Quiétude nocturne.
L'obscurité étend sa torpeur sur la caserne et ses habitants. Les gardes se baissent. La vigilance se relâche. Voilà six mois et demi qu'ils se sont installés et que la vie a repris son cour. Les paramètres ont peut-être changés mais pas la capacité des survivants à s'habituer. Il ont simplement fait leurs les nouvelles cartes rebattues et ont réinstauré une routine rassurante. Les militaires n'échappent pas à ce constat. Bien qu'avant-post d'observation du Brouillard, phare dans la nuit pour les survivants, ils sont moins sur le qui-vive qu'au début. Ce qui demeure dans la brume semble vouloir y rester.

Perché sur le toi du mess, le caporal Cosgrave a l'esprit accaparé par tout autre chose. Neorvrim n'est pas revenu depuis trois jours, depuis que Ciulin leur annoncé avec une expression de colère qu'il ne lui avait jamais vu, que le dragon méditait dans sa crypte et ne souhaitait pas être déranger. Gi-Ja en avait déduit que le sujet de cette introspection n'était ni plus, ni moins que lui.
Sa confession.
Il porte la cigarette à sa bouche son tout dernier mégot. Voilà, il n'en reste rien. Il faudra faire sans nicotine à présent. Le jeune homme soupire, écrasant le bout de filtre rabougri sous sa semelle. Il ne regrette pas d'avoir avoué à son ami ce qu'il avait sur le coeur. Avoir failli le perdre a déverrouillé les non-dits, les secrets honteux et enfouis. Il se sent toujours triste - Il se fait peu d'illusions sur la réponse que lui apportera le draconien- mais, néanmoins, plus en phase avec lui même. Plus en phase qu'il ne l'a jamais été.

Son regard vagabonde sur les arrêtes et les pointes des formes géométriques qui se découpent dans les ténèbres. Même de nuit, la base n'inspire aucune poésie. Il s'apprête à regagner l'intérieur quand une chose étrange attire son attention. Normalement, la patrouille aurait du reparaitre à l'angle de ce bâtiment-ci. Or, elle tarde pourtant à le faire. L'humain plisse les yeux pour mieux distinguer les formes mouvantes. Une poigne glacée lui empoigne les viscères. Une silhouette humanoïde se traine au sol misérablement, avant de se faire tirer par les pieds par une autre, plus massive.

- Qu'est-ce que...

Instinctivement, son regard se redresse vers le brouillard. C'est alors qu'il les distingue, émergeant par dizaines des volutes vaporeuses, à la lisière du Brouillard. Des assaillants en nombre ! Priants ou Hurlants ? Le souvenir des monstres de cauchemar, de chair et de dépravation, le pétrifie une poignée de secondes. Il se ressaisit au plus vite, il doit donner l'alerte. Il dévale les escaliers quatre à quatre. Par bonheur, la salle de gestion des installations de la caserne est dans le même bâtiment. Il se presse en se contraignant à être le plus discret possible. Il ne sait pas combien sont déjà là, combien on déjà investi les lieux. Il ne trouve personne sur sa route -pour l'instant- et gagne le poste radio que Devane aime martyriser chaque matin. Sans la moindre hésitation, il appuie sur le bouton. La voix pleine de détermination de Lady Gaga se déverse à travers les haut-parleurs.

I'm gonna marry the night
I won't give up on my life
I'm a warrior queen
Live passionately tonight

Gi-Ja actionne toutes les manettes d'éclairages et les spots éclairent brutalement les édifices révélant la présence des intrus. Pati aboie à s'en décrocher la mâchoire. Des bruits sourds se font alors entendre dans le couloir. Le soldat réfléchit à toute allure : il est désarmé, coincé dans une pièce dont la seule issue possible est... la fenêtre. Il l'ouvre sans hésiter et sort.

I'm gonna marry the dark
Gonna make love to the stark
I'm a soldier to my own emptiness
I am a winner

Le sommeil a du mal à me cueillir ce soir. Comme souvent d’ailleurs. Du coup je caresse le chat calé sur moi d’une main distraite et regarde Ciulin pioncer, comme un couillon énamouré.
Je suis fiancé…
Ca a encore du mal à se faire un chemin dans ma caboche. Mon doigt effleure son épaule comme pour vérifier que je suis pas carrément en train de rêver sa présence. Je fais ça souvent depuis son retour miraculeux à la vie sans qu'iel le sache.
 
Et puis, un je ne sais quoi m’alerte et je me redresse sur mes coudes. Appelez ça mon spider-sens ou simplement j’ai une bonne ouïe mais je sens que quelque chose se trame.
Doucement, je me décolle du lit et vais jusqu’à la fenêtre au moment où Lady Gaga commence à s’époumoner et que les lieux s’illuminent comme un sapin de Noël au milieu de l’obscurité.
Je vois des silhouettes étranges bouger sur ma base et je suis déjà en alerte.

- Y’a un truc qui cloche ! Habille-toi ! je balance à Ciulin qui est déjà sur le pied de guerre.

Je prends ma super arme de Frigg au cas où, empoigne mon arme de poing que je colle dans mon holster, mon Steyr AUG, mon talkie et fourre les chargeurs en plus dans ma poche. Dans le couloir je croise un Devane qui était de garde cette nuit.
- Rapport.
- Code 4. Des vampires, j’crois bien.
Tout le monde sort finalement des chambres, habillés et armés et on se regroupe en silence.
- Munition à la verveine, je déclare finalement, tendu comme avant chaque mission.

J’ai aucune idée de si on est prêt à ça ou pas… mais on a plus le choix.
J’empoigne mon talkie et donne des ordres à tout va en expliquant en quelques mots de code la situation. « Unité 5 : donner l’alerte dans la salle de radio, que les autres camps se tiennent prêts au cas où et prévenez moi quand c’est fait. » « Unité 7, 8 et 9 protection des réfugiés. » « Unité 6 vous m’allumer ces putains de lampes à UV. » « Unité 5 vous protégez l’infirmerie et les civils sur zone. Unité 2,3 et 4 vous me tirez sur ces salopards. »

Je sors mon arme de poing, change les munitions et le tend à mon frère qui sert sa canne à s’en blanchir les doigts puis finalement l’attrape de son autre main.
- Tiens. Tu fais comme à l’entrainement ok ? Tout va bien se passer. O’Shea, j’te confie la vie de mon frère. Vous allez vous planquez là où on a dit. Ciulin, tu prends en charge la 7, 8 et 9. S’ils nous claquent entre les doigts, les civils seront à découvert.

Nous on est dispensable. Pas eux. C’est ce qu’on leur a promis.
De les protéger et on ne faillira pas.

Je note soudain l’absence de quelqu’un.
- Où est Cosgrave bordel ? Je ne doute pas un instant qu’il serait là avec nous s’il était dans sa chambre. Ok… rassemblement de la 1 et on dérouille ces connards qui envahissent notre base.
Au même moment, un groupe d’intrus défonce la porte du bâtiment sur notre droite. Cinq.
- A trois heures !

Quatre vampires tombent en tout, tous touchés avec précision. Devane a réussi à mettre une bastos au milieu du front d’un des affreux qui s’écroule net. Les trois autres mettent cinq secondes avant d’être mis hors d’état de nuire par la verveine. Ouais nos munitions sont chargées.
On allait finir le dernier quant au même moment, d’autres silhouettes déboulent sur la gauche. Trois.
- Et à neuf heures aussi ! lance tranquillement Hailey qui change de cible tout comme moi.

Neorvrim a mis du temps à se remettre de sa discussion avec Ciulin.
Il lui en veut !
Il lui en veut terriblement !

Quelle sorte d’amitié est-ce là ? Iel n’a cherché ni à le comprendre, ni à prendre le temps de voir les choses sous son angle, niant le moindre de ses ressentis. Iel n’a fait que marteler son point de vue comme si le crier haut et fort en faisait loi.  
Le dragon a déversé sa propre colère, son dégoût, ses blessures et ses incertitudes en geyser de flammes contre les murs en onyx qui ont à peine rougis puis il est resté assis. Il se sent passablement incompris et plus seul encore qu’avant. Et en même temps à quoi s’attendait-il ?

Tout cela n’a fait que l’embrouiller, certaines solutions ridicules proposées par l’avatar se transformant en si…
NON ! Impossible. Il a déjà tenté l’irréalisable. Pourquoi les choses changeraient-elles aujourd’hui ? En vertu de quoi ? De la fin de ce monde ? N’ont-ils pas assez joué avec leur Nature ? N’a-t-il donc rien n’appris ? Croire aux utopies d’un enfant turbulent et irréfléchi n’est pas une solution, c’est un acte de désespoir pur.
Neorvrim a ressassé, réfléchi… beaucoup trop réfléchi. La violence des mots, il sait l’encaisser, mais celle du constat derrière est plus difficile à avaler.

A-t-il encore envie de lutter ? A-t-il encore envie d’appartenir à ce monde ? Y a-t-il seulement une place ?
Oui et non s’il en croit les paroles de l’avatar. Elles n’ont fait que mettre en lumière à quel point il est fatigué. De vivre, de perdre, d’essayer, de croire, de se justifier, de recommencer, encore et encore, de faire fi de la douleur.

Si son cœur brûle encore peut-être est-ce finalement son âme qui en a assez après tout ce temps.
Il devient à moitié fou dans cette crypte obscure où seule règne la mort.

Il n’obtiendra aucune réponse ici. Elle est en lui quelqu’un part… encore faut-il qu’il en assumer les pleines conséquences.

Il sort finalement à la faveur de la lune et respire à fond l’air pur. Ses pas le ramènent d’eux-mêmes vers la caserne. Avec ironie, il se dit qu’il s’est éloigné de toute cette vie pour prendre une décision plus raisonnée mais qu’il y revient néanmoins.
A cette vie.  
Parce qu’elle est attirante, malgré tout.

Arrivé près des barricades, il se fige en apercevant des silhouettes sortir du couvert de la nuit, beaucoup de silhouettes dans le noir et à l’odeur particulière.

Elle n’a rien d’humaine !

A peine se fait-il cette remarque que les lumières aveuglantes des nombreux spots de la base embrasent les lieux. Aussitôt, le dragon comprend que quelque chose ne va pas. Il fait appel à son épée et se met à courir, courir comme il n’a jamais couru. L’activité dans la cour évite de justesse le nom de chaos. Les chefs d’unité sonnent le rassemblement mais il n’est pas facilité par des attaques de créatures de toute part. Il avise l’une d’elle sur le point de déchirer la gorge d’un pauvre soldat et décapite le vampire d’un geste net. Le soldat qu’il ne connait pas lui fait un signe de tête reconnaissant puis rassemble son courage et court vers certains de ses camarades, rassemblés en cercle pour éviter d'être attaquer en traitre.

Mais le dragon balaie tout cela du regard, l'angoisse au creux du ventre.
Il n’y a qu’un homme qu’il cherche.
« Gi-Ja où es-tu ? »

L'alerte donné, Cosgrave est désormais aussi visible que ses assaillants. Pour le moment, planqué derrière un tas de caisses de ravitaillement vides, personne ne la remarqué. Pour le moment. En face, il a des types surhumains qui peuvent le flairer à des kilomètres : des vampires en grosse majorité, certains moins humanoïdes que d'autres, mais il a repéré également trois silhouettes lupines qui se distinguent de la masse par leur stature. Ces salopards semblent avant tout se focaliser sur les quartiers réservés aux civils et à l'infirmerie. Horrifié, Gi-ja les voit attraper des humains désarmés au lasso avec des grappins et des chaines, comme du vulgaire bétail. Toute un pan de clôture électrifiée a été arrachée ou aplatie par des véhicules hétéroclites. Ils les attachent ensuite au parechoc arrière pour mieux les trainer en direction du Brouillard.
Le caporal évalue rapidement ses possibilités pour leur venir en aide qui se résume à peau de chagrin. Sans arme, il ne peut rien faire ! Il lui faut absolument atteindre son atelier et les caisses de grenade UV qu'il a mis au point lui-même. Le soldat calcule mentalement la distance qu'il lui reste à parcourir jusqu'à l'armurerie et son atelier. Un bon gros sprint de cinq minutes, trois si il pousse sur ses muscles, zéro s'il se fait faucher par un vampire.

C'est alors que, comme par magie, une forme poilue à quatre pattes se faufile jusqu'à lui, dans l'indifférence des Hurlants, et, elle n'est pas venue seule. Dans sa gueule, se trouve le sabre que Neorvrim a forgé pour lui.

- Oh Pati ! Combien de fois te devrais-je la vie.... chuchote Gin-Ja en caressant la chienne et en la serrant contre lui. Tu es prête ? Il dégaine sa lame, prend une grande inspiration et dans un souffle lâche un : Go !

Les deux compagnons tracent leur route en ligne droite, tâchant de dévier le moins possible de leur trajectoire. Ses camarades, en bon soldats, on commencé à donner l'assaut. Face à la sauvagerie brute et désordonnée, ils font preuve d'une discipline de fer, et les coups de feux ponctuent désormais la rengaine de Lady Gaga.

I'm gonna marry the night
I'm not gonna cry anymore
I'm gonna marry the night
Leave nothing on these streets to explore
M-m-m-marry m-m-m-marry m-m-m-marry the night
Oh m-m-marry m-m-m-marry m-m-m-marry the night

Malheureusement, leur course ne passe pas inaperçue et trois vampire ruent à leur poursuite. Le jeune homme mobilise immédiatement les enseignements précieux de son maitre d'arme. D'un arc de cercle prompte et précis, il décapite un premier monstre, puis un deuxième. Il pare de justesse le troisième qui parvient malgré tout à lui laisser plusieurs estafilade rouges sur le bras. Alors qu'il s'apprête à devoir encaisser une nouveau coup, Pati le surprend en sautant à la jugulaire du mort-vivant qui s'écroule dans gargouillis abjecte. Gi-Ja contemple le museau sanglant de la chienne quelque peu hébété, avant de se reprendre et de se rappeler son objectif. Il déboule à l'armurerie et jette frénétiquement dans un sac, tout ce qu'il peu d'explosifs. Il récupère un talkie sur son établi qui crachote dès qu'il l'allume. Ordres et manœuvre fusent dans tous les sens des différents chefs d'unités. Le Caporal Cosgrave trouve le canal de la sienne et approche le microphone de sa bouche.

- Caporal Cosgrave à Unité Jenson. Je répète Caporal Cosgrave à Unité Jenson. Brèche ouverte sur les fortifications est. Les Hurlants sont en train de kidnapper des civils pour les entrainer dans le Brouillard. J'ai foncé à l'armurerie après avoir lancé l'alerte! J'ai récupéré des grenades solaires! Je vais faire mon possible pour retarder leurs véhicules !

Joignant le geste à la parole, il ressort au milieu du champ de bataille, une grenade à la main prête à être dégoupillée. Il fonce droit vers le grillage où se massent les assaillants et leurs proies.

Hailey et moi faisons feu mais ces putains de vampires sont rapides et se décalent au dernier moment. Ça a rien à voir avec l’entrainement ! On continue à les canarder mais eux avancent toujours. Ils ont les mêmes dégaines que ceux qu’on a eu – enfin surtout Ciulin – le premier soir.

On a beau en avoir vu un paquet des horreurs, ces trucs-là, c’est à un autre niveau. Mais personne ne faiblit ou ne panique malgré l’avancée des créatures. Au moment où elles vont nous sauter dessus, elles sont brutalement repoussées contre les murs et les fenêtres qui se brisent sous l’impact. Ca sent la magie de Ciulin à plein nez mais je ne me retourne pas pour confirmer ma théorie. Tout ce que je vois c’est la voie dégagée.

- On s’arrache !
Dehors, c’est l’enfer ! Des gens hurlent, ça pétarade dans tous les coins et cette putain de Lady Gaga beugle encore.
Mon talkie crachote.
- Major, impossible d’utiliser la radio. Elle est HS. Vous m’entendez Major ?
- Merde… je jure entre mes dents et porte le talkie à ma bouche. Reçu sergent, protéger les civils je m’occupe du plan B.
- Comment ça tu…
- J’y vais point. Je coupe Devane avant qu'il ne puisse protester plus que ça. Oublie pas, j’ai un bol de cocu ! Filez ! je fais en reculant déjà.
Mon talkie se remet à grésiller.
- Caporal Cosgrave à Unité Jenson. Je répète Caporal Cosgrave à Unité Jenson.
- Putain Cosgrave t’es en vie ! Situation ?
- Brèche ouverte sur les fortifications est. Les Hurlants sont en train de kidnapper des civils pour les entrainer dans le Brouillard. J'ai foncé à l'armurerie après avoir lancé l'alerte ! J'ai récupéré des grenades solaires ! Je vais faire mon possible pour retarder leurs véhicules !

J’échange un regard avec Devane puis Ciulin.
- Go !

O’Shea et Rory partent d’un côté, moi de l’autre et le reste de l’unité fonce vers l’est. Ok… c’est parti pour le sprint du siècle. Je zigzague comme je peux, tire sur les vampires que je croise sans vérifier si j’ai visé juste ou non, la verveine finira par faire son effet, et me dirige vers le centre de commandement. Je tombe sur quelques civils paniqués et leur ordonne de courir vers la forêt, à l’opposé des assaillants.
Putain ! Mon premier chargeur est déjà out.
Je me fais soudain surprendre en traitre par un vampire qui me plaque salement au sol. Je vois trente-six chandelles mais ne manque rien du spectacle de sa gueule qui s’ouvre en grand pour me croquer.
Une lame lui traverse alors la bouche et en ressort presque aussitôt. En quelques secondes, le vampire se trouve brutalement privé de sa tête. Je suis éclaboussé de sang mais sourit à la haute silhouette qui me tend la main.
- Jamais été aussi content de te voir !
- Vous n’êtes pas très prudent, Major.
- Neo, on a besoin de toi vers l’est. Nos assaillants sont en train d’enlever des civils pour les ramener dans le brouillard comme des gros casse-croutes. Ils ont des véhicules et il ne faut pas qu’il puisse repartir. Gi-Ja est pas là-bas aussi.
- Entendu. Bonne chance, Caleb.
- Qui a besoin de chance quand on a le talent ?

Neo bouge si vite que j’ai du mal à la suivre du regard. Je sais pas comme il réussit son coup mais j’entends soudain des bruits d’ailes et des longs hurlements de défi qui figent même les vampires. Un sourire féroce barre mon visage plein d’hémoglobine alors que je me remets à courir.
Eh ouais les mecs ! On a un dragon…

J’atteins la salle du haut commandement non sans avoir vidé la moitié d’un autre chargeur. Je grimpe les marches quatre à quatre, ne regarde pas les corps au sol pour ne pas m’arrêter dans ma course. Je stoppe enfin Lady Gaga et enclenche la sonnerie d’alerte à la population qui résonne bien au-delà de la caserne dans le silence de la nuit.
Bonjour Silent Hill.
En hauteur, j’ai la satisfaction de voir que les lampes UV pivotent lentement vers les voitures et les grillages est. J’entends du bruit dans l’escalier et me dépêche de sortir sauf qu’au milieu des marches, se dresse une créature que j’ai encore jamais vu. Un loup-garou dressé sur ses pattes arrière. Le pelage brun, les babines retroussées et l’envie de me becqueter dans le fond des yeux.

Merde !

*****

Neorvrim, de son côté, ne fait pas dans la délicatesse. Il atteint les barrières est en quelques battements et attaque immédiatement autant de créatures que ses crocs, sa lourde queue hérissée de piquants et ses griffes le peuvent. De temps à autre son feu éclabousse les scènes de massacres de sa lumière. Véhicules et vampires sont les cibles de son courroux. Les créatures occupées par le dragon, les soldats ont le temps de se réorganiser et de délivrer les hommes et les femmes qui ont déjà été capturés avant de les mettre à l’abri.  

Ils sont une trentaine massés autour des jeeps, de camions ou d'utilitaires. Et il continue d'en dégueuler du Brouillard sans discontinuer. Gi-Ja, Pati sur les talons, ne se donne pas plus le temps de réfléchir, il dégoupille sa grenade et la balance au milieu du convois de futurs esclaves - bétail ou convertis, peu importe les sombres desseins des Hurlants. Gi-Ja se protège les yeux et ceux de la chienne. Un halo de lumière cru inonde brutalement les pieds des vampires déconcertés. Les sept plus proches disparaissent dans un bruissement de cendres sans avoir le temps de manifester leur surprise. Treize autres sont partiellement brulés et pour le moment déboussolés et vociférants. Le caporal Cosgrave décide que le timing est parfait pour libérer les civils de leurs chaines. Il court comme un dératé et retire aussi vite que possible l'accroche des grappins aux capots avant qu'on ne le repère.

- Fuyez vers la forêt pour le moment! ordonne-t-il aux rescapés encore sonnés et partiellement aveuglés. Dépêchez-vous !
- ILS S'ECHAPPENT !!! beugle un vampire dont le bras a partiellement été consumé par les rayons UV.

N'écoutant que son courage, Gi-Ja couvre la fuite de la douzaine d'humains qu'il est parvenu à sauver. Il n'a qu'un chien, un sabre et une dizaine de grenades avec lui. Il fait face vaillamment, conscient que la cavalerie arrive. Il doit juste tenir.
Les vampires qu'il a salement amochés tiennent toujours debout, comme possédés. Il est peu à peu encerclé. Apparait alors, dans le ciel nocturne une ombre gigantesque dont le battement d'aile lui est familier. Une gerbe de flammes s'abat sur toute la longueur du flanc est de la caserne. Un rire jouissif de pure exaltation sort avec éclat de la gorge de Gi-Ja.

Neorvrim est là !

Aussitôt, le dragon devient la cible de toutes les attaques des Hurlants. Il les piétine, les balaie, les dévore comme de simples poupées de chiffon. Plus loin, des unités exfiltrent les civils pendant que les autres militaires nettoient le périmètre. Ciulin lévite seul-e à la lisière du Brouillard et repousse par vagues télékinésiques furieuses, tout nouveaux arrivants hurlants issus des brumes.

Tout-e concentré-e à sa tâche, il lui est impossible de percevoir le picotement dans sa poitrine sensé l'alarmer de la détresse Caleb.

Gi-Ja décide de courir prêter main forte à l'avatar avec ses grenades, mais tout à sa joie de voir la bataille tourner en leur faveur, il ne se rend compte que trop tard du coup qui lui est porté. Un loup-garou gris et immense, tenant debout sur ses deux pattes arrières lui tombe dessus. L'humain a tout juste le temps de faire un pas de côté pour voir son énorme mâchoire de crocs dégoulinants claquer dans le vide. Il en tombe à la renverse et recule sur les fesses en jouant frénétiquement des talons pour mettre de la distance entre lui et l'ennemi. Peine perdue. La créature est d'une vivacité extraordinaire. Il abat ses larges griffes sur sa proie et larde le buste de Gi-ja. La chair se déchire, les muscles s'écharpent, les os vibrent, le sang gicle en abondance. Le gout de sa propre vie éclabousse son palais, ferrugineuse. Une douleur comme jamais le soldat n'en a connue envahit tout son être, de ce genre de souffrance à vous faire perde connaissance. Malgré tout, le jeune homme reste conscient et tente maladroitement de trouver son sabre à tâtons dans l'herbe empoissé d'hémoglobine. Le loups l'observe avec une acuité et émet un petit rire grondant.

- Tu ferais un bon loup... Je demanderais à ce que tu sois transformé. Sans plus de cérémonie, la bête attrape le caporal Cosgrave qui peine à se débattre et le jette sur son épaule comme un vulgaire sac.

Indifférent au reste de la bataille, il émet un hurlement lupin puissant, signe de ralliement sans doute de ses deux autres camarades, et se dirige vers le Brouillard pour y retourner.

Les attaques de ces ridicules moustiques ne transpercent jamais le derme épais des écailles du dragon. Lui, par contre, fait des trous considérables dans les rangs des attaquants et s’y adonne à cœur joie. La sirène hurlante couvre en grande partie leurs cris et tout à son exaltation guerrière, le dragon en oublie un instant le reste.

L’animal se gave de la peur qu’il inspire mais un son le ramène brutalement au sol. Un aboiement d’agonie canine retentit sur le champ de bataille et le dragon se retourne en plein vol pour voir Patti japper au pied d’un corps au sol alors qu’une créature lupine se dresse de toute sa hauteur à ses côtés, les griffes luisantes de sang.

- Non…!

Elle ramasse le corps humain et le hisse sur son épaule après avoir hurler.
Celui de Neorvrim lui répond, plein de rage. Il file vers le sol et au dernier moment, ses pattes attrapent l’autre loup-garou pour le plaquer violemment au sol en atterrissant devant le kidnappeur. Sa proie geint alors qu’il enfonce ses griffes sous sa fourrure. Neorvrim tourne sa tête vers le loup-garou qui retient Gi-Ja. Le sang de l’humain imprègne tellement ses narines qu’il doit se faire violence pour ne pas les réduire en bouillie.

- Lâche ce soldat…
Le loup-garou ne reste pas insensible face à la dangerosité de la créature de légende qui lui fait face.
- Sinon ?
Neorvrim se contente d’enfoncer un peu plus ses griffes dans la peau de son compagnon.
- Une vie pour une vie.
Le loup tergiverse, trop longtemps au goût du dragon qui appuie à nouveau sa proposition d’un regain de douleur pour l’animal entre ses pattes.
- Très bien, concède-t-il enfin avant de lâcher Gi-Ja comme un sac. Neorvrim gronde et fait claquer ses mâchoires vers l’animal qui n’évite ses crocs que de justesse. Mais, un marché étant un marché, il relâche le loup qui continue de couiner de douleur alors que son compagnon le ramasse et disparait.
Neorvrim, méfiant, les a suivi du regard avant de se tourner vers Gi-Ja. Il est tellement couvert de sang qu’il a bien du mal à saisir l’ampleur des dégâts.
- Par la Flamme… Gi’ ? Tu m’entends ? Reste éveillé…

Il a l’air au plus mal et crache soudain un sang noir et épais…
A l’agonie…
Il est à l’agonie !

Non ! Il refuse de perdre à nouveau un être aimé.
Il le refuse.

Il a un instant une pensée pour les personnes ayant encore besoin d’aide mais sa priorité est à présent de faire en sorte que cet humain, son humain, vive. Sans plus perdre une minute, Neorvrim bat des ailes et récupère avec une extrême délicatesse le corps de Gi-Ja. Il s’envole sous les hurlements de Pati et file aussi vite qu’il le peut dans les airs. Il longe une partie du Brouillard et en profite pour déverser son feu sur les quelques vampires en déroute.
Il survole rapidement le lieu que tous appellent « le Ranch de Gaff ».

- SALOMON !!!! hurle-t-il à plusieurs reprises de toute la force de ses poumons avant d’amorcer sa descente près d’une grange. Avant même de toucher le sol, il reprend sa forme humaine qui amorti le choc de l’atterrissage. Aussitôt, il referme les bras sur le corps de l’humain, le tient contre lui et presse désespérément ses paumes sur les blessures qui continuent à déverser du sang qui souille sa tunique.

- Gi’… il embrasse la tempe du soldat, je t’en supplie… ne t’en va pas toi aussi… ne me laisse pas… s’il te plait… reste avec moi mon coeur… reste…
Il presse désespérément son front contre la tête de Gi-Ja et ne relèvera des yeux hantés que pour faire face au démon dont il a tonné le nom.
- Je vous en prie…sauvez-le.

I need you to see
Nothing can change unless you believe
I won't let it go
I'll stick to the plan
Now we're deep in the throws
I won't let it go
I'll fight til the end
And then you will know
Who will save you now

Les sons, les images, les couleurs, tout lui parait bien lointain. Gi-Ja flotte dans un monde de ouate qui abolit l'apesanteur. Le vent souffle, la nuit étoilée est infinie. Peut-être son esprit quitte-t-il son corps ?
"Non!"
Pulsion subite de la pensée.
Sursaut de vie.
Une étincelle, faible, mais tenace.
Gi-Ja refuse de mourir sans avoir entendu la réponse de Neorvrim de sa bouche. Ceci ne sera pas sa fin. Ceci n'est qu'un commencement !

De belles paroles.
Sa carcasse se vide comme une outre. Il a froid et la cendre a envahit sa bouche. Tout ce sang épais qui lui obstrue la gorge l'empêche de parler. Pourtant, il y a encore cette flamme dans son regard, cette rage d'exister.
"Je... veux.. t'aimer.. encore..."

- Gi’… je t’en supplie… ne t’en va pas toi aussi… ne me laisse pas… s’il te plait… reste avec moi mon coeur… reste…

Neorvrim est penché au dessus de lui, si beau, si chaud, si triste. Gi-Ja aimerait bouger, il aimerait tendre ses doigts pour lui caresser la joue, lui susurrer un mot doux. Apaisant. Il n'y arrive pas. Son corps est si gourd.
Le dragon relève le menton, regarde quelqu'un s'adresse à lui. Qui ?

- Je vous en prie…sauvez-le.

On l'emporte et les ténèbres le happent, le dévorant goulument.

   

La sirène avait fini par alerter jusqu'au haras. Les Dormeurs s'étaient déjà rendus sur place, Viorea Taur en tête. Ohanzee Figtree, pour sa part, attendait dehors, nez vers les étoiles, bien avant que le son strident de l'alarme ne soit déclenchée.  Il avait empêché le Jardinier des Enfers de suivre le mouvement d'ensemble. Salomon s'était enquis du pourquoi avec un agacement certain et le jeune homme de répondre simplement : "Quelque chose arrive. Lorsque ce sera le cas, cela aura besoin de toute mon aide et de la vôtre."
Les jours  précédent, il avait peint furieusement des flammes, des scènes d'incendies, des cœurs enflammés au sens propre comme au figuré. Beitris observait son effervescence avec des gloussement ravis. Telle une muse inquiétante, elle inspirait l'artiste et ses coups de pinceaux, l'encourageait à se livrer pleinement à son intensité visionnaire.
Lorsque Neorvrim avait paru, le prophète avait su que son attente prenait fin.

Salomon s'était aussitôt mis au travail, secondé tant par Jhaelynra que par Cazdyan. Rocher avant délicatement pris le corps de Gi-Ja pour le transporter dans la grange-dispensaire. Ohanzee avait alors  pris la main de Neorvrim dans les siennes, son pouvoir d'Infini s'infusant en la créature milénaire.

"Ayez foi en lui, Neorvrim.
Ayez foi en cet amour qui vous unit.
Il anime l'âme de Gin-Ja et nourrit sa détermination à vivre."

A aucun moment, le draconien ne lui avait confié leur identités.

   

Gi-Ja ouvre brusquement les yeux, arraché au néant. Il ne reconnait pas l'endroit où il se trouve et s'agite dans un lit dont il ne reconnait pas la texture des draps (ni leurs motifs fleuris ?), ni la densité du matelas ou le moelleux des oreillers. Une odeur de lessive et de tarte au pomme embaume l'air. Il se souvient alors de la douleur, des blessures, et se touche le torse... intact. Il se sent bien. Etrangement bien. Bien trop en pleine forme pour que ce soit honnête.

- Merde, je suis mort !

La fin de l’attaque a été aussi fulgurante que son commencement.
Sans doute surpris par la résistance des humains et la présence d’un dragon, les Hurlants regagnèrent rapidement l’abri du Brouillard avant même l’arrivée des renforts.
Mais personne ne s’y trompe.

Il ne s’agit que d’un commencement, une mise en bouche.
Et la prochaine fois que la horde d’Unseelie attaquera, elle sera bien mieux préparée.
Miraculeusement, les pertes civiles se comptent sur les doigts de la main. On ne peut en dire autant des soldats qui ont donné leurs vies pour les protéger.
Tous se sont battus comme des lions.
Plus d’une vingtaine de morts et des dizaines de blessés avec pronostic vital engagé.
Les alliances mise en place avec les différents clans de l’extérieur ont permis d’éviter d’autres morts.

De sa confrontation avec un loup-garou, le Major Jenson en ressort avec des lacérations nombreuses, des côtés fêlées et une rage de vaincre nouvelle.
Il a toutefois réussi à éviter la morsure.
Le soldat O’Shea a lui été gravement blessé à la gorge par un vampire et lui et Rory Jenson se sont mutuellement sauvés la vie.

A noté que l’unité Jenson, la 2e ainsi que la 3e unité qui s’entrainent depuis au moment avec les soldats d’Emeraude déplorent le moins de blessés.
 
Il s’agit à présent de se relever, affiner et reconstruire les défenses, se remettre sur ses gardes, enterrer et pleurer les morts ou les disparus.
Mais s’il s’agit d’un brutal rappel à l’ordre qu’Unseelie ne les a pas oubliés, c’est aussi une mise en garde adressée à l’entité destructrice :
Les survivants n’ont pas dit leurs derniers mots et ils lutteront jusqu’au bout !

Tout se déroule dans une sorte de flou étrange.
Impuissant, inutile maintenant qu’il vient de confier la vie de Gi-Ja à d’autres mains, le dragon fixe le bâtiment du regard comme si le simple fait de ne pas le quitter des yeux aidait le soldat à lutter contre la mort. Lentement, il se redresse, inconscient des regards qu’on lui jette, écoutant à peine l’humain qui lui a pris la main et lui parle.

Rien n’a plus d’importance que ce fil de vie si mince, si fragile, si mortel qu’il chérie.

Couvert du sang de Gi-Ja, il échange à peine un regard avec l’humain et récupère rudement sa main.
Il finit par pénétrer dans la grange et continue d’avancer. On l’arrête toutefois rapidement et on le guide vers une chaise.
Il ne veut pas s’assoir !
Il veut que Gi-Ja réouvre les yeux, qu’il le regarde, qu’il lui sourit et qu’il rit… qu’il vive.

Mais Neorvrim est assez sage pour comprendre qu’il ne peut rien faire qu’attendre. Alors c’est ce qu’il fait. Combien de temps reste-t-il la sans bouger et en silence ? Une éternité ? Quelques minutes ?
Si la vie de Gi-Ja s’éteignait ce soir… il n’arrive même pas à le concevoir.
Cazdyan vient finalement le voir. L’humain est affaibli et il vivra. Le Leshi le regarde intensément, avec une curiosité étrange et finit par lui demander pourquoi un dragon apporte tant d’importance à un simple humain.

- Parce qu’il est mon ami… parce qu’il m’est précieux… très précieux.
L’homme-arbre n’a pas semblé comprendre exactement ce qu’il a voulu dire mais peu importe. Finalement, le soldat a été transféré dans une chambre de la bâtisse principale du campement. Le dragon l’a suivi comme une ombre, l’a veillé puis nettoyé consciencieusement et avec des gestes d’une grande tendresse, malgré sa répulsion de l’eau. Il en a profité pour se débarrasser du sang qu’il avait encore sur les mains et le visage.

Puis à nouveau l’attente.

« Il va bien… »
Pour s’en assurer, il garde sa main dans la sienne, son index callé contre cette petite veine qui palpite follement à son poignet. Il semble étrangement paisible.
Et puis soudain, sans prévenir, il s’agite entre les draps. Aussitôt Neorvrim quitte sa chaise pour s’assoir à ses côtés.
- Gi-Ja ! Tout va bien…
- Merde, je suis mort !
- Non. Tu es sauf.

Pouvoir à nouveau plonger son regard dans celui de l’humain ôte enfin cette chape d’inquiétude qui pesait sur ses épaules. Ce n’est qu’à cet instant qu’il se permet de respirer à nouveau et il ferme brièvement les yeux le visage froissé d’une émotion incontrôlable.

- Comment… sa voix se serre et il met quelques secondes à reprendre, comment te sens-tu ?
Incapable de se retenir plus longtemps, il se penche pour coller son front au sien et ses paumes se callent sur les côtés de sa tête, lui coupant toute dérobade.
- J’ai cru… j’ai cru que j’allais te perdre aussi, murmure-t-il avec une affliction déchirante dans la voix. Je n’aurais pas pu le supporter…

- Non. Tu es sauf.

Gi-Ja sursaute et tourne son visage vers Neorvrim comme s'il illuminait brusquement toute la pièce. Un sourire fleurit sur le visage du soldat, une étincelle vive pétille dans ses yeux, l'amour inconditionnel du jeune homme pour le dragon transpire de tout son être.

- Neorvrim...

S'entendre prononcer son nom c'est le rendre réel. Concret. Vivant.
"Je suis en vie."
Il voulait avoir le temps de l'aimer un peu plus, il a été exaucé.

- Comment… comment te sens-tu ?
- Plutôt bien raffistolé. Par magie, j'imagine ? Où sommes-nous ? ... Chez Gaff ? On dirait une grange....

Le draconien apparait éprouvé, éreinté jusqu'à l'os par l'inquiétude. Il ne lui a jamais vu avoir de telles émotions à fleur de peau. "Est-ce que c'est à cause de moi ?" se demande-t-il bêtement. Comme pour répondre à cette interrogation silencieuse, Neorvrim prend son visage entre ses grandes mains calorifères et épouse son front du sien.

- J’ai cru… Jai cru que j’allais te perdre aussi... Je n’aurais pas pu le supporter…
- Neo.... Son timbre l'enrobe comme une couverture duveteuse alors que ses paumes recouvre les siennes. Tu m'as sauvé la vie... Il s'est accroché à sa voix, à la perspective de pouvoir entendre sa réponse à sa confession, à cette vie dont il savoure enfin le gout. Son nez frotte le sien, cet incroyable cap, cette merveilleuse péninsule... Merci... chuchote-t-il à son tour.

Et puis tout lui revient en mémoire : les Hurlants, la caserne attaquée, Les paroles de "Mary the Night", les voitures en flammes, les civils enchainés, la mitraille, Ciulin envoyant valdinguer des monstres par dizaine vers le Brouillard, les voix de ses camarades qui crachotent sur les talkies...

- Les autres ! Est-ce que les autres vont bien ? L'attaque ? On a pu mettre tout le monde à l'abri ? s'angoisse Gi-Ja en s'accrochant aux bras de Neorvrim. Et-ce que tu sais ?

- Plutôt bien raffistolé. Par magie, j'imagine ? Où sommes-nous ? ... Chez Gaff ? On dirait une grange...
- Ne t’agite pas, l’apaise le dragon calmement. Je t’ai mené jusqu’au meilleur soigneur à ma connaissance. Nous sommes effectivement chez Gaffney. Le démon Salomon t’a soigné…

Et il lui devra une fière chandelle à présent.
Tout son corps relâche la pression de ces dernières heures d’incertitudes et de tension. Auxquelles s’ajoutent celle passées dans la crypte. Les mots de Ciulin. L’attaque. Mais de simplement le voir respirer et contempler le pétillement de ses yeux lui font comprendre avec horreur à quel point il était sur le point de le perdre.

- J’ai cru… Jai cru que j’allais te perdre aussi... Je n’aurais pas pu le supporter…
- Neo... Par la Flamme qu’il aime lorsqu’il prononce son prénom de cette façon. Tu m'as sauvé la vie...

"Ayez foi en lui, Neorvrim.
Ayez foi en cet amour qui vous unit.
Il anime l'âme de Gin-Ja et nourrit sa détermination à vivre."

Ces drôles de paroles lui reviennent soudain, comme si elles avaient pris racine quelque part.
Là où il a échoué avec Iska, a-t-il réussi avec Gi-Ja ? A-t-il pu lui insuffler l’envie de vivre et se battre plutôt que d’abandonner ? En est-il seulement capable ?
Avoir foi… il l’avait autrefois, en beaucoup de choses.

- C’est grâce à Pati. Elle pleurait sur ton corps et je l’ai entendu. J’ai cru… mais ce loup-garou t’a jeté sur son épaule et allait partir avec toi. Il a le regard ailleurs comme s’il revoyait les évènements se dérouler sous ses yeux. Lorsqu’il a consenti à te lâcher, tu étais couvert de sang.
Il pose une main contre son torse intact et sans la moindre trace de cicatrice. Ce contact peau à peau s’avère aussi doux et apaisant qu’une flambée relaxante et il s’en gave avec une avidité aussi intense que ne l’a été son inquiétude.
- Je n’ai même pas réfléchi. Je t’ai amené ici en priant pour que tu tiennes le coup. Encore maintenant je ne sais pas comme tu as pu survivre assez longtemps pour que je t’amène ici mais j’en suis heureux. Il fixe son regard dans le sien et n’arrive plus à s’en détacher. Terriblement heureux.
- Merci...
- Je n’ai rien fait que tu n’aies déjà fait pour moi.
L’humain se redresse soudain et recommence à gesticuler.
- Les autres ! Est-ce que les autres vont bien ? L'attaque ? On a pu mettre tout le monde à l'abri ? Est-ce que tu sais ?
Neorvrim se permet à nouveau de venir englober sa joue brièvement.  
- Calme-toi, je t’en prie. Tu as perdu beaucoup de sang. Il pousse un long soupir. Il y a eu peu de pertes civiles de ce que j’ai cru comprendre. Beaucoup plus chez tes camarades. Vous vous êtes battus comme des guerriers pour sauver les vôtres. Ton unité va bien. O’Shea et le Major ont été blessé plus sévèrement mais ils sont tous deux entre de bonnes mains.
Doucement mais fermement, il appuie sur ses épaules pour l’obliger à se rallonger.
- Et toi, tu as besoin de repos. D’ici un jour ou deux, je nous ramènerai en attendant je vais prendre soin de toi. Il lui offre un sourire franc bien que fatigué. As-tu besoin de quelques chose ? Souhaites-tu à manger ou à boire ? J’irai en quérir chez les propriétaires des lieux.

Ainsi donc, il a subit ses premiers soins "magiques" et il n'a même pas pu être témoin de cette expérience. Il faudra qu'il remercie le fameux Salomon qu'il a déjà croisé de loin - un grand échalas blonds aux yeux immenses et aux tenues excentriques - avec sa compagne rousse -ni plus ni moins que l'Agneau Sacrée de l'ICV. Si un démon et une sainte peuvent s'aimer dans ce monde-ci, pourquoi pas un humain et un dragon ?

- C’est grâce à Pati.
- Elle est incroyable... Je ne compte plus les fois où je lui dois une fière chandelle. Sans elle, je serais mort à quatre reprise au moins...
- Elle pleurait sur ton corps et je l’ai entendu. J’ai cru… mais ce loup-garou t’a jeté sur son épaule et allait partir avec toi. Le regard hanté de Neorvrim, pousse Gi-Ja à franchir la distance qu'ils s'étaient imposée et à lui caresser la joue.
- Mais tu es intervenu...
- Lorsqu’il a consenti à te lâcher, tu étais couvert de sang.

Le jeune homme a une certaine idée de la manière dont Neorvrim a arraché le consentement de son agresseur. De façon musclée, très certainement.

- Je n’ai même pas réfléchi. Je t’ai amené ici en priant pour que tu tiennes le coup. Encore maintenant je ne sais pas comme tu as pu survivre assez longtemps pour que je t’amène ici mais j’en suis heureux....Terriblement heureux.
- Merci...
- Je n’ai rien fait que tu n’aies déjà fait pour moi.
Gi-Ja sourit tendrement et ajoute avec un soupçon de gêne qui empourpre ses joues.
- Je.. Je voulais vivre pour pouvoir rester aupès de toi. Je me suis accroché de toutes mes forces à.. à l'idée que je voulais t'aimer plus longtemps.... ajoute-t-il à mi-voix.Malgré la douceur de l'instant, son esprit s'affole à nouveau autour d'idées inquiétantes. Il s'agite dans son lit. Les autres ! Est-ce que les autres vont bien ? L'attaque ? On a pu mettre tout le monde à l'abri ? Est-ce que tu sais ?
- Calme-toi, je t’en prie. Tu as perdu beaucoup de sang. L'humain se force à au calme malgré le mordillement nerveux de sa lippe. Il y a eu peu de pertes civiles de ce que j’ai cru comprendre. Beaucoup plus chez tes camarades.
- Non ! Qui ?! Dans ses prunelles sombres, la détresse brule. Il a déserté, il a abandonné les siens.
- Vous vous êtes battus comme des guerriers pour sauver les vôtres. Ton unité va bien. Le soldat pousse un soupir de soulagement clairement audible. O’Shea et le Major ont été blessé plus sévèrement mais ils sont tous deux entre de bonnes mains.
- Ils.. Il vont s'en sortir ? Et Ciulin ? Il... elle... Il n'arrive toujours pas à s'y faire... était seul-e sur le front du Brouillard. Je voulais l'aider.... et...

Et il s'était fait faucher par un loup-garou. Le dragon l'oblige à regagner une position horizontale et à se tranquilliser.

- Et toi, tu as besoin de repos. D’ici un jour ou deux, je nous ramènerai en attendant je vais prendre soin de toi. As-tu besoin de quelques chose ? Souhaites-tu à manger ou à boire ? J’irai en quérir chez les propriétaires des lieux.
- J'ai.. J'ai juste besoin de toi[/i], répond le survivant en pressant la main de son sauveur. [i]Est-ce... Est-ce que ce serait brusquer ton "temps de réflexion" si je voulais te prendre dans mes bras ? demande-t-il timidement.

- Ils… Il vont s'en sortir ?
Le dragon a un mince sourire.
- Tu les connais bien mieux que moi, non ? Ils font partis de ces personnes qui s’en sortiront toujours. D’une façon ou d’un autre. Mais pour te tranquilliser j’irai me renseigner sur leurs états.
- Et Ciulin ? Il... elle... était seul-e sur le front du Brouillard. Je voulais l'aider... et...
- Ciulin va bien. Et tu as fait ce que tu as pu, le rassure-t-il avec dans le ton une conviction qui ne peut être niée. Tu as sauvé la vie de nombreuses personnes, tu peux être fier de tes actions. A présent, oublie un peu les autres. Il le force avec une douce fermeté à s’allonger. Et toi, tu as besoin de repos. D’ici un jour ou deux, je nous ramènerai en attendant je vais prendre soin de toi. As-tu besoin de quelques chose ? Souhaites-tu à manger ou à boire ? J’irai en quérir chez les propriétaires des lieux.
- J'ai.. J'ai juste besoin de toi.

Cette affirmation le fait sourire et il sert sa main en retour.
- Je suis là. Mais je crains ne pas être suffisant à ton rétablissement. Aux vues des traumatismes qu’a subi ton corps, il me parait plus sage d’aller te chercher de quoi le nourrir…
Mais avant qu’il ne puisse esquisser le moindre geste, Gi-Ja reprend.
- Est-ce... Est-ce que ce serait brusquer ton "temps de réflexion" si je voulais te prendre dans mes bras ?
Neorvrim pince ses lèvres.
- Non. Bien sûr que non.

Il se coule sur son flanc tant bien que mal et l’enserre avec force entre ses bras. Malgré la toilette minutieuse dont il a été l’objet, le jeune homme sent encore le sang et la mort, une odeur que Neorvrim ne connait que trop bien et qui lui collera à la peau quelque temps. Où bien est-ce la mémoire olfactive de la créature qui lui joue des tours ? Il aimerait pouvoir l'effacer définitivement...
En tous les cas, ces arômes terribles le poussent à le serrer plus fort encore et il se laisse aller à lui baiser le front.
Un geste qu’il n’aurait même pas eu l’idée de faire il y a quelques semaines encore…
A quel point a-t-il et continue-t-il de changer depuis son réveil ?

- Je ne suis pas certain que ce « temps de réflexion » me soit profitable. Il passe des doigts paresseux dans les cheveux défaits de Gi-Ja. Pendant que la vieille créature que je suis se perd dans des méandres de pensées stériles, tu pourrais mourir demain ou après-demain. Cette idée est … terrifiante. Elle le glace bien plus surement que tout transfert d’énergie vers une source djinn. Pourtant, il sait que tôt ou tard, cela arrivera. Il revient coller son front au sien. Tout ce que je souhaite c’est que tu vives et que tu sois heureux. Parce que je tiens à toi.

Il n’arrive pas à en dire plus pour l’instant. Ses émotions sont trop à fleur de peau. Sa peur trop étouffante.
- A présent, dors Gi-Ja.
Il pressent toutefois que les épreuves qu’auront à affronter les survivants de ce monde sont bien loin d’être finies.
- Je veillerai sur toi.
Cela il peut lui promettre sans la moindre hésitation.      

- Non. Bien sûr que non.

Malgré l'hésitation, Neorvrim lui accorde sa requête et se couche auprès de lui. Malgré sa tunique couverte de sang séché, Gi-Ja se blottit dans l'écrin de sa chaleur. Ses bras le retiennent comme si le dragon avait peur de le voir soudain disparaitre en fumée. C'est sans doute ce qu'il a ressenti en transportant son corps agonisant ici. L'humain ferme les paupières en accueillant le baiser du draconien sur son front. Dans cet espace intime, ce cocon de douceur, le jeune homme se sent aimé, sans doute pour la première fois de sa vie, pour lui même. Pas de mensonge, pas de façade, pas de faux-semblant.

- Je ne suis pas certain que ce « temps de réflexion » me soit profitable. Pendant que la vieille créature que je suis se perd dans des méandres de pensées stériles, tu pourrais mourir demain ou après-demain. Cette idée est … terrifiante.
- Est-ce que ça veut dire... que tu as pris une décision ? demande Gi-Ja en le regardant intensément.
- Tout ce que je souhaite c’est que tu vives et que tu sois heureux. Parce que je tiens à toi.
- Et si ce qui me rend heureux c'est toi... ? souffle-t-il avec un aplomb dont il ne se serait pas cru capable.

Neorvrim préfère changer de sujet et lui suggère de dormir, mais l'homme n'a pas sommeil. Il effleure la pulpe de la lèvre inférieure du dragon.

- J'ai envie de t'embrasser... Est-ce que je peux ?

Il tend la bouche vers lui, de façon un peu timorée. Il a peu que Neorvrim lui refuse ce baiser sacrilège. Avoir frôler la mort lui donne soif de contact peau à peau à peau, bouche contre bouche, Vie contre Vie. Que le dragon lui concède ou non ce caprice, ils sont soudain surpris par une petite quinte de toux.

- Hum.. désolé d'vous déranger les jeunes, mais j'dois livrer des fringues king-size à un dragon tout crotté!

Un colosse à la barbe poivre et sel et à la stature de buffle les observe avec une pile de vêtements ( un jean, un t-shirt blanc et ce qui semble être une chemise à carreaux rouge en flanelle épaisse). Il se dégage de lui une autorité naturelle et une familiarité étrange. Ses yeux bleus très clairs et son nez pointu imposant ont de quoi rappeler ceux de Ciulin. Pour le caporal Cosgrave, l'homme n'est pas un inconnu : tout le monde connait cet emmerdeur notoire en tant que militaire. Ils ont dû se débattre avec sa nonchalance un nombre incalculable de fois, à chaque arrestation post-couvre-feux de l'un des gus de son "équipe" pour être exact.

- Vous... Vous êtes Kaelig Taur ! fait Gi-Ja en se couvrant le torse avec le draps pudiquement.
- Lui-même ! J'vois qu'ma réputation me précède. Tu dois être Gi-Ja ? Ma p'tite femme d'amour m'a pas mal parlé de toi. Elle t'adore !
- Q.. Qui ? demande le soldat un peu déboussolé.
- Mais si tu la connais ! Minuscule, ultradynamique, les cheveux roses et enceinte jusqu'aux yeux.
- Elie ! Vous.. Vous êtes le père de Ciulin lâche-t-il en reprenant ses esprits.
- C'est ça ! Et tu dois être Neorvrim, le fameux dragon dont ma gosse me rabâche les oreilles. Il tend sa paluche de bûcheron au prince draconien pour la lui serrer, de façon très semblable à Ciulin par ailleurs. Je suis le seul dans les parage avec Samaël a faire la même taille que toi, à la différence que moi j'ai encore une penderie.

Il a un rire grondant et sympathique.

- Tiens et file moi tes frusques, on va faire partir une lessive. Depuis que les jumeaux de Sam sont là, on les enchaine à tour de bras. Qu'est-ce que ça sera quand Elie et Riley auront accouché, hein ?

Kaelig tend la pile bien repassée à Neorvrim et soudain ses pupilles se dilatent, envahissant le sclère de chaque oeil. Un début de cornes de bœuf perce ses tempes de part et d'autre. Il se frappe brutalement le front en fermant les paupières.

- Couchées murdărie ! Après une poignée de secondes, la métamorphose s'inverse et l'homme s'ébroue. Désolé, je suis un démon tout neuf et dès que je suis en présence du moindre regret, et t'en a un paquet collés à ton âme, fait-il avec un geste vague vers le dragon, je mue plus vite qu'un popples. Une vraie plaie !

La caresse sur ses lèvres fait pétiller son corps comme des petites étincelles. Il aurait pu ne plus jamais ressentir cela… Lentement, ses propres doigts cerclent le poignet de Gi-Ja et sa bouche baise délicatement le bout de ses doigts inquisiteurs.

- J'ai envie de t'embrasser... Est-ce que je peux ?

Le dragon le fixe dans les yeux. Evidemment, la raison voudrait qu’il garde des distances plus saines et propices à une prise de décision dépassionnée mais Neorvrim n’est pas certain qu’écouter son cerveau soit toujours une excellente chose. Il ne prend pas en compte le temps qui est toujours compté, les sentiments, l’envie…
Alors qu’il se penche vers lui pour accéder à sa requête, une toux sèche les sort brusquement de leur bulle.

- Hum.. désolé d'vous déranger les jeunes, mais j'dois livrer des fringues king-size à un dragon tout crotté!

Passablement agacé par cette interruption, Neorvrim ferme un instant les yeux et revient s’assoir sur le bord du lit en observant d’abord la pile de …linge ? qu’il a avec lui d’un air plus que sceptique. Ensuite seulement il dévisage l’intru le nouvel arrivant.

« Qui cet homme appelle-t-il donc jeune ? » s’irrite-t-il tout seul.

Son physique lui rappelle étrangement quelqu’un… comme un air de famille. Il plisse les yeux. Ciulin. Il parierait sur Ciulin.
Confirmation qui lui est donné par Gi-Ja.

- … Vous.. Vous êtes le père de Ciulin.
- C'est ça !
- La filiation est assez évidente.
- Et tu dois être Neorvrim, le fameux dragon dont ma gosse me rabâche les oreilles.
- C'est bien moi. Il arque un sourcil. Oui j’imagine bien ce que Ciulin doit vous dire… votre enfant ne m’apprécie que peu, je crois.

Il fixe la main tendue de l’homme avant de se rappeler ce qu’il est sensé faire avec. Les humains et leur côté tactile… Il se plie toutefois à la poignée de main.

- Je suis le seul dans les parages avec Samaël à faire la même taille que toi, à la différence que moi j'ai encore une penderie. Tiens et file moi tes frusques, on va faire partir une lessive. Depuis que les jumeaux de Sam sont là, on les enchaine à tour de bras. Qu'est-ce que ça sera quand Elie et Riley auront accouché, hein ?

Neorvrim a un vague sourire avant de se relever complètement pour prendre les vêtements. Il dépasse l’humain d’une petite tête.
- Il risque de me manquer quelques centimètres de … pantalon. Si on peut appeler ce tissu rêche un pantalon… Je garderais le mien. Mais je vous remercie. Je m’occuperai de nettoyer ma tunique si vous le permettez. Elle est… fragile.

Il ne souhaite aucunement la laisser à d’autres mains que les siennes. Au même moment, l’apparence de l’homme en face d’eux change tout comme son aura. Neorvrim sort aussitôt son épée, sur le qui vive.

- Couchées murdărie ! Désolé, je suis un démon tout neuf et dès que je suis en présence du moindre regret, et t'en a un paquet collés à ton âme. Je mue plus vite qu'un popples. Une vraie plaie !

Neorvrim le scrute sans ciller pendant de longues secondes avant de ranger son arme.
- Je vois, se contente-t-il de dire en posant les vêtements propres sur le lit. Il commence à déboutonner sa tunique. Je ne suis pas « jeune » Kaelig Taur. J’ai eu le temps d’accumuler beaucoup de choses. Les regrets font partis de ces bagages.

Il enfile rapidement le tee-shirt, regarde la chemise comme si elle l’avait insultée avant de se décider à l’enfiler sans la refermer toutefois. Puis il tend le jeans à l’homme et replie très soigneusement sa tunique. Sa paume caresse le tissu brodé en soupirant devant son état déplorable.

- Avez-vous des nouvelles de la base militaire ?

- C'est bien moi. Oui j’imagine bien ce que Ciulin doit vous dire… votre enfant ne m’apprécie que peu, je crois.
- Tu imagines mal et visiblement complétement à côté de la plaque. Iel prend très à coeur ta dépression de Belle-au-bois-dormant et s'inquiète de ton bien être mental. C't'enfant pétarade fort mais n'a pas une once de haine ou de rancune en iel.

Kaelig échange des banalités à propos de vêtements et de taille. Comme piqué dans sa fierté, Neorvrim se dresse de toute sa hauteur. Cela ne semble pas décontenancer le père Taur.

- Il risque de me manquer quelques centimètres de … pantalon.
- Les pantacourts c'est à la mode! Et avec un paire de godasses militaires ça ne se verra pas. Le vieux roumain lui donne une tape sur l'épaule dont la force pourrait déraciner un arbre, mais pas un dragon qui a tout de même de quoi accuser la poigne.
- Je garderais le mien.
- A ta convenance, prietenul !
- Mais je vous remercie. Je m’occuperai de nettoyer ma tunique si vous le permettez. Elle est… fragile.
- Pas d'souci ! Faudra voir ça avec la petite Jhae, c'est elle qui joue les lavandières. Elle fait des savons aux fleurs. C'est charmant !

Peu de temps après, le père de Ciulin se métamorphose et Gi-Ja se fige. "Un démon, souviens-toi que c'est un démon ! Cette famille de dingue...." Le vieil homme s'explique et s'excuse.

- Je vois...
- Jolie pic à brochettes au passage!
- Je ne suis pas « jeune » Kaelig Taur. J’ai eu le temps d’accumuler beaucoup de choses. Les regrets font partis de ces bagages.
- Il parait. Mais ont dit aussi que la jeunesse est un état d'esprit et que la sagesse ne s'acquiert pas forcément avec l'âge. Son regard pétillant fixe le dragon engoncé dans sa dignité surannée. Les regrets de cinq minutes ou toute une vie pèse le même poids. C'est juste une affaire d'intensité, tu sais... Blanc-bec ! Kaelig a le rire franc, grave et ronronnant, exactement comme le draconien quand il se souvient qu'il est capable d'humour.
- Euh... dites ?
- Oui, fiu ?
- Moi aussi je vais avoir le droit à des vêtements parce que... je suis un peu nu sous ce drap.... déclare Gi-Ja le rouge aux joues.
- AHAHA ! Oui c'est prévu, Ohanzee les a déjà préparés. Il lui désigne une chaise où sont posés effectivement des habits propres.

Neorvrim ramène la conversation à des considérations plus graves et Kaelig se départit de son sourire bon enfant.

- Les civils ont tous été épargnés. Quelques blessés, mais sans gravité. Il y a eu une vingtaine de morts dans les rangs militaires, pas mal de blessés graves. Une fois que Sal a eu fini de bosser sur ton cas, il a foncé directement aider les survivants. Amon s'est pointé avec un gang de maritins au taquet. Ca ne ramènera pas les défunts, mais au moins, on a perdu personne dans la foulée.
- Comment va le Major Jenson ?
- Mon futur gendre a du mal à se considérer comme convalescent. Il gesticule et piaille dans tous les sens au point que ma gosse se demande si iel va pas le sédater magiquement pour qu'il récupère de force. On va reloger les civils de la caserne dans les autres structures d'accueil et puis, on va mettre en place un cordon de sécurité pour surveiller les allés et venues hors brouillard. Tu es le bienvenue pour patrouiller, Neorvrim !... Et pour venir bouffer un de ces quatre au campement de Dormeurs, histoire qu'on apprenne à se connaitre. Mon autre gendre a un petit millénaire, entre fossile, vous devriez vous entendre... Allez, je vous laisse les amoureux. Prenez le temps de vous reposer l'un comme l'autre...

Et sur ces mots, il quitte la pièce.

- Je ne suis pas « jeune » Kaelig Taur. J’ai eu le temps d’accumuler beaucoup de choses. Les regrets font partis de ces bagages.
- Il parait. Mais ont dit aussi que la jeunesse est un état d'esprit et que la sagesse ne s'acquiert pas forcément avec l'âge.
- Il parait, répète Neorvrim nonchalamment. Comme il semblerait que les Taur aime donner des leçons. Avec plus ou moins de subtilité, je dois bien l’admettre. Cela dit vous faites fort puisque nous venons de nous rencontrer depuis à peine cinq minutes, j’estime donc que vos scores sont à égalité avec Ciulin.
- Les regrets de cinq minutes ou toute une vie pèse le même poids. C'est juste une affaire d'intensité, tu sais... Blanc-bec !
Le dragon soupire et frotte ses paupières. Oui il se sent immensément vieux à côté de ces petites piques enfantines. Ou trop fatigué pour goûter à ce qu’il suppose être une plaisanterie s’il en croit le rire de l’humain.  
- Je ne faisais que souligner qu’une longue vie implique de nombreux regrets en général. Je ne cherche pas à faire un concours… mais je me fie à votre avis de spécialiste. Vous me semblez bien connaisseurs de la question.  

Gi-Ja réclame des vêtements mais le dragon souhaite avoir une vue d’ensemble de l’état dans lequel ils retrouveront la caserne. Les informations du patriarche Taur corroborent celles qu’il a lui-même entendues.

- Comment va le Major Jenson ?
- Mon futur gendre a du mal à se considérer comme convalescent. Il gesticule et piaille dans tous les sens au point que ma gosse se demande si iel va pas le sédater magiquement pour qu'il récupère de force.
- Eh bien au moins ça fera de l’animation sur la base.
- On va reloger les civils de la caserne dans les autres structures d'accueil et puis, on va mettre en place un cordon de sécurité pour surveiller les allées et venues hors brouillard. Tu es le bienvenu pour patrouiller, Neorvrim !
Le dragon hoche la tête.
- Entendu.
- ... Et pour venir bouffer un de ces quatre au campement de Dormeurs, histoire qu'on apprenne à se connaitre. La proposition le laisse franchement perplexe. Mon autre gendre a un petit millénaire, entre fossile, vous devriez vous entendre...
- J’ai assez de pierre à qui parler sans en rajouter vous savez, déclare-t-il avec un humour pince sans rire que ne lui serait sans doute pas compréhensible. Néanmoins, il incline poliment la tête. Mais je vous remercie de votre invitation.
Qu'il n'honorera sans doute pas mais là n'est pas la question.
- Allez, je vous laisse les amoureux. Prenez le temps de vous reposer l'un comme l'autre...

- Drôle de personnage… lâche-t-il finalement lorsqu’ils se retrouvent seuls.
La fatigue de la nuit cumulée à son inquiétude et à la gestion de ses émotions frappent le dragon de plein fouet mais il redresse les épaules et pose les vêtements pour Gi-Ja sur le lit.
- Je vais te chercher de quoi manger et boire. Profites-en pour t’habiller. Il ramasse sa tunique. Ensuite j’irai nettoyer cela. La vision de ce sang qui la souille le répugne viscéralement. En essayant de trouver autre chose qu’un savon qui sent… les fleurs. Il pose une main chaude sur l’épaule du soldat et lui sourit. Je reviendrai te voir ensuite.
Ou peut-être trouvera-t-il un coin à l’abri des regards pour s’écrouler.  

Ce premier réveil lui laissera une impression de flou. Il ne se souvient pas avoir mangé, ni même s'être habillé, juste de s'être blotti contre Neorvrim pour dormir au point de se demander s'il ne rêve pas éveillé.

"Je vais prendre soin de toi."

Gi-Ja sourit encore en papillonnant des paupières, bercé par la respiration ronronnante d'un torse chaud. Il se gave  à pleine narines de cette odeur d'âtre encore fumant et de braises rougeoyantes. Le parfum de Neorvrim. La fragrance du coeur.
Finalement il ouvre les  yeux et se redresse aussi délicatement que possible. Le dragon est bien là, digne dans son sommeil comme dans la vie de tous les jours. Il est fascinant de constater que les manquements à la symétrie perpétrés par son visage lui confère pourtant tout son charme. Comme à chaque fois, il est impossible à l'humain de résister à la tentation d'en dessiner les contours. Son index trace des constellations imaginaires entre chaque grain de beauté qui parsème ce faciès tout en sommets escarpés et en longues routes pleines d'embûches. Le jeune homme s'attarde sur cette lippe au charnu particulier et se souvient qu'il aurait aimé pouvoir l'embrasser avant que Taur, père, ne viennent les interrompre.

Peut-il oser lui voler un baiser ?
Serait raisonnable ? Non.
Respectueux ? Pas plus.
Pourtant Gi-Ja se penche vers cette bouche dont il a terriblement soif et y dépose ses lèvres délicatement. Lorsqu'il reflue, Le regard profond du dragon le fixe intensément.

- Désolé... s'excuse-t-il alors qu'il ne l'est pas du tout. C'était beaucoup trop tentant....Tu as bien dormi ?

Il ignore quelle heure il est, ni même quel jour. Il a toujours cette sensation un peu étrange de flotter hors du temps et de l'espace, dans une bulle confortable et douce.

Après le départ de Kaelig Taur, Neorvrim a exécuté ses tâches dans un état second.
Chercher à manger à Gi-Ja. Lui apporter le plateau. S’occuper de sa tunique. Frotter, délicatement, patiemment, encore et encore jusqu’à en avoir les mains meurtries, rougies et tremblantes. Il n’a laissé personne d’autres la toucher.
N’est-il pas parfaitement ridicule à s’accrocher ainsi à une chose aussi futile qu’un vêtement ? Une relique du passé. Le sien.
Comment le faire cohabiter sans heurts avec ce présent avec lequel il ne sait que faire ?
Son esprit est bien trop exténué pour y réfléchir maintenant. Lorsqu’il revient dans la grange, le plateau est vidé et le jeune homme à nouveau endormi ou presque.
Neorvrim n’a même pas réfléchi et s’est glissé à ses côtés, au-dessus des couvertures, pliant les jambes pour les caller sur le lit.
Il s’endort presque aussitôt qu’il pose la tête sur un bout d’oreiller claquant sa respiration sur celle de l’humain. Pendant son sommeil, son bras viendra cercler tout naturellement la taille du jeune homme.

Pour la première fois depuis longtemps, il rêve. De son ancienne cité, d’Iska, des siens … il le regarde avec déception, ressentiment parfois… puis il revit l’attaque sauf que cette fois, il arrive trop tard et il échoue à sauver Gi-Ja. Il le voit mourir dans ses bras et tombe dans un abîme de chagrin.
Il tente de s’extirper de ces horribles songes et, proche de l’éveil, sent une bouche se coller à la sienne.
Chaude, douce, réelle.
Il ouvre brusquement les yeux, les pupilles dilatées, la respiration un peu précipité.
Les lèvres de l’humain sont sur les siennes.
Il va bien.
Il est vivant.

Alors que Gi-Ja recule, il vient coller son front contre le sien en poussant un soupir de soulagement.
- Désolé...
- Non… tout va bien… tu n’as rien fait de mal…
- C'était beaucoup trop tentant...
Neorvrim esquisse un sourire, un peu perdu. Il a du mal à se défaire de son cauchemar et recule finalement en passant une main dans ses cheveux, espérant s’éclaircir les idées.
Tout lui revient petit à petit.

- Tu as bien dormi ?
- Pas vraiment non … j’ai rêvé.  Cela ne m’est pas arrivé depuis une éternité. J’ai revu les miens et je pouvais sentir leur … désapprobation… leur déception lorsqu’ils se tournaient vers moi… et puis j’ai revécu l’attaque. Sauf que cette fois, je n’étais pas assez rapide et... tu...tu...

Il n'arrive même pas à le formuler à voix haute. Le dragon ferme les yeux et pose sa paume contre ses paupières closes. Dans un geste brusque, il enlace étroitement le soldat et ses doigts se faufilent sous son tee-shirt comme pour vérifier que ses blessures ont bel et bien guéri avant de s’arrêter sur son cœur qui palpite.

Vivant.
Presque serein.

Il reste ainsi quelques secondes, le temps que son cerveau assimile parfaitement la différence entre rêve et réalité.
- Et toi ? demande-t-il finalement en relevant ses yeux vers les siens. As-tu pu te reposer ? Si tu le souhaites et si tu te sens assez vaillant, je peux nous ramener à la base…

Neorvrim semble complétement déboussolé. Gi-Ja lui caresse doucement la joue.

- Tu es tout pâle...Tu as bien dormi ?
- Pas vraiment non … j’ai rêvé. Cela ne m’est pas arrivé depuis une éternité. J’ai revu les miens et je pouvais sentir leur … désapprobation… leur déception lorsqu’ils se tournaient vers moi…

L'humain frotte son nez contre le sien. Il ne se fait pas d'illusion : il doit être la source de désapprobation. Il ne connait que trop bien cette culpabilité qui ronge.

- Ce n'est pas réel. Ils ne te jugent pas aussi durement que tu ne le fais. Moi aussi, j'ai souvent rêvé de la déception de mes propres parents envers moi.
- ...Et puis j’ai revécu l’attaque. Sauf que cette fois, je n’étais pas assez rapide et... tu...tu...

Le dragon l'enlace frénétiquement, glissant ses paumes sous son haut. Gi-Ja a un frisson irrépressible, réaction incontrôlable et naturelle lorsque l'objet de vos émois vous touche sans restriction. L'humain frotte son front contre la tempe du dragon avant de la bécoter, les phalanges perdues dans sa tignasse sombre.

- Shhhh... Je suis là. Tu m'as sauvé. Tout va bien, chuchote-t-il apaisant en se pressant contre lui.
- Et toi ? As-tu pu te reposer ?
- Oui... Je suis toujours un peu flottant. Je ne sais pas si c'est le fait d'avoir été magiquement régénéré, mais j'ai l'impression de planer un peu à côté de mes pompes.
- Si tu le souhaites et si tu te sens assez vaillant, je peux nous ramener à la base…
- Il faudrait....

Le soldat soupire. Il est conscient que son devoir l'appelle, que son unité a besoin de lui, mais il rechigne à sortir de cette bulle confortable. Il n'a pas vraiment hâte de se confronter à la réalité des pertes subies et des conséquences de l'attaque.

- Mais laisse-moi encore un peu profiter de cette quiétude, et de toi... juste un peu....

- Shhhh... Je suis là. Tu m'as sauvé. Tout va bien.

Il le sait. Il le sens. Et ce contact prolongé l’aide à dissiper ses cauchemars un peu trop vivaces à son goût. Il hoche simplement la tête.

- Et toi ? finit-il par demander. As-tu pu te reposer ?
- Oui... Je suis toujours un peu flottant. Je ne sais pas si c'est le fait d'avoir été magiquement régénéré, mais j'ai l'impression de planer un peu à côté de mes pompes.

Le dragon se redresse un peu et retire ses mains pour les poser plus sagement sur les couvertures. Il examine l’humain avec un fond d’inquiétude.

- J’imagine que la chose est normale. Ton corps a subi des traumatismes violents en un très court laps de temps. Il doit encore se faire à tous ces changements. J’irai toutefois demander au démon… Si tu le souhaites et si tu te sens assez vaillant, je peux nous ramener à la base…
- Il faudrait... Mais laisse-moi encore un peu profiter de cette quiétude, et de toi... juste un peu...

Le dragon lui adresse un sourire compatissant tout autant que tendre.

- Rien ne presse. Je pensais simplement que tu voulais rejoindre les tiens au plus vite. Il se cale un peu mieux sur le matelas et arrive tant bien que mal à s’allonger sur le dos, la tête penchée vers Gi-Ja. Je comprends que tu ne veuilles pas y retourner tout de suite. Tu crains de faire face à « l’après ». C’est tout à fait logique. Il tourne son visage vers le plafond, les yeux perdus sur la peinture qui s’écaille un peu. Vous reconstruirez ce qui a été détruit et vous tirerez des leçons de vos erreurs pour éviter que la chose se reproduise de cette manière. Je crois que c’est l’une de vos plus grandes forces … être capable de vous relever même après être tombé rudement à terre… Il émet un petit rire. Pas si rudement que cela à vrai dire… vous vous êtes admirablement battu.

Sa main cherche la sienne sous les couvertures.

- Je vous aiderai autant que je le peux. Il vrille son regard pénétrant dans celui de Gi-Ja. Mais cela me rassurerait beaucoup si tu me promettais de ne pas te jeter dans la bataille de cette façon. Seul et à peine armé. Je sais ce que signifie être un guerrier… un soldat mais je t’interdis de sacrifier ta vie de cette façon ! Il adoucit son ordre par une caresse sur sa joue pour repousser une mèche sombre de son visage. Entendu ?

- Rien ne presse. Je pensais simplement que tu voulais rejoindre les tiens au plus vite.
- Mon sens du devoir me le dicte... mais... je ne suis pas particulièrement pressé, non plus...
- Je comprends que tu ne veuilles pas y retourner tout de suite. Tu crains de faire face à « l’après ».
- Ouais...
- C’est tout à fait logique. Vous reconstruirez ce qui a été détruit et vous tirerez des leçons de vos erreurs pour éviter que la chose se reproduise de cette manière. Je crois que c’est l’une de vos plus grandes forces … être capable de vous relever même après être tombé rudement à terre…Pas si rudement que cela à vrai dire… vous vous êtes admirablement battu.

Les doigts de Neorvrim trouvent les siens et s'y mêlent. Gi-Ja pivote la tête et contemple son magnifique profil.

- Je vous aiderai autant que je le peux. Le draconien pose sur lui un regard pénétrant. Mais cela me rassurerait beaucoup si tu me promettais de ne pas te jeter dans la bataille de cette façon. Seul et à peine armé.
- J'étais armé : j'avais des grenades solaires et... ton sabre. J'espère que Pati l'a ramassé... Et je suis un soldat.
- Je sais ce que signifie être un guerrier… un soldat mais je t’interdis de sacrifier ta vie de cette façon ! Caresse tendre que l'humain retient contre sa joue. Entendu ?

Il hoche doucement la tête. Néanmoins, c'est une promesse qu'il ne peut pas faire. Se battre est son métier, protéger est son sacerdoce. Il love son visage dans cette grande paume chaleureuse.

- Mes intentions ne sont peut-être pas aussi nobles... Dans cette chambre, tu es avec moi, tu ne me repousses pas. Au dehors, je ne sais pas si ce sera toujours le cas. Il a un rire un peu triste. Je veux égoïstement prolonger ce moment avec toi...

Avec une langueur doucereuse, Gi-Ja mordille et embrasse les doigts du dragon et le creux de cette main large qu'il aime tant.

- Tu me dois toujours un baiser, tu sais....

Le voir se nicher contre sa main lui donne à nouveau des élans de tendresse qu’il jugule avec difficulté. Avec Gi-Ja cette débauche de contact physique lui semble presque naturelle et amène des envies de plus. Toujours plus.
Voilà pourquoi il ne la retire pas alors qu’il le devrait.

- Mes intentions ne sont peut-être pas aussi nobles...
- Que veux tu dire ?
- Dans cette chambre, tu es avec moi, tu ne me repousses pas. Au dehors, je ne sais pas si ce sera toujours le cas. Ce rire-là lui fait autant de mal que l’eau qui a abimé sa peau. Je veux égoïstement prolonger ce moment avec toi...
- Gi-Ja…
Toute pensée le quitte lorsque le soldat mordille et baise la peau sensibilisée de sa paume. Il se contente de le dévisager avec une extrême intensité, construit par une myriade de sentiments.

- Tu me dois toujours un baiser, tu sais...

Neorvrim tente un rire qui sonne abominablement rauque et tendu.
- Crois-tu ? susurre-t-il. Je ne me souviens pas avoir promis quoique ce soit…

A présent se sont ces lèvres gourmandes qu’il contemple comme la meilleure des proies. Une proie qu’il lui est impossible d’oublier. D’un geste vif, il attire le jeune homme à lui et happe sa bouche tentatrice pour un baiser d’une profonde langueur avant qu’il ne mue en quelque chose de plus vorace.
S’écarter lui demande une volonté considérable. Le feu couve déjà plus vivace dans ses yeux.
Il a gardé sa main contre sa joue et la caresse à présent du pouce, espérant calmer l’incendie dans son corps par de la douceur.

- Il m'est impossible de nier que je ressens quelque chose de fort pour toi Gi-Ja. Quelque chose qui va au-delà de ce que j’ai déjà éprouvé pour qui que ce soit, d’où mon incapacité à le qualifier. Il marque une pause pour lever les yeux vers l’humain. Je ne sais pas si c’est l’amour que les humains expérimentent. Mais si ça n’en était pas ? N’as-tu pas assez souffert du désamour des autres ?
Il se rallonge finalement et retombe dans la contemplation du plafond.
- Ciulin et toi avez tort. Si les miens me voyaient aujourd’hui, ils auraient honte et ne comprendraient pas. Nous n’étions pas une race prompte à l’ouverture d’esprit et nous tenions à nos traditions plus que tout. Si je te choisis toi, si je choisis l’humanité, je perdrais définitivement mon statut et mon rôle. Choses auxquelles je me suis accrochées depuis des centaines et des centaines d’années. Le dernier dragon abandonnera définitivement l’existence qu’il a connu et les êtres qui s’y rattachent pour autre chose. Il tourne à nouveau la tête vers Gi-Ja.Mais si je m’accroche à mes fantômes, comme je comptais le faire pour le reste de ma vie, je te perdrai toi. Et… je ne peux pas te perdre. Je suis maintenant incapable d’imaginer une journée sans te croiser, une semaine sans nos entrainements, une vie où tu ne serais plus… j'ai terriblement peur de cette vie là. Si j'avais du faire face à ta mort cette nuit-là, j'aurais mis la ville à feu et sang jusqu'à te rejoindre...

Il sait pourtant qu’un jour tel sera le cas. L'humain mourra. Mais en attendant, il est là, chaud, vivant…délicieusement adorable et tentant.
Et Gi-Ja l’aime.
A la manière intense et particulière des humains.

- J’aimerais pouvoir t’offrir ce que tu mérites. Me débarrasser du poids de ce que je porte depuis trop longtemps. Mais je ne suis pas certain d’y parvenir. Ma mélancolie me rattrapera toujours, ma culpabilité sans doute aussi. Or… ce ne sont pas des fardeaux que je souhaite poser sur tes épaules… toi qui vient de te débarrasser des tiens. Je ne suis pourtant pas certain d'être capable de renoncer à toi non plus.
Il émet un rire éraillé.
- Je suis… abominablement perdu.

- Crois-tu ? Je ne me souviens pas avoir promis quoique ce soit…
- Je t'avais demandé la permission pourtant... souffle le jeune homme en le dévorant du regard.

Neorvrim semble lutter avec lui même avant de l'embrasser goulument. Gi-Ja savoure la moindre seconde de ce baiser comme si celui -ci pouvait être le dernier. Une possibilité plus que probable.

- Il m'est impossible de nier que je ressens quelque chose de fort pour toi Gi-Ja. Quelque chose qui va au-delà de ce que j’ai déjà éprouvé pour qui que ce soit, d’où mon incapacité à le qualifier. Je ne sais pas si c’est l’amour que les humains expérimentent. Mais si ça n’en était pas ? N’as-tu pas assez souffert du désamour des autres ?
- Neo... Je m'étais résigné à une vie sans amour, ou du moins sans retour de celui-ci. Et puis je suis littéralement tombé sur toi. Je n'avais nullement prévu de tomber sous ton charme, ni même d'éprouver les sentiments que j'éprouve. Ca ne ressemble en rien aux "coup de coeur" que j'ai pu avoir auparavant. Je ne me suis jamais senti aussi bien, aussi "moi" avec qui que ce soit. Tu m'as compris dès la première seconde, accepté dès lors... C'est déjà tellement plus que ce que j'ai jamais reçu dans ma misérable existence. Et, tu vois, je n'ai jamais voulu t'acculer en t'obligeant à choisir entre... entre moi et ton peuple. Je voulais simplement que tu saches. Il a un rire étouffé, presque une respiration. Je me suis préparé à ce que tu ne souhaites être que mon ami alors savoir que tu éprouves des choses aussi fortes pour moi me... me rend simplement heureux. Mais je me rends compte également que tu souffres à cause de moi, à cause de ton engagement envers ton peuple et je n'ai pas voulu ça...
- Ciulin et toi avez tort. Si les miens me voyaient aujourd’hui, ils auraient honte et ne comprendraient pas. Nous n’étions pas une race prompte à l’ouverture d’esprit et nous tenions à nos traditions plus que tout. Si je te choisis toi, si je choisis l’humanité, je perdrais définitivement mon statut et mon rôle. Choses auxquelles je me suis accrochées depuis des centaines et des centaines d’années. Le dernier dragon abandonnera définitivement l’existence qu’il a connu et les êtres qui s’y rattachent pour autre chose. Mais si je m’accroche à mes fantômes, comme je comptais le faire pour le reste de ma vie, je te perdrai toi. Et… je ne peux pas te perdre. Je suis maintenant incapable d’imaginer une journée sans te croiser, une semaine sans nos entrainements, une vie où tu ne serais plus… j'ai terriblement peur de cette vie là. Si j'avais du faire face à ta mort cette nuit-là, j'aurais mis la ville à feu et sang jusqu'à te rejoindre...
- Mon amour... ponctue simplement Gi-Ja avec une tendresse émue tout en bécotant son nez imposant. J'ai conscience que ma vie n'est qu'une toute petite parenthèse dans la tienne. Je veux qu'elle soit le plus heureuse possible pour toi. Pas qu'elle te condamne. Quoi qu'il m'arrive, je te veux en bonne santé, satisfait de tes choix, contenté de ton existence, après moi... Je ne veux pas être une écharde dans ton pied qui va s'infecter et te gangréner ...
- J’aimerais pouvoir t’offrir ce que tu mérites. Me débarrasser du poids de ce que je porte depuis trop longtemps. Mais je ne suis pas certain d’y parvenir. Ma mélancolie me rattrapera toujours, ma culpabilité sans doute aussi. Or… ce ne sont pas des fardeaux que je souhaite poser sur tes épaules… toi qui vient de te débarrasser des tiens. Je ne suis pourtant pas certain d'être capable de renoncer à toi non plus. Je suis… abominablement perdu.

Gi-Ja se hisse sur le torse du dragon et dépose ses lèvres sur les siennes.

- Reste comme tu es. Ce poids, c'est ton histoire, ton héritage. Je ne souhaite pas que tu t'en débarrasses si c'est pour te renier. Tu es ce que tu es et j'accepte. Il lui sourit vaillamment. Je me tiendrais à la place que tu voudras bien me donner dans ta vie et je ferais de mon mieux pour t'alléger... D'accord ? Il embrasse son grand front en tenant son visage entre ses mains. Rien ne pourra altérer le fait que tu es la rencontre la plus incroyable et la plus merveilleuse de ma vie.

Neorvrim accepte les lèvres de Gi-Ja sans se dérober, refermant ses bras autour de lui.

- Reste comme tu es. Ce poids, c'est ton histoire, ton héritage. Je ne souhaite pas que tu t'en débarrasses si c'est pour te renier. Tu es ce que tu es et j'accepte.
Son front épouse le sien avec un soupir à la fois soulagé et pétri d’une émotion difficile à expliquer.
- Je ne te mérite pas…
- Je me tiendrais à la place que tu voudras bien me donner dans ta vie et je ferais de mon mieux pour t'alléger... D'accord ?
Encore faut-il qu’il l’accepte cette vie… qu’il se laisse la vivre pleinement.
- Tiens-tu réellement à t’engager sur cette voie avec moi ? J’ai l’impression de te demander beaucoup Gi-Ja et que tu finisses un jour ou l’autre par regretter.
Il ferme les yeux sous la tendresse de ce baiser sur son front.
- Rien ne pourra altérer le fait que tu es la rencontre la plus incroyable et la plus merveilleuse de ma vie.

Délicatement, Neorvrim le renverse sur le flanc et reste un long moment silencieux à contempler l’humain. Il le trouve tant changer depuis leur première rencontre. Est-ce vraiment sa simple présence qui en est le déclencheur ? Le bout de ses doigts trace ses traits avec révérence.

- Je ne regretterai jamais notre rencontre Gi-Ja. Jamais. Mon réveil dans ce monde n’a de sens que parce que tu es là… Et je veux rester à tes côtés, essayer de te rendre heureux, vivre les jours qu’ils nous restent avec toi... Quand bien même je ne conçois pas encore vraiment ce que cela implique.


Il scelle ce vœu d’un long baiser.
Entre une vie sans Gi-Ja ou avec lui, il a choisi.