Parkson Street, de nuit, il y a ce crachin de merde propre à l’Irlande. Ca a détrempé l’ensemble du paysage en moins de temps qu’il en faut à Simone pour être sarcastique. Autant dire que c’est aller super vite. Je suis reposé, pour une fois. L’opération pourrait être complexe et avec ma brillante idée de contacter le Père Taur… Je ne me facilite pas spécialement la tâche.
Mains dans les poches de manteau de cuir. Je suis armé, bien évidemment, même si j’imagine que c’est exactement le problème qu’on a détecté avec Simone, je veux être prêt à l’éventualité d’une surprise taille Unseelie.
J’ai mes lunettes de soleil sur le pif, non pas que je traine une gueule de bois de proportion biblique ou bien que je souhaite me la jouer beau gosse mais je sens les relents sulfuriques de l’enfer d’ici, par à-coups et d’une manière étrange, presque décalée. Résultat des courses, mes yeux passent du bleus clairs qu’on leur connaît à un noir total et profond. Au temps pour la discrétion et pour le coté “nan mais j’suis humain, range cette machette”.
J’ai l’humeur aussi brumeuse que l’Eastside, cette ville est en train de devenir un bordel incommensurable et mon réseau est bien emmêlé là dedans.
Au moins, je vais enfin avoir une idée de comment s’en sort Elie en bas et je vais pouvoir donner un os à ronger à Kaelig. Pas une si mauvaise journée, en soi…. Si y avait pas la pluie ou ce brouillard ou Astaroth…
Je suis tiré de mes pensées par le bruit étouffé d’un manteau au loin, un chuintement discret.
On est à quelques blocs seulement de la brume.

-Kaelig. Allons-y, j’t’expliquerais en chemin.

Je me mets en route, déverrouillant mon téléphone pour vérifier la position actuelle de ce qu’on appelle pour le moment “des failles” avec Simone sans trop en savoir plus.

-Mes collaborateurs ont découverts des points faibles à certains endroits de la villes et des témoignages nombreux et qui se recoupaient étrangement : flammes, femmes enflammées, sensation d’euphorie, transe euphorique et sommeil profonds. C’est également des endroits qui attirent pas mal les démons, on dirait.

J’avance entre les rues, m’enfoncent dans une ruelle déserte.

-On a une théorie assez farfelue pour des humains et ça nécessite que je t’en parle avant que tu fasses agir tes Sang-Coureurs et que tu le regrettes mais aussi qu’on la vérifie.

On est plus très loin, je peux le sentir dans toutes les fibres de mon corps. Une part de moi reconnaît la “maison”.

-Tu te souviens de notre discussion à l’Eden? Ouais, j’ai des nouvelles d’Elehiel et de ce qui se passe pour elle, actuellement. Non contente d’être une rebelle sur terre, elle a monté une rebellion dans les fosses. On les appelle les Dormeurs et leur cheffe: la Rêveuse. Elle rend dingue Kali, personne n’a jamais soulevé les fosses. C’est jamais arrivée. J’ai vérifié.

Je me tais un moment avant de dire.

-Tu t’souviens quand je t’ai dit que ce qui définissait Elehiel le mieux, c’était l’espoir…?

Je renifle. Kaelig est loin d’être con. Très très loin d’être con. Je me demande s’il va comprendre où je veux en venir. Je l’observe derrière mes lunettes à la con. Sans déconné, j’me sens absolument crétin de devoir garder ces lunettes sur le nez.

I'm out here sippin' from the bottle of a Molotov cocktail
I'm settin' fire to my lungs
Catch a kiss with a cyanide under my tongue
And if it kill me, it'll kill me
So let it kill me but I'm never gonna live a lie, no

L'appel avait été bref et caractérisé par une absence totale de manières. En même temps, nous ne sommes pas amis et la chaleur n'est pas de mise entre nous. Je n'aime juste pas la façon qu'a mon "gendre" de me sommer quand bon lui chante. Dans mon long manteau noir camouflant mes armes, je pagaie au travers de la purée de pois qui s'abat graduellement à proximité du quartier condamné. La brume suppure tel du pus d'une mauvaise plaie. Les barricades sont un pansement dérisoire sur une gangrène en expansion.

- Kaelig. Allons-y, j’t’expliquerais en chemin.
- Hum.

Mon humeur s'accorde avec le temps, maussade et taciturne. Asmodée porte des lunettes de soleil en plein crachin, nourrissant son image de tête-à-claques avec brio : mon irritation a gagné un cran. Je reste attentif au topo qu'il me dresse. Cette ville est en train de sombrer par toutes ses pierres.

- On a une théorie assez farfelue pour des humains et ça nécessite que je t’en parle avant que tu fasses agir tes Sang-Coureurs et que tu le regrettes mais aussi qu’on la vérifie.
- C'est à dire ? fais-je avec un haussement de sourcil. La conversation prend une tournure soudain très personnelle.
- Tu te souviens de notre discussion à l’Eden?
- A propos d'Elehiel...
- Ouais, j’ai des nouvelles d’Elehiel et de ce qui se passe pour elle, actuellement. Non contente d’être une rebelle sur terre, elle a monté une rébellion dans les fosses.
- Pardon ?! C'est une blague !?

Je me fige brutalement, stoppant nette notre progression.

-On les appelle les Dormeurs et leur cheffe: la Rêveuse. Elle rend dingue Kali, personne n’a jamais soulevé les fosses. C’est jamais arrivée. J’ai vérifié.
- Rahaaaat.... J'ai un soupire lasse. Je me masse l'arrête du nez, pincée entre mes doigts. Une part de moi a envie de s'esclaffer de fierté - Je ricane d'ailleurs- face à ces révélations. Une autre est en proie à une inquiétude qui s'abat comme une chape de plomb. Est-ce que ça compromet tes projets de la ramener ?
-Tu t’souviens quand je t’ai dit que ce qui définissait Elehiel le mieux, c’était l’espoir…?

Les données se croisent, s’emboîtent, complétant un puzzle d'ensemble.

- C'est.. c'est elle ?! Elle est déjà revenue ?! Comment est-ce possible ?... Les Enfers sont à ce point enlisés dans la merde pour se transformer en passoire... ?

Je me lisse la barbe avec un grondement grognon.

- T'es vraiment chiant à tourner autour du pot, drăcușor...

- Pardon ?! C'est une blague !?

L’espace d’un instant, j’oublie l’état de mes yeux pour laisser mes lunettes glisser le long de mon nez et le fixer avec un regard de quelqu’un mort de dedans depuis bien longtemps. “ j’ai l’air de déconner, sérieux?” lance cette oeillade avant que je ne remonte mes lunettes noirs dans cette purée de pois.
Je continue ma petite histoire et Kaelig remonte dans mon estime car il a exactement la même réaction que moi : mélange chelou de ricanements grincement et d’une grosse envie de se taper le front contre un mur.
Etonnamment - ou pas -, il a le même ton lorsqu’il jure en roumain que Ciulin. Apparemment, les taureaux font des chats taureaux.

-Est-ce que ça compromet tes projets de la ramener ?

Question compliquée: ça les compromet, c’est un fait. Est-ce que ça m'empêchera de le faire dans les délais que j’avais promis? Je sais pas encore, tout dépend.
Je garde le silence un petit moment sur le sujet, je préfère enchaîné et lui expliquer le tableau d’ensemble. Il trouve ça superflue pour le moment mais je suis obligé de le faire dans ce sens là pour qu’il saisisse ce qui se passe actuellement à quelques mètres de là.
Kaelig capte immédiatement où je veux en venir.

-C’est… c’est elle?!
-C’est ce qu’on pense, oui.
-Elle est déjà revenue?!
-Tu m’as pas écouté. Non. C’est pas ce que j’ai dit.
-Comment est-ce possible?...
-J’ai une théorie à ce sujet.
-Les Enfers sont à ce point enlisés dans la merde pour se transformer en passoire…?
-Je me pose la même question, figure-toi.
-T’es vraiment chiant à tourner autour du pot, drăcușor…
-Wouah, l’autre comment il parle à un prince démon, hey.

Sourire amusé. Je décompresse ce que je peux, être ici est une torture. L’appel étrange qui pousse les  démons à venir ici est puissant, je n’y résiste qu’à la puissance de mon statut et probablement grâce à mon initiation. J’ai une grimace un peu particulière avant de reprendre sérieusement.

-Je ne sais pas encore si ça compromet mes projets de la ramener. Deux raisons pour ça : un, tous les projecteurs sont sur elle et si je l’extraie maintenant, ça risquerait de mettre en péril tout ce que j’ai construit et aussi tout ce qu’elle fait en bas, deux, elle va se cacher dans le royaume de Léviathan depuis quelque temps et Léviathan la trouve parfaitement éclatante. L’avantage de Léviathan, c’est que tout le monde pourrait croire que c’est elle qui a fait ça sans que ça ne génère de représailles. Léviathan est virtuellement intouchable, me demande pas pourquoi.

Parce que j’ai vraiment pas envie de me lancer sur les théories sur Léviathan, à vrai dire.
Je pointe du doigt vers la ruelle dans laquelle se passe tout ce bordel et maintenant qu’on est dans un endroit encore moins fréquenté, je dégage mes lunettes.

-Elle est pas sortie de l’Enfer. Pas encore. Mes nouvelles sont fraîches. Si fallait te faire un dessin, imagine que l’Enfer est un ballon, les fosses, c’est ce qui est directement contre l’intérieur du ballon, l’extérieur c’est la réalité dans laquelle toi et moi on se trouve. C’est extrèmement proche de nous. Plus tu gonfles le ballon, moins il est opaque. Là, c’est comme si y avait des genre de hernies dans la séparation entre les deux où elie concentre de l’énergie à certains points des fosses.

Je me masse les tempes un peu et renifle.

-La théorie, c’est qu’entre elle et Unseelie, il y a des apparitions d’elle à travers toute la ville. Et si, c’est ça et que vous vous attaquez à elle, j’ai aucun moyen de savoir ce qu’il va se passer parce que techniquement, on a probablement à faire à des redondances puisqu’elles persistent et j’ai pas moyen de savoir si, si jamais on fonce dedans comme des brutes ça affectera le passé d’Elie dans les fosses où si ça aura des répercussions encore pire comme : ouvrir des portes non gardées de l’enfer et laisser toutes les âmes damnés et les bourreaux des fosses se déverser sur terre.

Je prends une grande inspiration et regarde Kaelig, terriblement sérieux.

-C’est pour ça que je t’ai fait venir en urgence. Parce qu’il va falloir agir avec une délicatesse qui dépasse de loin nos petits arrangements belliqueux. Si on fait pas ça bien, on risque beaucoup et pour elle et pour Tir Na nOg. C’est assez pas autour du pot pour toi ou bien?

J’peux pas m'empêcher d’être un branleur, qu’est-ce que tu veux.

Nous profitons des vannes échangées pour décompresser de cet afflux de nouvelles inquiétantes. Le topo n'est pas folichon et je sens vaguement qu'il inquiète tout autant l'oncle démoniaque sous ses airs nonchalants.

-La théorie, c’est qu’entre elle et Unseelie, il y a des apparitions d’elle à travers toute la ville. Et si, c’est ça et que vous vous attaquez à elle, j’ai aucun moyen de savoir ce qu’il va se passer parce que techniquement, on a probablement à faire à des redondances puisqu’elles persistent et j’ai pas moyen de savoir si, si jamais on fonce dedans comme des brutes ça affectera le passé d’Elie dans les fosses où si ça aura des répercussions encore pire comme : ouvrir des portes non gardées de l’enfer et laisser toutes les âmes damnés et les bourreaux des fosses se déverser sur terre.
- J'ai l'impression d'être dans un épisode de "Docto Who"... Mon fils essaie de renflouer ma culture geek, que je me sens obliger de rajouter. Donc, si je te suis, c'est la grosse merde. En très résumé...
-C’est pour ça que je t’ai fait venir en urgence. Parce qu’il va falloir agir avec une délicatesse qui dépasse de loin nos petits arrangements belliqueux. Si on fait pas ça bien, on risque beaucoup et pour elle et pour Tir Na nOg. C’est assez pas autour du pot pour toi ou bien?
- Tu fais des progrès, "mon gendre". Bientôt, t'arriveras presque à toucher le dit "pot".

Sourire en coin. Je reprends plus sérieusement.

- J'ai du mal à croire à de simples concomitances entre ce qu'il se passe ici et ces soudains "bubons démonico-temporels". Unseelie a forcément une influence. Cet enchaînements d’événements contribuent un peu trop bien au bordel ambiant...

Mains dans les poches, je tripote toujours le paquet de cigarettes intouché. C’est un peu mon alarme personnelle, mon "en cas d'urgence, brisez la glace". Je n'en suis pas encore là.

- A quoi dois-je m'attendre une fois sur place ?...Et je balance avec un certain agacement.  T'es vraiment obligé de m'infliger tes raybans en pleine Nuit ? sans soupçonner immédiatement qu'il s'agit là d'un premier indice clair sur l'échelle de la catastrophe.

- J'ai l'impression d'être dans un épisode de "Docto Who"... Mon fils essaie de renflouer ma culture geek.
-Fais gaffe, tu vas devenir parfaitement anglais si tu continues.

J’ai un sourire amusé. J’ai le droit à la petite épopée sur les tentatives de rattrapage d’erreur de Kaelig via Ciulin qui ellui-même les tient de Sorin.  Tant mieux s’il se rapproche de ses gamins, vu les dégâts qu’il a créé, un peu d’écoute fera pas de mal. Je peux pas trop la ramener, je viens à peine de découvrire que mon premier né était devenu un vampire et qu’il était dans les Hurlants, si on veut parler de paternité foirée…

-Donc, si je te suis, c’est la grosse merde. En très résumé…
-Excellent résumé. Même si j’commence à me dire que c’est même très léger pour ce qui se passe.

Beau papa me fait une blague et a ce sourire que je retrouve parfois sur la gueule de Ciulin quand iel se fout de ma gueule. Ca me fait marrer. Je remonte mes lunettes sur mon nez. J’en ai marre de devoir les porter. On est dans une ruelle peu passante mais je préfèrerais être dans la zone que tout le monde évite pour pouvoir virer ces saloperies.

-J’ai du mal à croire à de simples concomitances entre ce qu’il se passe ici et ces soudains “bubons démonico-temporels”.

Ceux qui y croient et qui sont dans le business sont de parfait crétins. Tu n’es pas un parfait crétin, loin de là.

-Unseelie a forcément une influence. Cet enchaînements d’événements contribuent trop bien au bordel ambiant…

-C’est pire que ça. J’ai encore rien de très concret mais il se passe des choses de ce type partout. Le pandémonium reste étrangement aveugle. Tu trouves que ça grouille de démons? Y en a pas tant que ça, j’ai vu des concentrations bien supérieures avec des endroits beaucoup moins attractifs que cette ville. Et si jamais, c’est le cas. Ca veut dire qu’on a à faire à la supernova des créatures : elle est capable de tromper et détourner le Pandemonium de leur objectifs et le tout sans leur faire réaliser la manipulation. C’est pas un bordel du tout.

Je soupire.

-Elle nous connait même plutôt bien, quoiqu’elle soit. T’es en deuil et un mois et demi plus tard, à peine, y a des visions d’Elie en flamme qui apparaissent dans toutes la ville? C’est pas le bordel, c’est toi qu’est visé et j’pense que moi aussi parce que ça m’oblige à détourner mon attention de tout le reste, parce que c’est ma nièce et que j’ai promis de la faire sortir.

J’entends l’appel de l’Enfer, je le sens retentir dans toutes les fibres de mon corps, ça pulse comme un mauvais coeur. Trop rapide, trop pressant.

-A quoi dois-je m’attendre une fois sur place?

Je m’apprête à répondre mais Papy s’agace.

-T’es vraiment obligé de m’infliger tes raybans en pleine Nuit?

Je le regarde avec un sourcil haussé.

-... Oh, tu préfères que je me balade en pleine nuit avec les yeux parfaitement noirs? Pas de soucis.

Je retire mes lunettes pour découvrir mes yeux noirs et la peau crevassée autour.

-Oui, je sais, c’est mon coté beau-gosse…

Je reprends sérieusement.

-Quant à ce que tu dois t’attendre à trouver. Des démons, y a un appel assez fort qui émane de ces zones, on dirait, je l’ai senti depuis le coin trois rues plus loin. Et à la voir, elle, sans pouvoir la toucher, sans rien pouvoir faire, quoiqu’il soit en train de lui arriver. Apparemment, son influence filtre : possible qu’on soit envahi par un espoir inarrêtable. Possible aussi qu’on se retrouve confronter à ce qu’elle subit en Enfer. On ne peut pas intervenir. On y va, on tente de fermer, on repart.

Long soupire.

-Enfin, c’est l’plan en tout cas. Si c’est ce que je crois, j’devrais pouvoir te filer de quoi refermer les ecchymoses, peut-être. On est un peu dans l’expérimentation, j’vais pas te le cacher.

-... Oh, tu préfères que je me balade en pleine nuit avec les yeux parfaitement noirs? Pas de soucis. Asmodée me dévoile ses prunelles démoniaques : deux lacs noirs miroitants qui ne demandent qu'à déborder par toutes les fissures. Oui, je sais, c’est mon coté beau-gosse…
- Des lunettes noires pour cacher des verres fumés intégrés, fais-je, laconique. Mirobolant.

Plus nous avançons vers, manifestement, une situation aussi merdique qu'incontrôlable, Asmodée continue de charger la mule en mauvaises nouvelles. Cerise sur le gâteau, son plan est approximatif et clairement casse-gueule.

- Formidable. On risque de devenir barges et toi, de succomber à tes pulsion infernales. Dans l'éventualité où tu te fais pas pousser les cornes, on y va quand même avec nos bites et nos couteaux. Ah.. oui, pardon... avec un "truc" vague qui pourrait nous aider "éventuellement" à faire disparaître le phénomène. J'ai envie de te dire : Qu'est-ce qu'on risque ?...A part se faire frire les couilles et de s’empaler sur nos espoirs extatiques?

Je ferme les yeux et me masse l'arrête du nez.

- Ça va être une longue Nuit... Je tends la main vers lui en agitant les doigts, l'air désabusé. Allez, file-moi donc ton sparadrap cosmique qu'on aille soigner ces bobos spatiaux temporels.

Noapte, protejează-ți fiii.
Mama, protejează-ți fiul de el însuși.

- Des lunettes noires pour cacher des verres fumés intégrés,  Mirobolant.

Je hausse un sourcils.

-Dixit le gars qui cache une machette dans un manteau en laine bouille.

Sourire de trou du cul.

On avance tranquillement pendant que j’explique la situation.

-Formidable.
-A qui le dis-tu…
-On risque de devenir barges
-Et de bien dormir aussi apparemment…
-Toi de succomber à tes pulsions infernales.
-Ooooh, mais nan, t’es pessimiste.
-Dans l’éventualité où tu te fais pas pousser les cornes, on y va avec nos bites et nos couteaux.

Je pouffe de rire sans le vouloir, j’viens de nous imaginer courant nus comme des vers avec pour seul arme un couteau. Délicieusement ridicule.

-Ah.. Oui, pardon… avec un “truc” vague qui pourrait nous aider “éventuellement” à faire disparaître le phénomène.
-Mieux que rien, quoi!
-J’ai envie de te dire : Qu’est-ce qu’on risque?... A part se faire frire les couilles et de s’empaler sur nos espoirs extatiques?
-Faut pas être obnubilé par ta bite comme ça, beau-papa… Ca va bien s’passer, t’as laissé ta trace sur ce monde une demi douzaine de fois. Respire.

Je le laisse s'abîmer dans sa dépression interne pendant qu’on arrive au coin du mur. Je jette un coup d’oeil à l’angle, la vision est irréelle. Au milieu du petit cul de sac, une demi douzaine de démons sont en admiration béate devant une apparition qui ressemble de manière très frappante à Elie, nimbée de flammes. La vision est statiques et déclame un discours, plantée droite comme un piquet, fière et sauvage. Ses cheveux effleurent ses épaules, pour les meches qui ont échappés à la rigueur de la queue de cheval rudimentaire qu’elle s’est faite. Elle a revêtue une tenue rudimentaire où j’aperçois  malgré tout quelques touches de son style. Elle est étrangement transparente, mouvante également, comme si on regardait son image à travers des parasites sur un vieux téléviseur, l’apparition saute mais d’aussi loin je sens un indétronable espoir s’infiltrer dans mon coeur : Malsheem finira par devenir la norme, tu y arriveras. Je secoue la tête. Il y a autre chose qui me parasite, un espoir qui n’est pas le mien : je sortirais et j’le reverrais. Bordel de merde, ça va être compliqué. Ca émane de l’apparition par vague, c’est puissant… Elle est pas sortie des fosses, comment c’est possible? Les démons, quant à eux sentent le jeunot, ils n’arrivent pas à s’éloigner d’ici, certains patrouilles autour de la vision, organisent un genre de camps.

Je me retourne vers Kaelig qui me lance.

-Ca va être une longue Nuit…
-...Ouais, plutôt…
-Allez, file-moi donc ton sparadrap cosmique qu’on aille soigner ces bobos spatiaux temporels.
-hmmm…que je lance distraitement. Tiens… On va voir un autre problème...

Je lui tends un long morceau de cuir gravés de runes, elles brillent doucement. C’est bon signe, il semblerait qu’elle réagisse à l’ecchymose. Après, il va falloir réussir à passer la congrégation des connards qui tournent et draine la puissance du lieu. Bordel, on s’croirait dans un MMORPG, c’est incroyable. Quand est-ce que j’ai permis à ma vie de se transformer en jeu vidéo…

-7 pinpins. L’apparition est au milieu du cul de sac. 2 sont à genoux dans la merde et drainent l’ecchymose… les autres sont à gauches groupés….

Une rapide tentative de mes pouvoirs me prouvent qu’il y a trop d’interférences pour les plier à ma fascination. Je dégage mes hâches de lancé de leur fourreau.

-Pas le choix, on fonce dans le tas avec nos bites et nos couteaux.

Rire goguenard.

-Fais gaffe, la vague est violente… La vision aussi.

Je n’ai pas trop de doute sur la capacité à faire son taf quand il doit le faire… Simplement, je me sens obligé de le prévenir.
Sur ce, je disparais pour planter les deux adorateurs. La pulsion infernal me transforme intégralement, ma peau brulent d’une flamme inextinguible et consume mes chairs, mon apparence se superpose à celle d’un bélier et d’un serpent. Alors que je dégage mes lames de la jugulaires des deux premiers, je lance sur le groupe et atteint l’un d’entre eux en plein thorax avant de ployer sous la pression.
C’est à peu près à ce moment que je commence à utiliser de vieilles prières chamaniques pour maintenir mon contact à la terre. Mon apparence se stabilise, la pression redescend un peu mais il va falloir faire vite. En vrai, mes petites esquives sont un peu merdiques et ça ne va pas tenir longtemps. Il faut qu’on scelle tout ça.

-Bon tu t’grouilles les miches ou t’as besoin d’un déambulateur, putain!

Que je lance en serrant les dents.

Mon partenaire de crime me tend un espèce de bout de peau râpé gravé à la sauvage par un acharné du couteau.  Des runes. Celtiques. Norroises à la réflexion. Les symboles scintillent comme gorgés d'eau électrique.

Je ne sais foutre pas ce qu'il veut que j'en fasse.

- Comment ça marche ton mach...

Je suis brusquement assailli par une brutale excitation. Mon cœur bat la chamade sans raison. Un mélange d'endorphine et d'adrénaline nourrissent un sentiment factice de joie, noyant chaque synapse de ma cervelle. Je prend une forte inspiration tout en secouant la tête. Je peine à chasser mon envie de rire sans raison.

-7 pinpins. L’apparition est au milieu du cul de sac. 2 sont à genoux dans la merde et drainent l’ecchymose… les autres sont à gauches groupés….
- Ils ont l'air de junkies décérébrés...

A nouveau ce besoin sidérant de me marrer, de hurler de bonheur, de l'appeler.

Mon étoile. MON ETOILE !
Ma beauté. Mon aimée.
Tu es là... Tu es là.. Tu es là....
Si bleue, si vive, si vindicative ! Si près !
Passion brûlante, veines en feu.
Regard luisant de ta lumière.
Consume-moi! Ô consume-moi, Draga Mea !
Te iubesc.. Te iubesc... TE IUBESC !

Coup de poing télékinétique.
Cervelle qui accuse le coup.
Redémarrage de neurones.

A mes côtés, il n'y a plus Asmodée dans sa version "humanoïde truculente" mais une bête terrifiante au derme décapé par de multiples incendies. Casting parfait pour un remake live de "Moi, moche et méchant". Il me faut au moins ça pour sortir de ma transe.
Le démon fonce sans crier gare, m'invective après avoir butté trois de ses compatriotes. Iront-ils cafarder sur leur meurtrier ?  Trop camés sans doute. Je me faufile parmi les ombres, en silence, en bon fils de Mère-Nuit. Alors que mon partenerul fait l'objet de toute les attentions, je plante un de ses assaillants en pleine glotte, et, dégageant  ma lame d'un coup sec de sa trachée, je dessine un arc de cercle parfait dans l'air qui fait voltiger la tête du deuxième. Un troisième se précipite dans mon dos. Je ploie, légèrement le genou, attrapant le gus par la nuque, usant de sa propre force pour le faire pirouetter et mordre la poussière. Le sol se lézarde sous l'impacte. Je sectionne promptement la jugulaire, clinique et rôdé. Je laisse le soin à Asmodée d'achever le septième.

Je ne veux pas me retourner.
Je ne peux pas me retourner.

J'use de toute ma volonté pour ne pas céder aux sirènes bleues. Poing serré sur le morceau de cuir buriné, je me mords l’intérieur de la joue jusqu’au sang pour ne pas céder à la tentation de pivoter.

- Fais. ton.putain.de.TRUC! que je feule entre mes dents en tendant le bras avec son artefact au bout

Kaelig Taur, tu as une volonté de fer et une souffrance rentrée qui me fait comprendre très soudainement la réalité de ton lien avec ma nièce.
Tu es un roc qui a besoin d’apprendre à devenir aqueux, elle est un fluide qui a besoin d’apprendre à être un roc.
Quand est-ce qu’elle a vu cette souffrance en toi? Sont-elles rentrées en échos l’une avec l’autre?
Vous êtes semblables et ça me frappe maintenant. Vous vous connaissez depuis peu et un jour viendra où vous serez dans le même camps et vous serez parfaitement redoutable.

Au travers de la douleur de la transformation et de la tempête magique, ça me fait sourire.

Kaelig Taur, tu t’en fous probablement mais tu as mon profond respect pour la volonté que tu arrives à démontrer en faisant dos à l’apparition d’Elie. Tout ton corps est tendu et vouté comme si tu portais le poids du monde. Tu saignes et tu pleures et tu grondes.
Tu morfles et une part de moi est désolée, sincèrement désolée que tu aies à en passer par là. Une autre reste parfaitement calme et sait que c’était la meilleur décision que je pouvais prendre. Il faut composer avec le chef des Sang-Coureurs maintenant, qu’il soit mon beau-père ou l’amoureux de ma nièce.

Je récupère la bande de tes mains et je me retourne vers la vision. Je prends de plein fouet les espoirs et les vagues infernales et je plois. Ma peau et ma colonne craquent, dessinant de longs cratères sanguinolents. Putain, qu’est-ce que ça fait mal… Ca va marcher. Ca doit marcher. Ca va marcher, ça doit marcher. Après tout, il suffit d’être suffisamment chiant pour qu’ils m’obligent à sortir, si j’arrive à les motiver, on pourra rejoindre l’autre coté. On pourra enfin se reposer. On pourra enfin….

Je reprends mon souffle et lance la bande vers l’ecchymose. Elle s’enroule, se distend jusqu’à devenir plus fine et beaucoup plus longue, elle s’élève en spirale vers le ciel, s’illumine d’une lumière arctique que je connais par coeur. Les runes recouvrent la totalité de la vision, enfin la pression se relâche. Je reprends mon souffle et bascule en arrière.


Stækkandi hjarta
Hurðin lokar og skilur heiminn
Þú endurheimtir landamærin
Tíminn þinn mun koma.
draumkenndu.

Coeur expansion.
La porte se ferme et sépare les mondes.
Restaures les frontières.
Ton temps viendra.
Reveuse.

Il y a un silence abyssale, une absence de tout pendant lequel j’entends même couler les larmes de Kaelig au loin, pendant lequel j’entends les jointures de mes os se remettre en place alors que refluent les appels de l’Enfer.

Je me redresse pour regarder mon incantation faire le taf. C’est fastidieux et je me sens obligé de rajouter à cela une incantation en plus, vocale cette fois. L’air se fait glaciale, une odeur de feu de bois s’élève, des racines s’invitent et s’entremêlent au long lacet de cuir. Yggdrasil, l’arbre monde.

Il se passe un long moment, je crois, avant que l’apparition disparaissent et que le lacet redevienne le vulgaire morceau de cuir qu’il était. Il ne luit plus. Je me laisse retomber par terre et reprends mon souffle. Je lève un pouce vers mon camarade de galère.

-Ah bah! C’était facile! Bite et couteau. A refaire, sans déconné. Fun fun fun.

Je me relève tranquillement, époussette mes fringues qui sont de toute façon ruinées.

-Bon… Conclusion, on avait raison. Faut que je revois mon sort et t’as besoin d’un verre.

Je m’éloigne de la ruelle avant de m’arrêter et de lui lancer un coup d’oeil.

-Allez, c’est ma tournée…

Je suis exténué. Cette vision m’a épuisée… Dire que y en a plusieurs en ville… Il faut que je rende le processus moins lourd, ça va être impossible sans épuiser nos forces. Je sors mon téléphone et envoie un rapide message à Simone pour lui demander si sa rencontre avec l’ecchymose est aussi compliquée, aussi épuisante.

Le temps s'écoule.
La douleur s'enroule.
La morsure me déchiquette le coeur, presse mes entrailles en pelote. J'ai la gerbe, la tête qui enfle et l'envie de crever.

Rejoins moi...

TAIS-TOI!

Tu n'es pas là. Ce n'est pas à moi que tu parles.

Le poids de ce mirage me broie. Des os craquent. Peut-être est-ce les miens qui me perforent la couenne en se brisant en mille morceaux ? L'idée de mourir pour te revoir me semble si douce, si tentante, là, à présent. Au loin une voix babille des psaumes indistincts. Je n'y pipe rien. Je me mords l'intérieur de la bouche pour me rappeler la saveur du sang. Ne pas me retourner. Ne pas céder.

Tu es en vie, vieille carne.
Tu es en vie et tu lui as promis de ne pas choisir la facilité.

L'oppression cesse brusquement. Le poids sur ma poitrine a foutu le camp. Je suis vide, je sonne creux. Je tombe à genoux, déstabilisé par cette brutale vacuité. J'ai les yeux qui piquent, les joues mouillée et le poil humide. Je renifle, reprenant mon souffle qui se disperse, erratique.

- Ah bah! C’était facile! Bite et couteau. A refaire, sans déconné. Fun fun fun.
- L'é..clate.... Que je grommelle d'une voix faible en m'aidant d'un mur pour me redresser à la verticale. Ça manquait.. D'musique orchestrale, un peu épique....Bite, couteau et lecteur CD... 'prochaine fois.

Je laisse flotter un sourire idiot - à croire que ce couillon millénaire me contamine. Je ne montre pas les dents, elle doivent être barbouillées de rouge. Je mollarde un coup, d'ailleurs, pour évacuer.

-Bon… Conclusion, on avait raison. Faut que je revois mon sort et t’as besoin d’un verre.
- TOI, t'as besoin d'un verre que je rétorque en me tenant les côtes. Je grince de partout, putain, chaque pas est une torture. Et d'un nouveau slibard tant qu'à y être.
- Allez, c’est ma tournée…

Nous voilà trottinant comme deux petit vieux arthritiques en quête de binouzes. Si un jour on m'avait balancé que je serais compagnon d'arme d'un archidémon, j'aurais trouvé la blague grotesque. Ce monde est curieux, Elie. Très curieux...

°°°

Loin de là, dans l'intimité d'un canapé défoncé, un petit chardon se met à hurler de douleur. Les runes sur son bras ont brulé si fort qu'une odeur nauséabonde de cochon grillé a aussitôt envahi la pièce. Le dos de Ciulin est en sang comme si toute sa colonne vertébrale avait voulu s'enfuir. Personne n'a assisté au spectacle et iel a juste salopé le cuir et la moquette de son frère. Tremblant·e, iel se traîne malgré tout à la douche et s'emploie à tout nettoyer pour que Cristian ne crise pas en revenant de faire pisser ses clébards.

- L'é..clate....

J’éclate d’un rire usé.

-Ça manquait.. D'musique orchestrale, un peu épique....Bite, couteau et lecteur CD... 'prochaine fois.
-Carrément. Une bonne petite musique bien badass. On s’fait des costume assorti aussi ou bien?

Je hausse plusieurs fois les sourcils pendant qu’il se remet debout avec le même sourire andouille que lui. C’est terrible comme on s’entend pas si mal. Difficile de le haïr. Simone va encore se foutre de ma gueule, c’est sûr… Encore une blague sur les petits chiens perdus… Je la sens venir. Tout l’implication de ce qu’il se passe me traverse l’arrière-cervelle, l’air de rien. Il reste debout, ce type, malgré ce qu’implique une Elie si remontée, prête à rallier des gens à sa cause pour se battre... Ca lui aura forcément croisé l’esprit. Loin d’être con.
Il a besoin d’un verre, clairement.

-Toi, t’as besoin d’un verre.
-Touché. Mais j’ai toujours besoin d’un verre, steuplé.
-Et d’un nouveau slibard tant qu’à y être.
-T’as vraiment un soucis avec l’entre-jambe, tu l’sais non? Faut baiser, hein.

Sourire amusé alors que je l’entraine sur le chemin de mon club par les chemins de traverses. J’ai un mal de crâne à fracturer des montagnes en deux. J’ai envie de m’étaler là, au milieu des merdes de chiens et des canettes de bières vides pour dormir. C’est génial.
On avance pendant des plombes jusqu’à atteindre la porte qui mène à mon bureau, dans une ruelle pourrie. La porte est hautement sécurisée, j’dévérouille et on entre.
Une fois dans le bureau, j’lance en me dirigeant vers la mini salle de bain.

-Me suis dit que c’était mieux qu’à l’extérieur. Et puis bon, c’plus confortable. Les bières sont dans le frigo à coté du bureau. Le plus fort ben…

Je passe la tête par la salle de bain pour désigner le mur d’alcool fort qui se tient face à lui.

-Fais-toi plaise.

Je reviens après m’être changé dans des vêtements plus confortable, un chino sombre et un T-shirt à manche longue écru. Je chope une bière et la tend pour trinquer.

-Bon ben, aux bites et aux couteaux et à l’incroyable absurdité de cette ville! Ha.Ha.Ha…

Je m’étale dans le canapé, je m’embête même pas à préciser qu’il peut faire de même, j’pense qu’il se fout bien de mon invitation.

-Ces apparitions vont être affreuses à fermer. C’est super. Et sinon, la vie ça va?

-T’as vraiment un soucis avec l’entre-jambe, tu l’sais non? Faut baiser, hein.

Je grimace.

- C’est un coup bas, ça. Même venant de toi.

J'aurais pu m'en tenir là, prétexter une envie de rentrer dans mes pénates et de pioncer comme un ours. Mais je le suis. Je ne sais pas pourquoi je le suis. Un truc me dit - et ça m'emmerde quand même un poil- qu'on se ressemblent par certains aspects.
On retient nos mots pour se concentrer sur la marche. Sans ça, je ne sais pas si nous aurions atteint ce  putain de point de chute. Au bout de trente minutes de randonnée nocturne, je le toise avec un air mi figue, mi-raisin.

- Quand est-ce qu'on arrive ? Et c'est encore loin ? J'ai envie de faire pipi... que je singe d'une voix nasillarde.

Il me désigne une porte blindée, d'un air fiérot.

- Me suis dit que c’était mieux qu’à l’extérieur. Et puis bon, c’plus confortable.
- Tu t'trompes de Taur, Hallsonnar... J'investis tout de même le canapé tout habillé,qui crisse sous le poids de mon vautrage.
- Les bières sont dans le frigo à coté du bureau.
- Rahat, faut que je me relève... Je m'y prends péniblement à deux fois.
- Le plus fort ben… J'enlève mon manteau tout en crispant la mâchoire. Je couine comme une vieille porte mal huilée. Je lève le pif pour me trouver avec un mur dédié à la bibine. Fais-toi plaise.
-... On va commencer par le houblon, hein... Je suis allé suffisamment en territoire inconnu pour ce soir.

Je farfouille dans le minibar et sort deux petites brunes corsées : deux "frogbeer THAWACK". Une marque française qui a gagné la couronne de meilleure bière du monde en 2018. Je crois savoir que son assistante - Secrétaire ? Majordome? Épouse ? Nourrice ?- est française. Ça peut expliquer des trucs.
Je m'attends à voir ressortir l'escogriffe en peignoir de soie. La dégaine est sobre. Je suis presque déçu.

- Bon ben, aux bites et aux couteaux et à l’incroyable absurdité de cette ville! Ha.Ha.Ha…
- Je pense que c’est le meilleur moment pour placer un "tout part en couilles".

Nous trinquons, assis dans le même canapé. Et après la première goulée, vient l'angoisse de la conversation. A part s'envoyer des vannes, nous n'avons jamais vraiment parlé. Je ne parle jamais beaucoup.

- Ces apparitions vont être affreuses à fermer. C’est super. Et sinon, la vie ça va?
- Ma femme joue les putschistes infernales, tout baigne ! Comment ça  pourrait ne pas aller ?

Long et profond soupir.

- Mon épouse dort dans une chambre capitonnée, mon fils est probablement gay mais il a peur de me l'avouer et tu sautes la seule fille qui ne me déteste pas complètement...Ah.Ah.Ah. Mais qu'est-ce que je raconte ? Les deux me haïssent ! Je bois une bonne rasade. Tu le crois si je te dis que la seule chose que je ne trouve pas complètement barré en ce moment c'est la Princesse-démone de la Folie ?

Un truc ce met à vibrer soudainement. Un téléphone.

- C'est pas le mien.




 

 

Ciulin

 

Ass?! J'ai essayé de t'appeler. Dis-moi que t'es ok !

 

- C’est un coup bas, ça. Même venant de toi.
-Orf, tu sais. J’suis plus bas que terre, parait.

Il me suit, c’est surprenant. Quoique. Il a qui d’autre à qui parler que les gens qu’il s’est evertué à détester. Qui de mieux que les proches d’Elie pour continuer à la faire vivre un peu… Pas étonnant qu’il traine avec Gontrand ou qu’il accepte de me suivre… Il fait son gamin, j’m’amuse à lui répondre par des “lalala” bruyants et en me bouchant les oreilles comme un gamin.
Quand je le fais entrer et que j’lui explique qu’on est quand même mieux là, peinard à pas devoir vérifier qui entre et qui sort, si on connait ou pas, il me balance.

-Tu t’trompes de Taur, Hallsonar…
-Si c’était l’cas, j’t’aurais déjà foutu à poil et j’t’aurais présenter l’pieu.

Sourire de débile alors que je l’entend gueuler qu’il faut se relever. Il a l’air d’avoir morfler le jeunot. J’me demande ce que ça fait d’avoir cet âge, de sentir son corps changer, vieillir.

-On va commencer par le houblon, hein… Je suis allé suffisamment en territoire inconnu pour ce soir.
-Comme tu sens mais j’ai des trucs typiques de chez toi, si jamais ça t’tente plus tard.[/color]

Je reviens m’étaler sur le canapé face à une bière française, je souris un peu. C’est Ciulin qui a trouvé cette bière et qui m’a sorti que ça serait ma “Simone liquide quand elle est pas là, tu comprends, paske c’est une grenouille”. J’crois qu’iel était ivre, j’crois que j’ai rigolé, j’crois que Simone a souris vite fait. Bref, c’était une excellente soirée.

-Je pense que c’est le meilleur omment pour placer un “tout part en couilles”.
-Et r’garde nous, on s’en bats les couilles. Magique.

J’ai un rire de mec fier de sa blague à deux roubles. J’le vois commencer à être un peu inconfortable. La conversation, c’est pas son fort. C’est marrant parce qu’Elie arrêtait pas de nous dire qu’ils parlaient tout le temps. J’suis sûr, il a l’air d’avoir quinze balais quand il est avec elle, genre ado prépubère mal dégrossi. Dites moi qu’il bafouille, par pitié.

-Ma femme joue les putschistes infernales, tout baigne ! Comment ça pourrait ne pas aller ?

-Franchement, j’l’ai pas vu v’nir, c’ui-là.

Il pousse un long soupire et commence, enfin, à parler un peu.

-Mon épouse dort dans une chambre capitonnée, mon fils est probablement gay mais il a peur de me l’avouer et tu sautes la seule fille qui ne me déteste pas complètement… Ah.Ah.Ah. Mais qu’est-ce que je raconte ? Les deux me haïssent.
-C’était sans doute vrai à une époque. T’savais qu’Elie et Ciulin se connaissent?



Je dis ça d’un ton tranquille et je le laisse reprendre le fil de sa pensée.

-Tu le crois si je te dis que la seule chose que je ne trouve pas complètement barré en ce moment c’est la Princesse-démone de la Folie ?
-Pas vraiment. Léviathan est sympa tant que personne la fout en rogne. Elle est beaucoup plus barrée quand elle est en rogne.

Mon téléphone vibre.

-C’est pas le mien.
-nan, c’moi. Mon cul vient d’vibrer…

Je pousse un lourd soupire en me soulevant un peu pour sortir le téléphone. Je lis le message et lance un long.

-Meeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeerde….

Ciulin

 

Ass?! J'ai essayé de t'appeler. Dis-moi que t'es ok !

Merde, désolé. J’avais pas vu. Je suis claqué, j’viens de m’occuper d’une des apparitions en ville avec ton daron. C’était bien ce qu’on s’était dit. J’ai craqué mes fringues. C’était même pas toi qui t’en es occupé T.T tristesse. Et toi ça va? Le lien a marché jusque chez ton frangin?

 

-Bordel de bordel de bordel de merde. J’suis trop con…

Je bois une goulée de bière et laisse retomber mon téléphone.

-Possible que Ciulin débarque. Accessoirement, t’es pas le seul père de merde si ça peut te rassurer. J’viens d’apprendre que mon gamin, celui que j’ai eu quand j’étais humain, a tourner vampire radical.

Je lève les épaules et lui lance un regard entendu.

-Au bout d’un moment, j’pense que j’ferais tout aussi bien de me mettre sous une douche de merde, ça irait beaucoup plus vite, tu vois.

J’ai un léger rire.

-Comment tu gères? Y a beaucoup d’assiettes et pas beaucoup d’cuillières, j’parie.

-C’était sans doute vrai à une époque.
- Je ne vois pas ce qui aurait changé. Elle a renié publiquement sa propre famille....On ne peut pas faire plus clair.
- T’savais qu’Elie et Ciulin se connaissent?

hein ?!

L'information me fait trébucher mentalement. Mon cerveau ne sais pas quoi en foutre. Je la stocke pour plus tard, quand mes neurones parviendront à se toucher.

-Meeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeerde….
- QUOI?! QUOI?! QUOI ?!

Je me redresse comme un diable sorti de sa boite, dans l'expectative de repartir en cavale cautériser un nouveau bobo cosmique. Asmodée pianote comme un dératé sur son portable -Mama-Noapte, ce qu'il tape vite ! et juste avec les pouces ?!.
- Rahat ! Il se passe quoi ?!



 

 

Ciulin

Ass?! J'ai essayé de t'appeler. Dis-moi que t'es ok !

 

Merde, désolé. J’avais pas vu. Je suis claqué, j’viens de m’occuper d’une des apparitions en ville avec ton daron. C’était bien ce qu’on s’était dit. J’ai craqué mes fringues. C’était même pas toi qui t’en es occupé T.T tristesse. Et toi ça va? Le lien a marché jusque chez ton frangin?.

Bordel! J'ai flippé ! Me suis mis à pisser du sang partout et à griller comme un poulet. C'est tout boursouflé au niveau de mon "alliance"  (<3). Cristian était pas là, heureusement. Faut que j'te vois.

Comment ça "avec mon daron " ? °_°

 

-Bordel de bordel de bordel de merde. J’suis trop con…Possible que Ciulin débarque.
- Hein?! Bon....euh..

Je vais peut-être m’éclipser : d'une parce que je me vois mal tenir la chandelle, d'autre part parce que je n'ai pas spécialement envie que ma progéniture me voit copiner sur son territoire. Mes dernières conversations avec Ciulin ont été indirectes, par sms ou par mail. Professionnelles, en générale. Mais toujours teintées d'une manière détournée et un peu vague de savoir si j'allais bien.
Je pensais qu'iel causait de sa mère, mais peut-être évoquait-iel Elie.

- Accessoirement, t’es pas le seul père de merde si ça peut te rassurer. J’viens d’apprendre que mon gamin, celui que j’ai eu quand j’étais humain, a tourner vampire radical.

La confession me sidère suffisamment pour que je reste le cul assis sur le sofa. Il n'y a pas mille manière d'être une créature "Radicale" dans cette ville.

- Attends.... C'est.. "un Hurlant" ? Je suis navré. J'aimerais lui demander comment est-ce arrivé, mon hésitation me fait louper le coche.
- Au bout d’un moment, j’pense que j’ferais tout aussi bien de me mettre sous une douche de merde, ça irait beaucoup plus vite, tu vois.
- Bienvenue dans la gadoue. Je cogne à nouveau sa bouteille avec le cul de ma bière avant de la finir.
- Comment tu gères? Y a beaucoup d’assiettes et pas beaucoup d’cuillières, j’parie.
- Et pas mal de passoires, en sus. Je penche la tête en arrière en me massant le front du majeur et de l'index. Elie disait que la clé c'était la communication. Chuis pas bon communiquant. Mais j'essaie. A peu de chose près, une ado en colère ça marche comme un Hurlant : ça casse tout et ça écoute pas.

J'ai un vieux ricanement horrible.

- J'ai du empêcher Levie de transformer Viorea en cochon. "Les cochons c'est rigolo, Viorea est pas rigolote. Avec une queue en tire-bouchon, ça ira mieux !" Je me suis retenu de mourir de rire, elle aurait pris ça pour un assentiment...

Soupir lasse.

- J'ai l'impression que je suis un meilleur père quand c'est pas mes gosses.... Bon, c'est quoi le soucis avec Ciulin? Tu m'expliques ?

Arrête de noyer le poisson Hallsonnar.

Je réponds pas, je me contente de taper des réponses à Ciulin. De toute façon, il va vite comprendre que je parle à sa progéniture.



 

 

Ciulin

Ass?! J'ai essayé de t'appeler. Dis-moi que t'es ok !

 

Merde, désolé. J’avais pas vu. Je suis claqué, j’viens de m’occuper d’une des apparitions en ville avec ton daron. C’était bien ce qu’on s’était dit. J’ai craqué mes fringues. C’était même pas toi qui t’en es occupé T.T tristesse. Et toi ça va? Le lien a marché jusque chez ton frangin?.

Bordel! J'ai flippé ! Me suis mis à pisser du sang partout et à griller comme un poulet. C'est tout boursouflé au niveau de mon "alliance"  (<3). Cristian était pas là, heureusement. Faut que j'te vois.

Comment ça "avec mon daron " ? °_°

Avec ton daron. Comme dans : j’ai ramené ton daron pour pas qu’il empire la situation en fonçant comme… un Taureau. 8DDDDD

Sinon, j’devrais pouvoir calmer la boursouflure, s’tu veux. Je suis au club, passe par derrière. <3

 

On reprend la conversation et j’essaie de le mettre un peu à l’aise sur le sujet de la famille en sirotant ma biere.

- Attends.... C'est.. "un Hurlant" ? Je suis navré.

Je hausse les épaules. Je ne sais pas bien quoi faire de l’information concernant mon fils. Ca me fatigue déjà, autant que ça me fout les nerfs à vif. Ce gamin était sensé avoir une vie mortel, le voilà avec un vie qui n’en finira jamais et si elle finit ça serait forcément dans la douleur. Youpi… Tous à bords du train d’la joie.

-Bienvenue dans la gadoue.

Je trinque en hochant la tête. C’est marrant ce qu’il se passe dans ce bureau. Kaelig a l’air de s’ouvrir un peu, j’en suis pas spécialement mécontent.

-Elie disait que la clé c’était la communication. Chuis pas bon communiquant. Mais j’essaie. A peu de chose près, une ado en colère ça marche comme un Hurlant : ça casse tout et ça écoute pas.
-Tu t’trompes, un ado, ça écoute tout le temps. C’est même super vicieux, j’ai adopté une gamine y a quelques années - ses parents étaient des enculés, ils me l’ont refilé en pature contre je sais plus quelle merde, c’était à chialer - elle a eu une phase pas super et quand ça partait en live elle me ressortait de ces trucs que j’avais sortie alors que j’pensais qu’elle écoutait pas, c’était putain d’absurde…

Le rire fait bader mais bon, cheers to that, je suppose. Je vide ma bière et j’ai tellement la flemme que j’use de télékinésie pour faire venir la tournée suivante.

-J’ai du empêcher Levie de transformer Viorea en cochon. “Les cochons c’est rigolo, Viorea est pas rigolote. Avec une queue en tire-bouchon, ça ira mieux !” Je me suis retenue de mourir de rire, elle aurait pris ça pour un assentiment.

J’allais boire mais je me suis arrêté. Je l’observe un moment, la bouteille à mi-chemin de ma bouche.

-Atta. T’es en train de me dire que tu babysittes Léviathan? T’es consentant? Cligne trois fois des yeux si tu veux une porte de sortie.

Je le regarde très sérieusement pendant quelques secondes avant d’éclater de rire puis de boire un peu.

-J’ai l’impression que je suis un meilleur père quand c’est pas mes gosses…. Bon, c’est quoi le soucis avec Ciulin ? Tu m’expliques ?

Je hausse un sourcil.

-Hmm… On est lié par Odin… j’suppose qu’on pourrait dire que c’est un genre de… Mariage mystique? Bref, ça nous lie à un niveau particulier… Ciulin parle Islandais maintenant et apparemment, quand je craque mon slibard en démon, ça a des impacts alors qu’iel est à l’autre bout de cette putain de ville… Donc iel a un peu flippé. Donc iel va venir et apparemment les marques de son lien sont un peu… gonflées. En gros.

Sans déconné, cette histoire est dingos, apparemment j’peux plus me transformer en full démon sans provoquer un barbecue boudinesque de Ciulin. Parfait. Cette journée semble s’améliorer de jour en jour!

-Atta. T’es en train de me dire que tu babysittes Léviathan?
- Visiblement .
- T’es consentant? Cligne trois fois des yeux si tu veux une porte de sortie.

J'ai un rire sincère. J'aime cette gosse millénaire. Sincèrement.

- Si tous les démons étaient comme elle, je crois que je m'en accommoderais.

Venant de moi ça signifie beaucoup.

- J'ai même envie de te dire qu'elle est plus efficace que mon psy. C’est un véritable antidépresseur. J'aime bien m'en occuper même si ça me colle quelques suées, je ne te le cache pas. J’ai l’impression que je suis un meilleur père quand c’est pas mes gosses…. Bon, c’est quoi le soucis avec Ciulin ? Tu m’expliques ?
-Hmm… On est lié par Odin…
- Qu'est-ce que c’est que ce patacaisse ?
- J’suppose qu’on pourrait dire que c’est un genre de… Mariage mystique?
- QUOI ?!

Comment ça : "Mariage Mystique"!?
MA FILLE, Mariée?!
A un prince-démon ?!

- Bref, ça nous lie à un niveau particulier…
- Si elle a des cornes qui lui poussent sur le front, j'te défonce, que je gronde, soudain menaçant.
- Ciulin parle Islandais maintenant et apparemment, quand je craque mon slibard en démon, ça a des impacts alors qu’iel est à l’autre bout de cette putain de ville…

Je vais le fumer !

- Comment ?! Quel impact ! ? Est-ce qu'elle souffre ?
- Donc iel a un peu flippé. Donc iel va venir et apparemment les marques de son lien sont un peu… gonflées. En gros.
- EN GROS ?! MAIS TU T'FOUS UN PEU DU MONDE HALLSONAR ! Que je tempête brusquement. TU T'EXPOSES A UNE PUTAIN DE PLAIE INFERNALE SCIEMMENT EN SACHANT QUE MA FILLE VA MORFLER EN ECHO ?!!!!  ELLE COMPTE A CE POINT A TES YEUX ?! Je sers tellement fort mon godet que la bouteille vide m'explose dans la paume.

Comment ai-je-pu croire qu'il m'était sympathique ? Comment ai-je pu penser qu'il n'était pas égoïste comme tous ceux de son espèce ? Comment.....
Le visage de mon étoile surgit soudain dans mon esprit, les bribes d'images arrachées du Pandémonium, gravées sur ma rétine. Son poing brandi, résolu, pour sauver tous les persécutés des Fosses. Elle n'est pas égoïste.

Et c’est un démon, désormais.

Lourd moment de silence. Si les Anges existent, ils se sont génocidés entre ces murs. Ma main est écorchée. Je contemple de sang qui bulle sur ma paume fendillée. Je n'ai même pas mal.

- Je crois que tu as raison, dis-je d'une voix étrangement calme. J'ai besoin de plus fort.

Le père des Sang-Coureurs est en train de m’expliquer que la mère des folies et des cauchemars lui sert d’anti-déprésseur… C’est étonnamment mignon et je ne peux pas m’empecher de me réjouir un chouïa pour Léviathan. Cette éternelle gamine manque gravement d’amour et d’attention, malgré son coté génocidaire. L’effet Léviathan est un genre d’effet kisscool pour l’âme. Le pire dans l’histoire, c’est que j’imagine un peu la sensation que peut lui apporter Léviathan. Elle a toujours besoin d’attention, elle est d’une naïveté tellement pure qu’il flirte parfois à la cruauté. Elle ne calcule pas grand chose. C’est un chaos charmant à l’état brut.
Elle est beaucoup trop épuisante pour moi, j’ai pas le temps. Et ça me désole. Je me contente d’empecher qu’on l’emmerde trop. J’ai pas les épaules de faire plus.
On passe à Ciulin et j’sais déjà que ça va pas lui plaire. Quand je lui parle de mariage mystique, papy se retrouve le cul sur un ressort et jaillit de sa boite en hurlant.

-QUOI ?!
-Relax.

Que j’ajoute d’un ton calme. Je sens que ça va vriller et je me demande à quel point il va partir en turbo couille.

-Si elle a des cornes qui lui poussent sur le front, j’te défonce.
-Tu veux pas l’dire en fronçant les sourcils. Histoire d’essayer de faire peur.

J’explique à peu près ce que c’est. Et LA, LA  je sens que le daron en lui part en roue libre. C’est la drag race de la testostérone et de l’inquiétude paternelle.

-Comment?! Quel impact!? Est-ce qu’elle souffre ?

Je roule des yeux un peu quand d’un coup il se met à hurler comme un goret. Je plisse les yeux. Ca daide pas mon mal de crâne.

-EN GROS ?! MAIS TU T’FOUS UN PEU DU MONDE HALLSONAR !
-C’est ma principale qualité.
TU T’EXPOSES A UNE PUTAIN DE PLAIE INFERNALE SCIEMMENT EN SACHANT QUE MA FILLE VA MORFLER EN ECHO?!!!
-Sérieux?
-ELLE COMPTE A CE POINT A TES YEUX ?!
Je soupire.

La bouteille éclate et je hausse un sourcils.

-C’est bon, t’as fini de gueuler?

Le silence s’étend pendant qu’il a sa main sanguinolente sur mon parquet hors de prix. En même temps, est-ce que j’ai pas un niquer le parquet moi-même? Peut-être. Il mate sa plaie comme hypnotisé.

-Je crois que tu as raison, j’ai besoin de plus fort.
-Ben tu vois. Faut toujours m’écouter. C’pas difficile.

Je lui offre un sourire calme. Je vide ma bière avant de lancer.

-Quatrième rangée, sixieme colonnes. Super truc, tu vas voir. Alcool de cobra.

La bouteille est bien clair et le liquide légerement ambré laisse apercevoir un cobra à l’intérieur.

-On peut r’prendre calmement? Donc… C’est pas sciemment, très sincèrement, j’ai du voir une fois Odin lié deux êtres et c’était des Jotuns, on avance un peu en terrain inconnu. Ciulin compte énormément à mes yeux, Kaelig. Si t’arrive pas à imaginer, t’as qu’à mater une photo d’Elie, tu comprendras vite, j’pense.

Je verse deux shot que je lui tends.

-Allez, cul sec, sale gueulard.

Je rigole un peu et vide le verre.

-Quatrième rangée, sixième colonnes. Super truc, tu vas voir. Alcool de cobra.
- Je te pique une serviette, que j'annonce, mordicus, en investissant la salle de bain.

Elles sont blanches.
Tant pis pour toi, gadjo.

Je rince les petites coupures, chassant les fragments de verre logés. J'éprouve un plaisir sournois à saloper ensuite son linge de maison. Ce n'est pas lui qui nettoie, j'en suis conscient, mais c'est éminemment satisfaisant sur l'instant. Je reviens dans le bureau en m'étant confectionné un pansement de fortune avec sa ceinture de peignoir. Je passe ma colère comme je peux. Ma carcasse a été beaucoup trop secouée d'émotions ce soir, j'ai besoin de relâcher la vapeur.

Quand je reviens Asmodée nous a  servi deux petits verres de gnôle à ras bord.

- On peut r’prendre calmement?
- Hum... Je ronchonne vraiment comme un mouflet, c'est désolant.
-  Donc… C’est pas sciemment, très sincèrement, j’ai du voir une fois Odin lié deux êtres et c’était des Jotuns, on avance un peu en terrain inconnu.
- Ouais... le fameux "terrain inconnu". Tu me l'a déjà servi celui là. Faudrait peut-être commencer à mettre ton gros cerveau à profit pour anticiper, hein ? Des millénaires d'expériences, mon cul...
- Ciulin compte énormément à mes yeux, Kaelig. Si t’arrive pas à imaginer, t’as qu’à mater une photo d’Elie, tu comprendras vite, j’pense.
- Comme tes milles autres conquêtes dont tu finiras par te lasser ? Prends-moi pour un con.
- Allez, cul sec, sale gueulard.

Je siffle le digestif comme on boit de l'eau. Une lampée sèche et brute qui chauffe le gosier au lance-flamme. Je tape le cul du godet contre la table. Un reniflement.

- De la pisse-d'âne. Tu crois que j'ai quoi, douze ans ? Le régime lait-fraise c’est terminé depuis longtemps.

Bien.
Mon cerveau a décidé de s'éteindre.
J'écoute la voix sibylline de Gontrand qui me susurre : "Laisse aller, suis le mouvement...". Je visualise sa tronche au bout d'un corps d'anguille. C’est assez ridicule. Elie aurait adoré.

Je prends une inspiration.

- J'ai été un père merdique, pour ma fille, mais je l'aime. T'entends  ? Je l'ai toujours aimé, même si elle ne l'a jamais compris. Même si j'ai tout fait de travers. Franchement, je ne sais pas ce qu'elle peut trouver à une raclure de bidet infernale comme toi ! Bon j'admets que tu peux t'avérer... drôle. Parfois. T'emballe pas...je n'adoube pas tes vannes de présentateur meteo pour autant. Mais si tu t'es marié avec Ciulin, t'as intérêt à la protéger comme le trésor le plus précieux du monde, est-ce que c’est bien clair ?! Parce qu'Odin m'en est témoin, si tu la fait pleurer, je viendrais te botter sévèrement le cul.

Bref silence.

- Oh moins, t'es un prince. C'était le minimum pour oser prétendre demander sa main....

J'ai un sourire de sale con, parfaitement satisfait.
Je tends à nouveau mon verre.

- Bon, et maintenant ?

On la vide cette armoire de rincettes, ou bien ?

Kaelig revient la main pansée dans mes affaires de bain, ça me tire un rire amusé. Il se retrouve à faire de petits coups bas comme un désoeuvré, c’est vraiment incroyable à regarder. Ce mec est passé de gros méchant inamovible à gros gamin boudeur. Dans le style “aaaah ouaiiiis? Tu m’fais çaaaaaa? Bah tieeeeeeeeeeeens” ça se pose là.
J’arrive pas à croire que je suis témoin de ça. Elie a transformé ce grand gus en demi gimauve, c’est incroyable.

J’ai un petit pincement au coeur en y pensant. Elie, elle avait cet effet-là sur les gens. Elle trouvait des grosses brutes et, jamais personne comprenait comment ou pourquoi, elle s’en faisait des amis. C’est toujours assez impressionnant la mosaïque de personnes qui gravitent autour d’elle. Sans que ça soit un calcul de sa part. Je pousse un léger soupir et le laisse se rasseoir, avant d’essayer de reprendre calmement.
Je lui explique tranquillement. Il est acide mais déjà il gueule plus.

-Faudrait peut-être commencer à mettre ton gros cerveau à profit pour anticiper, hein ?
-Applique donc tes propres conseils, Beau-papa. Parce que toi aussi tu pues du slip.
-Des millénaires d’expériences, mon cul…
-On a pas précisé quelles expériences, hein.

Je lui lance un sourire amusé avant de lui rappeler deux secondes l’importance de Ciulin.

-Comme tes milles autres conquêtes dont tu finiras par te lasser? Prends-moi pour un con.
-Tu confonds polyamour et partenaires d’un soir. Bon… J’ai un sourire un peu coupable. On adore draguer ensemble mais ça, c’est une autre histoire. Et c’est pas une question de lassitude non plus. Surprenant, pas vrai.

Il siffle le verre d’un coup et ça me fait ricanner un peu. Il fait fier mais je sais que cet alcool brûle la gueule.

-De la pisse-d’âne.
-Haha!
-Tu crois que j’ai quoi, douze ans?
-Ben chai pas tu les imites vachement bien, en tout cas.
-Le régime lait-fraise c’est terminé depuis longtemps.
-Tout de suite les insultes! Sans déconné, t’as rien appris dans ton pays de bouseux, là?

Je me lève pour aller chercher deux ou trois bouteilles excentriques, de l’hydromel, de la Tiuca, de vieux alcools ridiculement forts et je pose tout ça sur la table pendant que Kaelig me déclame un poème du père en stress. J’écoute en me disant que si Ciu était là, iel serait en train d’halluciner grandement.

-Franchement, je sais pas ce qu’elle peut trouver à un bidet infernale comme toi !
-Maiiiiiiiiiiiiiiis arrête, tu m’aimes bien, on l’sait tous.
-Bon j’admets que tu peux t’avérer…
-Incroyable? Parfait?
-Drôle.
-Ah bah merci bien!
-Parfois.
-T’es un enfoiré.
-T’emballe pas…
-Ah ben j’risque pas avec ton laïus, t’inquiète, j’suis bien assis dans ma chaise, hein.
-Je n’adoube pas tes vannes de présentateur météo pour autant.
-C’est pas de ma faute si t’as pas de goût.
-Mais si tu t’es marié avec Ciulin, t’as intérêt à la protéger comme le trésor le plus précieux du monde.
-Comme? C’est pas c’qu’est Ciulin? Et c’pas un trésor qu’a spécialement besoin de protection.
-Est-ce que c’est bien clair?
-Oui, oui, beau-papa.
-Parce qu’Odin m’en est témoin,
-Mais ta gueuuuuuule et boiiiiiis…
-Si tu la fait pleurer, Je viendrais te botter sévèrement le cul.
-La même chose à toi, gamin. La même chose à toi, fois deux.

Silence pendant lequel je lui sers une longue rasade de Tiuca alors que je me verse un hydromel.

-Oh moins, t’es un prince.
-Eeeeeeh ouep.
-C’était le minimum pour oser prétendre demander sa main…
-J’ai honnêtement rien demandé du tout. Mais hey, si ça te fait plaise.

Il me tend son verre plein et je plisse les yeux.

-Bon, et maintenant ?
-Beh… on trinque?

Je fais claquer mon godet contre le sien et le vide d’une traite.

-Aux menaces à la con!

Je pousse un long soupire avant de me resservir un p’tit coup.

-C’la dit, j’suis sérieux. Tu m’l’as fais chialer, ma nièce, j’ferais de ta vie un enfer et putain, j’suis chiant et j’suis même pas à mon max.

Sourire d’abruti.

-J’dis ça, j’dis rien. Et sinon, tu comptes faire quoi pour être à la hauteur de la p’tite, hein? Parce que c’est une perle et j’sais pas si c’est bien d’laisser un taureau avec…

Il veut jouer à ce petit jeu là, on peut être deux. Je ricane un peu avant de lancer.

-Oooooh alleeeeez, fais pas cette gueule! Comme si nos menaces valaient quoique ce soit. Les deux font absolument ce qu’ielles veulent, tu veux faire quoi. Sit back and relax. C’est tout.

- Beh… on trinque? Aux menaces à la con!
- Et aux cons qui les suscitent !

Nouvelle lampée cul-sec. Nouvelle expiration embuée d'alcool. Je ne sais pas où va cette conversation. Nulle part, sans le moindre doute. Au moins ai-je l'impression de noyer mes idées noires et ma lassitude dans de la bibine de qualité. Une distraction salutaire.

-C’la dit, j’suis sérieux. Tu m’l’as fais chialer, ma nièce, j’ferais de ta vie un enfer et putain, j’suis chiant et j’suis même pas à mon max. J’dis ça, j’dis rien.
- Dis rien. Pour le moment, c'est plutôt elle qui m'fait chialer. Pas franchement l'inverse. Ricanement grondant, symptomatique des vieux moteurs. Je ne doute pas du tout de ta capacité à être chiatique level infini. Si tu m'fais trop chier, j'irais dire à Lévi que t'as envie de te faire un marathon Peppa Pig avec elle. Elle adooore Peppa Pig, elle rembobine même certains passages en boucle pendant des heures.

Je glisse vers lui un regard finaud, doublé d'un sourire vilain.

- Tu vas t'éclater...
- Et sinon, tu comptes faire quoi pour être à la hauteur de la p’tite, hein? Parce que c’est une perle et j’sais pas si c’est bien d’laisser un taureau avec…
- Est-ce que t'as bien vu ta gueule quand t'es transformé ? Ressers-nous au lieu de bavasser.
- Oooooh alleeeeez, fais pas cette gueule!
- C'est la gueule d'un mec à qui on a promis une cuite et qui attend toujours !
- Comme si nos menaces valaient quoique ce soit. Les deux font absolument ce qu’ielles veulent, tu veux faire quoi. Sit back and relax. C’est tout.

Je médite alors qu'une nouvelle liqueur comble la vacuité de mon verre.
Long soupir.

- ...... Ouais............ Bordel, je me fais pas à ces pronoms . Si au moins Ciulin avait choisi un franc "il". Mais "iel"... C'est tellement proche de "elle". Je dérape à chaque fois que j'essaie. Et j'essaie vraiment, note bien.Et le "lea".. On peut parler du "lea" ?!

Offuscation drolatique que je troque bientôt contre une moue pensive. Mon regard se perd un peu dans les vastes marécages des souvenirs.

- J'ai toujours su que ça n'était pas une fille. Je l'ai élevée comme un garçon, du moins, comme moi on m'a élevé. A coup de torgnoles et d'exhortation à la virilité. Clairement, ça ne lui a pas plus réussi qu'à moi. Mais quand t'as jamais rien connu d'autres et qu'on te presse pour former des guerriers....... J'ai un rire tendre. J'ai obtenu d'avantage en cuisinant des pancakes qu'en distribuant des tartes. Tu le crois ça ? Mon paternel n aurait jamais cuisiné pour moi. C'était le rôle des Mères. Et l'amour des gosses, aussi, était réservé aux Mères ....

Silence méditatif.

- Parle-moi de ta famille, Hallsonar. Je prends l'initiative de nous resservir. Tu t'en souviens au moins ?

- Dis rien. Pour le moment, c'est plutôt elle qui m'fait chialer. Pas franchement l'inverse.

J’ai un sourire amusé, certainement pas moqueur. Simplement, j’imagine la gamine toucher ce grand guerrier en plein coeur et j’imagine depuis combien de temps Kaelig attend d’être touché en plein coeur. Combien c’est douloureux et salvateur. Ils se sont vraiment bien trouvé.

-Je ne doute pas du tout de ta capacité à être chiatique level infini. Si tu m’fais trop chier, j’irais dire à Lévi que t’as envie de te faire un marathon Peppa Pig.

Mon cerveau devient blanc.
Attendez, est-ce qu’il élève Léviathan comme une enfant humaine?

-Elle adoooore Peppa Pig, elle rembobine même certains passages en boucle pendant des heures.
-... Ben dis donc, il est loin le temps où tu pouvais pas blairer les gens comme nous.

Je ne me départis pas de mon sourire.

-Tu vas t’éclater…
-La tête contre les murs au bout de vingt minutes, ouais, carrément.

Il est marrant Kaelig, sous ses airs tout sérieux de chef. Un gars plein d’humour où je retrouve malgré moi des traits de caractères et des manières à la Ciulin. Je ressers les verres à l’injonction du voleur de serviettes. Je lui rappelles qu’on se menace dans le vide, parce que c’est le cas.

-...... Ouais…… Bordel, je me fais pas à ces pronoms. Si au moins Ciulin avait choisi un franc “il”. Mais “iel”... C’est tellement proche de “elle”. Je dérape à chaque fois que j’essaie. Et j’essaie vraiment, note bien. Et le “lea”.. On peut parler du “lea”?!

Je pouffe de rire en vidant mon verre.

-Oh, allez, c’est pas si compliqué. Et tu t’en sors plus que bien pour un roumain. Non, on parle pas du “lea”. Ca m’parait pas mal.

Il dérive et je me contente de resservir des verres. J’écoute un récit que je trouve triste : difficile de faire mieux quand on ne sait pas que “mieux” existe. J’ai beau respecter les croyances de Ciulin, cette famille est un culte au sens sectaire du terme. Avec ces codes pour traumatiser, pour formater et c’est d’une tristesse infinie.

-J’ai obtenu d’avantage en cuisinant des pancakes qu’en distribuant des tartes. Tu le crois ça?

Question d’un homme qui a connu ce traitement dans son enfance et qui l’a cru normal pendant longtemps.

-Mon paternel n’aurait jamais cuisiné pour moi. C’était le rôle des Mères. Et l’amour des gosses, aussi, était réservé aux Mères.
-hmm…

Je laisse le silence s’étendre. Je ne vois pas quoi objecter. J’aurais bien des choses à dire mais rien qui n’aide Kaelig et qui ne soit pas un peu méprisant sans que ça ne soit mon intention réel. Je préfère ce silence.

-Parle-moi de ta famille, Hallsonar.

Je lève un regard ancien sur lui. Je me rends compte que je jauge s’il est digne ou non d’approcher cette partie de moi.

-Tu t’en souviens au moins?
-Bien sur que je m’en souviens…

Je vide mon verre avec un sourire nostalgique.

-C’est sans doute le premier pillier de mon humanité ou de ce qu’il en reste.

J’ai un léger rire pensif. Rafney et Kol… Les terres sauvages et glacées de l’Islande. J’inspire longuement.

-Kol était gamin aventurier. Il révait de partir en raid avec nous, il révait de combats victorieux, de Valhalla, de marcher au coté d’Odin. C’était un chouette gamin, capricieux parfois… Le genre à partir à la chasse alors qu’on lui a dit mille fois non parce qu’il fait -30 et qu’il a failli crever d’une angine. J’l’ai retrouvé à demi-mort de froid dans la neige, Sa mère lui a botté le cul comme jaja. Et il gueulait sa vie parce que grace à lui on avait à bouffer. Il avait chopé un lapereau anémique. J’crois qu’on a jamais autant ris avec Rafney… Putain, qu’il était vexé.

Je nous ressers un verre.

-Ciulin a vu Rafney dans un échange de mémoires assez intense… J’crois qu’iel se compare à elle. Rafney était une guerrière, une mère et un soutien constant jusqu’à ma mort… C’était autant une meilleure amie, qu’une amante… A bien des égards Ciulin est tout ça... Je crois qu’iel s’imagine qu’iel sera jamais à la hauteur et c’est assez faux.

Je vide le verre.

-Il ressemblait beaucoup à Rafney étant petit, j’ai vu des photos, c’est toujours le cas. Ca m’a frappé tout de suite quand Simone m’a montré les photos.

Je pousse un long soupire et regarde Kaelig en souriant tranquillement.

-J’ai probablement pas été un père modèle. J’suis toujours pas un père modèle et pourtant, j’ai eu l’temps d’être père une paire de fois.

Je m’étire un peu et nous ressert. C’est étrange de parler de la famille avec Kaelig mais pas désagréable.

-Ca s’voit qu’t’a grandi avec des “les hommes c’est fort”, “les hommes ça pleure pas” et tout. J’ai eu la même. J’serais probablement beaucoup plus comme toi si j’avais pas eu Rafney. Et j’pense que tu l’seras et l’es beaucoup moins depuis quelques temps, j’me trompe?

Je me lève pour aller chercher de quoi grailler. Un saucisson fait dans le coin, un truc bien sympa. Je m’étale à nouveau dans le canapé.

-Et tu m’disais que t’avais un fils gay encore dans l’placard? Tu t’sens comment par rapport à ça?

-Bien sur que je m’en souviens… C’est sans doute le premier pillier de mon humanité ou de ce qu’il en reste.

J'accueille l'assertion d'un silence méditatif. Elehiel me l'a déjà évoqué, ce besoin d'ancres, pour ne pas partir à la dérive dans les Fosses. J'ai été la sienne. Quelle sera la mienne ? Elle, très certainement.

Mais ma famille, j'en doute.

Sa description de Kol m'évoque Ciulin, petite boule de nerfs, éperdue de castagne et d'aventures, d'équipées sauvages en plein cœur de la Nuit. Mais la Nuit nous happe et elle nous recrache sans la peau.

- … Putain, qu’il était vexé.
- Il a le même tempérament que ma gamine. Fougueux et fier.
- Ciulin a vu Rafney dans un échange de mémoires assez intense…

Je pose sur lui un regard qui en dit long, souligné par un haussement de sourcil pas particulièrement amusé. Les expériences ésotériques de ce styles peuvent être dévastatrices. J'ai assez invoqué l'esprit de mon paternel pour m'apprendre la leçon à coup de belles mandales cosmiques. L'Amour n'a jamais pu éradiquer ce fond de culpabilité qui me poussait au vice de la confrontation.

- J’crois qu’iel se compare à elle.
- Faut pas être grand clerc pour trouver ça logique. Ça m'fait chier à dire, mais les Taur aiment comme des cons de manière entière et sans la moindre mesure. "Iel" a beau avoir renié son sang, il coule dans ses veines.
- Rafney était une guerrière, une mère et un soutien constant jusqu’à ma mort… C’était autant une meilleure amie, qu’une amante… A bien des égards Ciulin est tout ça... Je crois qu’iel s’imagine qu’iel sera jamais à la hauteur et c’est assez faux.
- C'est toi qu'est pas à la hauteur, que je réplique avec une brutalité décomplexée par l'alcool.
- Il ressemblait beaucoup à Rafney étant petit...
- Ton gosse ? Je suppose que oui. Le coq, l'âne, tout ça.
-... J’ai vu des photos, c’est toujours le cas. Ça m’a frappé tout de suite quand Simone m’a montré les photos. J’ai probablement pas été un père modèle. J’suis toujours pas un père modèle et pourtant, j’ai eu l’temps d’être père une paire de fois.
- C'est pas la quantité de mômes qui fait la qualité du Père. Crois-en ma vaste expérience sur le sujet. Je siffle la gnôle en lui rendant son sourire. Je pense que l'ébriété commence vaguement à me chatouiller la cervelle. On en est à la deuxième bouteille, là, non ?
- Ça s’voit qu’t’a grandi avec des “les hommes c’est fort”, “les hommes ça pleure pas” et tout. J’ai eu la même. J’serais probablement beaucoup plus comme toi si j’avais pas eu Rafney.

J'ai une pensée sourde pour Lavivia. Elle se teinte d'une terrible mélancolie. J'ai aimé cette femme de tout mon être. Notre histoire n'était pas un mensonge. Nous n'étions juste pas bon l'un pour l'autre et le temps nous l'a confirmé.

- Et j’pense que tu l’seras et l’es beaucoup moins depuis quelques temps, j’me trompe?
- Ouais.... Silence. Nouvelle rasade. J'ai aimé Lavinia. Je l'ai passionnément aimé. Je le croyais, du moins, et puis.... Je déglutis, étrangement ému, je détourne le regard. Je ne parviens pas à poursuivre.

Elie.
Elie a bouleversé ma vie.
Elie ne m'a pas transformé, elle m'a révélé...

-Et tu m’disais que t’avais un fils gay encore dans l’placard? Tu t’sens comment par rapport à ça?

Habile perche tendue pour changer de sujet. Je ne me fais pas prier.

- Très tranquille, en fait. Presque impatient que ça sorte. Sorin est un gamin intelligent, avec du cœur et qui n'a pas peur -pas toujours- de l'affirmer. Il va finir par lâcher le morceau. Je ne le pousse pas à confesse, j'attends qu'il se sente prêt. En attendant... Je finis mon verre et je nous ressers. Je m'éduque sur la question... Je m'enquille des videos youtube et du contenu twitter écrit par des jeunes analphabètes - la plupart du temps c'est illisible et ça me donne envie de poster pour remplir les abréviation avec des vrais mots - mais qui en savent un bras sur le sujet. Marre-toi, mais j'ai même regardé toutes les saisons de Rupaul machin chouette pour me faire une idée...

J'ai une sorte de grimace drôlatique.

- Je suis pas certain d'adhérer à tout le délire outrancier et globalement vulgaire mais je reconnais le travail faramineux que ça implique. Les gars savent coudre, se maquiller, chanter, danser, jouer la comédie... Ils sont à fond. Que j'aime ou pas, ça motive tout de même mon respect. 

Silence.

- Je crois que Sorin se maquille en secret... Je me demande si il est allé plus loin que ça ...?  Je regarde Asmodée avec un soupçon d'incrédulité. Je me demande bien pourquoi je cause de ça avec toi....

- C'est toi qu'est pas à la hauteur.

C’est tellement vrai. Je suis pas à la hauteur du coeur sincère de Ciulin. Au moins, là-dessus on est d’accord. Je ne réponds même pas, je me contente d’enquiller un nouveau verre.

-C’est pas la quantité de mômes qui fait la qualité du Père. Crois-en ma vaste expérience sur le sujet.

Je rigole un peu. Je vois ce qu’il veut dire et c’était exactement ce que j’essayais de lui dire. C’est marrant de se sentir en miroir avec un jeunot pareil. C’est étrange. Je me contente d’amener la nouvelle bouteille.

-Ouais.
Il pense à son ex-femme, ça se voit comme le nez au milieu du visage.[/color]
-J’ai aimé Lavinia. Je l’ai passionnément aimé.
-J’en doute pas.
-Je le croyais, du moins, et puis…

Et puis, une petite furie en fin de vie aux cheveux bleus. Une gamine de 25 ans qui a déjà vu beaucoup trop de merde dans sa vie et qu’est prête à se friter avec le monde entier. Une grande gueule, une tête brulée.
Avec un coeur énorme.

On dérive sur une pente nostalgique un peu glissante. Y a des choses vers lesquelles j’ai pas envie d’aller ce soir. Alors je change le sujet, il m’a parlé de son gamin gay, revenons-en à lui. La Roumanie est pas spécialement connue pour son ouverture d’esprit sur le sujet et si je doute pas qu’en côtoyant Elie, il a du se frotter à la communauté arc-en-ciel, j’imagine que beaucoup de choses sont encore nouvelles et inquiétantes.

-Très tranquille, en fait. Presque impatient que ça sorte.

J’hausse un sourcil surpris et un sourire vaguement rassuré.

-Sorin est un gamin intelligent, avec du coeur et qui n’a pas peur -pas toujours- de l’affirmer.
-J’ai cru comprendre oui.
-Il va finir par lâcher le morceau. Je ne le pousse pas à confesse, j’attends qu’il se sente prêt.
-C’est cool.

Je récupère le verre plein et le vide dans la foulée. Apparemment, ce soir, c’est l’accident cuite avec le beau-père. HA.HA. Que voulez-vous? Je suis un homme de bien peu de principe.

-En attendant… Je m’éduque sur la question.

Et il fait de sacrés efforts. J’en parlerais probablement à Ciulin, je pense qu’iel doit être sur le qui-vive par rapport à tout ça. La masculinité toxique connaît les Taur et j’avoue que c’est très étonnant de le voir faire ce boulot. Un peu agaçant aussi. Parce que Ciulin n’en a jamais bénéficié mais bon.

-Marre-toi, mais j’ai même regardé toutes les saisons de Rupaul machin chouette pour me faire une idée…

J’éclate d’un rire tonitruant sans me gêner. Je tapote son épaule. J’l’imagine comme un con devant Rupaul avec un p’tit calepin.

-J’rigole, j’rigole mais en vrai, bonne idée.
-J’suis pas certain d’adhérer à tout le délire outrancier et globalement vulgaire mais je reconnais le travail faramineux que ça implique. Les gars savent coudre, se maquiller, chanter, danser, jouer la comédie… Ils sont à fond. Que j’aime ou pas, ça motive tout de même mon respect.

Je réfléchis à l’éventualité de le faire rencontrer des gens du Eden’s Rest. Pendant que le silence s’étend et que je sors une quatrième bouteille, je jauge l’homme que j’ai en face de moi. Safe ou pas.

-Je crois que Sorin se maquille en secret…
-Ah oui?

J’ai un sourire de trou du cul, parce que je sais qu’il se maquille et que je commence à être pas mal imbibé.

-Je me demande si il est allé plus loin que ça …?
-Bah tu verras bien nan?
-Je me demande bien pourquoi je cause de ça avec toi…
-Oooooooh allleeeeeeeeeeeeeeeeez! Tu m’aimes bieeeeeeeeeeeeeeen!

Sourire et je reste silencieux un moment.

-Est-ce que ça t’intéresserait de rencontrer des drag queens et des personnes des asso LGBTQI de Tir Na Nog? Ils ont des temps d’accueil pour les parents en questionnement et qui veulent bien gérer le coming out de leur enfant.

J’m’étire et me lève pour aller chercher de quoi bouffer. Je reviens les bras pleins de sauciflard et  dépose tout ça sur la table.

-Dans l’absolu, j’te dirais : faut avoir un sacré courage pour questionner le genre et les stéréotypes. T’as déjà vu le boulot d’Elie et Enzo dans les clubs?

-Oooooooh allleeeeeeeeeeeeeeeeez! Tu m’aimes bieeeeeeeeeeeeeeen!
- CONNERIE! Que j'éructe abruptement, suivi d'un rot véritable. J'ai le palais qui chauffe. Une véritable haleine de dragon !
-Est-ce que ça t’intéresserait de rencontrer des drag queens et des personnes des asso LGBTQI de Tir Na Nog? Ils ont des temps d’accueil pour les parents en questionnement et qui veulent bien gérer le coming out de leur enfant.
- Euh.... Je reste abasourdi quelques secondes - au moins le temps de retrouver la signification du sigle- freezé entre l'effarement de la proposition d'aide et la perspective de voir le démon pour autre chose que des affaires surnaturelles. Je.. Euh.. Okay ?

Bafouillage de la prise en traître : je viens d'accepter un "date" avec un prince des Enfers. Je suis pris d'une envie de rire assez irrésistible. Il me semble bien que je ris, d'ailleurs. Je ne suis pas très sûr de mon fait. La limite entre ce que je pense et ce que je dis commence à devenir poreuse. Le filtre s'effrite.

- Je te retournerais bien la pareille, mais je connais aucun centre vampirique qui fait des permanences pour parents en questionnement sur leur progéniture.

Je me marre comme une vieille hyène.

- Dans l’absolu, j’te dirais : faut avoir un sacré courage pour questionner le genre et les stéréotypes. T’as déjà vu le boulot d’Elie et Enzo dans les clubs?
- Je les ai vu taquiner la barre de pole-dance, c'est à peu près tout. Mais j'imagine qu'ils sont très bien placés pour aborder le sujet. Le discours d'Elie était bien rôdé...

Je tape allègrement dans la cochonnaille avec mon propre opinel. J'ai la sensation d'être comme à ces soirées de veille entre chasseurs, ou ces moments particuliers d'après-traque, lorsque l’atmosphère se décompresse.

- Putain, ça m'fait chier de le concéder, mais ouais.. peut-être que je t'aime bien. J'aime ton sauciflard en tous les cas. T'aurais du fromage avec ce serait parfait...

Grand sourire bonhomme. J'enfourne avec une belle démonstration d'appétit, mais j'arrose tout autant. La nourriture n'épongera pas mon ivresse qui floute déjà le décor.

- En vrai... En vrai c'est con, mais j'ai tellement foiré avec mes gamins, que si j'arrive au moins à bien faire avec ne serait-ce qu'un, j'arriverais peut-être à mieux... Mieux me faire aimer des autres. C'est débile et ça n'arrivera jamais, on est d'accord, mais il y a une partie de moi un peu naïve qui me dit qu'on a tous droit de faire des erreurs. Même si je ne me fais pas d'illusions sur le fait que Ciulin me haïra toute sa vie...

-CONNERIE!

J’éclate de rire à la réaction et je me roule quasi par terre avec la manque de retenue du Patriarche. Hilarant!
Quand je lui propose de l’aide, ça le désarçonne sec. Il me regarde comme si j’lui avais proposé un plan à trois. HAHAHA. J’ferais pas ça à Elie.
Quoique, bien énervé.
Nonononononon.
HAHAHAHA. Stop.

Je me racle la gorge et me rassois correctement.

-Bah, j’t’organiserais ça.

Il rigole comme une dinde et je le regarde faire avec les sourcils haussés. Beh dis-donc.

-J’te retournerais bien la pareille, mais je connais aucun centre vampirique qui fait des permanences pour parents en questionnement sur sa progéniture.

-Haha. Même si t’en connaissais, vu l’niveau de trauma de tous gosses, tu pourrais te l’foutre au cul, ton centre. Au moins, j’les ai pas fait fuir de la maison paske j’suis trop con.

Je lui lance un clin d’oeil amusé et vide mon verre. J’lui parle d’Elie, d’Enzo et de leur travail.

-Je les ai vu taquiner la barre de pole-dance, c’est à peu près tout.
-Jaloux.

Aaaaah, pensées émues pour le petit cul d’Enzo.

-Mais j’imagine qu’ils sont très bien placés pour aborder le sujet.
-Plutôt, oui. Elie a toujours été fluide et Enzo joue beaucoup avec sa masculinité.
-Le discours d’Elie était bien rôdé.

J’ai du mal avec le passé puisqu’elle existe toujours quand bien même sa forme change. Ce qu’on a vu hier soir me donne à dire et à penser qu’elle n’a pas changé d’un pouce. On reconnait sa verve et cette manière insolente qu’elle a de faire front. J’offre pour toute réponse un sourire amusé. Il a dû en prendre un ou deux des discours bien rodés d’Elie sur tout ça. Je tape dans la charcutaille avec joie.

-Putain, ça m’fait chier de le concéder, mais ouais.. Peut-être que je t’aime bien.

Je m’étouffe sur ma tranche de sauciflard.

-Peut-être????! Mais la mauvaise foiiiiiiiii!
-J’aime bien ton sauciflard en tous les cas.
-Ouais hein!
-T’aurais du fromage avec ça serait parfait…
-Aaaaaaaah! N’en dis pas plus. N’en-dis-pas-plus!

Je me lève et file cherche un bon fromage de brebis que je pose sur la table d’un geste triomphant!

-TADAAAAAAAAAAAAAAAAAA!
-En vrai…
-hmm?
-En vrai c’est con, mais j’ai tellement foiré avec mes gamins.
-Ca je sais.
-que si j’arrive au moins à bien faire avec ne serait-ce qu’un,
-Tu vas dire une connerie, j’le sens!
-J’arriverais peut-être à mieux…
-Attatioooooon! C’vient, j’le sens!
-Mieux me faire aimer des autres.
-Eeeeeh voilaaaaaa!
-C’est débile et ça n’arrivera jamais, on est d’accord.
-C’est surtout hyyyyper égoïste. Mais hey! You do you!
-Mais y a une partie de moi un peu naïve qui me dit qu’on a tous le droit de faire des erreurs.
-Nan mais y a erreur et erreur, Jackie.
-Même si je ne me fais pas d’illusions sur le fait que Ciulin me haïra toute sa vie…

Je me tais d’un coup et je l’observe. C’est pas que je décuve, au contraire, parce que je ponctue ça d’une petite rasade.

-Aaaaaah mais ta guuuuuueeeeeeule...Sans déconné, tu seras plus jamais son père dans sa tête, Kaelig. J’pense, tu réalises pas bien c’qu’est arrivé à Ciulin quand iel est partie de chez toi. Y a une vraie raison pour laquelle Elie et Ciulin s’entendent super bien.

Chai même pas s’il sait que les deux se connaissent. J’tape dans le frometon.

-Et iel te déteste pas et crois-moi, tu pourras remercier Elie quand elle reviendra, pasque claiiiirement, elle t’a rattrapé le coup et même pas exprès en plus, tu rends compte?... Grace à notre petite rebelle en herbe, Ciulin a découvert que bah, t’étais humain. Magique, hein.

J’vide mon verre et lui en ressers un.

-Y a des fois, j’te jure, j’ai envie te péter les dents. C’est dingue d’être aussi bigleux. Tu t’balades un d’ces dénis, chui sûr que ça rentre dans le livre des records. Aalalalala… Keskonvafairdeutoi.

Je secoue la tête d’un air navré avant de partir dans un fou rire incontrolable.