de mettre Cosgrave en danger.
- Demi-tour, caporal. C’est un ordre.

Et puis soudain, c’est le bordel. Cosgrave glisse ou tombe, j’en aucune foutue idée de ce qu’il se passe mais on perd tout contact visuel avec lui. La peur et l’inquiétude me ronge les tripes et je beugle dans le micro.
- Cosgrave ? Bordel de merde, réponds ! Gi-Ja !!!
Je me précipite vers le premier harnais que je trouve et l’enfile aussi vite que possible.
- J’y vais. Faites moi descendre.
- Major je…
- Non ! Y’a pas de major qui tienne. Doc tu viens aussi ! Ciulin en piste.
Je demande l’avis de personne, faut que j’agisse ou je vais devenir dingue de pas savoir ce qu’il se passe et comment va mon gars.

*****

Le caporal vient de tomber dans une grande cavité, haute de trois mètres environs. Les murs en onyx sont gravés de runes étranges, comme des sortes de coups de griffes mais en plus élaborés et fins et des dessins qui représentent des créatures gigantesques aux ailes membraneuses et d’envergure impressionnante qui luisent doucement dans l’obscurité ambiante.
Le sol est d’une régularité et d’un lisse peu naturel. Au centre se trouve quelques marches qui mènent à un autel gravé lui aussi. Sur celui-ci se trouve une sorte de gisant de plus de deux mètres, habillé comme un monarque d’un autre monde ou tout droit venu du Moyen-Age.
Son visage ciselé dans la pierre est d’une telle finesse jusque dans les imperfections de ses traits qu’on pourrait croire qu’il a été coulé à partir d’un être vivant. Ses mains jointes sur le torse tiennent un étrange caillou.
Il est entouré de ce qui ressemblent à des œufs énormes et écailleux, d’un gris terne pour certains, ouverts pour d’autres. Aux quatre coins des marches, subsistent des bougies à moitié consumées. Malgré la profondeur de cette cavité, l’air ambiant est chaud, d’une chaleur réconfortante, comme un coin d’un bon feu.
Hormis le trou dans lequel le caporal a glissé, il ne semble y avoir aucune entrée, ni aucune sortie.
Paisible, la statue de pierre d’un gris profond ne semble pas perturbée par cette arrivée assourdissante dans le silence qui a été sa compagne pendant de longues années.  

Gi-Ja émerge péniblement des décombres, qui, au toucher ressemble à d'espèce d'énorme galets avec de drôle d'aspérités. Il n'arrive pas à visualiser l'endroit où il est tombé. Ses lunettes infrarouge se sont sans doute abîmées lors de la chute. Il y a quelque chose de poisseux qui lui coule sur la tempe, sa caboche le lance un peu, mais il ne sent de douleur nulle part ailleurs. Il bouge prudemment ses bras et ses jambes. Toujours pas de douleurs particulières. Il a l'air en un seul morceau. C'est toujours ça de pris.
Il est primordial qu'il parvienne à recouvrir la vue à présent. Il tâtonne son paquetage en quête de sa lampe torche de secours. Il la sent sous ses doigts et sa lumière lui procure un profond soulagement. Il dénoue la sangle de son casque et retire protection comme lunettes. La caméra est morte.

- Merde !

Aussitôt, le Caporal s'inquiète pour sa radio. Lampe torche coincée entre les dents, il fait un rapide état des lieux des dégâts. Heureusement que ses connaissances en électronique ne servent pas qu'à bricoler des explosifs. Il parvient à remettre le talkie en marche et celui-ci crachote par intermittence alors qu'il essaie d'attraper le bon canal.

- Caporal Cosgrave à Base Alpha. Une, deux. Cosgrave à Base Alpha. Vous me recevez ?

Rien à par le frétillement de la neige audio. Elle devrait fonctionner pourtant !

- Major ? Je suis en vie ! Vous me recevez ?

Toujours la friture au bout de la ligne.

- Fait chier.

Gi-Ja ne panique pas pour autant, malgré la déconvenue. Il est trop habitué à se contrôler pour se laisser aller. Il fouille dans son sac à la recherche de la lanterne rétractable afin d'avoir une meilleure vue d'ensemble de l'endroit où il se trouve. Il manque de perde la lampe torche toujours calée dans sa bouche lorsqu'il le découvre. L'endroit est à couper le souffle. Il semble être dans une sorte de caveau et ce qu'il a pris pour des galets a d'avantage l'apparence d'œufs. "Des oeufs de dragon" pense-t-il avec un pouffement nerveux. Il déglutit. Ce ne peut pas être ça, tout de même ?
Prudemment, le soldat s'approche de la tombe et éclaire les traits du gisant taillé dans le simili-onyx. Incroyable. La taille de la sculpture est confondante de précision. On croirait presque qu'elle est vraie. Gi-Ja se penche vers ce visage digne et inexplicablement triste. Il ne peut s'empêcher de tendre les doigts vers ce tarin royal pour en effleurer les contours.

- Qui es-tu beau Dormeur... ? souffle-t-il fasciné. Un prince dragon ? Un roi-fae ? Un chevalier maudit ? Si seulement tu pouvais parler, tu pourrais me dévoiler tes secrets... et la porte de sortie, accessoirement.

Après une poignée de minutes de contemplation béate, l'artificier se secoue et décide de vérifier s'il ne peut pas remonter vers la fissure mais les parois scarifiées de runes mystérieuses ne laissent aucune prise pour grimper et la brèche est hors de portée sans un grappin à propulsion. Le jeune métisse retourne s'asseoir sur le rebord de la stèle funéraire pour réfléchir.

- La radio ne passe pas. La caméra est aux fraises, j'ai pas de quoi planter un piquet.... Comment signaler ma présence dans ce trou ? Il se tourne vers la statue. Une idée l'ami ? Non...? Je m'en doutais... Je dois toujours me démerder tout seul in fine.

Il a beau se triturer les méninges : rester ici à attendre les secours demeure sans doute la meilleure des options. Il ne sait pas si il aura assez d'oxygène durant cette attente. Il ne sait même pas à quel profondeur il se trouve. Gi-Ja ferme les yeux et s'agrippe l'arrière du crâne à deux mains en soupirant.

Il a besoin d'une cigarette.

Il extirpe un paquet usé jusqu'à la lie d'une de ses poches où deux cigarettes rabougries se battent en duel. Il les a économisées aussi longtemps qu'il a pu. Son briquet n'a plus d'essence depuis quelques semaines, déjà, alors il opte pour les dernières allumettes de sa réserve. Il la craque sur le nez du gisant qui produit quelques petites étincelles et grille sa clope. Alors qu'il s'apprête à secouer l'allumette pour l'éteindre, le geste trop ample lui fait lâcher la petite flamme qui vient se consumer sur les lèvres du mort.

- Désolé! s'excuse Cosgrave par réflexe, la politesse chevillée au corps.

Sitôt la flamme touche-t-elle le gisant qu’elle est comme absorbée.
Pendant quelques secondes, il ne se passe rien.
Puis l’onyx se colore très légèrement de rouge au niveau de sa bouche, le rougeoiement descend le long de son cou, sa gorge et bifurque brutalement là où devrait se trouver son cœur. La lueur s’intensifie comme un petit soleil puis disparait brutalement.

Le sol se met à gronder et l’autel se fendille, barrant d’une fissure chaque rune qui s’y trouve. Le torse du gisant prend soudain feu. Celui-ci le dévore goulument, avalant sa silhouette toute entière. Les flammes grimpent haut et semblent gagner en intensité. On pourrait croire à la crémation d’un ancien guerrier.

L’onyx se réchauffe petit à petit et perd de sa noirceur alors que toutes les runes de la grotte s’illuminent. La chaleur y est difficilement supportable à présent. Les mains du gisant se crispent, ses yeux s’ouvrent soudain sur deux iris ambrés alors que les flammes diminuent doucement, pénétrant dans le corps de l’ancienne statue. L’homme prend une douloureuse respiration. Le feu a à peine disparu qu’il s’est redressé.
Il contemple ses mains qu’il bouge devant lui, touche son visage. Il jette un œil aux runes qui brillent toujours sur les murs et à l’autel craquelé.

- Non… Je suis éveillé…
Il porte une paume à sa poitrine et ploie vers l’avant comme si l’organe qui s'y trouve pesait trop lourd pour lui. Ses doigts se crispent et il sert les dents en ressentant la douleur toujours aussi vive d’une perte inimaginable. Il presse le caillou sans vie, tout ce qu'il reste de sa reine, contre lui mais évidemment, il ne perçoit plus rien. Leur lien est bel et bien brisé à jamais. Et son cœur lui fait mal comme un membre fantôme.
Le prince dragon déchu fraîchement réveillé se tourne soudain vers … son odorat lui indique un humain. Il glisse au sol et se dresse de toute sa royale hauteur. Imposant, charismatique… et un peu perdu. Ses yeux reflètent toujours les flammes qu’il a consumé mais il semble plus désespéré qu’en colère.
- Pourquoi m’as-tu sorti de mon sommeil ?
Néanmoins, ne sachant ni dans quelle temporalité il se trouve, ni devant qui, il choisit la prudence.
- Zahkrii Aak.

Ses doigts se referment sur la garde de sa fidèle lame, assez longue pour frôler le sol alors qu’il ne quitte pas l’humain du regard. Il ne se met pas en position d’attaque mais son corps exprime clairement qu’il est prêt à se battre au moindre mouvement.
Quelque chose attire son attention ailleurs. Une brèche dans le mur derrière la silhouette humaine, légèrement en hauteur. Un boyau presque assez grand pour y faire passer l’humain qu’il scrute ensuite plus attentivement. Il sent le sang, c’est donc qu’il s’est blessé en arrivant ici. Oui à la tête. Il le voit à présent. En recoupant tout cela ensemble, Neorvrim croit de plus en plus à la thèse d’un simple accident qui aurait fait atterrir l’humain ici et imperceptiblement, il se détend.
Il soupire faisant disparaitre son épée alors que de la fumée s’échappe de ses narines. Le dragon la dissipe d’un mouvement de main agacé. Il y a trop de feu en lui. Il aurait besoin de l’évacuer.

- Je suppose que tu es là par accident, déclare-t-il finalement et se faisant, descend les marches de l’autel, faisant trainer sa longue tunique derrière lui. Et que tu n’avais aucune volonté de me réveiller.

Il a un rire grondant, désabusé. Pourquoi le destin s’acharne-t-il ainsi sur lui ? Que devra-t-il encore payer pour expier ?
-  Qui es-tu humain ? reprend-il d’une voix plus douce.
Comment il l’a réveillé ? En quelle année ce monde se situe-t-il ?
Tout cela lui importe peu. Le fait est qu’il est là.
Le dernier dragon vient de sortir d’un sommeil qui aurait dû être éternel et il compte bien tout faire pour y replonger rapidement.

Pour arrêter d’avoir mal.
Arrêter de culpabiliser.
Arrêter ces voix qu'il porte en lui comme le vide de son coeur.
Arrête d’exister vainement.

Se produit alors l'inimaginable.
Alors qu'intrigué, Gin-Ja observe l'absorption de la flamme d'allumette par les lèvres du gisant, le sol se met à trembler avec une violence inouïe qui lui fait perdre l'équilibre. Tout le caveau est secoué par un souffle de feu qui lézarde les murs. En constatant que la pierre noire rougeoie comme de la lave en fusion, le soldat recule en se trainant fesses au sol jusqu'à trouver un refuge précaire sur le monticule d'oeufs de pierre. La chaleur est étouffante. Il sue abondamment et ses rétines s'embuent. Pourtant, il garde les prunelles rivées sur le phénomène hors du commun dont il est présentement le seul témoin. Il est à deux doigt de tourner de l'oeil lorsque la fournaise est brusquement absorbée par la silhouette endormie du triste sire.
Le souffle erratique, complétement sonné par le spectacle, il assite à la renaissance de l'homme pétrifié.

- Non… Je suis éveillé…

Sa souffrance est si intense, si palpable, que Gi-Ja a l'impression de la ressentir lui-même dans chaque fibre de son être. Plutôt que de l'ébranler, cet douleur familière lui permet également de se clarifier l'esprit et l'artificier saute aussitôt sur ses jambes, fusil au poing.

- Pourquoi m’as-tu sorti de mon sommeil ?

Le caporal, encore choqué, n'arrive pas à proférer de réponse intelligible. Il réagit à l'instinct, prêt à tirer sur cette entité hostile qui dégaine une épée impressionnante du néant en éructant un mot de pouvoir. Que dit-on à un être magique en colère pour l'apaiser ? Gi-Ja n'en a pas la moindre idée. A cet instant, sa tête est complétement vide et sa cervelle mouline dans la semoule.
Il n'est qu'un simple être humain.
Un simple soldat.
Un survivant chanceux.
Juste personne.
Le Dormeur ne semble pas prêt à amorcer le combat et Cosgrave n'est pas pressé qu'il le fasse. Les deux hommes se toisent en chien de faïence, attendant le premier geste de l'autre. Finalement après un temps qui semble à l'humain une éternité, le Dormeur fait disparaitre son épée dans un nuage de fumée, les nasaux frémissant de vapeur.

- Je suppose que tu es là par accident et que tu n’avais aucune volonté de me réveiller.
-... Oui... Parvient à articuler Gi-Ja. Il baisse lentement le canon de son arme vers le sol et déglutit. J'ignorais que vous étiez... Je pensais être tombé dans un mausolée. Je.. Je suis sincèrement navré du préjudice.

Il est intimement persuadé qu'il vient de commettre un tord irréparable. Avec une telle expression de déchirement, un rire aussi désabusé, comment pourrait-il en être autrement ?

- Qui es-tu humain ?

Le timbre de l'être surnaturel se fait plus doux, plus enrobant. Il a une voix singulièrement grave. Séduisante. Il irradie d'une prestance naturelle qui confère au jeune guerrier le sentiment d'être minuscule.

- Je m'appelle Gi-Ja. Caporal Gi-Ja Cosgrave. Et vous ? ... Je suis soldat. Mon unité explore les mines de charbon qui se trouve au dessus de votre tête. On m'a envoyé en éclaireur. Il fait un pas vers l'homme immense puis un deuxième. Sa prudence musèle un émerveillement qui filtre malgré tout. Est-ce que... Est-ce que vous êtes ce que je crois ? Vous êtes... Un dragon ?

A peine ces mots prononcés qu'il entend le pas cadencé de rangers dans la caillasse et l'appel désespéré de son Major qui beugle son nom.

- Je suis là ! Je vais bien ! Crie-t-il sans quitter son Dormeur des yeux. Je ne suis pas tout seul mais la situation est sous contrôle. Il a un petit rire pétri de dérision en direction du présumé dragon. Enfin, je crois... ? lui glisse-t-il avec un sourire encourageant.

-... Oui... lâche enfin l’humain, la voix tendue.

Neorvrim sait qu’il a sans doute peur, néanmoins il le toise avec un certain aplomb qu’admire le dragon. S’il est impressionné, il n’en perd pour autant pas son calme.
Il abaisse sa drôle d’arme que l’être surnaturel regarde avec de la curiosité plus que de la crainte. Sans doute estime-t-il que le dragon à peine éveillé ne représente pas un si grand danger. S’il y a quelques années, cette attitude aurait pu lui couter la vie, aujourd’hui, l’humain n’a rien à craindre de lui.

- J'ignorais que vous étiez...
Neorvrim hausse un sourcil interrogateur.
- Le sais-tu à présent ? demande-t-il avec une certaine méfiance.
- Je pensais être tombé dans un mausolée.
- Ca l’était oui.
- Je… Je suis sincèrement navré du préjudice.

Après avoir laissé échapper toute l’ironie de la situation dans un rire sans joie, Neorgrim baisse les yeux sur le cœur durci de sa Reine qu’il tient toujours dans le creux de sa main puis vers le trou dans la cavité qui devait restait inviolée.  

- Moi aussi. Il replante ses yeux chauffés par son feu intérieur sur l’humain. Qui es-tu humain ?
- Je m'appelle Gi-Ja. Caporal Gi-Ja Cosgrave.
- Gi-Ja, répète-t-il doucement. Les consonnances de ce prénom étrange lui font soudain comprendre à quel point il est loin de chez lui. Seul.
Où se trouve donc ces nains ?
- Et vous ?
- Neorvrim.

« Prince Neorvrim ». Mais aujourd’hui, cela ne veut plus rien dire. Ce mot n’est que le symbole de tout ce qu’il a perdu et sa fierté elle-même ne lui fera pas prononcer ce titre vide de sens.  

- Je suis soldat.

Il scrute son armure. Facilement transperçable. Son arme. Elle n’a sans doute rien de magique. Les humains en sont dépourvus la plupart du temps. Mais il a déjà pu constater en les observant avant de s’endormir qu’ils compensaient ce manque par une ingéniosité certaine.

- Mon unité explore les mines de charbon qui se trouve au-dessus de votre tête. On m'a envoyé en éclaireur.
Il lève à nouveau la tête, comme s’il pouvait voir à travers la roche.
- Je vois. Les nains ont donc quitté les lieux. Caporal Gi-Ja Cosgrave, égraine-t-il avec un léger roulement des consonnes. Aurez-vous l’amabilité de ne pas piétier ce qu’il reste de mon peuple et de mes enfants, fait-il avec un geste las de la main vers les œufs pour la plupart cassés aux pieds de l’humain. Celui-ci s’approche de quelques pas et le dragon surveille sa progression, toujours un peu méfiant.

- Est-ce que... Est-ce que vous êtes ce que je crois ?
- Que crois-tu ?
- Vous êtes... un dragon ?
Il ne savait donc vraiment pas. Neorvrim a une sorte de rictus douloureux mais lève toutefois le menton avec une certaine fierté due à sa race.
- Je le suis. Le dernier. L’unique, ajoute-t-il avec un peu plus de chagrin à chaque mot presque murmuré comme une malédiction.

Il perçoit soudain du mouvement sur les hauteurs et se tend à nouveau.
- Tes hommes ?
On appelle désespérément le nom de l’humain.
- Je suis là !
- Putain de bordel de merde, lui répond une voix pleine de soulagement dans un langage qui fait hausser un sourcil presque amusé au dragon qui n’a toujours pas quitter l’humain des yeux. Tu peux pas regarder devant toi avant de te casser la gueule dans des trous et me foutre la trouille de ma vie non ? T’es blessé ?
- Je vais bien ! Je ne suis pas tout seul mais la situation est sous contrôle.
- Pas tout à fait seul ? Ça veut dire quoi ? T’en as trop dit ou pas assez, Cosgrave !
Mais Gi-Ja ne semble pas écouter son ami et reste focalisé sur lui.
- Enfin, je crois... ?
Il contemple cette bouche souriante et sens les coins de la sienne se soulever un peu.
- Le contrôle est une illusion, jeune humain. Crois-moi.
Il s’approche à son tour, son corps irradiant encore d’une chaleur similaire à un bon feu de cheminée et s’arrête à la hauteur de Gi-Ja. Il lève le nez vers l’ouverture.
- Cessez de hurler. Sa voix puissante se répercute sans le moindre effort dans le boyau. Je n’ai pas encore faim, votre soldat n’a donc rien à craindre de moi, conclue-t-il avec un humour de prédateur sans en dire plus.

Il se tourne ensuite vers le jeune homme et plante à nouveau son regard dans le sien sans plus prêter la moindre attention aux murmures qui lui parviennent pourtant d’en haut.

- Je te propose un marché. Je t’aide à rejoindre les tiens et tu me donnes ta parole de m’aider en retour à retrouver le peuple des nains afin qu’ils m’endorment à nouveau. Il a un sourire plein d’une mélancolie poignante. Un dragon solitaire n’a plus sa place que dans vos légendes à présent. Et puis… tu me dois bien ça non, toi qui m’as réveillé ? Il lève doucement la main et pose le bout de ses doigts sur sa blessure à la tête, la cautérisant instantanément et presque sans douleur. Tu saignais encore abondamment.

Neorvrim.
Le nom résonne sous le crâne de Gi-Ja comme un grondement sourd.

- Neorvrim... Répète-t-il tout bas, comme pour s'approprier chaque syllabe.
- Caporal Gi-Ja Cosgrave, auriez-vous l’amabilité de ne pas piétiner ce qu’il reste de mon peuple et de mes enfants.
- Vos... Le jeune homme regarde les œufs de pierre éparpillés sous ses semelles.

Il écarquille les yeux avec un affolement réel. Il s'extirpe de là, effaré, fixant les galets ronds et lisses, et manque de se cogner contre Neorvrim.
Un dragon. Le dernier.
Des œufs pétrifiés. Un mausolée.
Il lève les yeux vers le triste sire en réalisant l'étendu de son sacrilège.

-Je .. je suis désolé. Je n'avais pas compris...Toutes mes condoléances.

Que dire d'autre ?
L'être surnaturel semble porter sa peine depuis des millénaires. Une éternité de solitude. D'une certaine manière, et pour des raisons différentes, Gi-Ja croit comprendre sa situation. Elle lui parait douloureusement familière à la différence qu'il se sent seul même entouré des siens.
Le soldat fixe toujours le dragon, son visage atypique, sa dignité endeuillée, ses iris d'or...
Est-ce que tout ceci est simplement réel ?

Le Major braille furieusement couvrant à moitié les foulées de ses camarades au dessus.

- Tes hommes ?
- Oui... Je suis là !
- Putain de bordel de merde. Gi-Ja se pince les lèvres pour étouffer un rire. Ses prunelle s'animent d'un pétillement léger et peut-être d'un semblant d'excuse envers Neorvrim pour la grossièreté de son supérieur. Tu peux pas regarder devant toi avant de te casser la gueule dans des trous et me foutre la trouille de ma vie non ? T’es blessé ?
- Je vais bien ! Je ne suis pas tout seul mais la situation est sous contrôle.
- Pas tout à fait seul ? Ça veut dire quoi ? T’en as trop dit ou pas assez, Cosgrave !
- Enfin, je crois... ?
- Le contrôle est une illusion, jeune humain. Crois-moi.

A sa propre surprise, l'artificier s'entend répondre, presque dans un murmure.

- Je sais, mais on ne dispose pas toujours du choix. Alors on s'y accroche...

Son expression mélancolique fait écho à celle de son interlocuteur.

- Gi' J'viens t'chercher, bouge pas ! lance Ciulin.

Pour la première fois Gi-Ja fronce les sourcils et renverse la tête, rompant le contact visuel quasi hypnotique qu'il entretenait avec le dragon. Si c'est son rêve, il n'y aurait pas invité lea roumain-e !

- Cessez de hurler. Je n’ai pas encore faim, votre soldat n’a donc rien à craindre de moi.
- C'est pas rassurant du tout, ça dude ! Qui qu'tu sois ! Hey, tu m'écoutes ?

Mais Neorvrim n'a de regard que pour Gi-Ja et le jeune homme s'en trouve inexplicablement contenté.

- Je te propose un marché. Je t’aide à rejoindre les tiens et tu me donnes ta parole de m’aider en retour à retrouver le peuple des nains afin qu’ils m’endorment à nouveau. Un dragon solitaire n’a plus sa place que dans vos légendes à présent. Et puis… tu me dois bien ça non, toi qui m’as réveillé ?
- Pas besoin de marché. J'ai commis une erreur, je la réparerais si tel est votre souhait cependant... Je crains que vous ne soyez surpris. Le monde a connu pas mal de bouleversements ces derniers temps. La plupart des "légendes" sont devenues réelles...

L'entité majestueuse lève une main, mais cette fois Gi-Ja ne se dérobe pas. Il n'a plus du tout peur. Il éprouve même un sentiment inédit de confiance. La caresse est fugace et sa tempe le picote un peu. Il le remarque à peine, littéralement subjugué par son interlocuteur.

- Tu saignais encore abondamment.
- Oh... Euh... Merci.... balbutie-t-il, embarrassé d'avoir laissé filtrer quelque chose de malencontreux malgré lui.
- Fils de Nidhogg. Libère cet humain sur le champ, son heure n'est pas venue d'être dévoré... résonne une voix impérieuse juste au dessus de leur tête.

Ciulin lévite aux abords de la fissure, tous chardons dehors. Iel darde sur Neorvrim ses yeux luminescents. Frigg n'apprécie visiblement pas l'humour de prédateur. Cosgrave s'interpose aussitôt, faisant rempart devant le colosse draconique.

- Wow, wow, wow ! On se calme ! Il n'a rien fait du tout ! C'est moi le fautif : je l'ai réveillé. S'il avait voulu me bouffer, ce serait déjà fait. J'ai une faute à réparer et pour ça, il va être obligé de remonter avec nous...

- Pas besoin de marché. J'ai commis une erreur, je la réparerais si tel est votre souhait cependant...
Neorvrim hausse un sourcil étonné. Tous les peuples de faërie passent des marchés. Le troc et le marchandage font partie intégrante de leur façon d’être et de se comporter.
- Cependant ?
- Je crains que vous ne soyez surpris. Le monde a connu pas mal de bouleversements ces derniers temps. La plupart des "légendes" sont devenues réelles...
Il a un sourire presque amusé.
- La surprise est un vaste concept lorsque l’on a vécu autant que moi. Les bouleversements du monde ne me concernent plus. Je ne suis qu’un mort en sursis. Les morts envient les vivants mais ne peuvent plus prétendre marcher à leur côté.

Son geste pour stopper son saignement ne semble même pas le faire sursauter. Cela l’étonne bien plus que ses propos sur les dérangeants de l’ordre établi de son monde. L’on disait que la voix des dragons avait des effets subjuguant. Il n’a jamais pu mettre à l’épreuve ses racontars. Mais cela expliquerait peut-être la passivité du soldat et l’étrange expression sur son visage aux traits fins.

- Tu saignais encore abondamment.
- Oh... Euh... Merci.
- Je t’en prie. Un gage de ma volonté de ne pas te faire de mal.
Leur échange est interrompu par une voix aux accents impérieux qui chatouille la fierté du dragon.
- Fils de Nidhogg.

Il se tourne vers l’être qui flotte sans aile près de la fissure. Il penche la tête sur le côté. Un vague rictus flotte sur ses lèvres. Les humains sont bien plus distrayants que les faes.
- Nidhogg ? Ne m’insulte pas déesse, lâche-t-il sur un ton résolument plus calme que celui de l’être particulier qui lui fait face mais non moins pourvu d’accent autoritaires. Ce vague cousin n’a jamais su s’élever au-dessus de sa condition de bête.
- Libère cet humain sur le champ.
Il pousse un soupir fumeux.
- Te fais-je l’effet de le retenir d’une quelconque façon ?
- Son heure n'est pas venue d'être dévoré...
- C’est précisément ce que j’ai déclaré à l'instant, rétorque-t-il avec un miroitement un peu plus agacé dans ses iris faits de braises ardentes.

Encore une fois, le soldat le prend totalement au dépourvu en s’interposant entre l’entité divine et lui.
Amusant. Touchant presque.
Il n'a jamais été l'objet d'une quelconque protection aussi dérisoire soit-elle. C'est lui qui protégeait. Toujours.
- Wow, wow, wow ! On se calme ! Il n'a rien fait du tout ! C'est moi le fautif : je l'ai réveillé. S'il avait voulu me bouffer, ce serait déjà fait. J'ai une faute à réparer et pour ça, il va être obligé de remonter avec nous...
Neorvrim pose une main chaude et lourde sur l’épaule de Gi-Ja.
- Je te remercie, humain. Il n’y a faute que si l’on est conscient de nos actes. Tu ne l’étais pas. Néanmoins, j’accepte ton aide pour faire face aux changements de ton monde jusqu'à trouver mes alliés. Il dédie un regard ambré à l’être flottant. Je ne crains pas ta déesse.
 
A vrai dire, il ne craint plus rien. Pour cela, il faudrait qu’il lui reste quelque chose à perdre. Or il n’a plus que sa vie et elle ne compte plus à ses yeux. Il se désintéresse de la déesse en colère pour contempler le trou par lequel elle est arrivée et une marque visible de dédain brouille ses traits.

- Pas par là. Je ne suis pas fait pour les passages étroits.
On s’agite à nouveau au-dessus et une bordée d’injures parvient à leurs oreilles.
- Merde ! Il se passe quoi en bas ! Ciu ? Gi-Ja ? Lâche moi Devane j'y vais aussi !

Neorvrim se déplace jusqu’à trouver un reste de torche laissée au sol. Il l’empoigne fermement et souffle délicatement quelques flammes sur son extrémité. La sensation enflammée le long de sa gorge lui soutire un sourire plus franc, presque un rire. Malgré tout, être dragon, être lui, lui a manqué. Il s’approche du mur d’Onyx et prononce un mot de pouvoir en nain. Leur langue est aussi rocailleuse et gutturale que la sienne. Des runes naines apparaissent et dévoilent une arche qui s’ouvre sur un couloir fait du même Onyx que la cavité. Il tend un bras vers la sortie.
- Si vous voulez sortir sans heurts, je vous invite à me suivre. Il se tourne vers la déesse en colère. Si vous ne me faites pas confiance, repartez donc de là d’où vous venez.

Lui-même semble avoir du mal à quitter les lieux. Il contemple ce qui a été son mausolée, jette un dernier regard vers l’autel en miette recouvert de cœur sans vie puis vers les œufs tout aussi tristement froids.

- Je reviendrais...je vous le promets, souffle-t-il à ses fantômes.  

La mort.
Il n’y avait que cela ici.
Jusqu’à ce qu’un humain ne vienne chambouler le cours de son existence.
Son regard de feu s’attarde sur lui et il se demande quel rôle il aura à jouer dans ce nouveau chapitre de sa triste vie. Il espère qu’il saura le guider vers la paix à laquelle il a été arraché.

La main sur son épaule fait frissonner Gi-Ja. La paume exsude une chaleur digne d'un radiateur en plein hiver et le dragon exhale une intrigante fragrance de feu de cheminée crépitant. C'est... réconfortant, bien qu'inhabituel.

- Je te remercie, humain. Il n’y a faute que si l’on est conscient de nos actes. Tu ne l’étais pas. Néanmoins, j’accepte ton aide pour faire face aux changements de ton monde jusqu'à trouver mes alliés. Je ne crains pas ta déesse.
- A vrai dire, moi non plus...
- Hey !
- Ce que je veux dire c'est qu'il n'y a pas lieu de faire une démonstration de force. Dis aux autres qu'on remonte immédiatement.
- Pas par là. Je ne suis pas fait pour les passages étroits.
-... Ok. Bon...Je vais le suivre.
- C'pas l'idée du siècle G.I. Joe !
- Ah.Ah. On ne me l'a jamais faite celle là.
- Les dragons que je connais n'ont apporté que carnages et destruction.
- Nous ne sommes pas en Islande. Celui-ci est très civilisé, il vient même de me soigner.
- Merde ! Il se passe quoi en bas !

Neorvrim ouvre la bouche et produit une magnifique gerbe de flammes. L'avatar pousse un sifflement admiratif et Gi-Ja demeure bouche bée.

-Si vous voulez sortir sans heurts, je vous invite à me suivre. Si vous ne me faites pas confiance, repartez donc de là d’où vous venez.
- Ciu ? Gi-Ja ? Lâche moi Devane j'y vais aussi !
- Ciulin...Remonte tranquilliser le Major. On arrive, on se retrouve dehors. Tout ira bien. J'ai confiance en lui.
- Tu l'as sorti du pieu depuis trois secondes. Sur quoi tu t'bases ?
- ... L'instinct ? tente-t-il avec une petite moue.
- Et s'il te la fait à l'envers ?
Petit sourire en coin.
- Tu lanceras Fensalir II, le retour de la vengeance.

Ciulin éclate brusquement de rire.

- Ok ! Iel se tourne vers le colosse brun. Mais je te préviens, la boule d'écailles, ça va barder pour tes moustaches si tu nous l'transformes en merguez. Et iel ajoute malicieusement. C'est l'chouchou du Major...

Cosgrave pris par surprise par cette soudaine affirmation, se sent cuir des joues et détourne la tête, profondément gêné. Est-ce que Ciulin sait... ? Est-ce qu'il s'est rendu compte de la manière dont il regardait Caleb ? La perspective l'horrifie.

- On y va ! déclare Gi-ja sèchement, visage fermé, en passant devant Neorvrim.

Le dialogue entre les deux humains ne l’intéresse guère. D’ailleurs il n’en comprend que la moitié. Il patiente à l’entrée, peinant à se dire qu’il va devoir affronter à nouveau le monde, son chagrin et la solitude qui l’accompagne avec cette vive culpabilité associée à un sentiment d’échec total. Des poids qui pèsent déjà lourds sur ses épaules.

- Ok ! Mais je te préviens, la boule d'écailles, - Neorvrim hausse un sourcil. Ecailleux, il l’est, mais il n’a rien d’une boule. - ça va barder pour tes moustaches si tu nous l'transformes en merguez.
- Est-ce sensé être une menace ? demande-t-il, un rien amusé. Je n’ai aucune idée de ce qu’est une merguez mais je suppose que c’est quelque chose que l’on grille. En ce cas, il pivote la tête vers Gi-Ja, je peux promettre qu’il n’est pas dans mes intentions de te rôtir. Quand bien même tu m’as tiré d’un plaisant sommeil.
- C'est l'chouchou du Major...
Nouveau haussement de sourcil alors qu’il observe la gêne que cette remarque provoque chez le soldat. Pire que cela, il semble affolé. Pourtant il n’y a rien de mal à être considéré comme un favori, s’il a bien deviné la signification du mot « chouchou ».
- Qu’est-ce qu’un Major ? Un titre ? Un grade ?
Tant de choses à apprendre. S’il y a quelques années, la perspective l’aurait enthousiasmée au plus haut point, aujourd’hui, il se sent simplement las.

- On y va !
Le dragon laisse Gi-Ja prendre les devants sans comprendre sa réaction. Les subtilités émotionnelles humaines lui échappent.
- Il n'y a aucune honte à être le favori, Gi-Ja. C'est bien cela qu'à voulu dire l'humain qui abrite la déesse ?... C'est plus ou moins ce que j'ai été toute ma vie.

Le soldat va vite se rendre compte que le dédale qui l’attend nécessite un guide. Il sera ce guide. Après quelques pas et un premier embranchement, Neorvrim lui passe devant. Sa tunique trainant un peu derrière lui, la torche qu’il a enflammée, levée pour éclairer leur chemin. Des mètres et des mètres de couloir à la pierre noir s’étendent de tout côté.
- Les nains m’ont créé ce lieu de repos. Il y a sans doute des centaines d’années de cela. Peut-être des milliers. Il devait ressembler à une sorte de labyrinthe pour que jamais personne ne me trouve. Mais c’était sans compter l’intervention d’humains malchanceux et trop curieux, fait-il sans une once de reproche dans la voix.

Il tourne la tête à droite, puis à gauche avant de choisir ce dernier en reprenant leur ascension.
- Ta déesse semble avoir un bon nombre de préjugés à l’égard de ma race. Mais toi… toi tu ne sembles pas me craindre. Il s’arrête et le fixe. Non, je ne sens pas une once de peur. Pourquoi ? J’imagine que vos légendes ne nous ont pourtant pas épargnés non plus.  

Les montées sont de plus en plus brutes alors qu’il les fait aller tantôt à d’un côté et tantôt de l’autre. Lui ne ressent qu’une vague fatigue dû à son réveil. Ils débouchent tout deux devant un gouffre gigantesque qui les séparent de la sortie. Mais le dragon poursuit son chemin semblant flotter dans l’air. Voyant que l’humain s’est arrêté, il se retourne.

- Oh. Oui, il s’agit d’une illusion. Le chemin en pierre a été maquillé d’un charme puissant qui le rend invisible à tes yeux. Tu peux avancer sans crainte mais reste dans mes pas. Le chemin est étroit. Il lui tend la main avec un demi sourire. Tu me fais confiance n’est-ce pas ? demande-t-il d’une voix chaleureuse et ronronnante comme un bon feu. Dangereusement envoutante.

- Qu’est-ce qu’un Major ? Un titre ? Un grade ?
- On y va !

Le visage chauffé à blanc, Cosgrave en oublie de répondre à la question. Il est furieux conte lui-même et mortifié. Il a dû faire un faux pas, baisser sa garde, il ne voit pas d'autres raisons à la pique de Ciulin.

- Il n'y a aucune honte à être le favori, Gi-Ja. C'est bien cela qu'à voulu dire l'humain qui abrite la déesse ?
- Oui ! Mais je ne suis pas comme ça ! Ce n'est pas... Je ne suis pas son favori !
- ... C'est plus ou moins ce que j'ai été toute ma vie.

La colère du jeune homme désenfle peu à peu.

- Favori ? ... Je doute que ça ait la même connotation pour vous que dans la bouche de Ciulin. C'était une moquerie. Le véritable "favori" du Major c'est lui. Ce sera toujours lui. Moi, je ne suis même pas un choix.

Il s'ébroue d'un ricanement sans joie. Son amertume est palpable. C'est un sentiment aussi avilissant que la jalousie rampante qui s'enroule autour de son palpitant chaque fois qu'il voit Caleb et Ciulin ensembles. Il se masse l'arrête du nez.

- Excusez-moi, pour le mouvement d'humeur. J'ai omis de répondre à votre question. Dans l'armée nous avons des grades : capitaine, sergent, major... Je suis moi même caporal. Le Major Jenson est actuellement notre plus haut-gradé, enfin de ce qu'il reste de notre armée. J'imagine que vous êtes vous même une sorte de prince ou de roi... En tous les cas c'est ce que laissait suggérer votre tombe... Enfin, votre "lit".
- Les nains m’ont créé ce lieu de repos. Il y a sans doute des centaines d’années de cela. Peut-être des milliers. Il devait ressembler à une sorte de labyrinthe pour que jamais personne ne me trouve. Mais c’était sans compter l’intervention d’humains malchanceux et trop curieux.
- Je suis navré. Cette mine a été exploitée au siècle dernier. En principe elle ne contient plus de charbon, mais étant donné que notre monde est en train de fusionner avec celui de la Faërie, nous voulions vérifier que le gisement était toujours à sec. Notre situation est critique, cette ressources aurait été d'une grande aide...
- Ta déesse semble avoir un bon nombre de préjugés à l’égard de ma race.
- Ca n'est pas ma déesse, pour commencer. Moi, je suis plutôt agnostique. Ciulin est l'avatar de Frigg, reine des Ases dans le panthéon nordique. Quand on connait un peu les dragons qu'elle a côtoyés, on peut comprendre qu'elle ne vous a pas spécialement à la bonne : destructeur, cupide et vorace... Le tableau n'est pas franchement sympathique.
- Mais toi… toi tu ne sembles pas me craindre.

L'être ancestral se retourne pour le contempler. Gi-Ja a la sensation à la fois délicieuse et horrible d'être dépouillé jusqu'à l'os.

- Non, je ne sens pas une once de peur. Pourquoi ?
- Je.. Je ne sais pas.
- J’imagine que vos légendes ne nous ont pourtant pas épargnés non plus.  
- Tout dépend des légendes.... Mais, je crois... C'est votre expression. Le jeune homme laisse filer un silence comme s'il cherchait soigneusement ses mots. Tu avais l'air si triste, si abasourdi d'être là, vivant, si... perdu... Il ne se rend pas compte d'avoir naturellement abandonné le vouvoiement. La main posée à plat -inconsciemment- sur sa poitrine, il poursuit. Toute cette solitude, cette souffrance... J'avais l'impression de les ressentir moi même. Je crois qu'à ce moment là, je me suis simplement dit que tu serais incapable de violence, sauf, peut-être, pour te défendre. Il a un petit rire gêné. Pardon... C'est très nébuleux ce que je dis. Même pour moi. Je suis juste bizarre, sans doute.

Le couloir s'ouvre sur un gouffre abyssal qui pétrifie l'artificier au bord du vide. "씨발" * Baragouine-t-il dans sa barbe avant de lever le nez et d'écarquiller les yeux en découvrant que Neorvrim marche dans le vide.

- Comment...
- Oh. Oui, il s’agit d’une illusion. Le chemin en pierre a été maquillé d’un charme puissant qui le rend invisible à tes yeux. Tu peux avancer sans crainte mais reste dans mes pas. Le chemin est étroit.

La main tendue, l'attitude familière, la splendeur de son maintien, le magnétisme de son regard... A cet instant, Gi-Ja se demande si lui aussi n'est pas victime d'un charme. Le dragon l'aurait-il envouté pour mieux le manipuler  à sa guise ? Le jeune homme déglutit. Neorvrim pourrait l'attirer à lui pour le dévorer tout cru qu'il serait capable d'accepter avec le sourire.

"Qu'est-ce qui cloche chez moi... ?"

- Tu me fais confiance n’est-ce pas ?
- Oui... souffle-t-il en glissant ses doigts dans la paume ouverte du dragon.

Il écoute les explications du soldat avec attention. A priori, il allait devoir emmagasiner un certain nombre d’information pour comprendre ce nouveau.
- J'imagine que vous êtes vous même une sorte de prince ou de roi... En tous les cas c'est ce que laissait suggérer votre tombe... Enfin, votre "lit".
Il laisse échapper un petit rire grondant à la mention de ce terme.
- J’ai connu matelas plus confortable. Il laisse passer un silence puis avoue. J’ai été consort. Mais aujourd’hui je ne suis plus rien si ce n’est le réceptacle de la mémoire de toute une race annihilée. Les nains m’ont créé ce lieu de repos. Il y a sans doute des centaines d’années de cela. Peut-être des milliers. Il devait ressembler à une sorte de labyrinthe pour que jamais personne ne me trouve. Mais c’était sans compter l’intervention d’humains malchanceux et trop curieux.
- Je suis navré.
- Ne le sois pas. Le destin n’en a manifestement pas fini avec moi. Du moins le temps que je retrouve les nains.
- Cette mine a été exploitée au siècle dernier. En principe elle ne contient plus de charbon, mais étant donné que notre monde est en train de fusionner avec celui de la Faërie, nous voulions vérifier que le gisement était toujours à sec.
- Quoi ? Il se tourne brutalement vers lui, l’espoir marquant ses traits peu communs et altiers. Notre tâche en serait d’autant plus aisée.
- Notre situation est critique, cette ressource aurait été d'une grande aide...
- Du temps où j’ai arpenté ses lieux pour la première fois, il existait des gisements très profond. Je doute que vos mineurs humains les aient tous trouvé... Ta déesse semble avoir un bon nombre de préjugés à l’égard de ma race.
- Ca n'est pas ma déesse, pour commencer. Moi, je suis plutôt agnostique. Ciulin est l'avatar de Frigg, reine des Ases dans le panthéon nordique. Quand on connait un peu les dragons qu'elle a côtoyés, on peut comprendre qu'elle ne vous a pas spécialement à la bonne : destructeur, cupide et vorace... Le tableau n'est pas spécialement sympathique.
Il balaie tout cela d’une main impérieuse.
- Sottises. Juger l’ensemble d’une race sur les agissements de ses pires spécimens est au mieux stupide, au pire dangereux. Mais toi… toi tu ne sembles pas me craindre. Non, je ne sens pas une once de peur. Pourquoi ?
- Je.. Je ne sais pas.
Neorvrim sourit.
- J’imagine pourtant que vos légendes ne nous ont pourtant pas épargnés non plus.  
- Tout dépend des légendes.... Mais, je crois... C'est votre expression.
- Mon expression ?
- Tu avais l'air si triste, si abasourdi d'être là, vivant, si... perdu...

Le dragon observe la gestuelle malhabile de l’humain et s’est à nouveau arrêté. Ce peut-il qu’il ait perçu tout cela chez lui ? Sa douleur est-elle devenue si forte qu’elle exsude par toutes ses écailles ?

- Je l’étais. Je le suis toujours. Il ouvre la main qui tient toujours le cœur mort d’Iska. Voilà tout ce qu’il reste de celle que j’ai juré d’aimer et de servir jusqu’à la mort. Mais elle est partie avant moi, comme tous les autres… et j’ai par là-même perdu toute raison d’exister.

Il ne sait pourquoi il se confie ainsi à lui. Mais si la confiance que lui témoigne l’humain est inexplicable, telle l’est autant la raison qui le pousse à se livrer.

- Toute cette solitude, cette souffrance... J'avais l'impression de les ressentir moi-même. Je crois qu'à ce moment-là, je me suis simplement dit que tu serais incapable de violence, sauf, peut-être, pour te défendre. Pardon... C'est très nébuleux ce que je dis. Même pour moi. Je suis juste bizarre, sans doute.
- Etrange. C’est certain… murmure-t-il en le scrutant avec attention.
Intriguant peut-être même. Après tout, il n’a jamais autant côtoyé un être humain dans sa pourtant très longue vie.
- Mais tu as raison. Je ne considère plus avoir de rôle en ce monde. T’ôter la vie me parait donc tout à fait inutile. J’aime autant que le premier humain que je rencontre ne se souvienne pas de moi comme un monstre.

Quelques mètres plus loin, le gouffre laisse perplexe Gi-Ja et en bon guide, Neorvrim lui offre sa main.

- Tu me fais confiance n’est-ce pas ?
- Oui...
Il fermer résolument ses doigts sur les siens avec un sourire en coin puis l’aide à s’engager sur le chemin invisible.
- Ne regarde pas tes pieds. Il avance sans lui lâcher la main. Mais droit devant toi.

L’épreuve passée, ils rejoignent rapidement la partie exploitée par les humains puis l’air libre. Neorvrim ne prête aucune attention aux soldats qui attendent plus ou moins patiemment, ni à celui qui arpente l’herbe de long en large avant de se précipiter vers eux. L’humain pose ses mains sur les épaules de Gi-Ja et l’observe avec l’attention d’un parent inquiet.
- Heureux de te revoir en un seul morceau Caporal. Il laisse échapper un petit rire. Putain je suis si soulagé ! Tu vas bien ? Il montre Neorvrim, resté en arrière, du menton, les yeux pétillants. Ton gus là… c’est vraiment un…un dragon ?
Le reste des soldats s’approchent, intrigués et manifestent à leur tour leur soulagement de revoir leur compagnon vivant.

Ledit dragon offre son visage à la brise printanière qu’il hume avec un plaisir évident et presque coupable. Une odeur particulière chatouille ses narines.
Les cris des mourants, sa merveilleuse cité envahie, la douleur, le chagrin sans fond… tout cela remonte subitement à la surface et le font suffoquer.  
- Tu as dis que le voile qui séparait mon monde du tien s'était brouillé, n’est-ce pas ? demande-t-il à Gi-Ja, la voix tendue. Un rictus mauvais et pour la première fois menaçant barre ses traits alors que ses iris flamboient littéralement.

Le dragon lutte contre sa nature belliqueuse, celle de la créature qu’il est avant l’être civilisé qu’il a essayé d’imiter toute sa vie. La vengeance serait pure folie. Il n’est pas là pour cela. Mais il ne résiste pas à l’envie de faire savoir à son ennemie qu’il est toujours là, malgré tout. Il a été endormi trop longtemps et savoir que celle qui a provoqué la chute de tout ce qu’il aimait est là, toute proche ne l’aide nullement à garder le contrôle.

Il recule encore et une fumée épaisse monte à ses pieds, l’englobe et grimpe vers le ciel. Une créature de légende en émerge, écailles brillantes au soleil sous les yeux ébahis des humains. Haut comme un immeuble de six étages, puissant et long, ses deux pattes arrière fermement ancrés dans le sol, les naseaux fumants, le dragon sous sa véritable forme déploie ses ailes comme s’il s’étirait puis les plantes dans la terre avec force. Ses yeux reptiliens à la même couleur ambré que sa forme humaine fouillent la forêt environnante alors que sa queue balaie l'herbe d’impatience.
- Titania… gronde-t-il avec force sur un timbre qui donne l’impression que deux montagnes se sont entrechoquées l’une contre l’autre, elle est là … je la sens…
Il secoue son corps hérissé de piquants comme s’il essayait de maitriser des élans plus forts que lui puis laisse échapper un grondement entre le râle de l’animal blessé et le cri de guerre qui se répercute entre les troncs.

Une fois de plus, cette grande main irradiante de chaleur lui procure un apaisant sentiment de sécurité. Pourtant, il devrait être inquiet ou mal à l'aise en présence d'un non-humain aussi impressionnant. Quelque chose doit être défaillant chez lui. C'est sans doute pour cela qu'il ne sera jamais aimé pour ce qu'il est vraiment, qu'il est contraint de mentir à tout le monde.

Une fois à l'air libre, Ga-Ji accueille les effusions de Caleb avec des étincelles dans le ventre et le coeur qui bat un peu plus vite. Il s'est inquiété et ça le touche, sans doute plus que ça ne devrait.

- Heureux de te revoir en un seul morceau Caporal. Putain je suis si soulagé !
- Tu t'es inquiété pour moi... ? demande Cosgrave avec douceur dans la voix.
- Tu vas bien ?
- Mais oui ! Quelques petits bobos mais rien de cassé. J'ai pété du matériel par contre, je suis désolé. Je ferais au mieux pour réparer.
- Ton gus là… c’est vraiment un…un dragon ?

Ga-ji a un rire plus franc qu'habituellement et pivote la tête vers Neorvrim, qui tend son profil royal vers le ciel avec un plaisir qui fait écho chez l'artificier. Il sourit plus largement.

- Hé Oui, c'en est un. Je sais, c'est dingue.

Le sujet de leur ébahissement se tourne soudain vers le jeune métisse. Immédiatement, l'atmosphère tranquille se délite. Neorvrim semble crispé, tout en colère rentrée. Est-ce qu'il est le seul à le percevoir ? Visiblement, non, car Ciulin s'est rapproché-e, la mâchoire contractée.

- Tu as dis que le voile qui séparait mon monde du tien s'était brouillé, n’est-ce pas ?
- En effet...

L'artificier n'a pas le temps de prononcer davantage de mots. Le dragon s'évapore dans un nuage de fumée âcre et sa silhouette à peine lisible se gondole prenant des proportions phénoménales. Les militaires s'affolent, attrapant leurs armes au poing et Ciulin pousse un grognement dans une langue que Ga-Ji ne reconnais pas.

-Je savais que c'était une mauvaise idée. La nature profonde des dragons restera toujours la même...

Neorvrim sous sa forme bestiale, déploie ses grandes ailes sombres et miroitantes, ses pointes acérées et ses naseaux fumants. Ga-Ji ne peut s'empêcher de trouver la créature sublime et constate que certain traits du dragon se retrouvent dans le faciès humain qu'il emploie. Ce que ses camarades perçoivent comme des rugissements sauvages, le soldat l'entend comme une plainte terrible, un chagrin insondable qui ne peut conduire qu'à la rupture.

- Titania…  elle est là … je la sens…
- Je vais m'occuper de son cas, déclare Frigg sur un timbre funeste qui sort Ga-ji de sa transe contemplative.
- NON! Crie-t-il en frappant le torse de Ciulin plus brutalement que désiré. C'est le dernier de sa race ! Il doit être protégé ! Je vais lui parler ! Major, laisse-moi lui parler, s'il te plait ...

Jamais le caporal Cosgrave n'a exigé quoi que ce soit depuis que tous le connaissent : il exécute docilement les ordres, ne les discute jamais et garde son avis pour lui. C'est la première fois qu'il exprime un désaccord et une requête, et ce dans la même phrase. Quelque soit la réponse de Jenson, Ga-Ji a déjà pris sa décision et avance un calme qui tient presque de la folie vers la gueule bardée de crocs de celui qu'il a reveillé.

- Neorvrim ! Appelle-t-il. Neorvrim, calme-toi ! Tu es en train de faire peur à mes camarades. J'ignore ce que la souveraine de Faërie t'a fait, mais je peux aisément le deviner. Malheureusement, tu n'as pas toutes les cartes en main pour comprendre l'actuelle situation du monde. Tu m'a demandé de te faire confiance et je l'ai fait. Tu m'as dit que tu ne voulais pas que les premiers humains que tu rencontre te perçoivent comme un monstre et je t'ai cru. Son expression se fait plus poignante, presque blessée. Est-ce que tu m'as menti ?

Ce ne serait que justice, quelque part, qu'un fiéffé menteur comme lui se fasse berner à son tour.

C’est un dragon ! Mais genre un vrai DRAGON !
Effrayant.
Terrible.
Absolument trop cool.
Même si on pressent tous que c’est en train de déraper sévèrement. La tension est si forte que ça nous met tous directement à cran. Presque tous mes gars ont le réflexe de le viser. Et si je comprends la manœuvre je sais bien que c’est foutrement ridicule. Comme si ça pouvait mettre à terre un machin pareil.
Je me campe devant mes gars et essaie d’avoir l’air de celui qui ne panique pas trop.
- Hey ! Baissez vos armes soldats ! C’est. Un. Putain. D’ordre. Le premier qui tire aura affaire à moi !
- Je savais que c'était une mauvaise idée. La nature profonde des dragons restera toujours la même...
Je me tourne vers Ciulin et lui lance un regard courroucé.
- Tu m’aides pas là Frigg ! Descends un peu de tes chevaux nordiques et on va peut-être réussir à calmer tout le monde.

Le grondement du dragon est si puissant qu’on est plusieurs à se boucher les oreilles. Ca en fait vibrer mes os.

- Titania… elle est là … je la sens…
- Je vais m'occuper de son cas !
- NON !
Je me cale entre les deux et les fusille du regard.
- Vous me faites quoi là ?
- C'est le dernier de sa race ! Il doit être protégé !
- Protégé ? Tu crois vraiment qu’il a besoin de nous pour ça ?
- Je vais lui parler !
- Tu déconnes sévère Gi’ ! T’as dû te cogner la tête plus fort que ce que tu crois…
- Major, laisse-moi lui parler, s'il te plait ...

Je fixe mon gars dans les yeux. Franchement s’il a une formule magique pour détendre notre dragon je suis prêt à le laisser faire. Mais s’il crève à cause de la décision que je vais prendre là, maintenant, je me le pardonnerais jamais. Il a pourtant une sorte de détermination que je lui ai jamais vu dans le regard et je fourrage dans mes cheveux, impuissant.

- Merde, merde, merde… je déteste ça. Accordé. Je passe un bras autour de la taille de Ciulin pour lea retenir et murmure. On va lui faire confiance sur ce coup là, ok ? Si ça dégénère t’interviens mais pas avant ok ? J’ai aucune envie de me mettre un dragon à dos.

*****

Perdu en pleine lutte intérieure, Neorvrim enfonce ses griffes plus profondément dans la terre, comme pour s’empêcher de s’envoler. Il se déteste de réagir de cette façon avec plus de bestialité que de raison. Mais il a sous-estimé la force de son chagrin, de sa nature…

- Neorvrim !
Les nasaux toujours fumants, il abaisse sa tête vers Gi-Ja.
- Neorvrim, calme-toi !
- J’essaie, humain. Tu le vois... le contrôle n’est qu’illusion…
- Tu es en train de faire peur à mes camarades.
Il grogne. C’est bien là la dernière de ses préoccupations.
- J'ignore ce que la souveraine de Faërie t'a fait, mais je peux aisément le deviner.
- Elle a tué les miens ! hurle-t-il avec une douleur dans la voix impossible à camoufler même derrière la rangée de crocs et le braiser qui menace de s’échapper de sa gueule. Elle a anéanti tout avenir pour ma race !

- Malheureusement, tu n'as pas toutes les cartes en main pour comprendre l'actuelle situation du monde.
- Crois-tu qu’il m’importe !
- Tu m'a demandé de te faire confiance et je l'ai fait. Tu m'as dit que tu ne voulais pas que les premiers humains que tu rencontres te perçoivent comme un monstre et je t'ai cru. Est-ce que tu m'as menti ?

Le dragon piétine, frémit. De sa gorge sort un autre hurlement de frustration autant que de chagrin. Il se dresse soudain sur ses pattes arrière, ses ailes s’agitant comme s’il allait s’envoler. Il rejette la tête vers le ciel et crache un long trait enflammé avant de s’abattre à nouveau sur terre. Etrangement il parait aussi plus calme et abaisse sa tête à quelques mètres du soldat.  
Le supérieur de Gi-Ja semble l’avoir remarqué lui aussi et ordonne d’une voix sèche.
- Attendez !

- Je ne suis pas un monstre.

Des volutes de fumée opaques l’enveloppent à nouveau et il reprend forme humaine. Son visage exprime une profonde affliction alors qu’il caresse du bout des doigts le cœur d’Irka.
- Tu avais raison. Je suis lâche et faible.
Il relève les yeux vers le soldat.
- Les nains…déclare-t-il d'une voix comme anesthétisée. Tu as donné ta parole.
- Quoi… ? C’est quoi cette histoire de nain ?

"Elle a tué les miens ! Elle a anéanti tout avenir pour ma race !"

Evidemment.
Cosgrave le pressentait mais il en a désormais la confirmation : la gouvernante du monde avec lequel il vienne de faire alliance est responsable du génocide draconique. Cela ne va faire que compliquer les relations diplomatiques.
Après avoir abattu sa dernière carte, l'artificier attend la réaction de Neorvrim. La créature finit par libérer sa fureur sous la forme d'un geyser de flammes. Ga-Ji plisse les yeux, ébloui, un bras en visière pour se protéger de la fournaise. Le dragon baisse la tête vers lui.

- Je ne suis pas un monstre.

Il dégage encore une forte chaleur, mais cela n'empêche pas le soldat de tendre une main compatissante vers lui, comme il l'a fait avec tous les animaux sauvages qu'il a pu apprivoiser au fil des années.

- Je sais, répond l'humain avec mansuétude.

Une vapeur opaque les entoure tous deux les cachant momentanément au regard des autres.

- Tu avais raison. Je suis lâche et faible.
- Je n'ai jamais dit une chose pareille.

Ga-Ji lève les deux mains, hésite, puis sert maladroitement les bras du dragon redevenu parfaitement humain.

- J'ai dit que tu souffrais et que ta tristesse me touchait. C'est tout ce que j'ai dit.
- Les nains…Tu as donné ta parole.

Le jeune homme accroche le regard du dragon et le garde prisonnier.

- Et je l'honorais, mais je ne peux pas les faire venir dans l'heure. Cela va prendre un peu de temps. Nous allons devoir rentrer à la base, prendre le temps de t'expliquer un peu mieux ce qu'il se passe ici, et j'irais trouver tes nains. D'accord ?
- Quoi… ? C’est quoi cette histoire de nain ?
- Major... Le caporal se détache aussitôt du colosse brun comme s'il se sentait coupable d'avoir initié cette proximité. D'autant plus devant lui. Le...euh... Prince Neorvrim souhaite être rendormi. Ce sont les nains qui ont forgé son caveau et le sortilège le maintenant assoupi. J'ai malencontreusement brisé le sort et il est de ma responsabilité de réparer ma faute.
- Ah... fait Ciulin, redescendu de ses canassons divins. Ca va être un peu chiant, ça. Iel grimace. Surtout si t'es l'ennemi public de toute la Faërie ! Tu viens un peu d't'annoncer en fanfare, en plus. M'étonnerait pas qu'on voit pointer toute la délégation d'ambassadeur à la base pour réclamer leur prisonnier d'guerre. Va falloir batailler pour qu'il t' foute la paix. Déjà qu'on a eu du mal à négocier de l'aide logistique.... Iel pousse un profond soupir. Putain c'que je déteste la politique ! C'est d'une chienlit... L'avatar s'ébouriffe les cheveux. Bon ! Voilà c'que j'propose : Neo, t'es confiné à la base militaire. Tu sors pas du périmètre. Nos accords stipulent que le P'tit Peuple a pas l'droit d'attaquer les habitants de notre monde et c'est l'un des plus gros camps de réfugiés. Meilleur rempart. Moi, j'réunis not'conseil en urgence et j'leur explique la situation du Dragounet. On statue, et après on va dealer nos billes avec les faes. Iel se tourne vers Cal. T'en penses quoi, dragă ?

- Tu avais raison. Je suis lâche et faible.
- Je n'ai jamais dit une chose pareille. Neorvrim le fixe sans sciller. La pression de ses mains sur ses bras l’ancre un peu plus dans sa forme humaine. J'ai dit que tu souffrais et que ta tristesse me touchait. C'est tout ce que j'ai dit.

Le contact et ses paroles sont étrangement réconfortants. Comme s’il pouvait réellement le comprendre. Il en doute mais le croire allège un peu le poids de ce qu’il porte. Le dragon a un mince sourire puis baisse la tête vers la pierre qu’il caresse du pouce.

- Je sais. Ce sont les derniers mots qu’a prononcé ma Reine avant de partir sur le champ de bataille pour y mourir… Il s’ébroue un peu pour chasser les mauvais souvenirs. Il aimerait être capable de se rappeler d’autre chose mais il n’y a qu’eux qui le hantent. Les nains…Tu as donné ta parole.

Neorvrim prend une profonde inspiration puis relève ses yeux qui prennent petit à petit des tons plus foncés. Il trouve ceux de l’humain et s’y accroche avec le peu d’espoir qui lui reste.

- Et je l'honorais, mais je ne peux pas les faire venir dans l'heure. Cela va prendre un peu de temps.
Il a un petit reniflement de dérision.
- Le temps… c’est bien tout ce qu’il me reste je crois.
- Nous allons devoir rentrer à la base, prendre le temps de t'expliquer un peu mieux ce qu'il se passe ici, et j'irais trouver tes nains. D'accord ?
- Quoi… ? C’est quoi cette histoire de nain ?
- Major...

L’humain s’éloigne soudain et le dragon penche la tête pour essayer de comprendre ce geste brusque, presque… honteux. Privé du contact de Gi-Ja il se sent soudain et bien inexplicablement très seul.

- Le...euh... Prince Neorvrim souhaite être rendormi.
- Neorvrim. Tout court. Je ne suis plus prince de rien.
- Ce sont les nains qui ont forgé son caveau et le sortilège le maintenant assoupi. J'ai malencontreusement brisé le sort et il est de ma responsabilité de réparer ma faute.
- Notre responsabilité, intervient le Major. On est avec toi, Caporal.
- Ah... Ca va être un peu chiant, ça.
- Diplomatiquement tu veux dire ?
- Surtout si t'es l'ennemi public de toute la Faërie !
- C’est me prêter bien trop d’importance. Titania se satisfait certainement d’avoir récupéré le pouvoir de ma Reine et de nous avoir exterminé. Quel mal puis-je lui faire ? Je suis déjà de l’histoire ancienne à ses yeux.
- Tu viens un peu d't'annoncer en fanfare, en plus. M'étonnerait pas qu'on voit pointer toute la délégation d'ambassadeur à la base pour réclamer leur prisonnier d'guerre.
Neorvrim a un sourire carnassier et hausse les épaules.
- Ma présence n’aurait pas tarder à lui parvenir aux oreilles quoi qu’il en soit. Je n’ai fait que rappeler à une ancienne connaissance que les vieux cauchemars ressurgissent parfois. Si cette pensée peut troubler son sommeil, j’en serais fort satisfait.  

Avant de s’endormir, il avait bien passé essayer de l’attaquer sur un autre front que la guerre. Il avait échafaudé tout un plan pour l’affaiblir sur le plan politique, rallier d’autres peuples à sa cause par la peur qu’ils leur arrivent ce qui est survenu aux siens. Ils auraient pu y parvenir au bout de longues années de lutte mais la guerre était trop fraîche et Titania avait pris grand soin de tourner les évènements à son avantage. Mais aujourd’hui…oui aujourd’hui, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts et il pourrait…
Il tourne la tête vers la forêt et son sourire s’élargit encore. Non, il préfère le sommeil. Mais il caresse cette idée qui lui apporte un semblant de réconfort.

- Va falloir batailler pour qu'il t' foute la paix. Déjà qu'on a eu du mal à négocier de l'aide logistique.... Putain c'que je déteste la politique ! C'est d'une chienlit...
Le dragon a un rire de gorge.
- On s’y fait à la longue. On finit même par l’apprécier. Je suis prêt à discuter et négocier avec vos ambassadeurs si c’est là le prix à payer pour ma paix et mon endormissement.
- Bon ! Voilà c'que j'propose : Neo, t'es confiné à la base militaire. Tu sors pas du périmètre.

Le dragon pousse un long soupir. Voler. Il aimerait simplement pouvoir sentir le vent sur ses écailles, chasser sa nourriture… chose qu’il n’a plus fait depuis des centaines d’années. Mais l’envie le prend soudain.

- Nos accords stipulent que le P'tit Peuple a pas l'droit d'attaquer les habitants de notre monde et c'est l'un des plus gros camps de réfugiés. Meilleur rempart.
- Ou je risque de vous mettre en danger…
- Moi, j'réunis not'conseil en urgence et j'leur explique la situation du Dragounet. On statue, et après on va dealer nos billes avec les faes. T'en penses quoi, dragă ?
Le Major l’a scruté pendant de longues minutes.
- J’en dis que ça me parait bien. Vu qu’on t’as sorti du pieu, il a un bref mouvement de la main vers son caporal, oui je sais que c’est toi techniquement mais toi c’est nous, tu piges le calcul ? on fera ce qu’il fait pour te protéger et d’aider. Cosgrave, comme vous avez l’air de bien vous entendre tous les deux, j’te charge de lui faire le topo sur… bah tout. Ça risque de prendre un certain temps. Nous, il désigne l’avatar et lui, on se charge de couvrir tes miches. Mais… il se plante devant Neorvrim, sache qu’on pourrait totalement te forger une nouvelle légende bien plus cool que « et le dernier dragon s’endormi à nouveau grâce aux nains. »
- C’est-à-dire ?
- On a une ennemie commune… coriace et vicieuse. Si tu te battais à nos côtés…bordel ça serait grandiose. Et un atout pas négligeable vu qu’elle et ses bestioles aiment pas spécialement le feu. Bref ça fera partie des trucs dont le Caporal te parlera.
Il se détourne soudain et produit un sifflement strident.
- Allez mes poussins ! On s’arrache et on rentre au poulailler.
Interloqué, Neorvrim le regarde s’éloigner vers d’étrange structure en ferraille et à roues.
- Tu as un chef bien particulier, souffle-t-il en aparté à Gi-Ja. Merci… de ne pas me craindre. Et de m’avoir ramené à la raison. Il lève le nez vers le ciel. J’aurais dû m’envoler lorsque je le pouvais encore. Le ciel me manque.  
Résigné, il s’avance vers ce qu’il devine être des montures d’aciers.

Gi-Ja est gagné par une immense vague de soulagement quand il comprend que tous -même Frigg- vont faire corps avec sa décision arbitraire. Ils vont le couvrir comme un seul homme. C'est sans doute la toute première fois qu'il se sent "appartenir" véritablement à l'unité. Cela, il le doit à Caleb Jenson qui prime l'humain sur la raison dans toutes ses décisions. Cosgrave observe sa silhouette longiligne et nerveuse s'agiter au milieu de ses hommes, une boule de chaleur dans le creux du ventre.

- Tu as un chef bien particulier, lui chuchote Neorvrim.
- Oui. Il est formidable, déclare le caporal avec une tendresse dans le timbre dont il n'a pas conscience
- Merci… de ne pas me craindre. Gi-Ja se tourne vers le dragon et cette fois, le sourire est pour lui seul. Et de m’avoir ramené à la raison.
- C'est normal. Tu es sous ma responsabilité.
- J’aurais dû m’envoler lorsque je le pouvais encore. Le ciel me manque.
- J'essaierais de t'organiser ça, mais plutôt de nuit, ce sera plus discret.

Le retour à la base se fait rapidement mis laisse le temps à Neorvrim d'être submergé de questions. Les compagnons de Gi-Ja sont bavards, enjoués et semblent l'avoir intégré dès lors que leur Major en a décidé. Le caporal Cosgrave est obligé de modérer leurs ardeurs en expliquant que le pauvre dormeur n'a sans doute pas sociabilisé depuis des siècles.
Leur camion est accueilli par quelques saluts d'autres militaires sur son passage mais surtout par les aboiements joyeux d'une chienne aux poils longs, crème et caramel, qui court après le véhicule jusqu'à son arrêt complet. Elle bondit sur place, attendant de voir son humain en descendre. Ga-Ji, jusqu'alors tout en retenu, saute à terre en ouvrant grand les bras.

- AHA !

La chienne se jette littéralement sur lui, les pattes sur son torse. Le jeune homme n'est pas avare  de caresse et de démonstrations d'affection.

-그래 내 미인! 나는 집에왔다 !* Tu as été sage, hein ? Hein ?!  La chienne aboie. Bonne fifille !

Pendant que les autres s'extirpent également de l'habitacle et commence à décharger le matériel, Hailey se poste aux côtés de Neorvrim et lui glisse, sur le ton de la confidence.

- Oui, je sais, c'est toujours surprenant de le voir aussi expressif. Regard en biais vers le dragon. Il a le "truc" avec les bêtes...

Sa remarque n'appelant pas de réponse, elle s'éloigne vaquer à ses occupations alors que Ga-Ji revient vers son "protégé" en passant une main dans sa tignasse décoiffer.

- Excuse-moi ! Je vais faire les présentations en bonne et due forme. Pati, voici Neorvrim, notre nouvel ami. Il va rester quelques temps avec nous. Neorvrim, je te présente Pati, ma chienne...
- Et la nouvelle mascotte de l'unité ! ajoute Egan en posant une caisse à terre.

Le jeune métisse s'ébroue d'un petit rire et donne une tape amicale sur l'épaule du prince.

- Viens ! Je vais te faire visiter. Tu as faim ? Soif ? Je ne sais pas exactement quels sont tes besoins en matière de nutrition. Ce dont je suis certains, c'est que tu n'as pas sommeil, qu'il affirme avec un sourire en coin.

("Geulae nae miin! Naneun jib-ewassda !" = Oui ma belle ! Je suis rentré !)

Malgré lui, le côté observateur et avisé de Neorvrim note beaucoup de chance en l’espace de quelques minutes passées avec ces guerriers humains. Il a observé Gi-Ja du coin de l’œil, songeur. La façon dont il s’exprime à l’égard de son Major tout comme celle qu’il a de le couver d’un regard particulier lui parait familier. Il a également remarqué qu’il se montrait plus ouvert lorsqu’ils se trouvaient seuls à seuls et se demande pourquoi.

L’unité humaine se montre amicale et particulière curieuse. Particulière soudée également. Rarement il a pu constater une telle cohésion d’ensemble qui passe par beaucoup de chamailleries enfantines. Les dragons se montraient souvent trop fiers et soupe au lait pour accepter de se voir railler de la sorte.  

« Non, personne ne nous chevauchait ni ne nous contrôlait. » « Oui, nous naissions dans des œufs. » « Oui, nous nous accouplions comme des animaux parce que c’est ce que nous étions à la différence des faes. » « Non, cracher du feu ne nous demandait aucun effort particulier. »

Il répond comme il peut à chacune de leurs interrogations avec un léger sourire amusé, essayant de dissiper la peur qu’il a pu leur inspirer. Le dragon se trouve néanmoins soulagé de l’intervention de Gi-Ja qui lui permet de souffler.
Lorsqu’ils arrivent à ce qu’ils appellent « la base », il se trouve fasciné un instant par l’agitation qui y règne. Il y a des humains partout, qui se saluent, s’échangent quelques mots… toute cette vie soudain après des années de rien le laisse étourdi.

Il note les œillades intriguées dont il est l’objet. Sa mise et sa stature détonnent dans ce paysage qui semble bien huilé. Son regard est soudain attiré par une étrange boule de poil qui fonce vers Gi-Ja. Vu son attitude, il ne s’agit pas d’une menace.  
Le jeune humain se montre soudain si ouvert, affectueux et joyeux que Neorvrim le fixe comme s’il venait de rencontrer une autre personne. Voilà une étrange magie dont se trouve capable cette créature à poils.

La remarque de la guerrière très blonde le laisse perplexe. Insinue-t-elle qu’il fait partie de ces bêtes avec qui il a « le truc » ? Peu importe ce que cela veut dire ?
Il sourit néanmoins, naturellement, sans trop savoir pourquoi. En fin politicien et en tant que créatures monstrueuses cachés sous des traits plus civilisés, il est le premier à savoir que l’on peut porter une pluralité de masques. Il se demande combien Gi-Ja en a de superposé sur son visage.  

- Excuse-moi ! Je vais faire les présentations en bonne et due forme. Le dragon s’approche avec prudence, n’ayant aucune idée de la réaction qu’il provoquera chez cet animal. Pati, voici Neorvrim, notre nouvel ami.
Il a un petit rire.
- C’est donc ce que je suis, demande-t-il en tournant la tête vers l’humain. Un ami ?
- Il va rester quelques temps avec nous. Neorvrim, je te présente Pati, ma chienne...
- Et la nouvelle mascotte de l'unité !
- Je croyais que c’était King Kong Devane notre mascotte, boude le Major.
- Avec tout le respect que je te dois, ta gueule Major ou je te balance cette caisse sur ta charmante gueule.

Neorvrim s’est agenouillé devant l’animal et le fixe dans les yeux.
- Une chienne… Femelle je présume… Tu es la première que je rencontre. Enchanté Pati. Puis-je te toucher ?
Il avance sa main et laisse la créature le sentir. Elle la renifle, intriguée.  
- Je sais. J’ai une odeur bien particulière. J’espère que tu ne m’en tiendras pas rigueur. Gi-Ja semble beaucoup t’aimer. Et comme je lui dois quelques faveurs, tu n’auras jamais rien à craindre de moi.

La chienne finit par lui lécher la main et le dragon lâche un petit rire ronronnant avant de se permettre de la caresser, plongeant ses longs doigts dans les poils épais. Il découvre que cela a quelque chose d’apaisant.

- Sa fourrure est bien plus douce que des écailles. On croit à tort qu’elles ne sont pas sensibles au toucher mais c’est faux… lâche-t-il avec un pétillement amusé dans le regard en se redressant.

Le Major s’approche, câline la chienne avec une expression d’enfant ravi puis passe un bras amical autour des épaules de son soldat.
- Voilà Neo ! C’est chez nous ! Et chez toi par extension. C’est simple mais fonctionnel. Gigi, j’te laisse voir pour lui trouver une chambre… à part ça serait peut-être mieux. J’suppose que t’auras besoin d’un peu de solitude de temps en temps.
- En effet. C’est très prévenant.
Le Major lui lance un clin d’œil.
- Hey c’est pas tous les jours que j’héberge un dragon. On va te bichonner. Hein Gi’ ? Il fixe le jeune homme et fronce les sourcils. Au fait, tu me feras le plaisir de passer par l’infirmerie. Il recule et croise les bras sur son torse. Non mais je veux même pas entendre de protestation ! Tu dis, « Oui Major » et t’y vas. Même si c’est juste pour vérifier. T’as peut-être une commotion ou un truc comme ça. Si le doc me dit qu’il t’a pas vu de la journée, je t'y amènerai par la peau du cul ! Capito ? Il recule et ouvre grand les bras. Neo, si t’as besoin d’un truc, tu me dis !
Le dragon le contemple, amusé par ses manières décomplexées.
- Vraiment particulier…

Gi-Ja rit, comme souvent lorsqu’il se trouve avec son supérieur, ce qui est assez rare pour être noter. Il le gratifie toutefois d’un contact et à nouveau, cette sensation de ne plus être tout à fait seul saisit le dragon.

- Viens ! Je vais te faire visiter. Tu as faim ? Soif ? Je ne sais pas exactement quels sont tes besoins en matière de nutrition. Ce dont je suis certain, c'est que tu n'as pas sommeil.
Neorvrim lui rend son sourire un rien malicieux.
- Je crois que j’aurais tout le temps de dormir plus tard. Il pose une main sur son ventre. Et que j’ai faim. Nous sommes devenus omnivore mais la viande reste notre principale source d’alimentation. Chasser sous notre véritable forme était l’un des rares plaisirs purement bestial que nous avions conservé. L’eau… et bien comme tu t’en doute, elle ne fait pas bon ménage avec un dragon. Elle nous affaiblit considérablement et nous blesse sous notre véritable forme. Il lui fait confiance pour ne pas crier cette information sous tous les toits. Mais tu dois également te faire soigner…

Gi-Ja observe Neorvrim apprivoiser Pati et trouve charmant la manière qu'il a de s'adresser à elle de la même façon qu'à lui. La chienne semble être friande de cette galanterie et se laisse câliner avec un plaisir évident.

- Tes mains sont chaudes, elle a l'air d'apprécier.
- Sa fourrure est bien plus douce que des écailles.
- J'imagine.
- On croit à tort qu’elles ne sont pas sensibles au toucher mais c’est faux…

Le jeune homme a un haussement de sourcil et ne sait comment interpréter cette information. Une invitation ? Certainement pas ! Que va-t-il imaginer.
Caleb s'approche alors et avec lui le cortège de feux d'artifice qu'il fait immanquablement naitre en Gi-Ja. Le caporal se garde malgré tout lorgnades trop appuyées au sein de la base. Ils sont trop entourés et il n'ignore pas le regard que lui lance Ciulin. Il n'aime pas son petit sourire canaille. Il ne l'aime pas tout court. Le bras du  Major enroulé négligemment autour de ses épaules fait pétarader les étincelles tapies dans son bide de plus belle. Il savoure ce geste naturel, se berçant de l'idée -qu'il sait fausse- qu'il en est le privilégié.

- Hey c’est pas tous les jours que j’héberge un dragon. On va te bichonner. Hein Gi’ ?
- Oui... répond-t-il en couvant son supérieur d'une de ces œillades dérobées, pétrie de ce trop plein d'affection qu'il veut pourtant étouffer.

Le regard froncé de Jenson le fait frémir. Il a vu ? Est-ce qu'il a vu ?!

- Au fait, tu me feras le plaisir de passer par l’infirmerie.
- Ah...
- Non mais je veux même pas entendre de protestation ! Tu dis, « Oui Major » et t’y vas.
- Je ne veux pas embêter Emma avec une égratignure.
- Même si c’est juste pour vérifier. T’as peut-être une commotion ou un truc comme ça. Si le doc me dit qu’il t’a pas vu de la journée, je t'y amènerai par la peau du cul ! Capito ?
- 이해했다.*, rétorque-t-il en riant.
- Neo, si t’as besoin d’un truc, tu me dis !

Ciulin s'approche à son tour avec un grand sourire.

- Faut qu'j'ailles réunir les pontes pour causer d'ton cas. Iel se tourne vers Caleb pour l'embrasser et Gi-Ja s'absorbe dans la contemplation de ses pieds. J'reviens vite, inima mea... A plus tard les gars, lance-t-iel à la cantonade.

Ciulin enfourche une moto, sangle son casque et démarre à toute berzingue.

- Vraiment particulier…
- Lequel... glisse Cosgrave avec un regard par en dessous, puis il l'invite à le suivre et le questionne sur son régime alimentaire.
- Et que j’ai faim.
- Ok ! On va remédier à ça en premier lieu, déclare-t-il en le conduisant vers le mess, Pati sur leurs talons.
- Nous sommes devenus omnivore mais la viande reste notre principale source d’alimentation. Chasser sous notre véritable forme était l’un des rares plaisirs purement bestial que nous avions conservé. L’eau… et bien comme tu t’en doute, elle ne fait pas bon ménage avec un dragon.
- Ah, non ! J'ignorais... Le folklore autour des dragons est vaste. Certain pense qu'il existe des dragons pour chaque élément : l'eau l'air, le feu... Du coup ça ne m'était pas venu à l'esprit que l'eau pouvait être ta cryptonite....C'est une expression pour parler d'un point faible
- Elle nous affaiblit considérablement et nous blesse sous notre véritable forme. Mais tu dois également te faire soigner…
- Tu l'as déjà fait, non ? Et franchement, je vais parfaitement bien. Le Major est juste très prévenant quand il s'agit de ses hommes.

Il pénètre dans la cuisine qui jouxte la cantine avec ses enfilades de plans de travail rutilants en acier inoxydable. Gi-Ja se lave les mains soigneusement avant de sortir instruments et ingrédients, avec la force de l'homme habitué à évoluer aux fourneaux. Malgré la pénurie de certaines denrées, les fermes alentours permettent de produire suffisamment de légumes. La viande est plus rare mais demeure encore largement distribuée. Le soldat sort un plat carré recouvert de film plastique. Lorsqu'il retire la couche de protection, Neorvrim peut constater qu'il s'agit de lamelles de viandes rouges baignant dans une sauce brunâtre avec des champignons et des carottes râpées.

- Bulgoji maison, recette de ma mère. J'ai laissé mariné toute la nuit, explique-t-il au dragon.

L'artificier allume la gazinière à grosses flammes sous un wok et une fois celui-ci suffisamment chaud, y balance les aiguillette de boeuf pour les y saisir. Un merveilleux parfum de sang cuit et  caramélisé embaume l'air. Ga-ji n'hésite pas à mettre tout le plat, jugeant que l'appétit d'un dragon doit être copieux. A l'aide de grande baquettes de cuisine, il retourne la viande et remue pour qu'elle n'accroche pas. Il ne s'attarde pas trop sur la cuisson, pour la garder juteuse à coeur. Il fait sauter le wok avec une grande dextérité, y ajoutant un peu de ciboule fraiche. Ses gestes sont d'une précision et d'une fluidité quasi hypotonique. On dirait qu'il danse presque et y prend un plaisir évident. Une fois qu'il juge son plat terminé, il verse le tout en monticule sur une assiette et nappe de sauce. Il éteint le feu, trouve une fourchette et un couteau -à défaut de baguettes- et sert à son convive.

- Normalement on laisse cuir davantage pour que la marinade caramélise pleinement, mais je me suis dit que tu préférais ta viande saignante. Bon appétit !

Pati minaude aux pieds de Neorvrim pour en avoir un peu.

Neorvrim est si étonné du geste de l’avatar et du Major qu’il ne saisit pas tout de suite le trouble de Gi-Ja. Que font-ils donc bouche contre bouche ? Ça n’a pas l’air de leur déplaire en tous les cas et comme personne aux alentour ne relève la chose, il suppose que c’est un geste normal et courant chez les humains. Ça n’est qu’en glissant une œillade interrogatrice vers le soldat qu’il se rend compte qu’il semble gêner.
Intriguant et quelque peu fascinant.

Le Major et Ciulin partis, la conversation reprend avec Gi-Ja alors qu’il le guide entre les différents bâtiments. La perspective de se nourrir fait gronder son ventre.

- J’ai sous-estimé ma faim. L’eau… et bien comme tu t’en doute, elle ne fait pas bon ménage avec un dragon.
- Ah, non ! J'ignorais...
Il lui glisse un coup d’œil que l’on pourrait qualifier de complice.
- Je viens de te donner la meilleure arme pour me battre. Je compte sur toi pour ne pas révéler cette information au tout venant.
- Le folklore autour des dragons est vaste. Certain pense qu'il existe des dragons pour chaque élément : l'eau l'air, le feu...
Cette idée le fait beaucoup rire.
- Mes ancêtres viennent certainement de s’enflammer d’un coup. Un dragon d’eau… quelle idée !
- Du coup ça ne m'était pas venu à l'esprit que l'eau pouvait être ta cryptonite...
- Ma quoi ?
- C'est une expression pour parler d'un point faible.
- Oh. Eh bien si, ça l’est. Elle nous affaiblit considérablement et nous blesse sous notre véritable forme. Mais tu dois également te faire soigner…
- Tu l'as déjà fait, non ? Et franchement, je vais parfaitement bien. Le Major est juste très prévenant quand il s'agit de ses hommes.
- Je constate. Le genre d’homme facile à apprécier et à suivre… n’est-ce pas ? En ce qui concerne ta blessure, je n’ai fait que cautériser la plaie. Je suis bien loin d’être un soigneur. Les dégâts peuvent être internes.

Arrivés dans la cuisine, Neorvrim se cale contre l’un des meubles fait dans un acier argenté et brillant – de l’inox apprendra-t-il plus tard – et croise les bras en observant l’humain travailler. Il s’intéresse de très près au plat de viande qui baigne dans une sauce non identifiable pour son odorat. Cela ne l’empêche nullement d’inspirer à fond.
- Qu’est-ce ? Hum… nouvelle inspiration. Je crois me souvenir. Vache n’est-ce pas ?
- Bulgoji maison, recette de ma mère. J'ai laissé mariné toute la nuit.
- J'ai hâte d'y goûter.

Le dragon observe le ballet de Gi-Ja qui a quelque chose d’hypnotique, sa dextérité et surtout son visage qui exprime à nouveau une autre palette d’émotions pas très éloignées de celle qu’il avait lorsqu’il cajolait sa chienne.  
- Tu aimes cuisiner. Ca n’est pas une question, mais une évidence dans sa bouche. Tu as l’air aussi réjoui que lorsque Pati est dans les parages…
Ou le Major…
Finalement le spectacle prend fin et Neorvrim s’en attriste. Il y avait quelque chose de beau dans cette démonstration et il a eu l’impression étrange de toucher le vrai Gi-Ja du bout des doigts. L’humain lui présente son œuvre dans une large assiette qui fait saliver le dragon. Il s’assoit à une large table et s’imprègne autant de la vue du plat que de ses senteurs.

- Normalement on laisse cuir davantage pour que la marinade caramélise pleinement, mais je me suis dit que tu préférais ta viande saignante.
Il a un bref sourire carnassier.
- Cru c’est encore meilleur. Mais je sais toutefois apprécier la bonne cuisine.
- Bon appétit !
- Par la flamme éternelle ! Ça sent divinement bon. Merci de t’être donné cette peine. Cela fait bien longtemps que l’on a pas cuisiné pour moi, déclare-t-il avec une certaine mélancolie.  

Au bout de quelques secondes de contemplation, il pique une lamelle et la porte à sa bouche. Mais les geignements plaintifs de la chienne à ses pieds attirent son attention et l’empêche d’y refermer ses crocs. Il tourne la tête vers l’animal à ses pieds.
- Nul besoin de parole pour te faire comprendre. Mais tu as raison je manque à mes devoirs. Galanterie oblige.
Il récupère la viande entre ses doigts et donne le morceau à Pati qui le dévore goulument.
- Maintenant à mon tour si tu le permets.

Il prend tout son temps pour savourer cette première bouchée. La viande est savoureuse, parfumée avec des saveurs exotiques à son palet et fondante à souhait. Il a une brève exclamation de contentement qui se reflète jusque sur ses traits.

- C’est succulent ! Navré Pati, mais le reste est à moi.

Malgré tout, il partage encore quelques tranches avec la chienne alors qu’il mange son plat avec beaucoup de délectation et ce malgré son envie dévorante de tout gober d’un seul coup. Le plaisir reteinté ses yeux d’ambre chaud. Il se pourlèche même les lèvres pour ne pas manquer la moindre goutte de sauce.
Ce n’est qu’une fois rassasié et l’assiette vidée entièrement qu’il revient à des considérations plus graves. Il repousse légèrement son assiette et croise ses doigts devant lui.
- Le Major a parlé d’une ennemie tout à l’heure ? Comme j’ai cru comprendre qu’il ne s’agissait pas de Titania, de qui s’agit-il ?