- Je savais que tu étais la madame de la situation !
L’expression amuse Lexi qui rit.
- C’est ça, je suis toujours la madame de la situation.
- Lounis, tu sais, il a pas beaucoup de copains. Il est gentil un peu avec tout le monde mais on le sélectionne pas dans son équipe de foot, tu vois ?
La jeune femme affiche une expression peinée.
- Oui je vois. Il a du mal à se mêler aux autres, c’est ça ?
- Il aime pas les trucs avec trop de monde et de bruit. Il est un peu comme ses papillons, en fait.
- Alors on restera en petit comité.
Et elle préfère largement et très égoïstement.
- Pour le gâteau, Angus est parti en mission ! Il connait le vieux monsieur des chevaux et il a dit qu'il fait les meilleurs tartes ! Il doit en ramener une. Lounis, il adore les fruits, surtout les abricots, mais c'est pas trop la saison, alors on va voir !
Lexi s’arrête aussitôt.
- Oh ! Alors on change d’objectif. Et Angus a raison. Gaff est un grand spécialiste des tartes en tout genre. S’il s’adresse à la bonne personne, on lui fournira d’excellents abricots !
- J'adore l'idée des lanternes ? Où qu'on peut en trouver ?
Lexi joue des sourcils, l’air mystérieux.
- La madame de la situation a plus d’un tour dans son sac !
- Oh ! Il nous faut des bougies !
- Bonne idée !
- Et sinon, on a notre coin au lac ! Lounis m'a appris à nager là-bas parce que, je sais pas pourquoi, j'ai peur de la mer. Je crois que c'est à cause de quand j'étais petit, de la traversée...Lexi éprouve l’envie soudaine d’enlacer le garçon mais dépose un bref baiser sur le haut de son crâne. Mais bref ! On y va dès qu'il fait beau et je pense que là il fait assez beau pour y aller, non ?
Elle se plie jusqu’à ce que son visage soit face à lui.
- Tu sais ce qu’on va faire ? On va faire les deux. On va tout préparer pour le pique-nique de ce soir toi et moi puis on va vite fait décorer un chouette endroit près du lac. Ensuite on revient à la caserne et on attend ton frère et Angus pour y aller tous ensemble ! Ça te va ?

Ils s’y atèle une grande partie de la matinée et du début d’après-midi. En cuisine ils croisent Gi-Ja qui les aident à perfectionner ce repas de fête de petits sandwichs aux goûts variés, de salades et même un cake salé presque entièrement cuisiné par Bassem. Une fois tout ça en sécurité et empaqueté, Lexi déniche des coupes en plastique mais comme elle est presque certaine que Lounis ne boit pas d’alcool, elle se rabat sur une jus de pomme et de poire artisanal.

Pour la décoration, elle sacrifie les deux guirlandes lumineuses qui décorent sa chambre et Bassem et elle s’attèlent à la confection de lanterne en papier qu’ils décorent comme ils peuvent.
La mise en place de la décoration près du lac se fait dans les éclats de rire et la jeune femme apprend au jeune garçon à grimper aux arbres en toute sécurité. C’est toutefois elle qui se charge d’accrocher guirlandes et lanternes.
Ils prennent quelques instants pour admirer leurs œuvres se tapant dans la main comme une véritable petite équipe.
De retour à la caserne, Lexi lui demande de retourner à leur tente pour préparer leurs affaires de bain pendant qu’elle se change. C’est vêtue d’une grande chemise d’homme blanche, nouée et rentrée dans un jean délavé et de sa blondeur habituelle qu’elle revient l’attendre avec Bassem. Ne sachant où il se trouve, elle a fait passer le mot à tous ses collègues pour lui demander de rentrer rapidement.

Pourtant, l’attente parait longue… excessivement longue. Quand il parait enfin, ils se lèvent dans un bel ensemble, mus par la même excitation. Lexi lui offre un sourire lumineux.

- Bonjour Lounis.
Elle s’approche et se hisse sur ses pointes pour réussir à déposer un baiser appuyé sur sa joue.
- Joyeux anniversaire, monsieur le cachotier ! Tu n’allais pas me le dire avoue…Toujours aussi rayonnante, elle mâchouille sa lèvre. Ton frère et moi on a décidé que tu prenais ta journée à partir de maintenant et que tu allais gentiment nous suivre. Tu veux bien ?

Lounis est à pied d'œuvre depuis le matin afin de se rendre utile auprès d'un collègue pêcheur construisant un baraquement pour sécher et fumer le poisson sur la plage. Les sirènes à qui ils ont demandé la permission les observent avec un intérêt candide, posant des questions sur la bizarrerie de cuir un poisson quand on peut le manger cru. Silviu Taur, habitué de leurs facéties, a négocié pour le groupe de travailleurs que chacun confie un mot "rigolo" en guise de paiement. Al hamoud c'est acquitté de cette dîme en leur proposant "Ataraxie", mot qu'il venait tout juste de découvrir lui même en cherchant à évoquer la quiétude de l'âme. Les sonorités cocasses ont fait éclater de rires cristallins les jeunes merrows, à mesure qu'elles les roulaient sur leur langues.

Un messager de la base militaire, un certain O'shea, vient prévenir le syrien peu de temps après. Son frère Bassem a urgemment besoin de son ainé. Inquiet, le jeune homme grimpe dans la jeep et saute littéralement du véhicule arrivé à bon port. Il remercie le soldat tout en courant vers les campements civils. C'est essoufflé et le cœur en alarme qu'il découvre une Lexi en tenue décontractée et son cadet en tenue de bain et tongs.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? demande-t-il interdit.

La jeune femme s'approche et lui décoche un bécot sur la joue qui le laisse délicieusement perplexe. Il ne comprend pas.

- Bonjour Lounis.
- B.. Bonjour.
- Joyeux anniversaire, monsieur le cachotier ! Il la contemple avec des yeux ronds puis déporte ses prunelles sur un Bassem au sourire interstellaire. Tu n’allais pas me le dire avoue…
- Hé bien, je... Le poète d'ordinaire plus éloquent peine à aligner les mots. J'ai un peu oublié moi même.
- Ton frère et moi on a décidé que tu prenais ta journée à partir de maintenant et que tu allais gentiment nous suivre. Tu veux bien ?

Il s'ébroue alors d'un petit rire.

- J'ai pas vraiment le choix, caporal, si ?
- Nan ! T'es notre prisonnier ! clame Bassem. Allez, on y va ! lance-t-il avec les bras levés.

Les deux comploteurs le mènent vers le lac puis l'oblige à fermer les yeux. Lorsqu'il les ouvre, Lounis découvre un tableau bucolique sur les berges du lac : une nappe avec un pique-nique, des lanternes aux arbres et un Angus déjà installé avec une tarte aux pommes caramélisées sertie de bougies prêtes à être allumées.

- Joyeux anniversaire, fiston ! lance le vieille homme bourru avec sa rugosité toute irlandaise.

Lounis sent une émotion immense gonfler sa poitrine et humidifier ses yeux.

- Merci, souffle-t-il, Barak allah fik !

Lexi sent bien l’émotion du jeune homme et n’en sourit que plus. Elle glisse sa main dans la sienne et l’entraine vers la nappe. Franchement, elle n’est pas peu fière du travail accompli avec ses complices. Le rendu est plutôt joli.
- Heureusement qu’une petite ombre est venue me glisser à l’oreille que c’était ton anniversaire aujourd’hui… Bassem voulait absolument te faire plaisir. L’affection qui lie les deux frères Al hamoud est merveilleuse à ses yeux et l’amour qu’ils se portent semble inconditionnel. Précieux. Allez, viens !

La journée est vraiment magnifique et chaude. Toute la nature semble revivre autour d’eux pour saluer l’arrivée du printemps.
- Bonjour Angus ! Pas d’abricots alors ? Franchement à quoi sert la magie si on ne peut même pas avoir un simple fruit… ironise-t-elle en embrassant la joue du vieil homme avant de s’assoir au soleil.
Elle tend son visage vers ses rayons bienfaisants avec un soupir, chaussant ses lunettes de soleil.
- Cela dit, la tarte est appétissante à souhait.

Bassem trépigne déjà d’envie d’aller piquer une tête mais Lexi contemple le lac avec un rien de scepticisme.
- L’eau doit être glaciale à cette saison, non ? Comment vous faites ?
Elle sort les coupes et le jus de fruit gardé au frais et ricane devant l’air misérable d’Angus. Elle lui sort donc la bière cent pour cent irlandaise qu’elle lui a apporté et la lui tend avec des airs de conspiratrice.
- Je ne sais même pas comment ça a atterri dans la glacière.
Elle verse trois coupes qu’elle distribue puis porte un toast.
- A notre roi du jour ! … alors ? Heureux ? lui souffle-t-elle alors qu’elle ne semble pas pouvoir s’arrêter de sourire.

Does it matter if it takes my life
Broken arrow glass in the fire
Missing pieces of a stigma mind
Will we cut the wires in time

Oui, le jour est heureux. Lounis se sent transporté par la beauté de l'instant, les rires aigus de Bassem courant vers l'eau glacée, poursuivi par un Angus trop motivé pour ses vingt-cinq années toutes neuves. Le jeune homme préfère rester alangui sur la nappe baignée de soleil, main discrètement jointe à celle de Lexi. Cette connexion est sans doute le plus beau des cadeaux d'anniversaire. Il ne saurait la décrire avec des mots justes, il se sent simplement bien en sa présence.

Heureux.
Oui.
Un jour de bonheur qu'une simple promenade, un simple chahut puéril, fait basculer soudain. Le fragile équilibre des deux amis funambules se brise. Une esquisse de quelque chose qu'aucun d'eux ne s'avoue vraiment et qui s'avorte aussi vite, au son d'un craquement de bois sec que le syrien prend stupidement pour son coeur.
Lexi fuit.
Lounis demeure confus.
Les deux se quittent sur une incompréhension qui les ronge en silence, chacun de leur côté. Une distance est désormais là, tissée malencontreusement par ce quiproquo maladroit.

Une conviction puisé d'expériences qu'il n'a pourtant jamais vécues lui souffle bien un mot et ce seul vocable, quelque soit la langue, lui semble bien angoissant. Sa Voix ne l'a-t-elle pas maintes fois bercé de récits pétris de ce mot puissant à double tranchant ?

L'Amour.
L'Amour est une épreuve.
L'Amour est douleurs.
L'Amour vous rapte et vous éloigne des vôtres.
L'Amour se dissimule dans l'obscurité des secrets et se bâtit des mensonges et des nons-dits. Il est trahison, duplicité, punition et errance.  Il se mérite au prix de grands sacrifices.

Ce n'est pas ce que lui inspire Lexi.

Plus tard, lors des évenements qui prendront plus tard le nom de "Fensalir" dans la mémoire collective, Lounis retrouve la malak, dissipe ses doutes et ses craintes. Un baiser s'échange, gauche mais sincère.

"Et la jeune femme, n'obéissant qu'à son désir de reconquérir l'homme qu'elle avait perdu, ouvrit la boite au contenu défendu. Une nuée noire s'en échappa et s'empara d'elle..."

Des souvenirs explosent comme des fruits trop mûres, tapissant le crâne de Lounis d'images qui le parasitent. Comme lorsque les flots l'ont englouti et qu'il s'est vu périr, il est submergé par des ressentis, une histoire, des émotions, qui ne sont pas les siens. Pas celui de l'humain. Est-il un avatar, comme ce Ciulin devenu déesse ? L'hypothèse est solidement étayée et le terrifie.
Ce soir là, il quitte Lexi  plus perdu que jamais. Il se sent à la dérive, naufragé...

Qui-suis-je, au juste ?

Moins de deux jour plus tard, un nouveau venu fait une apparition remarquée avec son look de rock star et sa moto chromée de noir. A la manière dont il est chaleureusement salué par certains militaires, il est bien connu des troupes. Si l'accueil des membres de l'unité du Major met la puce à l'oreille de Lounis, c'est surtout le flamboyant baiser avec l'officier Jenson  qui le met sur la piste de l'identité du mystérieux inconnu.
Et si il avait encore un doute, le papillon immense doté de plusieurs ailes qui irradie comme un petit soleil dans sa poitrine est une preuve sans conteste de son essence divine. En s'approchant, il ressent un curieux picotement à l'arrière de la nuque et craint d'être en proie à une nouvelle migraine, identique à celle qui l'a assailli la nuit de son premier baiser avec Lexi.
Cette dernière ne semble pas faire attention à lui, le regard tourné vers le Caporal Gi-Ja Cosgrave dont le sourire automatique s'est brutalement affaissé. Son papillon d'âme clignote comme une luciole à l'agonie. Conscient que leur ange gardien à d'autres êtres à protéger ce jour là, Lounis ne la rejoint que plus tard. Après s'être éloigné du concert éruptif et vocal des retrouvailles de Caleb Jenson et Ciulin Mari.

Il s'approche de  la jeune femme avec une tasse de thé, à la nuit tombée, alors qu'elle est d'astreinte de ronde sur les remparts.

- Drôle de journée, hein ? fait-il avec sa simplicité habituelle. Il lui tend le breuvage fumant et qui hume bon la cardamome. Tiens, pour réchauffer un peu. Il est comme tu aimes.

L’amour n’a jamais réussi à Lexi.
Même s’il n’y a que pour lui qu’elle sait pouvoir vibrer.
Peu importe la force qu’elle met à s’y accrocher.
Peu importe la puissance du sien.

Son père n’a jamais su voir que la petite fille pleine d’admiration pour lui grandissait et aurait eu bien besoin de son soutien et d’autre chose que de vagues sourires mélancoliques.
Sa mère ne voyait en elle qu’un potentiel, une poupée à façonner à son image. On aime sa poupée lorsqu’elle est jolie et docile. Ce que Lexi a tenté d’être jusqu’à se sentir étouffée.
Son premier amour, un garçon pour qui elle aurait tout donné, l’a quitté au bout de quelques années en la traitant de salope sans chercher à la comprendre une seconde.
Celui, plus secret, qu’elle a entretenu pour sa meilleure amie ensuite est mort avant même de commencer, repoussé violemment alors qu’elle venait de le lui offrir sur un plateau.

Lexi s’est donc fait une raison. L’amour fait trop mal, prend trop sans rendre. De toute façon, l’âge avançant, sa maladie l’a fait naturellement renoncer.
Elle préfère l’observer fleurir ailleurs, de loin, le voir s’épanouir pour d’autres. Plus dignes apparemment.
Jusqu’à ce qu’il arrive dans sa vie.
Lui et sa tendresse, la douceur de son être et ses mots qu’il écrit pour elle.
Une âme esquintée par la folie des Hommes qui s’accorde à la sienne.
En même temps qu’un début d’Apocalypse, au moment même où elle apprend qu’elle pourrait peut-être guérir. Son cœur bat à nouveau, désespérément et il se fiche qu’elle refoule ses sentiments.
Mais à l’instant où elle a cru le toucher du doigt, l’amour lui échappe à nouveau. Lexi sait reconnaitre les signes du destin lorsqu’elle les voit.  

Son histoire avec Lounis restera de l’amitié.
Aujourd’hui et demain. Pour le reste ? Elle n’espère rien. L’espoir déçu fait trop mal.
Ce qui est certain c’est que le jeune homme est bien trop perdu pour que quoique ce soit de plus que ce qu’ils partagent déjà voit le jour.
Au moins, fait-il toujours parti de sa vie. Son évitement constant lui avait rongé les nerfs et le cœur, réveillant des blessures d’abandon et de rejet pas tout à fait guéries.
Lexi seront dont là, à ses côtés, pendant le chemin qu’il devra faire pour se trouver, en retrait et ne se laissera plus aller à ses élans.

La venue de Ciulin la détourne de sa mélancolie. Une joie sincère la remplace pendant un temps. Jusqu’à ce qu’elle note l’air de Cosgrave qui ne fait que confirmer ce qu’elle soupçonne depuis quelques temps.
C’est là qu’elle se promet de l’aider à retrouver le sourire. Un vrai. Parce qu’elle n’est pas certaine d’en avoir déjà vu. Tentative habile pour se détourner de ses propres tourments : accumuler les raisons de se sentir utile pour les autres.
C’est dans cette optique qu’elle est venue s’assoir au côté de son camarade alors qu’il fume sous les fenêtres du Major d’où s’échappe des envolées lyriques qui ne trompent pas. Lexi laisse à Cosgrave une cigarette savourée en silence, avant de le secouer et de la virer doucement mais fermement loin de cette foutue fenêtre. Une patrouille à l’autre bout de la caserne par exemple.
La sienne durera jusqu’au petit matin. Elle a pris sa position de vigie, sur les hauteurs d’une sorte de mirador en bois construit dès les premières semaines pour pouvoir observer le brouillard. Elle fait un petit signe à Lounis lorsqu’elle voit sa haute silhouette s’approcher et prend une profonde inspiration lorsqu’elle comprend qu’il la rejoint et s’accoude à la barrière à ses côtés.
Elle lui dédit un fin sourire.

- Bonsoir.
- Drôle de journée, hein ?
- Tu étais là cet après-midi ? Drôle ? Un peu… et belle aussi. C’est trop rare de pouvoir célébrer la vie… elle a un petit rire en regardant dans la direction des baraquements. Et ils la célèbrent fort. Et bruyamment. Mais je suis sincèrement heureuse pour eux. On a besoin de petit miracle comme ça. Et Jenson était en train d’user tous les mouchoirs qui nous restaient alors…  
- Tiens, pour réchauffer un peu. Il est comme tu aimes.  
Cette fois, son sourire se fait plus sincère et large. Comment ne pas tomber sous ce charme là ? Elle attrape le gobelet et se brûle la lèvre en goutant, laissant échapper une petite exclamation.
- Effectivement, c’est chaud ! Merci. C’est gentil. Ça tombe plutôt bien que Ciulin soit dans les parages. Tu pourras lui parler. Enfin… quand il aura fini d’explorer le Kama Sutra avec notre cher Major évidemment.
Elle laisse flotter un silence avant d’oser se lancer.
- Je ne te demande pas si tu vas bien puisque à la place de dormir tu préfères me tenir compagnie pendant une patrouille.

- Tu étais là cet après-midi ? Drôle ?
- Ce n'est la bonne chose à dire ? interroge-t-il naïvement, inquiet d'avoir fait un mauvais usage de l'idiome.
- Un peu… et belle aussi. C’est trop rare de pouvoir célébrer la vie…
- Chaque retrouvaille est une victoire, abonde-t-il de son timbre grave et tranquille.
- Et ils la célèbrent fort. Et bruyamment.

Lounis éclate d'un rire embarrassé. Il a rarement eu l'occasion de côtoyer des êtres aussi sexuellement actifs et débridés. Sa propre sexualité, pour commencer, est pour le moins inexistante. Peut-être que cela ne l'intéresse pas vraiment.
Du moins, était-ce le cas avant.
Ses prunelles noisettes coulent sur la peau de pêche de Lexi, et sa blondeur où il aimerait perdre ses doigts.

- C'est une belle manière d'honorer la Vie, finalement, souffle-t-il.
- Mais je suis sincèrement heureuse pour eux. On a besoin de petit miracle comme ça. Et Jenson était en train d’user tous les mouchoirs qui nous restaient alors…
- Est-ce que ton autre ami va mieux ? Il cherche le prénom de l'homme asiatique à la chevelure longue et brune. Celui qui aime cuisiner et jouer avec les animaux. Celui dont l'âme est presque transparente. Gi-Ja, son prénom, si je trompe pas ?

Il lui confie la tasse de thé.

- Tiens, pour réchauffer un peu. Il est comme tu aimes. Il esquisse un mouvement alarmé vers elle en la voyant plonger ses lèvres dans le breuvage et fatalement se les brûler. Oh ! Fais attention !
- Effectivement, c’est chaud ! Merci. C’est gentil. Ça tombe plutôt bien que Ciulin soit dans les parages. Tu pourras lui parler.
- Oui... Mais je crois, pas tout de suite...
- Enfin… quand il aura fini d’explorer le Kama Sutra avec notre cher Major évidemment.
- Voilà...

Cette fois, Lounis rougit et bénit la pénombre ambiante de ne pas trahir sa gêne.

- Ils... Connaissent le livre par cœur, apparemment.

Pouffement juvénile dans sa propre tasse. Il échange avec Lexi une oeillade complice puis, le silence les rattrape.

- Je ne te demande pas si tu vas bien puisque à la place de dormir tu préfères me tenir compagnie pendant une patrouille.

Il la couve du regard un moment avant de tendre la main vers la joue de la jeune femme pour en épouser le velouté.

- Tu me manques, Lexi, avoue-t-il avec une sincérité désarmante. Je voulais juste du temps avec toi. Je dois pas ?

Le rire de Lounis agite des papillons dans le ventre de la jeune femme qui se demande s’il peut les voir aussi. Quelle forme et quelle couleur auraient-ils ?

- Est-ce que ton autre ami va mieux ?
- Qui ça ?
- Gi-Ja, son prénom, si je trompe pas ?
- Oh ! Oui c’est ça. Lexi soupire. Elle est partagée entre l’envie de se confier et le devoir de garder le silence par respect pour Gi-Ja. Mais il s’agit de Lounis. Je ne suis pas certaine qu’on puisse dire ça. Il souffre d’un amour à sens unique. Et sans doute de beaucoup plus, mais elle préfère garder le reste pour elle. Et… d’expérience je sais à quel point c’est douloureux. Mais cet idiot ne s’aide pas beaucoup. Je vais devoir le faire pour lui… un peu. Elle baisse les yeux. Il me fait beaucoup de peine. J’ai l’impression qu’il est… prisonnier de sa vie. Comme elle l’a longtemps été avant de se libérer seule. Je ne peux sans doute pas le libérer de sa cage mais… je peux au moins lui tenir la main à travers les barreaux. Pour lui rappeler qu’il a des choses qui l’attendent à l’extérieur. Elle a une petite grimace. Désolée je parle beaucoup avec des images. Je ne sais pas si tu as tout compris.

Après l’incident de la tasse, Lexi a le plaisir de retrouver leur complicité d’avant. Un constat qui la réchauffe bien mieux que le thé.  

- Ils... Connaissent le livre par cœur, apparemment.
- Si tu veux mon avis, ils vont en "écrire" d'autres pages.

Ils gloussent comme des adolescents et que cela fait du bien de rire avec lui. Mais malgré leurs efforts pour la repousser à coup de blague et de sous-entendu, la réalité de la vie et de leur situation les rattrape.

- Je ne te demande pas si tu vas bien puisque à la place de dormir tu préfères me tenir compagnie pendant une patrouille.

Elle trempe plus prudemment ses lèvres dans le breuvage chaud puis intercepte le regard pénétrant de Lounis. Elle voit sa main arriver vers elle comme au ralenti et elle n’esquisse pas un geste pour s’y soustraire. Au contraire, elle ferme les yeux et a un léger soupir à son contact.

- Tu me manques, Lexi.
Le caporal relève aussitôt ses paupières.
- Toi aussi tu me manques, avoue-t-elle à mi-voix. Beaucoup.
Sa main fraiche vient recouvrir celle de Lounis et ses doigts se glissent entre les siens. Très lentement, elle finit par la retirer.
- Je voulais juste du temps avec toi. Je dois pas ?
- Non ! Enfin si ! Elle a un petit rire et tourne la tête. Ce que je veux dire, c’est que tu as parfaitement le droit de venir me voir quand tu le souhaites. Je pensais simplement que tu aurais besoin d’un peu de temps pour digérer… ce qui s’est passé la dernière fois, ce qui a été dit… Cette quête de toi, de qui tu es vraiment, je me doute qu’elle te fait peur. A vrai dire, je sais qu’elle est terrifiante. Mais elle est importante. Crois-moi, faire l’autruche, c’est sans doute plus simple sur le moment mais ça ne rend pas heureux. Elle revient chercher son regard. Or c’est tout ce que je souhaite moi… que tu sois heureux. Alors je serai là aussi pour te tenir la main.
Elle prend une profonde inspiration avant de contempler la caserne et le camp des réfugiés et reprend une gorgée de thé à température idéale.
- Parfois j’ai l’impression que tout ça a été programmé à l’avance. La montée du brouillard, le sauvetage de Bassem, notre rencontre … ce qu’elle éprouve pour lui… tout, tu vois ? Ça aussi si terrifiant dans un sens.

- Je ne suis pas certaine qu’on puisse dire ça. Il souffre d’un amour à sens unique. Et… d’expérience je sais à quel point c’est douloureux. Mais cet idiot ne s’aide pas beaucoup. Je vais devoir le faire pour lui… un peu.
- Travail de Malak... ponctue Lounis avec chaleur.
- Il me fait beaucoup de peine. J’ai l’impression qu’il est… prisonnier de sa vie. Je ne peux sans doute pas le libérer de sa cage mais… je peux au moins lui tenir la main à travers les barreaux. Pour lui rappeler qu’il a des choses qui l’attendent à l’extérieur. Désolée je parle beaucoup avec des images. Je ne sais pas si tu as tout compris.
- Je comprend les images. Je suis poète, des fois, tu sais, "Le dimanche", c'est ça que vous dites non ? Il rit tout bas, presque un ronronnement. Son sourire s'étiole en fixant l'horizon. Depuis le premier jour, j'ai vu son âme : elle ne diffuse presque pas de lumière. Ses ailes, elle sont... Il essaie de mimer... "Shafaf", tu vois ? Comme si... Il voulait disparaitre, être invisible... Ca fait sens pour toi ? Il soupire puis lui adresse un sourire encourageant. Tu es une bonne amie, Lexi. Ca l'aidera.

Ils changent de sujet.
La conversation est toujours naturelle entre eux. Avec les autres filles qu'il a pu côtoyer, ses soeurs mises à part, il n'a jamais su être à l'aise. Elles semblaient toujours attendre quelque chose de lui qu'il était incapable de deviner et leur patience s'en émoussait fatalement, comme leur intérêt pour lui. On le qualifiait de timide, banal, taiseux. Ces filles là ne l'avaient jamais vu rire aux éclats avec les siens. Ces filles là seraient surprises de le voir badiner avec Lexi. Aucune d'elles n'avait jamais été Lexi, tout simplement.

- Non ! Enfin si !

Par Allah, que son rire est délicieux. Il aime les étincelles qu'il produit invariablement dans son être tout entier.

- Ce que je veux dire, c’est que tu as parfaitement le droit de venir me voir quand tu le souhaites. Je pensais simplement que tu aurais besoin d’un peu de temps pour digérer… ce qui s’est passé la dernière fois, ce qui a été dit…
- J'ai besoin de temps, pas de ton absence. déclare-t-il avec une franchise rendue abrupte par l'économie de vocabulaire. Je crois, au contraire, qu'il est important que je te tienne la main. Tu es... une rare chose de solide dans ma vie. Je les compte sur les doigts d'une seule main.
- Cette quête de toi, de qui tu es vraiment, je me doute qu’elle te fait peur. Il s'ébroue d'un rire angoissé plus révélateur que des mots. A vrai dire, je sais qu’elle est terrifiante. Mais elle est importante. Crois-moi, faire l’autruche, c’est sans doute plus simple sur le moment mais ça ne rend pas heureux.

Lounis fronce les sourcils et pince ses lèvres fines et parfaitement dessinées.

- "Autruche" ? C'est quoi ça "Autruche" ? Cela n'a pas l'air bien...
- Or c’est tout ce que je souhaite moi… que tu sois heureux. Alors je serai là aussi pour te tenir la main.
- Et qui te tient la main, à toi... ? lui demande-t-il en la contemplant intensément.

Il déglutit, s'humecte la bouche avant d'oser se lancer.

- Est-ce que moi, je peux ? souffle-t-il en tissant ses doigts aux siens.

Mains dans la main, il contemple la caserne endormie, ses baraquements, la forêt de tentes en toile cirée dont le blanc accroche la lumière lunaire.

- Parfois j’ai l’impression que tout ça a été programmé à l’avance. La montée du brouillard, le sauvetage de Bassem, notre rencontre … tout, tu vois ? Ça aussi si terrifiant dans un sens.
- Peut-être... Peut-être pas. Je crois pas au destin. Sinon c'est vraiment un Ibn el kalb !

C'est la première fois qu'il fait usage d'un ton aussi cassant. Même dans une autre langue, l'insulte est décryptable.

- Mes soeurs , mes parents, les millions de syriens en exode, les malades du Brouillard, les familles séparées,... Tous ces sacrifices pour écrire une bonne histoire, hein.... ? Je ne veux pas. Je ne suis pas d'accord ! affirme-t-il avec détermination. Pourquoi, une déesse m'a choisie ? Pourquoi tu as une maladie grave ? Pourquoi on est tous les deux ici ? Il hausse les épaules. On saura jamais. Tout ça, toute cette folie ? Elle n'a juste pas de sens. Rien ne la justifie.

Il pose sa tasse sur la rembarde de bois et se tourne vers Lexi. Dans son regard passent des émotions profondes et éloquentes.

- Notre rencontre, elle appartient à personne. Elle est à nous, seuls. Ce... Cette relation, qu'on a, on ne la doit à personne d'autre que nous. C'est nous qui la faisons, par le Destin, pas Unseelie, ou les Avatars....

Il a ployé son immense carcasse vers elle sans s'en rendre vraiment compte. Il est si près à présent, qu'ils pourraient presque s'embrasser.
Essayer.

- "Autruche" ? C'est quoi ça "Autruche" ? Cela n'a pas l'air bien...
- Tu connais l’animal ? Ces grands oiseaux qui se protègent la tête en la cachant sous la terre ? Faire l’autruche c’est refuser de voir ce qui ne va pas. Ce qui est l’inverse à faire pour trouver le bonheur. Or c’est tout ce que je souhaite moi… que tu sois heureux. Alors je serai là aussi pour te tenir la main.
- Et qui te tient la main, à toi... ?

Sous le feu de son regard, Lexi reste muette et pince les lèvres. Elle n’a jamais pu compter que sur elle-même mais elle est fatiguée de cet état de fait.

- Est-ce que moi, je peux ?
Elle hoche la tête et remercie la nuit de cacher l’émotion qui perle aux coins de ses yeux.
- Oui, lâche-t-elle sur un timbre étranglé. Merci… de le vouloir.

Sa paume est chaude contre la sienne et elle finit par se laisser aller à poser la tête contre son épaule. Pas une attitude très réglementaire pour un soldat en exercice mais à cet instant, elle s’en fiche complètement. Elle est juste bien, là. Avec lui.
- Parfois j’ai l’impression que tout ça a été programmé à l’avance. La montée du brouillard, le sauvetage de Bassem, notre rencontre … tout, tu vois ? Ça aussi c’est terrifiant dans un sens.
- Peut-être... Peut-être pas. Je crois pas au destin. Sinon c'est vraiment un Ibn el kalb !

L’insulte lâchée et qu’elle a déjà entendu parfois lui fait relever la tête subitement.  
- Mes soeurs, mes parents, les millions de syriens en exode, les malades du Brouillard, les familles séparées,... Tous ces sacrifices pour écrire une bonne histoire, hein.... ? Je ne veux pas. Je ne suis pas d'accord ! Pourquoi, une déesse m'a choisie ? Pourquoi tu as une maladie grave ? Pourquoi on est tous les deux ici ? On saura jamais. Tout ça, toute cette folie ? Elle n'a juste pas de sens. Rien ne la justifie.

Sa diatribe passionnée la laisse sans voix et elle craint de l’avoir blessé.
- Oui… pardon c’était… tu as raison évidemment.
- Notre rencontre, elle appartient à personne. Elle est à nous, seuls. Ce... Cette relation, qu'on a, on ne la doit à personne d'autre que nous.
Lexi pose son gobelet à son tour sans même regarder où exactement et ses mains viennent naturellement encadrer le visage de Lounis.
- Je sais oui.
Du moins, elle aime le croire, quand bien même elle n’a aucune idée de l’influence de cette déesse en lui.
- C'est nous qui la faisons, pas le Destin, pas Unseelie, ou les Avatars...
- Juste toi et moi, approuve-t-elle sans être vraiment certaine de ce qu’elle avance.

Elle louche un instant sur ses lèvres et résiste tant bien que mal à la tentation d’y goûter encore, de l’embrasser vraiment. Elle sert si fort les mâchoires qu’elles commencent à lui faire mal. Succomber maintenant ne ferait que réveiller à nouveau cette présence. Or ni lui ni elle n’ont envie de cela maintenant.

- Quand je te regarde, Lounis Al hamoud, c’est toi que je vois, uniquement toi !
Pourtant l'autre est bien là... quelque part, comme un fantôme qui les tiendrait à distance l'un de l'autre. Lexi se hisse sur la pointe des pieds pour déposer un tendre baiser sur sa joue, tout proche de ses lèvres qu'elle frôle des siennes.
- C’est toi, répète-t-elle avec une tendresse évidente. Je ne sais pas qui est cette déesse et peu importe. Tant que tu restes avec moi.
Elle se met à trembler violemment soudain sans qu’elle ne sache si elle fait une crise ou si son corps a accumulé trop de tensions et d’émotions pour être encore réprimées. Elle passe ses bras autour de son cou et se blottit contre lui.
- Sers moi… contre toi… ne me lâche pas… s’il te plait…

- Quand je te regarde, Lounis Al hamoud, c’est toi que je vois, uniquement toi !

Les mains fraiches de Lexi sur son visage sont si douces. Lounis s'absorbe pleinement dans ce contact, couvant ses doigts pâles de ses larges paumes. Il émet un soupir qui ressemble presque à un hoquet de chagrin muet.
Comme ces paroles lui font du bien. Comme ces mots sont autant d'ancres qui le retiennent à une identité concrète, définie et tangible. Son nez singulier frotte le sien, il se retient de happer ses lèvres vagabondes. Il ne veut pas que cette déesse lovée comme un serpent autour de son âme vienne troubler leur intimité.

- C’est toi.
- Oui.
- Je ne sais pas qui est cette déesse et peu importe. Tant que tu restes avec moi.
- Je suis là. C'est moi, rien que moi...

Une affirmation aux accents de supplique, presque de prière.
Lexi perd brutalement le contrôle de son corps et s'accroche à Lounis comme à une bouée de sauvetage. Tous deux sont des naufragés.

- Sers moi… contre toi… ne me lâche pas… s’il te plait…

Les bras déjà enroulés autours de sa carcasse cahotante, il la sert étroitement contre lui au point que les pieds de la jeune femme décollent presque du sol. Ses phalanges fouissent dans l'or de sa chevelure alors qu'il en hume le parfum.

-Sssssh..... 'Ana huna ya milaki , 'ana huna ... chuchote-t-il au creux de ses tympans avant de déposer la pulpe de sa bouche sur sa tempe. 'Uhibuka. Ana amiskaka. 'Ant maei...Kulu shi sayakun eali mayram.

*Sssssh.....Je suis là, mon ange, je suis là.
Je t'aime. Je te tiens.
Tu es avec moi...Tout ira bien.

Lexi se sent enrobée d’une douceur apaisante, d’une affection réelle.
Ses bras, sa voix, son odeur, ses doigts dans ses cheveux, la chaleur de son corps…
Elle s’en gorge comme de l’ambroisie. Si elle n’a plus le contrôle de son corps, elle a encore celui de ses sens.

La jeune femme aimerait pouvoir comprendre les mots qu’il prononce tout bas dans son oreille, comme des mots magiques. Des mots qui l'apaisent autant qu'ils provoquent des étincelles picotantes le long de son dos.
Rapidement, ses tremblements cessent complètement. Ça ne l’empêche pas de rester dans ses bras un peu plus longtemps encore.

- Désolée… chuchote-t-elle. Avec toi, je n’arrive plus à contrôler mes émotions.

Et lorsqu’elle finit par relever la tête et planter son regard dans le sien, elles sont encore là, dans le fond de ses yeux bleus dissimulés par l’obscurité. Si elle ne peut se permettre de l’embrasser avec sa bouche, elle le fait d’une autre façon. Son pouce trace le contour des lèvres artistiquement dessinées de Lounis, en caresse langoureusement la pulpe, en prenant tout son temps.
Dans son esprit, ils s’embrassent sans crainte, sans hésitation, sans arrière-pensée. Eux aussi célèbrent d’être en vie. De s’être trouvés.
Ce n’est évidemment qu’un beau mirage qui finit par disparaitre lorsqu’elle baisse la main et que ses talons retrouvent le sol.

- Pardon… tu es obligé de te courber, ça ne doit pas être très agréable pour toi.

Ses mains sont plus sagement à plat contre le torse de Lounis et elle rechigne à les retirer. Pourtant, c’est bien ce qu’elle est obligée de faire.

- Peu importe ce qui se passera ensuite. Ce que je ressens pour toi… ça ne changera pas, affirme-t-elle avec un calme et une sérénité retrouvée, accompagné d'un sourire en demi-teinte. Pour ton frère non plus ou ta famille d’adoption.  

- Désolée… Avec toi, je n’arrive plus à contrôler mes émotions.

Les deux jeune gens s'écartent lentement l'un de l'autre en se dévorant du regard. Jamais Lounis n'a éprouvé sensualité plus trouble que ce geste retenu, cette caresse muselée. Lèvre entrouvertes, il tend la nuque, cherchant à préserver ce doux contact le plus longtemps possible.

- Pardon… tu es obligé de te courber, ça ne doit pas être très agréable pour toi.

Il s'empare tendrement de sa main et en baise respectueusement le charnu de la paume.

- Tu t'excuses trop. Il n'y a aucune faute commise. Et il ajoute avec un petit rire léger. J'aime l'idée de t'envelopper toute entière de moi. Je suis comme... une couverture.

Lexi tente une nouvelle fois de se dérober mais Lounis la retient ses doigts à plat contre sa poitrine. Son coeur y bat, profond, intense.

- Peu importe ce qui se passera ensuite. Ce que je ressens pour toi… ça ne changera pas.
- Je sais.
-... Pour ton frère non plus ou ta famille d’adoption.
- Je sais tout ça... Il prend une inspiration sans jamais cesser de la couver du regard. Demain, est-ce que tu peux me présenter ce Ciulin, s'il te plai ? Nous écouterons ensemble les réponses. Main dans la main, d'accord ?

Car, peu importe ce qu'il est en réalité, Lounis est persuadé lui aussi d'une chose : il ne laissera pas une divinité lui parasiter sa vie et la lui voler. Qui que soit cette Voix, qu'importe le sentiment de trahison et d'étrangeté, on ne lui dérobera pas sa première expérience de l'amour.

Les lèvres de Lounis provoquent des picotements légers sous sa peau, lui donnent encore plus envie de d’en éprouver la douceur.

- Tu t'excuses trop. Il n'y a aucune faute commise. J'aime l'idée de t'envelopper toute entière de moi. Je suis comme... une couverture.
L’idée la fait rire et lui plait.
- C’est un peu ça. Tu es ma grande, chaude et douce couverture.
De celles dont on a envie de se blottir tout contre pour ne plus en sortir. Si seulement elle pouvait le ramener dans son lit ! Cette pensée la fait subitement rougir. Ou bien ce sont les battements de ce cœur contre sa paume qui la chamboule. Elle bénit en tout cas l’obscurité.

- Peu importe ce qui se passera ensuite. Ce que je ressens pour toi… ça ne changera pas.
- Je sais.
-... Pour ton frère non plus ou ta famille d’adoption.
- Je sais tout ça...
- Tant mieux.
- Demain, est-ce que tu peux me présenter ce Ciulin, s'il te plait ?
Elle acquiesce en silence et lui sourit.
- Nous écouterons ensemble les réponses.
Un peu surprise par cette demande son visage se part d’une tendresse mêlée d’inquiétude.
- Tu es certain ? C’est… ça te concerne toi, Lounis mais… oui évidemment si tu le souhaites, je resterai à tes côtés.
- Main dans la main, d'accord ?
- Mais dans la main.

Lounis est resté encore quelques minutes ou Lexi lui a décrit le phénomène Ciulin pour lui éviter toute surprise ou tout embarras. Puis ils sont revenus vers des sujets plus légers : la pêche, les projets de construction, l’avenir de Bassem, Angus et ses espoirs qu’ils n’espèrent pas vains…
Finalement Lexi le regarde s’éloigner après lui avoir promis de venir le chercher le lendemain dès que Ciulin pointera le bout de son nez hors de la chambre du Major.

La ronde de Lexi est paisible mais elle ne cesse de se demander ce qui se passera ensuite. Elle est aussi impatiente qu’elle est nerveuse. A la fin de sa patrouille, vers 4h du matin, elle tente de trouver le sommeil mais celui-ci la fuit. Son imagination, elle, cavale à toute allure, sans doute inspirée par les soupirs et les gémissements qui lui parviennent de loin et sa frustration. Il lui suffit de fermer les yeux pour voir Lounis avec elle, son grand corps sur le sien, sa bouche sur sa peau…

Elle est presque heureuse d’entendre la sonnerie le lendemain matin. Le temps de se préparer, d’essayer de masquer son air de déterrée et d’avaler quelque chose, Lexi a le plaisir de voir débouler les deux C, la mine fatiguée mais extatique, prêt à baffrer après tous ses efforts.
Lexi s’empresse d’aller chercher Lounis et ils parcourent le chemin inverse jusqu’à la caserne dans un silence un peu tendu. Ciulin est dans la cour, solaire et exubérant à son habitude, entourée d’une partie de la team Jenson. Elle échange un regard avec Lounis.

- Prêt ?
Elle attend confirmation avant de s’approcher de l’avatar de Frigg.
- Ravie de voir que tu peux encore marcher ce matin ! Je…peux te parler deux minutes ? Les gars…
En grognant, les soldats acceptent de les laisser seuls. Lexi se tourne alors vers Lounis et lui tend la main.
- J’aimerais te présenter Lounis Al hamoud. Nous pensons… que vous avez quelque chose en commun.  

Le lendemain, Lounis découvre avec une certaine inquiétude les yeux cernés de Lexi.

- Tu n'as pas bien dormi ?

Pour sa part, il a appris à composer avec les aléas du moment quelques soient les circonstances. Il a a appris une chose de la guerre  : ne jamais gaspiller les moments où l'ont peut manger et dormir. Demain, ils auront peut-être disparus.
Le duo dirige ses pas vers un attroupement dont l'épicentre n'est autre que le fameux Ciulin Mari. Lexi lui a fait une description haute en couleur du personnage qui semble avoir fait de la provocation sa carte de visite. Il faudra qu'il prenne sur lui de ne pas s'en effaroucher.

- Prêt ?
- Il le faut, répond le syrien à sa compagne.

A peine s'avance-t-il, qu'il retrouve cet étrange picotement qui lui chatouille la nuque. Avant même que Lexi disperse le groupe, Ciulin a posé un regard clair et pénétrant sur Lounis, un drôle de sourire aux lèvres.

- Ravie de voir que tu peux encore marcher ce matin !
- On t'a empêché d'pioncer ? C'pour ça qu't'es chonchon, ma Lexouille ?
- Je…peux te parler deux minutes ? Les gars… J’aimerais te présenter Lounis Al hamoud.

Lounis observe la silhouette dégingandé de Ciulin Mari, torse nu et tatoué sous une veste militaire appartenant très certainement au Major Caleb Jenson.

- Salut beau gosse....
-... Bonjour.
- Nous pensons… que vous avez quelque chose en commun.

L'avatar de Frigg s'ébroue d'un petit ricanement en expirant la fumée de sa cigarette vers le ciel.

- J'me d'mandais quand t'allais t'signaler. C'toi qu'j'ai senti hier en arrivant, hein ?
- Senti ? demande Lounis en battant des cils, sourcils froncés. Le débit rapide de l'anglais mâchouillé du roumain est un peu difficile à suivre. Le "truc" qui gratte, dans la tête... C'est ça ?
- C'truc chelou, ouais ! C't'une manière pour les avatars de se reconnait' entre eux. Comme dans "Highlander", t'vois l'genre ?
- Non, pas du tout, répond son interlocuteur un peu perdu. Donc, c'est ça que je suis, alors ? Un avatar ?
- Tu l'savais pas ? s'étonne Ciulin en avisant Lounis d'un regard neuf.
- Je sais que j'entends et je vois des choses... "magiques". Mais je n'ai compris pourquoi que récemment.
- Il t'a rien expliqué l'dieux qui t'squatte ?
- "Squatte" ? Le pauvre garçon se tourne vers Lexi sans comprendre. Ma "Voix" est femme mais elle est silencieuse depuis des années...
- Wooow ! Bienvenu dans l'club rare et fermé des hôtes qu'ont fusionné avec leur divinité sans passer par d'ssus bord !
- Comment ça... Je.. Je suis désolé. Tu vas trop vite. Je comprends pas bien. Je comprends rien !

Une panique ancienne, semblable à celle qui le secouait lors des différents épisodes traumatiques de sa vie, grimpe fielleusement le long de ses nerfs, les grignotant peu à peu.

Au fur et à mesure de la conversation, Lexi n’est plus aussi certaine que son idée soit si bonne que ça. Lorsqu’elle essaie d’en placer une, elle se fait systématiquement couper la chique. A peine a-t-elle le temps de traduire un mot que Lounis ne comprend. Elle sent toutefois la panique grimpée chez lui comme si c’était la sienne.

- Ok. Pause !
Elle pose une main rassurante sur le bras du jeune homme et se place naturellement à ses côtés alors qu’elle est restée relativement en retrait jusque-là, cherchant son regard.
- Tout va bien.

« Je suis là. »

- On va démêler ça tranquillement, d’accord ? Tu es là pour ça.
Elle fait les gros yeux à Ciulin.
- Doucement avec ta langue bien pendue. C’est ma faute, j’aurais dû t’expliquer mieux que ça. Premier point, Lounis se débrouille très bien mais il ne pratique pas l’anglais depuis très longtemps. Tu peux faire un effort sur ton débit et ta diction, s’il te plait ? Deuxième point, non, il ne savait rien du surnaturel avant… tout ça. Comme nous.
Elle parle évidemment de la plupart des militaires.

- Ensuite tu confirmes donc que c’est un avatar.

Elle échange un regard avec Lounis et lui adresse un sourire encourageant. Ça n’a rien d’une surprise mais ça reste une donnée importante pour lui.
C’est ce qu’il est.

- Comme sa… déesse n’est plus vraiment… présente, est-ce qu’il y a un moyen de savoir de qui il s’agit ? La mythologie… c’est plutôt vaste. Et c’est quoi cette histoire de fusion ? Qu’est-ce que ça implique exactement ? Nouvelle oeillade en direction du jeune homme. Lounis a des... flashs de souvenirs qui ne sont pas à lui et qu'il ne contrôle pas. Tu comprends que ça a de quoi angoisser n'importe quelle personne qui ne serait au courant de rien.

Ciulin se fait rabrouer par un caporal Hailey plus autoritaire que jamais. Lounis sert fort cette main salutaire sur son bras, cette ancre qui l'empêche de sombrer dans une vilaine crise d'angoisse. Il n'en avait pas fait depuis deux années. Lentement, il reprend sa respiration sous le regard désolé du roumain.

- Désolé-e vieux, j'voulais pas te faire bader. Euh... Je... voulais... pas... te.... mettre mal, égraine-t-il de manière si appuyée que Lounis hausse un sourcil, amusé.
- Je ne suis pas sénile.

Ciulin éclate de rire en écrasant son mégot tout en en récupérant soigneusement la fin dans son paquet.

- Pardon, j'voulais pas êt' condescendant non plus. Enfin.. méprisant quoi... Rahat ! Trop chaud d'causer lent'ment. J'pensais pas cavaler d'la langue à c'point. Remarque... Sourire canaille. Ca explique mes divers talents buccaux.
- Deuxième point, non, il ne savait rien du surnaturel avant… tout ça. Comme nous.
- La chiasse ! Double déso.

Le roumain lui tapote le bras avec une sincérité aussi brute de décoffrage que tout le reste du personnage. Rien ne semble calculé chez cette personne : elle se contente d'être simplement avec que toute ce que sont entièreté implique. Ce trait de caractère plait au syrien.

- Ensuite tu confirmes donc que c’est un avatar.
- Ouep, 100%!
- Ce n'est pas la surprise, fait Lounis, heureux tout de même d'avoir une certitude.
- Comme sa… déesse n’est plus vraiment… présente, est-ce qu’il y a un moyen de savoir de qui il s’agit ? La mythologie… c’est plutôt vaste.
- Chelou qu'elle t'ai rien dit d'elle avant d'fusionner. Tout ce que je peux dire c'est que t'es pas d'mon panthéon. En tant qu'Queen des Ases, j'aurais su si t'était d'la même casa.
- Je comprends pas.
- On appartient pas à la même famille de divinités. Je suis l'avatar de Frigg, épouse d'Odin, reine des dieux nordiques. Toi, tu appartiens à une autre famille.
- Et c’est quoi cette histoire de fusion ? Qu’est-ce que ça implique exactement ?
- Ah... Vaste sujet... Venez on va s'tanquer quelque part tranquille, déclare Ciulin en attrapant Lounis par la nuque avec une familiarité peinarde qui ne s'encombre pas de tabou ou de distance sociale. La vache t'es immense !
- Lounis a des... flashs de souvenirs qui ne sont pas à lui et qu'il ne contrôle pas. Tu comprends que ça a de quoi angoisser n'importe quelle personne qui ne serait au courant de rien.

Le compagnon du Major les conduit vers le mess pour s'asseoir tranquillement à une des table avec un café. Lounis, lui ne quitte pas la main de Lexi qu'il sert fort sous la table.

- Les flashs d'une vie qu't'as pas vécu, c'est un peu le package tout en un qui va avec l'avatar. L'avatarisation ça fonctionne en trois temps, bien que certains grillent des étapes, commence le roumain en tâchant d'aller lentement. En prems, la phase de parasitage. Il y a divers raisons qui poussent une essence divine à choisir un hôte. Parfois  c'est juste un pauv' type qui a le malheur de trouver un artefact hanté, parfois c'est un rituel, parfois c'est juste le hasard. Moi, j'ai accepté de me marier à Odin -l'avatar- pour l'protéger de son autre nature, parce que chuis amoureux-se de lui.
- Les voix des Dieux sont impénétrables, abonde le syrien, philosophe. Le... le Major Jenson est aussi un avatar ?
- Complet ! Ahahaha... nope ! J'ai plusieurs amoureux.

Ciulin ne développe pas le sujet et embraye sur la suite de ses explications sans laisse à Lounis l'opportunité de dévier.

- Après, selon le dieu t'a la méthode "j'en ai rien à carrer" et la divinité détruit l'âme, la mémoire et toute présence de l'ancien proprio...

Le visage du jeune homme s'affaisse, les yeux écarquillé d'horreur.

- Ou la cohabitation, et dans cette phase là, en général, y'a une sorte de dialogue qui s'instaure entre l'hôte et le dieu. Ca s'passe bien ou ça s'passe mal, ça dépend souvent des caractères de chaque partie. Mais au final, la fusion, c'est toujours comme ça qu'ça finit. C'est l'comment ça s'passe qui varie. Soit ton dieu t'a à la bonne et préserve ce qui t'définit en tant que "toi", soit il s'en fout et il t'efface, soit un équilibre subtile et parfaitement harmonieux s'instaure mais ça reste rare. Moi j'crois que comme la vie en général, c'est un spectre et qu'entre ces deux extrêmes, t'as un tas de cas par cas...
- Donc, moi, je suis fusionné ?
- Fusionné et préservé en tant qu' toi "humain". Mais faut qu'tu comprennes que maintenant tu es à la fois Lounis et cette entité divine. T'es les deux, pour toujours. Tu es dépositaire de son pouvoir, de ses attributs mais également d'son vécu, d'son histoire personnelle.
- Quand ? Comment c'est possible ?
- Quand t'as fusionné ? Ben chais pas moi, quand t'as cessé d'entendre ta fameuse "Voix"?

Lounis réfléchit posément à la question.

- Je crois que... C'est après la traversée, que j'ai plus senti sa présence. Je me sentais ... vide. J'ai failli me noyer durant le voyage.
- Mouais... très possible que toi aussi t'ais été sauvé par ta divinité. Encore une fois c'est rare, c'est forcément une divinité bienveillante ou protectrice.
- Je sais qu'elle a une fille, qu'elle a jamais retrouvée. Elle parlait beaucoup d'elle... je crois que je lui faisais penser à elle. Un peu. Elle a toujours été auprès de moi, depuis petit. J'avais moins peur parce qu'elle me berçait ou me consoler.
- C't' un indice intéressant ça! Les vraies "mamans" chez les dieux ça court pas les rues. De quoi tu t'rappelles d'autre ?
- Elle aimait passionnément son mari et je crois que lui aussi, même s'ils ont vécu beaucoup d'épreuves avant d'être réunis et de pouvoir faire leur famille.
- Un mariage épanoui et sans tromperie, pfiou... c'est pas courant non plus chez les gugus divins.
- Après c'est confus, parfois je me rappelle de chose mais je ne sais pas si c'est important...
- T'sais quoi ? Essaie de les compiler quelque part.
- Compiler ?
- Les noter, faire des listes quoi, pour pouvoir tout assembler...

Par la suite, Lounis évoque son pouvoir, les papillons, les poèmes, tout ce qui pourrait les mettre sur une piste possible sur l'identité de celle qui partage son âme. Finalement à la fin de la conversation, le syrien ose poser une ultime question, la plus importante à ses yeux :

- Comment... Comment on peut être soi ? Je veux dire, comment être sûr que ce que je ressens c'est vraiment moi et pas "elle" ?
- Mais, tu es "toi" quoi qu'il arrive. C'que tu vis, c'que t'éprouves, c'que tu fais ce sera toujours toi. Tu es juste un dieu maintenant, enfin... un dieu avec des limite très humaines, mais un dieu quand même. Tu ES elle et elle EST toi.
- Tajdif !

Ciuliun hausse les épaules.

- Désolé que la réponse te plaise pas. Mais c'est comme ça, c'est notre réalité. Moi, j'crache pas sur l'fait d'être en vie et d'pouvoir de nouveau chérir les gens qu'j'aime. Tu d'vrais faire de même !

Le roumain a une oeillade appuyée vers Lexi.

Lexi les écoute parler sans que les choses ne fassent beaucoup sens pour elle. Cette notion de fusion lui échappe totalement. L’idée même d’un partage d’âme est… bien trop complexe à appréhender. Du moins d’un point de vue extérieur. Elle sirote son thé en silence, les yeux baissés sur le breuvage chaud, conservant simplement la main de Lounis dans la sienne.
Oui, elle est là.
Sert-elle à quelque chose ?
Pas vraiment.
Elle se demande comment fait Caleb pour se greffer à tout ce surnaturel sans avoir l’impression d’être un intru, un étranger à tout ça. Elle se sent, pour sa part, parfaitement dépassée.  
Des pouvoirs ? Être lui tout en étant « Elle » ? Un dieu sur patte ? Être dépositaire de sa mémoire ? Et si « Elle » retrouvait un jour son dieu de mari – même si les chances sont peu probables, qui c’est – qu’est-ce que ça impliquerait ?
Elle espère sincèrement que les réponses de Ciulin, cryptiques pour elle, apporteront un peu de sérénité à Lounis. Pour elle, les choses n’ont pas vraiment changé. Lounis aura certainement besoin de temps pour assimiler tout ça, se faire à l’idée…
Lentement, elle glisse sa main hors de la sienne et la passe dans ses cheveux en soupirant.

- Bon… fait-elle laconiquement. Au moins tu sais à quoi t’en tenir maintenant. C’est déjà pas si mal. Et puis Ciulin a raison. Sans cette déesse, Bassem serait seul au monde, et elle ne l’aurait pas rencontré. Grâce à elle, tu es toujours là. C’est une seconde chance que tout le monde n’a pas… Pour le reste… Quelqu’un à l’extérieur doit bien avoir une encyclopédie sur les différentes mythologies. On aura plus qu’à chercher qui tu héb… enfin qui tu es - elle ne s’y est certainement pas encore fait - en recoupant ce que tu arriveras à te souvenir et ce qu’on sait déjà. Tu as parlé dans une langue étrangère aussi.

Elle fait tourner son thé dans son gobelet en réfléchissant pour retrouver les sonorités dans sa mémoire. Mais comme la première fois, elle n’arrive à rien identifier de très clair.

- Si je devais parier, je dirais que c’était surement d’une civilisation proche de la méditerranée. Mésopotamie ? Grecque ? Quelque chose comme ça …  

Elle a un petit rire de dérision devant sa propre inutilité. Elle ne fait que jouer aux devinettes, tâtonnant dans le noir le plus complet et elle ne peut qu’imaginer ce que doit ressentir Lounis.
Elle adresse un sourire reconnaissant à Ciulin.

- Merci d’avoir pris le temps.

- Bon… Au moins tu sais à quoi t’en tenir maintenant. C’est déjà pas si mal.
- Oui... Lounis hoche la tête, pensif, tentant de s'imprégner de toutes ces explication qui lui paraissent pour beaucoup encore bien cryptique.
- Et puis Ciulin a raison. Sans cette déesse, Bassem serait seul au monde. Grâce à elle, tu es toujours là. C’est une seconde chance que tout le monde n’a pas…

L'avatar, sans plus de main à serrer dans la sienne pour le rassurer, pose sa paume sur le genoux de Lexi, sans même se rendre compte de la portée possessive du geste. Il veut juste ne pas rompre le contact avec son ancre.

- Pour le reste… Quelqu’un à l’extérieur doit bien avoir une encyclopédie sur les différentes mythologies. On aura plus qu’à chercher qui tu héb… enfin qui tu es en recoupant ce que tu arriveras à te souvenir et ce qu’on sait déjà. Tu as parlé dans une langue étrangère aussi.
- Ah bon ? S'étonne-t-il. J'ai pas rendu compte... Je ne me suis pas... Il l'interroge du regard pour savoir si c'est plus juste. C'était quoi ?
- Si je devais parier, je dirais que c’était surement d’une civilisation proche de la méditerranée. Mésopotamie ? Grecque ? Quelque chose comme ça …
- Si j'peux vous conseiller un vrai puits d'culture c'est mon beauf ! Vous voyez l'blondinet toujours pieds-nus qui s'occupe du dispensaire chez Gaff', ben c'est pas que le meilleur guérisseur du monde, hein, c'est aussi un gus ultra cultivé sur absolument tout, c'est dément. Et comme il kiffe s'écouter parler et les bonnes énigmes, il refusera pas d'vous aider.
- Tu parles de Salomon Grass ?

Lounis glisse un regard en biais à Lexi qui fait mine de ne pas relever.

- Ouep ! Lui-même! Il est un peu barré mais grave cool ! Promisuine.
- Merci d’avoir pris le temps.
- De rien les tourtereaux ! Chuis une déesse de l'Amour maint'nant, déclare le roumain avec un jeu de sourcil de canaille séductrice. C'est mon job d'aider les p'tits couples comme vous.

Le syrien rougit jusqu'à la pointe de ses boucles pourtant brunes mais ne dément pas les propos de Ciulin. Une confession en soi.

- Merci Ciulin Mari.
- De rien mon pote ! Mais Ciu' ça suffit ! Sois pas si formel. Les chéris de mes potes sont mes potes. Il éclate d'un grand rire solaire et contagieux. Un peu rassurés ? leur demande-t-il en passant de l'un à l'autre du regard.

Lexi a du bien du mal à se concentrer depuis que la main de Lounis s’est invitée sur sa cuisse, avec un naturel qui ne fait que renforcer l’intimité de ce geste. S’en rend-il compte ? Elle n’en est pas certaine. Lounis est d’un naturel tactile, elle l’a déjà constaté de nombreuses fois. Ça ne signifie rien de plus que de lui prendre la main, c’est un simple recherche de soutien. Alors elle revient doucement glisser ses doigts entre les siens.

- Si j'peux vous conseiller un vrai puits d'culture c'est mon beauf ! Vous voyez l'blondinet toujours pieds-nus qui s'occupe du dispensaire chez Gaff', ben c'est pas que le meilleur guérisseur du monde, hein, c'est aussi un gus ultra cultivé sur absolument tout, c'est dément. Et comme il kiffe s'écouter parler et les bonnes énigmes, il refusera pas d'vous aider.

La jeune femme se tend déjà. Elle sait pertinemment de qui parle Ciulin puisqu’elle s’échine à éviter l’homme… le démon… depuis des mois. Elle a largement préféré s’occuper de tout un tas d’autre chose que la peur qui la paralyse et sa maladie qui se développe, lentement mais sûrement.  

- Tu parles de Salomon Grass ?
Elle reste bien droite sur sa chaise et continue à regarder Ciulin, consciente du regard de Lounis.
- Ouep ! Lui-même! Il est un peu barré mais grave cool ! Promisuine.
- C’est ce que j’ai entendu dire, oui. Alors tu pourras aller le voir, fait-elle tranquillement en lançant une brève œillade et un sourire à Lounis. Merci d’avoir pris le temps.
- De rien les tourtereaux ! Chuis une déesse de l'Amour maint'nant.
- C’est censé être une bonne nouvelle ? le taquine-t-elle en arquant un sourcil. Ça veut dire que tu vas jouer les agences matrimoniales ? J’ai quelques cas désespérés en tête.
Elle a une soudaine pensée pour Gi-Ja. Son chagrin lui colle à la peau si fort qu’il en a fait un costume.
- C'est mon job d'aider les p'tits couples comme vous.

Evidemment, la remarque de Ciulin gêne affreusement Lounis et elle-même sent ses joues subir un petit coup de chaud, ce qui ne l’empêche pas de lancer un regard meurtrier à l’avatar de Frigg.
- L’écoute pas. Ciulin aime taquiner. Et plus tu réagis plus tu y auras le droit.
- Merci Ciulin Mari.
- De rien mon pote ! Mais Ciu' ça suffit ! Sois pas si formel. Les chéris de mes potes sont mes potes.
- Tu vois ? appuie Lexi en soupirant. Occupe-toi de tes fesses divines tchou tchou, tu veux ?

Comme si Lounis avait la tête à penser à… ça après ce qu’il vient d’apprendre.
- Un peu rassurés ?
Lexi a une grimace involontaire qui disparait rapidement. Considérant qu’elle n’est pas certaine d’avoir vraiment compris, rien ne lui parait vraiment plus clair. Mais il ne s’agit pas d’elle, c’est pourquoi elle s’étonne d’être également la cible de sa question.

- C’est à Lounis de répondre. Elle hausse les épaules. Pour moi… ça ne change pas grand-chose et je te l’ai déjà dit, déclare-t-elle en tournant la tête vers le jeune réfugié. Tu restes qui tu es.
C’est après tout comme ça – fusionné – qu’elle l’a connu et qu’elle a appris à l’aimer. Comme un ami précieux et puis un peu plus… bien, bien plus.
- A mes yeux, cette déesse ne t’a pas façonné, elle s’est simplement… greffée à toi. Et… elle ne peut plus faire de mal à ton âme. Ca, c’est plutôt rassurant, ajoute-t-elle avec une caresse du pouce contre sa peau.

A leur relation plus qu’amicale si, mais contre cela, elle ne peut rien.
Elle ne peut qu’attendre, espérer un peu…

- Tu vois ?

Lounis commence à cerner effectivement.

- Occupe-toi de tes fesses divines tchou tchou, tu veux ?
- hum, non, je préfère que ce soit Cal' qui s'en charge, minaude-t-il avec un battement de cils exubérant.

Le jeune syrien n'est pas spécialement pudibond mais il a subi plus d'allusions scabreuses dans cette conversation qu'en toute une vie. Il se sent un poil saturé par cet excès.

- Un peu rassurés ?
- C’est à Lounis de répondre.

Vaste question.
L'est-il ?
Il se sent toujours aussi confus et ballotté de questions sans réponse. Plus qu'avant cet échange, tout compte fait. Néanmoins, il est désormais certain d'une chose : ce qu'il éprouve pour Lexi lui appartient en propre. Reste à trouver la façon de gérer les flashbacks intrusifs de cette divinité.

- Pour moi… ça ne change pas grand-chose et je te l’ai déjà dit. Tu restes qui tu es. Le jeune homme couve sa belle et vaillante aigrette de pissenlit d'une oeillade tendre qui ne trompe personne et certainement pas Ciulin. A mes yeux, cette déesse ne t’a pas façonné, elle s’est simplement… greffée à toi. Et… elle ne peut plus faire de mal à ton âme. Ca, c’est plutôt rassurant.
- Elle ne m'en aurait jamais fait, je crois. Elle n'était pas comme ça. Ciulin...? Comment fais-tu, avec.. les images... les souvenirs dans ta têtes ? Moi, ils viennent quand je veux pas, quand j'ai pas envie. Parfois c'est trop... J'ai mal à la tête.
- Ah, ça... j'ai toujours su compartimenter les trucs. J'pense que c'est dû à mes différentes vies. Chuis passé-e par tellement de "moi" différents : être une fille, être un mec, être aucun des deux, aimer les deux et plusieurs à la fois, sang-coureur, puis bannie, sorcière, avatar, prostituée, SDF, catcheur, étudiant, agent de Malsheem... BREF être tout ça en même temps et parvenir malgré ça à rester moi. C'est sport, mais j'ai appris à faire cette gymnastique qui permet d'accepter une définition de mon identité au sens large. Bon, j'ai eu des phases d'névroses suicidaires et d'addictions dans la foulée et j'soigne toujours une foutue dépression. Mais l'important, c'est d'se rappeler que tu as la main sur tout ça. Si tu veux pas que ces souvenirs t'importunent, ferme-leur la porte. Souvent c'est d'la mémoire émotionnelle qu'est à l'oeuvre. Tu vis un truc qui convoque une réminiscence de c't'autre vie. Trouve toi une manière d'filtrer.

Face à cette logorrhée, Lounis n'est pas certain de tout saisir. Certains termes comme "être une fille", "prostituée" ou encore "Sang-Coureur" l'interpellent mais il craint de faire une erreur de traduction. Il se tourne vers Lexi comme pour quémander son aide afin de déblayer ce fatras de mots.

Face à la nouvelle envolée de mots de Ciulin et au regard perdu de Lounis, Lexi sent poindre un fond de migraine. La fatigue n’aide sans doute pas. Elle masse doucement ses tempes puis laisser échapper un petit soupire.  

- Tu peux pas t’en empêcher hein… elle secoue la tête avec un petit sourire résigné aussi bien qu’amusé à l’intention de Ciulin. Contente de voir que tu as la forme. Vraiment. Rappelle-toi simplement que tout le monde ne va pas à ton rythme… Elle se tourne vers Lounis pour résumer en quelques mots simples. Ciulin a ses méthodes et il faut que tu trouves la tienne. Il n’y a… elle prend une minuscule pause pour déglutir… aucune formule magique.  [/color][/i]
Comme si elle pouvait s’attendre à autre chose.
- Je crois… qu’on a fait le tour pour aujourd’hui, non ? Ça fait déjà beaucoup d’informations à avaler. Encore, merci de ton aide Ciulin. Elle se lève et jette un regard interrogateur à Lounis. Tu veux que je t’amène sur la côte pour travailler ou tu préfères rester papoter avec notre nouvelle mascotte ?

Lexi envoie à ladite mascotte un baiser volant et attends Lounis. Ils marchent tous les deux un moment en silence, comme s’ils avaient besoin de rassembler leurs esprits et leurs pensées après cette conversation. Leurs mains se sont jointes naturellement et il est difficile de dire qui l’a glissée en premier dans celle de l’autre.
Elle lui glisse une œillade tendre puis finit par rompre le silence.

- Tu vas bien ? Ciulin est de caractère… plutôt exubérant comme tu as pu le constater… Heureusement qu’iel a le cœur sur la main. Ca compense la fatigue… Son regard se perd sur le chemin en terre sous leurs pieds. Je sais que tu n’as sans doute pas eu toutes les réponses à tes questions et celles obtenues n’ont pas toujours été satisfaisantes mais… tu as des... pistes et une certitude : tu es bien un avatar. A nouveau cette caresse délicate du pouce sur sa main, geste de réconfort inconscient. Ça n’est… pas si terrible que ça finalement. Ça te demandera simplement des… ajustements.
Loin des regards indiscrets, elle se permet de poser sa tête contre son bras, ralentissant involontairement le pas.
- Tout ira bien pour toi, lui murmure-t-elle et elle en est intimement convaincue. Tu penses aller voir Salomon pour qu'il t'aide ? Elle a un petit rire. Je crois que je suis bientôt à court d'idée pour d'aider mais lui le pourra.    

Ciulin attrape le baiser au vol et, fidèle à ellui-même, fait mine de le glisser dans son slip en tirant sur la ceinture du son pantalon.
C'est la fanfaronnade de trop, celle qui pousse Lounis à se lever. Il se surprend à s'irriter que cet étrange énergumène ait gâché un des baisers de Lexi. Il aurait aimé le garder pour lui.

Cheminant, main dans la main avec le caporal, à l'abri des regards indiscrets, le jeune homme rumine les informations qu'on vient de lui offrir en pâture. L'entreprise s'avère plutôt compliquée tant il est sans cesse ramené à la caresse délicate dont sa pogne fait l'objet.

- Tu vas bien ? Ciulin est de caractère… plutôt exubérant comme tu as pu le constater… Heureusement qu’iel a le cœur sur la main. Ca compense la fatigue…
- "Iel"... J'ai donc bien entendu ? C'est une fille mais aussi, un garçon ? Il y a un mot pour ça, je crois. Si Ciulin était mourant hier, je comprends qu'il soit... Il mime un mouvement de tête un peu chaotique...très énergique, maintenant.
- Je sais que tu n’as sans doute pas eu toutes les réponses à tes questions et celles obtenues n’ont pas toujours été satisfaisantes mais… tu as des... pistes et une certitude : tu es bien un avatar. Ça n’est… pas si terrible que ça finalement. Ça te demandera simplement des… ajustements.

Il plonge son regard dans le sien.

- Des "ajustement", c'est ça...

Comme ceux qui lui permettront de ne pas être parasité par des sensations d'une autre tiré tout droit d'une autre existence. Avec une délicieuse surprise, il sent la tête de la jeune femme peser sur son épaule. Il a envie de s'arrêter là et de la serrer contre lui, au lieu de cela, ils marchent encore quelques pas, jusqu'à trouver un recoin de mur qui les masque aux yeux de tous.

- Tout ira bien pour toi.
- Allah puisse t'entendre.
- Tu penses aller voir Salomon pour qu'il t'aide ?
- Oui.
- Je crois que je suis bientôt à court d'idée pour t'aider mais lui le pourra.
- Toi, tu fais plus qu'aider. Tu... Tu me fais vivre des choses.

Il caresse soudain sa joue, du bout des doigts. Ces derniers s'égarent sur la pulpe soyeuse de sa bouche. Ses lèvres rosies ont un dessin plein et parfait qui inspire l'amour et la tendresse. S'il était plus courageux, il oserait cueillir une autre chance de les embrasser.

L'est-il ?
De quoi a-t-il peur ?

- Viens avec moi, Lexi... Voir Salomon.

Cela pourrait sonner comme une supplique mais c'est soufflé avec le timbre grave et délicat d'un homme transi.

- S'il te plait...

Il l'aime.
C'est un amour romantique.
C'est l'autre certitude acquise au cour de leur entretien avec Ciulin.
Si des réminiscences de sa Voix ont envahi son crâne alors qu'il s'apprêtait à embrasser Lexi, c'est sans doute parce que ses propres émois ont invoqué les souvenirs d'amour de la divinité.

Cette fois, il puise en lui la vaillance -ou bien est-ce le constat précédent qui le galvanise- pour ployer vers la jeune femme et délicatement poser sa bouche contre la sienne...

- Toi, tu fais plus qu'aider. Tu... Tu me fais vivre des choses.
Lexi émet un petit rire gêné.
- Toi aussi et je ne suis plus tellement habituée. De vraies montagnes russes ! Tu sais… un manège qui monte et descende, encore et encore…

Son dernier mot s’étrangle dans sa gorge lorsqu’il caresse sa joue et elle lève ses yeux vers les siens. Elle n’est même pas certaine qu’il s’agisse d’une caresse. Un effleurement à peine. Et pourtant, son corps en vibre comme la corde tendue d’un instrument de musique. Ses doigts finissent sur les lèvres de la jeune femme qui s’entrouvrent.

- Viens avec moi, Lexi... Voir Salomon.
Lexi sait exactement ce que cette demande signifie en réalité. Il ne lui propose pas simplement de l’accompagner comme soutien moral. Elle aussi doit voir Salomon.
Lorsqu’il lui parle sur ce timbre, elle a l’impression d’être hypnotisée. Il pourrait lui demande n’importe quoi ou presque. Presque. Elle hésite, se mordillant la lèvre au passage.
- Tu sais bien que… c’est compliqué…
- S'il te plait...

Et pourquoi pas ? Ne serait-il pas temps ?
Qu’elle passe à autre chose, qu’elle se tourne vers la vie, à défaut d’un avenir sûr. Elle n’en aura peut-être plus l’occasion pour longtemps, le brouillard pouvait les engloutir demain…
Plus de crises, plus d’épée de Damoclès.
La vie. Simplement.
A rester aux côtés de Lounis, à se consumer à petit feu peut-être pour rien. Mais c’est ça aussi vivre.  
- D’accord…

Son assentiment se fait à peine plus sonore qu’un chuchotement. Elle l’observe avec tant d’intensité qu’elle note la seconde près où il se penche vers elle. Son cœur se met à battre follement. Mais la descente est longue et par crainte qu’il change d’avis, elle se porte à sa rencontre en se hissant vers lui. Un son entre le gémissement et le soupir lui échappe lorsque leurs lèvres se retrouvent. Comme la première fois, elle se serre contre lui, un bras autour de son cou, l’autre main encadrant son visage imberbe.
Tout son être aspire déjà à plus, un vrai baiser, mais elle se souvient du traumatisme qu’avait déclenché la simple pression de sa bouche contre la sienne la dernière fois et recule doucement
Elle plonge son regard dans la sien, cherchant le moindre signe qui lui démontrerait qu’il n’est pas encore prêt.

- Tout va bien ?
Ils sont toujours si proches l'un de l'autre qu'elle ne peut s'empêcher de revenir frôler ses lèvres délicatement.

Ciulin a peut-être raison.
Lounis a la main sur ces souvenirs : ce sont également les siens désormais. S'il ne souhaite pas les voir conviés à son bonheur présent, il peut leur intimer de repartir. Il ferme totalement son esprit aux sirènes d'un passé révolu pour ne se consacrer qu'aux sensations de l'instant présent : la chaleur de cette autre bouche, le charnu de ces lèvres si douces, les soupirs délicieux de Lexi. Sa saveur.
Poésie découverte.
Beauté de la primauté.
Lounis goute son tout premier baiser d'amour.

Avec ce corps.
Avec ce coeur.
Pour cette si belle âme...

Le jeune homme ouvre doucement les yeux, ses prunelles noisettes bordées de longs cils noir se noient dans deux lacs de ciel limpide. Sa respiration rebondit sur celle de Lexi, si proche, brûlante.

- Tout va bien ?

Certes, il y a bien une rumeur au loin, sous la voute de son crâne, vaguement familière. Il parvient à en faire abstraction et hoche tout doucement la tête. Il louche de nouveau sur la bouche de Lexi qu'il cueille une deuxième fois, avec la même délicatesse que s'il s'agissait d'un met exquis qui nécessite une sacralisation de sa dégustation.

Simplement, il doit prendre garde à l'adage qui stipule que l'appétit vient en mangeant. Il jauge bien mal le sien, pour l'instant.

Lexi a l’impression d’être suspendue à la réponse de Lounis. Elle arrête de respirer, prête déjà à ravaler sa déception et tout le reste. Le soulagement de le voir hocher la tête étire un sourire éblouissant sur ses lèvres qui se font encore embrasser avec une douceur qui n’appartient qu’au jeune homme.
Le pouce de la jeune femme caresse lentement sa joue alors qu’ils se livrent à une sorte de butinage prudent. Du moins au début.

Parce que si elle apprécie cet instant à sa juste valeur, elle ne peut tout à fait contrôler les élans de son corps lorsqu’ils sont au diapason de son cœur. Sa bouche se fait petit à petit plus pressante, plus quémandeuse. Elle sait pourtant qu’ils sont en équilibre instable et si la sensation de chute est grisante, la chute, elle, sera terrible. Toute cette retenue contrôlée ne fait qu’attiser ses sens, mais comme elle n’a aucune idée de ce que ressent le jeune homme à cet instant elle préfère refluer avant de se laisser à plus de volupté.
Les yeux fermés, le bout de sa langue trace le contour de ses propres lèvres pour goûter la saveur de Lounis qui s’y attarde encore et dont elle a eu à peine un avant-goût. Pour ne pas se détacher trop vite, elle vient frotter son nez contre le sien avec beaucoup de douceur, le souffle haché comme s’ils venaient de s’embrasser avec passion.
Lexi réouvre finalement les paupières pour trouver les prunelles marrons aux nombreux reflets du jeune homme.
- Ca va toujours ?

Elle a l’impression d’évaluer à tâtons dans le noir le plus total. Et c’est certainement ce qu’il se dit aussi, sauf que lui à une notion de limite qu’elle ne perçoit pas.
Délicatement, elle attrape l’une de ses grandes mains et la guide entre ses seins, tout contre son cœur qui cavale comme un fou furieux pour de « simples baisers ».

- Tu sens comme il bat fort pour toi ? chuchote-t-elle.
Elle aimerait lui demander d’en prendre soin, de ne pas le briser encore comme tous les autres avant lui. Mais Lexi a bien trop de bon sens, elle sait qu’il ne peut lui promettre une telle chose.
Elle ne peut que lui faire confiance.
- Quand… quand est-ce que tu souhaites voir Salomon Grass ?