Lexi frissonne entre ses doigts et une poignée d'angoissante seconde Lounis crain une crise qui ne vient pas. Ses épaules se détendent, son corps s'abandonne à la chaleur vaporeuse d'un baiser qui garde pourtant toutes ses parures d'innocente chasteté. Une brume étrange envahit sa tête, étouffant pensées et sons parasites. Il n'y a que Lexi : sa bouche, sa chair, son gout. L'immensité du ciel prisonnier de deux iris.

Elle est belle.
Il l'a toujours pensée, toujours trouvée, mais cela n'est que plus frappant à présent qu'il est pendu au tempo lancinant de sa respiration.

- Ca va toujours ?

Il hoche doucement la tête, frappé d'un mutisme qu'il ne s'explique pas; comme si le Verbe pouvait déchirer le tissus fragile de la magie qui les lie présentement. Certaines  de ses phalanges s'enroulent autour de son poignet et épouse la main qu'elle a posée sur sa joue. Elle guide le jeune homme à tâtons vers l'intimité d'un palpitant aux abois.

- Tu sens comme il bat fort pour toi ?
- Oui...

Son timbre grave et doux est enroué d'une émotion particulière. Son coeur aussi cavale comme pris de folie. Son regard l'embrasse plus passionnément que n'ose le faire sa bouche.

- Quand… quand est-ce que tu souhaites voir Salomon Grass ?
- Quand... Quand tu seras prêtes à vivre.... souffle-t-il en guise de réponse.

Avec lui.
Au plus vite.
Espoir languide.
Ses doigts s'invitent dans sa chevelure d'ange et Lounis s'aventure à un troisième fervent baiser.

- Quand… quand est-ce que tu souhaites voir Salomon Grass ?
- Quand... Quand tu seras prête à vivre…

Lexi a une sorte de rire étranglé.
L’est-elle ?
Elle non plus ne croit pas vraiment à ces histoires de destin tout tracé, néanmoins la vie s’est toujours chargé de lui montrer ou de la pousser vers un autre chemin au moment où elle en avait besoin.
Il lui semble évident que Lounis est l’une de ces voies, l’un de ces guides vers autre choses. Poser de cette façon, la réponse est évidente mais avant qu’elle puisse dire quoique ce soit, le jeune homme revient l’embrasser, étouffant son rire dans un nouveau soupir. Sentir ses doigts dans ses cheveux affole inexplicablement son désiromètre. Elle se laisse aller à donner un petit coup de langue contre ses lèvres et se presse plus étroitement contre lui, l’angoisse en ventre d’aller trop loin déjà.

Les bras autour de son cou, elle s’est lovée contre sa haute silhouette toute courbée sur elle et effectivement, elle aime cette sensation d’être enveloppée de lui complètement.
- Là… répond-elle contre sa bouche, les yeux dans les siens, maintenant… je veux vivre. Pour rester avec toi. Parce que toi et moi, ça n’est que le début… et je ne veux pas en manquer un seul instant, je ne veux pas gâcher une seconde de ce qu’il nous reste à vivre.

Elle recule un peu la tête sans le lâcher du regard. Le dos de ses phalanges cajole la joue de Lounis.

- Ma maladie… d’une certaine façon, elle m’a aidé à me libérer de beaucoup de choses avant de m’emprisonner à nouveau. Mais je la trouvais plus rassurante. Elle me définissait en partie. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin d’elle. Je sais ce que je veux, qui je suis… je suis prête. Et je sais que tu seras là pour m’aider à franchir cette étape.

Il est là.
Et c’est tout ce qui compte.

Pas sa déesse au passé bien chargé d’une famille qu’il retrouvera peut-être un jour.
Pas le brouillard qui les menace toujours.
Et encore moins cette maladie qui la grignote inexorablement.

Un sourire lumineux éclaire le visage de la jeune femme.
- Finalement, c’est à se demander qui est l’ange gardien de qui non ?

- Là… maintenant… je veux vivre.

Lounis est foudroyé par une sensation indescriptible : une étincelle allumée dans sa colonne vertébrale et qui remonte chaque vertèbre comme une chaine de feux d'artifice. Son ventre comme sa tête crépitent. Il l'ignore sans doute encore mais là est une manifestation de viscérale désir.

- Pour rester avec toi.

Son coeur se presse en pulpe, fruit mûr, à point pour en déguster le suc en se léchant les doigts. Pour Lexi, il veut bien s'ouvrir la poitrine et la voir croquer dans l'organe juteux.

- Parce que toi et moi, ça n’est que le début… et je ne veux pas en manquer un seul instant, je ne veux pas gâcher une seconde de ce qu’il nous reste à vivre. Ma maladie… d’une certaine façon, elle m’a aidé à me libérer de beaucoup de choses avant de m’emprisonner à nouveau. Mais je la trouvais plus rassurante. Elle me définissait en partie. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin d’elle. Je sais ce que je veux, qui je suis… je suis prête. Et je sais que tu seras là pour m’aider à franchir cette étape.

Toujours incapable d'émettre le moindre mot éloquent, l'avatar s'exprime avec les yeux. Au travers de ses prunelles d'écorce, il transmet ce respect immense teinté d'affection qui les lient depuis le début. A la nuance près que cette fois, y couve un feu plus ardent dont il n'a guère conscience.

- Tant qu'Allah me préserve, je ne lâche pas ta main, Lexi. C'est notre promesse.
- Finalement, c’est à se demander qui est l’ange gardien de qui non ?

Il sourit, son visage grave littéralement métamorphosé par une lumière juvénile.

- C'est toujours toi, crois-moi...

Son nez élégant vient frotter le sien.
Oisillon affamé qui n'a pas encore saisi l'ampleur de ses appétits, il vient réclamer de nouveau la béquet. Lounis s'empare de ces lèvres charnues, délicieuses. Cette fois, les lacets de sa retenue sont bien plus dénoués. Ses baisers sont maladroits mais portés par un élan sincère. Il presse Lexi contre son torse, l'enveloppant tout entière de ses bras, de lui. Le besoin inédit de la sentir peau contre peau éclot brutalement dans son esprit.

Un cœur qui s'ouvre à l'amour telle que les poèmes en font l'éloge.

- Tant qu'Allah me préserve, je ne lâche pas ta main, Lexi.
- Et si Allah ne fait rien, c’est moi qui te protègerai.
- C'est notre promesse.
- Je ne te lâcherai pas et tu ne me lâcheras pas non plus. Finalement, c’est à se demander qui est l’ange gardien de qui non ?

Le sourire de Lounis est merveilleux, débarrassé de ses inquiétudes et ses doutes. Il irradie et Lexi en est complètement éblouie. Si elle pouvait, elle garderait cet instant là en bouteille comme le fait Baphomet. Elle aurait alors pu le contempler, encore et encore. Mais elle n’a que le présent, alors elle le savoure. Si la vie lui a appris quelque chose, c’est bien de profiter de chacun moment.

- C'est toujours toi, crois-moi...
Elle lui sourit en retour et ferme les yeux sous la caresse de ce nez qu’elle adore.
- Je vais devoir te croire sur parole parce que moi j’en doute, chuchote-t-elle suavement en réponse.

Elle a le plaisir de sentir encore sa bouche contre la sienne. Elle ne se lasse pas de cette sensation. C’est comme reprendre une bouchée de bonheur, de vie. Elle en est grisée déjà. Et lorsqu’il se montre plus entreprenant, Lexi laisse échapper un gémissement sensuel qui n’a rien de discret. Son corps vibre à nouveau, prisonnier de ses bras et lui rend ses baisers avec de moins en moins de retenu.
La crainte de le voir s’échapper est toujours là, quelque part dans un coin de son esprit et se traduit par ses doigts qui s’accrochent à lui… sa nuque, ses vêtements, hissée sur la pointe de ses pieds.

Lexi est consciente de vivre à cet instant l’expérience la plus belle et la plus sensuelle de son existence. Ses rêves enfiévrés étaient bien loin de pouvoir imaginer le pouvoir des baisers de Lounis. Elle en frissonne d’anticipation.

Le pépiement des oiseaux et le vague brouhaha provenant de la caserne lui rappelle subitement où ils se trouvent. Elle laisse planer son souffle contre les lèvres de Lounis un instant avant de reculer la tête, les yeux brumeux de désir. Son dos se trouve appuyé contre le tronc d’un arbre alors qu’elle ne se rappelle pas avoir bougé.  
Son rire de joie pur vient se joindre au bruit ambiant.

- Est-ce que je peux en conclure que tu es en train de trouver ta propre méthode ?
Elle croque doucement sa lèvre inférieure.
- Tu veux qu’on y aille maintenant ? Au ranch ?

Lounis ne sait pas bien ce qu'il fait. Il est juste certain de son envie de le faire. Il n'a jamais été féru de contacts humains, Les filles, comme les garçons n'ont jamais éveillé son intérêt. Sa sensualité restait jusqu'alors une forme de secret bien gardé. Une donnée inconnue. Parfois, il suffit juste d'une personne pour déverrouiller cette mystérieuse dimension des relations humaines. Deux simples syllabes deviennent alors un sésame absolu.

Lexi.
Il a envie de la toucher, de la saisir, de la caresser, de la couvrir, de la protéger, de la chérir, de l'embrasser, encore, encore, encore...
Lexi.
Il pourrait en noircir des pages de cahier, avec tous les mots qu'elle lui inspire, des poèmes pour toute une vie et davantage. Avant même d'avoir esquissé la moindre pulsion de désir, il lui a fait l'amour tant de fois sur du papier.
Ô Lexi...

Par une magie difficilement explicable, il découvre que ses doigts se sont invités sous sa veste de treillis, son son débardeur blanc, à même sa peau chaude et frissonnante. Il est un peu essoufflé, comme si ses poumons avaient cavalé en apnée, la poitrine vibrante. Il la dévore, si ce n'est du regard, de la bouche également.

- Est-ce que je peux en conclure que tu es en train de trouver ta propre méthode ?
- Je cherche... Murmure-t-il, toujours émerveillé par la beauté de son rire. Tu es si belle, Lexi.

Nulle emphase ni flagornerie, Lounis exprime avec une sincérité candide une évidence que l'univers se plait peut-être à oublier et qu'il faut lui marteler. Autour d'eux, le monde continue de tourner, s'évertuant de survivre à Unseelie.

- Tu veux qu’on y aille maintenant ? Au ranch ?
- On peut, si tu n'as pas d'obligation. Il s'octroie le droit de se moquer de lui-même. Si je reste ici, je vais t'embrasser jusqu'à ce que la nuit tombe. Un sort terrible !

- Est-ce que je peux en conclure que tu es en train de trouver ta propre méthode ?
- Je cherche...
- Je suis une sorte de cobaye alors ? Très bien. Expérimente autant que tu le veux.  
Les doigts de Lounis lui brûlent la peau comme si leurs simples contacts provoquaient une sorte de fièvre. Une fièvre qu’elle n’a pas souvent connue mais qu’elle identifie toute de suite. Elle a envie de lui, inutile de se mentir encore. Lorsque son cœur bat pour quelqu’un, c’est tout son être qu’elle souhaite offrir.
- Tu es si belle, Lexi.

Après un intense échange de regard, Lexi le force à ployer vers elle pour lui voler un autre baiser plein de promesse et de passion mal contenue, enroulant ses bras autour de lui avec force.
« Jolie, bandante, grâcieuse, sexy, potable… »
Autant de qualificatif qu’elle a déjà entendu. Belle ? Ce mot renferme autre chose. Ou peut-être que cela tient plus à la personne qui les prononce.  

- Il n’y a que dans ta bouche que je le crois.
 
Son index joue délicatement avec ses lèvres.  
Lounis…
Son doux rêveur.
Son poète au cœur tendre.
Comme elle l’aime.
Tellement.
Si vite et fort.

Et après tout, tant mieux. Ils n’ont peut-être plus le luxe du temps. Mais elle ne doit pas oublier de respecter le rythme des tâtonnements du jeune homme. Peu importe la force de son propre désir.
Lexi trouve refuge dans le creux de son cou qu’elle bénit de légers baisers, se pressant instinctivement contre lui.

- Tu veux qu’on y aille maintenant ? Au ranch ?
- On peut, si tu n'as pas d'obligation.
- J’ai travailler cette nuit, donc je suis libre comme l’air.

Elle redresse la tête en l’entendant rire.
- Si je reste ici, je vais t'embrasser jusqu'à ce que la nuit tombe.
Elle sourit largement, des pétillements amusés dans les yeux.
- Ce serait si mal que ça ?
- Un sort terrible !
- Je suis déjà ensorcelée… badine-t-elle avec le même petit rire. Je ne crains plus rien.
Elle louche d’ailleurs sur ses lèvres avec envie. A croire que quelque chose s’est déverrouillé en elle. L’espoir peut-être. L’envie aussi. Beaucoup d’envie.
- J’adorerais tu sais… Passer l’après-midi à ça…
Mais elle n’est pas certaine de pouvoir rester bien sage. Surtout s’il la regarde de cette façon, s’il lui parle comme il le fait… Or elle ne souhaite absolument pas tout gâcher maintenant.
- Je voudrais juste… qu’on se libère tous les deux, tu comprends ? Après un soupir contraint, elle recule finalement. Enfin… libérer n’est peut-être pas le bon terme pour toi. Mais savoir qui est celle qui partage un bout d’âme avec toi te permettra de mieux comprendre qui tu es, de quoi tu es capable… et moi… sa main cherche la sienne et les yeux de Lexi tombent sur leurs doigts emmêlés. Moi je pourrais m’autoriser à vivre… Une caresse du pouce… avec toi.      

Comme il est doux de l'entendre rire, comme il est tendre de se laisser étreindre par ses bras aimants.

- J’adorerais tu sais… Passer l’après-midi à ça…
- Je n'ai jamais... Tu sais ? s'empourpre-t-il soudain sans trouver exactement comme finir cette amorce de phrase. Tu es la seule personne. C'est moi l'ensorcelé...

Les deux amoureux se contemplent avec une hardiesse de feu que seules leurs pupilles dilatées trahissent. Un silence pudique les retient de toute autre démonstration.

- Je voudrais juste… qu’on se libère tous les deux, tu comprends ?
- Très bien, oui.

Lounis hoche doucement la tête, quittant à regret le contact délicieux de son derme sous ses doigts. La chaleur de cette proximité s'estompe déjà, le laissant en proie à une fraicheur inattendue.

- Enfin… libérer n’est peut-être pas le bon terme pour toi. Mais savoir qui est celle qui partage un bout d’âme avec toi te permettra de mieux comprendre qui tu es, de quoi tu es capable… et moi…. Moi je pourrais m’autoriser à vivre… avec toi.

Sans mot superflu, le jeune homme remet délicatement une mèche d'or derrière le lobe droit de l'oreille de la belle malak. Il lui sourit avec cette ferveur mutique et exaltée qu'on éprouve pour une spectacle à couper le souffle : un coucher de soleil, un vue imprenable, Lexi vous susurrant qu'elle veut vivre... Le syrien souhaiterait qu'elle puise la motivation en elle même - son existence rayonnante est une justification en soi- mais si cela passe par son humble et pataude affection, alors soit. Il sera son moteur de vie.
Il rendra ses ailes à cet ange.

Et pour le reste ?
Ils aviseront.
Le voyage est parfois aussi passionnant que la destination.

- Allons-y.

C'est forts de cette résolution que ces deux coeurs cousus et rapiecés se rendent au dispensaire de Salomon Grass, le Jardinier Infernal.

Malgré ses belles paroles, Lexi est fébrile lorsqu’elle les conduit jusqu’au ranch. Elle ne cesse de serrer et de desserrer sa prise sur le volant de la jeep qu’elle a emprunté.
Le pire c’est qu’elle ne sait pas ce qu’elle craint.

La rencontre avec le démon ? Non, aujourd’hui, elle peut dire qu’elle en a vu d’autres.
La guérison ? Peut-être un peu. Va-t-elle sentir quelque chose ? Une sensation de « perte » ?
L’après ? Bien plus certainement.
L'inconnu qu'elle va devoir affronter est bien différent de ce qu'elle avait minutieusement préparé pour sa fin de vie. Mais elle n'a pas menti à Lounis. Elle se sent prête à l'affronter. Ce qui ne signifie pas qu'elle n'en a pas peur.

Elle puise du courage dans la présence calme et rassurante de Lounis à ses côtés. Ils ont gardé le silence pendant le trajet.
- On commencera par toi, d’accord ? déclare-t-elle lorsqu’ils sont en vue, des maintenant nombreuses, constructions autour du ranch.
Elle arrête le moteur en prenant une profonde inspiration. Ici aussi règne une animation proche de celle qui agite la caserne. Lexi adresse un sourire qu’elle espère déterminé au jeune homme mais qui sort peu réussi.
- On y est.
Ils sortent du véhicule et Lexi le guide immédiatement vers le dispensaire où elle sait que Grass œuvre avec quelques individus qui lui sont proches. A peine entrés, ils tombent nez à nez avec un homme au faciès étrangement figé et aux yeux clairs perçants et dépourvus de chaleur, serrant contre lui une petite bouture en pot. Il les observe sans bouger ni ciller avant de prendre la parole.
- Vous êtes soldats, vous. Mais pas blessée, si ? Il jette un coup d’œil plus curieux à Lounis. Et vous… pas tout à fait humain.
- Euh… oui, je suis …
- Pourquoi êtes-vous là ? la coupe-t-elle pour manifestement couper court à une introduction qui ne l’intéresse pas.
Lexi soupire. Elle ne se fait pas à toutes ces races féeriques et leurs manières à la limite de l’irrespect et de l’impolitesse.
- Nous sommes venus voir Salomon Grass.
- Hum… Pendant quelques secondes, Lexi pense qu’il va les laisser planter là. Mais il reprend finalement la parole. Je vais lui transmettre. Restez là.

Une fois seul à seul, Lexi fait une grimace drolatique à l’intention de Lounis qui exprime sans fard ce qu’elle pense de la créature qu’ils viennent de rencontrer.
- Charmant hein …
Maintenant qu’elle se trouve dans le fameux dispensaire, elle n’en mène pas large malgré ses fanfaronnades et manifeste sa nervosité par différents micro gestes qui la trahissent.

La nervosité de Lexi va croissante et Lounis peut difficilement l'ignorer la sachant au volant. Etrangement serein, il pose une paume lénifiante sur le genoux de la jeune femme. Les mots, en pareilles circonstance, sont superflus. Lexi est en lutte avec elle-même et cette bataille intérieure ne peut que se mener seul.
Lui-même réfléchi à ce pas qu'il s'apprête à franchir : Salomon, comme le roi éponyme, saura-t-il trancher la question de son identité ?


- On commencera par toi, d’accord ? décide brusquement Lexi à l'approche du haras.
- Si tu veux, répond le syrien, peu contrariant.

Il est fasciné par la vie qui s'agite dans ce camp-ci. Elle ressemble, certes, à l'agitation de la caserne mais avec des différences fondamentales : ici, pas d'arme à feu, de véhicule, d'uniformes... Ils semblent débarquer davantage dans une de ces petites communautés agricoles aux allures de village chaleureux.
Dans une prairie où paissent paisiblement quelques chevaux, un groupe de personnes hétéroclites dansent deux pas deux sous le regard d'une femme enceinte à la tignasse courte et rose. Le spectacle a de quoi fasciner tant les chorégraphies s'enchainent avec une osmose particulière. Mais ce qui frappe davantage Lounis, c'est l'âme de la future mère qui les dirige. Elle est si lumineuse, si puissante, si viscéralement brulante... Son papillon-âme est doté de plusieurs paires d'ailes arc-en-ciel  chatoyante. Il n'a jamais constaté un tel phénomène.
Un peu plus loin, une demoiselle rousse à lunettes épaisses, raconte des histoires sous un pommier. Son auditoire se compose tant d'enfants que d'adultes complétement absorbés par son récit. Elle aussi son papillon d'âme est irradiant, disproportionné et sublime. Elle semble percevoir la présence de Lounis car elle lui adresse un coucou charmant de la main, qu'il reproduit par écho, un peu déconcerté.
Dans le dispensaire, une quiétude agréable règne, à peine troublé par un jeune homme  à la longue chevelure sombre et au teint halé éclaboussé de tâche de rousseur. Il récite des prières auprès d'un des malades en lui tenant la main tandis qu'une infirmière rousse et gracile lui administre des soins que l'on devine palliatifs. Lui aussi possède une âme hors-norme qui défie tout ce que l'avatar n'a jamais vu en la matière.

Troublé, il ne raccroche que péniblement les wagons de la conversation. Lorsqu'il porte son regard sur leur interlocuteur, il constate avec stupéfaction que ce dernier n'a pas d'âme. Enfin, pas au sens où lui l'entend usuellement. Son âme a la forme d'un bulbe de fleur.
Une fois seuls, il échange une oeillade avec Lexi.

- Charmant hein …
- Qui sont ces gens... ? Leurs âmes.... Elles sont incroyables.....Je n'en ai jamais vues de semblables.

Avant que le caporal puisse lui offrir ne serait-ce qu'une syllabe de réponse, un grand échalas blond aux yeux globuleux d'un vert limpide entre dans la pièce. Pieds nus, il porte avec superbe un accoutrement singulier de dandy suranné : un empilement de couleur, de matières et de motifs extravaguants.

- Bonjour, notre bon ami lechi m'a fait savoir que vous cherchiez audience avec votre humble serviteur ? déclame-t-il avec un ton affable mais dépourvu d'humilité. Ses prunelles virides fixent Lexi soudain et tout son visage s'illumine d'un sourire malin. Ne me dite rien ! C'est vous que cela concerne, n'est-il pas ?

Il lève les bras tel un chef d'orchestre grandiloquent.

- J'ai tout de suite discerné la signature génétique d'huntingtine mutée chez vous. Je dois dire que c'est là une de mes créations les plus retorse et, de fait, brillante du temps où j'œuvrais pour ce peigne-chagrin d'Astaroth. Il a toujours adoré les maladies dégénératives ! Allez comprendre pourquoi....

Lexi hausse les épaules à la question de Lounis avec un léger pincement au coeur. Des âmes incroyables ? Evidemment… de quoi revoir son échelle personnelle. Les âmes humaines vont lui paraitre bien fades.
Elle ne voit absolument pas en quoi les gens ici sont si hors du commun. Hormis les faes qui s’y baladent. Elle a entendu des histoires de « miracle » mais s’y est peu intéressée. Eux, pauvres humains, ne pourront compter que sur eux-mêmes pour survivre.  
L’arrivée de Salomon Grass lui fait lever les yeux au ciel. Elle ne l’a toujours vu que de loin mais son excentricité ne passe pas franchement inaperçue.  
Elle ne s’est jamais senti à son aise avec les gens d’ici. Pas assez d’humains, des personnalités étouffantes, des pouvoirs bien trop grands dans des mains parfois inconscientes à son humble avis.

- Bonjour, notre bon ami lechi m'a fait savoir que vous cherchiez audience avec votre humble serviteur ?
La jeune femme hoche la tête, sobrement.
- Caporal Hailey, se présente-t-elle. Et voici Lounis Al hamoud, nous aurions des…
Elle se fait brusquement couper la parole et déteste viscéralement le regard qu’il pose sur elle.
- Ne me dite rien ! C'est vous que cela concerne, n'est-il pas ?
- Non ! Enfin… plus tard.
- J'ai tout de suite discerné la signature génétique d'huntingtine mutée chez vous.
- Ah ? Super, mais en fait nous…
- Je dois dire que c'est là une de mes créations les plus retorse et, de fait, brillante du temps où j'œuvrais pour ce peigne-chagrin d'Astaroth.
Le sang de Lexi se glace. Elle se fige sur place, comme statufiée, les yeux plantés sur le démon.  
- Quoi ? chuchote-t-elle dans un filet de voix, le diaphragme trop comprimé pour parler plus fort. Vous… vous l’avez créée ?

Est-ce que c’est même possible ? Il est certes un démon, mais elle a entendu qu’il était le « Jardinier des Enfers »… et puis ça lui revient subitement.
« Le démon des maladies ».
Mais il a aidé tellement de monde ! Tant de soldats lui doivent la vie ! Elle n’arrive pas à concilier tout cela avec un possible savant fou qui aurait inventé une maladie par … curiosité sadique ?
Pourtant il la trouve brillante cette petite invention… Il a même l’air d’en être… fier… ! Il n'a aucune empathie, aucun remord...
Elle a un violent haut le cœur et sert les mâchoires pour ne pas recracher son petit déjeuner.

Tout son corps malade se révulse devant les fanfaronnades du démon qui évoque avec une légèreté terrible ce qui a façonné sa vie depuis des années et qui pourrait y mettre fin rapidement.
Tout son esprit se révolte contre la négation de la souffrance qui a été et est la sienne.

- Il a toujours adoré les maladies dégénératives ! Allez comprendre pourquoi...

Le rire de Lexi est terrible et c’est sans même réfléchir que son poing s’écrase sur la face réjouit du démon. Elle y a mis toute sa force, toute sa colère.
Effacer son air réjoui et guilleret, effacer cette attitude fat dégueulasse qui lui porte sur les nerfs.

- Sans doute parce que c’est très drôle de voir des humains lutter pour contrôler leurs corps, pour bouger, pour se rappeler qui ils sont, pour essayer de survivre. POUR RIEN !
Elle recule, livide, consciente d’avoir peut-être gâché sa seule possibilité de guérir en frappant celui qui pouvait l’aider. Elle adresse un bref coup d’œil d’excuse à Lounis, pourtant elle n’arrive pas à regretter son geste. Son regard revient vers le démon, les larmes aux yeux.
- Allez vous faire foutre, lâche-t-elle d’une voix bien plus lasse, épuisée, le dégoût déformant ses traits.

Lui, le surnaturel, sa maladie, le brouillard… TOUT.

Comme pour faire plaisir à son « créateur », une crise se déclenche soudain, violente. Elle agite ses épaules, son cou, ses bras alors qu’elle émet un gémissement de frustration terrible.
Lexi en meurt presque de honte, surtout lorsqu’elle remarque les nombreux regards qui ont convergé vers eux. Elle tourne précipitamment les talons, sort de la grange puis se met à courir en trébuchant à moitié jusqu’à trouver l’écurie, bien plus calme. C’est dans un box vide qu’elle trouve refuge et se recroqueville en boule dans le foin propre, pleurant en silence et attendant que la crise passe, espérant qu'au moins, le démon n'en voudra pas à Lounis pour ses propres actions.

Lounis a du mal à suivre l'échange. Le Guérisseur est verbeux et son accent châtié ne l'aide pas du tout à comprendre un anglais qu'il a appris sur le tas avec de fortes consonnances gaéliques. Le basculement brutal de Lexi le fait presque sursauter tant il était concentré sur la difficulté de saisir leurs propos.

- Lexi ! s'alarme-t-il alors qu'elle écrase son poing sur le beau visage du démon blond.

La mâchoire de ce dernier se décroche sous le choc bien qu'il ne semble pas en percevoir la douleur. Il contemple plutôt Lexi avec de grands yeux d'enfant, tout penaud d'avoir été grondé et d'avoir -très certainement- commis une bévue.
L'infirmière rousse se précipite auprès de lui en l'appelant par son prénom. A la manière dont ces deux là se regardent et se touchent, il y a davantage qu'une relation professionnelle entre eux.

- Mais enfin, ça ne va pas ! Nous sommes dans un espace de soins ! s'offusque-t-elle en fusillant Lexi du regard.

Comme frappé d'un mauvais sort, celle-ci est soudainement prise de tremblements et se précipite dehors, Lounis sur ses talons.

- Doux Jésus ! s'horrifie Jhaelynra.
- Mon dieu, Lexi ! fait Ohanzee en reconnaissant le jeune femme. Salomon, Cazdyan ? Que se passe-t-il ? demande-t-il, inquiet de tout ce raffût.

Le démon produit un bruit de claquement sec en repositionnant sa mandibule.

- Tout es de ma faute, déclare-t-il d'un ton grave, après avoir échauffé les muscles de son visage avec quelques mouvements de bouche.  J'ai manqué de délicatesse comme de coutume. Je me suis montré grossier sans le vouloir en oubliant, une fois de plus, que mon génie ne fait pas face qu'à des corps, mais également des êtres d'émotions et d'état d'âmes.

Dehors, Lounis parvient à rattraper sa compagne au moment où elle pénètre dans l'écurie. Il y fait incursion à son tour, guidé par les sanglots étouffés de Lexi. Il la retrouve en position fœtale dans la paille et s'agenouille auprès d'elle pour l'enrober de son étreinte.

- Lexi, c'est moi.... Shhh... Taeal huna ya habibi.... lui souffle-t-il en la pressant contre son torse. Kulu shi sayakun eali mayram....

Il ignore ce que Salomon a pu proférer exactement -tout est allé trop vite- mais il est certain que cela a dû profondément chambouler sa belle aigrette de pissenlit et ses émotions si fragiles.

*Viens là mon amour. Tout ira bien...

Prise dans une spirale dont elle a du mal à s’extirper, Lexi le repousse mollement et bien maladroitement à cause de ses chorées. Elle tente de juguler ses sanglots mais ne réussit qu’à hoqueter misérablement, la bouche tordue par à coup.  
- C’est… c’est un putain de monstre ! Une ordure !
Finalement, elle s’accroche à sa veste et pleure tout son saoul, de chagrin autant que de rage. Pour elle, pour sa mère, pour ceux et celles qui ont subit la même chose pour un « caprice », pour le plaisir de l’expérimentation.
- Tu… tu l’as entendu non ?
Il ne lui vient pas à l’esprit qu’il n’est pas pu comprendre. Elle n’est pas en état de réfléchir droit.
- Il a créé ma maladie ! explique-t-elle avec fureur. Pour faire plaisir à son je sais pas quoi ! Il a sciemment décidé de nous faire souffrir le plus longtemps possible en nous privant de tout jusqu’à ce qu’on ne soit plus rien ! Et tu as vu son petit air satisfait et content de lui ? Tu … tu l’as vu ? On est des êtres vivants ! Pas des cobayes !!! Ou… ou de la bouffe !  

Elle se sent si minuscule, si vulnérable et moins que rien. Un simple animal de laboratoire. Elle lève finalement son visage ravagé de larmes vers Lounis.  

- Ils font tous semblant d’être comme nous mais c’est faux ! C’est entièrement faux ! Son épaule s’agite encore sporadiquement. Au bout du compte on reste des éléments sacrifiables, de passage, nous les simples humains...On compte à peine. Et peut-être qu’un jour tu me regarderas de la même façon, ajoute-t-elle d’une voix atone. Parce que mon âme n’a rien d’incroyable mais que je n’ai qu’elle.

Pas de pouvoir, pas de dieu, pas de super sens… rien. Comme tant d’autres pour qui elle se bat. Elle ferme les yeux, laisse échapper un ultime sanglot avant d’essuyer ses joues.

- Désolée… je… je sais plus ce que je dis… je suis juste… je peux pas… y retourner et faire face à ce...ce démon.
Elle pose sa tête contre l’épaule de Lounis.
- Toi… retournes-y… peut-être qu’il sera quand même disposé à parler avec toi. Elle laisse filer un silence. J’espère qu’il a eu mal…

Lexi se débat mais Lounis, indéboulonnable dans la tempête, continue de la bercer contre lui.

- C’est… c’est un putain de monstre ! Une ordure ! Tu… tu l’as entendu non ?
- Je n'ai pas compris ce que j'ai entendu, déclare le syrien simplement.
- Il a créé ma maladie ! Pour faire plaisir à son je sais pas quoi ! Il a sciemment décidé de nous faire souffrir le plus longtemps possible en nous privant de tout jusqu’à ce qu’on ne soit plus rien ! Et tu as vu son petit air satisfait et content de lui ? Tu … tu l’as vu ? On est des êtres vivants ! Pas des cobayes !!! Ou… ou de la bouffe !

Lounis ne répond pas, toujours incertain de l'interprétation à donner à tout cela.

- Ils font tous semblant d’être comme nous mais c’est faux ! C’est entièrement faux !

Les mots proféré sous le joug de la colère le heurtent avec une violence inouïe. Alors c'est comme cela que Lexi perçoit le surnaturel, c'est son veritable sentiment sur ce qu'il est lui : une imposture.

- Au bout du compte on reste des éléments sacrifiables, de passage, nous les simples humains...On compte à peine. Et peut-être qu’un jour tu me regarderas de la même façon. Parce que mon âme n’a rien d’incroyable mais que je n’ai qu’elle.

L'expression de Lounis est infiniment triste. Lexi ne se rend visiblement pas compte de sa cruauté.

- Parce que pour toi, je suis pareil ? Je suis un mensonge moi aussi ?
- Désolée… je… je sais plus ce que je dis… je suis juste… je peux pas… y retourner et faire face à ce...ce démon. Toi… retournes-y… peut-être qu’il sera quand même disposé à parler avec toi. J’espère qu’il a eu mal…

L'avatar se crispe, le visage tordu d'une grimace douloureuse, et écarte lentement Lexi de lui, en la tenant par les épaules.

- Je pense qu'il a eu mal toute sa vie, déclare-t-il avec gravité. Tu penses qu'il n'a pas d'âme ? Détrompe-toi, il en a une. Elle est abîmée, mutilée, on lui a arraché ses ailes... Et pourtant, elle brille, fort, avec la même volonté d'exister que toi. Tu connais cet homme ? Non. Tu sais son histoire ? Non. Il a créé ta maladie. Ok... tu connais pas le pourquoi. Tu juges et tu souhaites du mal juste parce que tu penses que ta souffrance t'en donne le droit. La peine ne justifie rien du tout, Lexi.

Il se lève et lui tend une main ferme.

- Je vais retourner là bas et lui parler. Tu as le choix de venir, avec moi, ou de rester ici toute seule. Mais si tu préfères ça, ne prétend pas que je t'ai abandonnée ou que je le ferais dans le futur alors que ça n'est pas vrai. C'est ta décision à toi toute seule.

Il la repousse. Avec délicatesse. Le geste n’en reste pas moins fort.

- Je pense qu'il a eu mal toute sa vie. Tu penses qu'il n'a pas d'âme ? Détrompe-toi, il en a une. Elle est abîmée, mutilée, on lui a arraché ses ailes... Et pourtant, elle brille, fort, avec la même volonté d'exister que toi.
Qu’est-elle censée répondre à cela ? Tant mieux pour lui…
- Tu connais cet homme ? Non. Tu sais son histoire ? Non. Il a créé ta maladie. Ok...
- Ok ? … juste ok… ? fait-elle, profondément blessée. Ca ne t’indigne même pas une seconde ?
- Tu connais pas le pourquoi.
- Ca changerait quelque chose ? Rien ne justifie de jouer de cette façon avec la vie des gens ! Mon altruiste a des limites.
- Tu juges et tu souhaites du mal juste parce que tu penses que ta souffrance t'en donne le droit.
- Ca n'a rien à voir ! Parce que ce qu’il a fait reste une abomination. A mes yeux, aux yeux de ceux des droits fondamentaux de tout être humain... Oui je juge Lounis. Comme les tribunaux l’ont fait pour des expérimentations interdites, comme n’importe qui le ferait pour des trucs aussi atroces !
- La peine ne justifie rien du tout, Lexi.
- Mais ses raisons à lui te permettraient de lui pardonner ce qu’il a fait ? C’est ça ? Si encore il avait montré le moindre remord, le moindre signe qu’il regrettait… mais non ! A-t-il seulement eu une once d’empathie pour ceux à qui il allait voler leurs existences ? Cette même empathie que tu veux que j’ai aujourd’hui pour lui ?

Elle regarde cette main tendue, le cœur au bord des lèvres.

- Je vais retourner là-bas et lui parler. Tu as le choix de venir, avec moi, ou de rester ici toute seule. Mais si tu préfères ça, ne prétend pas que je t'ai abandonnée ou que je le ferais dans le futur alors que ça n'est pas vrai. C'est ta décision à toi toute seule.

Encore tremblante, mais bien plus de fatigue, physique et morale, elle se redresse à son tour en se tenant contre le mur. Elle vient littéralement de lui dire qu’elle n’est pas capable pour l’instant d’y retourner. Encore moins d’écouter des justifications qu’elle n’est pas prête à entendre. Pas une seconde il ne se met à sa place ou à celle des autres... tous ces autres. Il préfère balayer son ressenti, sa colère et son chagrin. Comme s’ils n’étaient pas légitimes.
Il a choisi la neutralité la plus absolue et pense qu’il lui est facile de le suivre sur ce chemin.
Ça ne l’est pas.
Elle force un sourire sur ses lèvres, comme si elle n’avait pas le cœur brisé.
- J’espère qu’il répondra à tes questions. Je t’attends près de la voiture.

- Ca ne t’indigne même pas une seconde ?
- Bien sûr que si, mais...Tu connais pas le pourquoi.
- Ca changerait quelque chose ?
- Oui ! Est-ce que Einstein a voulu que sa création détruise la moitié du Japon, non. Est-ce que cette création fait de lui un "putain de monstre" ? Je pense pas. Tu connais pas le contexte.
- Rien ne justifie de jouer de cette façon avec la vie des gens ! Mon altruiste a des limites.
- C'est avec des opinions comme ça qu'on nourrit la Guerre. Tu juges et tu souhaites du mal juste parce que tu penses que ta souffrance t'en donne le droit.
- Ca n'a rien à voir ! Parce que ce qu’il a fait reste une abomination. A mes yeux, aux yeux de ceux des droits fondamentaux de tout être humain... Oui je juge Lounis. Comme les tribunaux l’ont fait pour des expérimentations interdites, comme n’importe qui le ferait pour des trucs aussi atroces !
- La peine ne justifie rien du tout, Lexi.
- Mais ses raisons à lui te permettraient de lui pardonner ce qu’il a fait ? C’est ça ?

Lounis recule comme si elle venait de le frapper à son tour. Une deuxième fois.

- Non ! Jamais je dis ça ! Je sais juste pas. Je peux pas juger sans savoir.
- Si encore il avait montré le moindre remord, le moindre signe qu’il regrettait… mais non !
- Peut-être qu'il sait pas faire ? Peut-être qu'il se rattrape en soignant les gens maintenant.
- A-t-il seulement eu une once d’empathie pour ceux à qui il allait voler leurs existences ? Cette même empathie que tu veux que j’ai aujourd’hui pour lui ?

L'immigré de guerre est à court d'argument. Il n'y a pas de discussion possible de toute manière, pas quand son interlocutrice est secouée émotionnellement.

- Parfois, il faut faire l'effort, oui. Je comprends que tu sois bouleversée et en colère mais je peux pas accepter que ce soit une excuse à la violence. Je suis désolé si c'est décevant pour toi. Bref silence amer.Il tente malgré tout une dernière fois l'option du dialogue. Je vais retourner là-bas et lui parler. Tu as le choix de venir, avec moi, ou de rester ici toute seule. Mais si tu préfères ça, ne prétend pas que je t'ai abandonnée ou que je le ferais dans le futur alors que ça n'est pas vrai. C'est ta décision à toi toute seule.

Lexi refuse son aide, se lève seule et le regarde à peine. Le coeur de Lounis se sert si douloureusement qu'il en a les larmes aux yeux.

- J’espère qu’il répondra à tes questions. Je t’attends près de la voiture.

Son bras retombe mollement.

- Ok.

Il s'approche néanmoins pour presser les épaules de la jeune femme et déposer un tendre baiser sur son front avant de quitter les écuries. Il remonte le chemin vers la grande faisant office de dispensaire et croise la route d'Ohanzee sur le perron qui s'écarte pour le laisser entrer.
Avisant la silhouette du caporal Hailey s'extirpant des boxes au loin, le Miraculeux décide d'aller à sa rencontre.

- Bonjour Lexi, fait-il en la gratifiant d'une accolade affectueuse. Tout va bien ? demande Figtree avec une sincère inquiétude pour l'amie de Caleb qui est aussi le sien. Il ne lui pose pas davantage de question. Si elle souhaite se confier, elle le fera.

Lexi lève les yeux vers Lounis lorsqu’il dépose un baiser sur son front. Mais déjà il ne la regarde plus.
Un pli amer se forme au coin de sa lèvre.
« Oui c’est ça que je suis Lounis. Si ça te peine ou te dégoute, j’en suis désolée. L’ange a perdu ses ailes, hein ? »

Elle le regarde partir et fait beaucoup d’effort pour rester droite lorsqu’elle sort à son tour. Arrivée à la voiture, elle sort son paquet de clopes et en allume une avec des doigts tremblants, tournant volontairement le dos au dispensaire et au ranch.
L’envie de danser la prend subitement. Pour évacuer. Ca ou frapper encore dans quelque chose. Non-animé pour ne bouleverser personne. Quoiqu’elle est certaine que Devane accepterait de boxer avec elle si elle le lui demandait. Ou n’importe qui de l’unité.  
Elle ne tourne la tête qu’en entendant le pas de quelqu’un s’approcher. Pendant un bref instant, elle espère que Lounis est revenu et la déception de voir Ohanzee est terrible.
Elle est stupide. Pourquoi Lounis serait-il revenu ? Il a été très clair.

- Bonjour Lexi.
Elle est surprise par l’accolade mais la lui rend machinalement.
- Salut Zee. Elle souffle la fumée vers le ciel. Désolée pour… le dérangement au dispensaire.
Mais elle n’est pas désolée pour le coup de poing.
- Comment va Riley et le bébé ?
- Tout va bien ?
Lexi a un pauvre rire.
- A ton avis ?

Haussement d’épaule, elle détourne la tête pour cacher ses yeux qui se sont humidifiés et son rictus. Elle s’appuie contre le capot de la jeep et contemple le ciel en fumant en silence pendant un moment.

- Est-ce que c’est monstrueux de ressentir de la colère ? Du ressentiment ? Nouveau rire tordu. C’est l’impression que j’ai. Parce que je n’arrive pas à voir posément les choses, parce que je refuse d’étouffer ce que je ressens au profit de la compassion et de l’écoute. Peut-être que ça viendra. Peut-être pas. Aujourd’hui, j’en suis incapable. Je me fous des raisons de Salomon Grass. Je me fous de savoir pourquoi il a joué les savants fous. Quand je le regarde maintenant, c’est pas lui que je vois, c’est les malades en stade terminal. Quand j’ai appris que j’avais presque 100% de probabilité de contracté la maladie, je suis allée voir en face ce qui m’attendait. Ils étaient là, prostrés, le regard vide, en train de baver, secoués régulièrement de crises. Pour eux, j’ai besoin d’être en colère, j’ai besoin de lui en vouloir. J’ai suffisamment joué les Lexi parfaite.

Elle se met à ronger son ongle, comme elle le faisait lorsqu’elle était petite.
« Arrête ça Lexi ! » la voix de sa mère claque dans sa tête et elle cesse aussitôt. Reflexe pavlovien.  

- Surprise ! Je ne le suis pas. Je n’ai rien d’un ange. J’ai de la colère et de la violence en moi. Et je le sais, je l’ai accepté. S’il faut se battre, s’il faut tuer, je le ferai – pour lui, pour tout ceux qui en sont incapables – c’est la voie que j’ai choisie. Je suis soldat. S’il savait les trucs que j’ai déjà fait…

Elle a déçu Lounis, l’a blessé sans doute. Et elle aussi lui en veut. Il est capable d’avoir de la compassion et du recul sur la violence de Salomon mais pas la sienne. La sienne est forcément sale et impardonnable. Elle n’a pas le droit à des excuses.
Lexi secoue la tête et l’abaisse. Ses cheveux forment comme un rideau blond de part et d’autre de son visage.

- Après tout, c’est mieux qu’il s’en rende compte maintenant. Ça lui évitera d’autres déceptions… à moi aussi.
Elle contemple son mégot entre ses doigts, se mordant l’intérieur de la joue pour ne rien laisser paraitre.
- Désolée de te balancer tout ça. Ca va aller, tu peux… rejoindre les autres. Je ne toucherai plus à un seul cheveu du démon, ne t’en fais pas… lâche-t-elle avec un rien d’auto-dérision aigre.

Ohanzee observe un instant la jeune femme. Il n'a lui même pas l'air au meilleur de sa forme.

- Salut Zee. Désolée pour… le dérangement au dispensaire.
- Salomon t'a aussitôt excusée, expliquant qu'il avait manqué de tact et tout à fait mérité ta réaction. Il n'est pas mauvais tu sais, simplement... déconnecté je dirais. Mais il travaille là dessus.
- Comment va Riley et le bébé ?

Le jeune homme émet un bref soupir.

- Elle est angoissée par tout ce qu'il se passe et ... je crois qu'elle n'a plus confiance en moi. Nous travaillons là dessus de notre côté. Sourire vaillant. Et toi....Tout va bien ?
- A ton avis ?
- Je dirais que non, à première vue. Tu veux en parler ?

Le jeune ancêtre n'était pas certain qu'elle se confie, mais brusquement les mots s'alignent les uns à la suite des autres jusqu'à dévaler sa langue à toute vitesse.

- Est-ce que c’est monstrueux de ressentir de la colère ? Du ressentiment ?
- Non, c'ets très humain. Et quand je dis "humain" je l'entends au sens large , comprenant les êtres humains dont le corps et parfois l'âme ont été transformés.
- C’est l’impression que j’ai.
- Ah oui ? Pourquoi donc ? s'étonne-t-il.
- Parce que je n’arrive pas à voir posément les choses, parce que je refuse d’étouffer ce que je ressens au profit de la compassion et de l’écoute. Peut-être que ça viendra. Peut-être pas.
- C'est ce qu'exige le jeune homme qui t'accompagne ? Sont-ce ses mots : "Etouffe ce que tu ressens" ? Si tel est le cas, il mérite peut-être aussi ton poing dans la figure...
- Aujourd’hui, j’en suis incapable. Je me fous des raisons de Salomon Grass. Je me fous de savoir pourquoi il a joué les savants fous. Quand je le regarde maintenant, c’est pas lui que je vois, c’est les malades en stade terminal. Quand j’ai appris que j’avais presque 100% de probabilité de contracté la maladie, je suis allée voir en face ce qui m’attendait. Ils étaient là, prostrés, le regard vide, en train de baver, secoués régulièrement de crises. Pour eux, j’ai besoin d’être en colère, j’ai besoin de lui en vouloir.
- Hum... Salomon est parfaitement conscient de ce qu'il est et du mal qu'il a pu perpétrer. Il ne cherche pas à être pardonné ou excusé. Il est la maladie. C'est la fonction qui l'a défini des siècles durant. Il est difficile pour lui d'arrêter d'être cela aussi sûrement que tu ne t'arrêteras jamais de danser.

Il l'a déjà vue, en Rêve, effectuer d'expertes chorégraphies de ballet avec la maestria d'une prima dona. Le métisse pose sur elle ses prunelles de café chaud.

- J’ai suffisamment joué les Lexi parfaite. Surprise ! Je ne le suis pas. Je n’ai rien d’un ange. J’ai de la colère et de la violence en moi. Et je le sais, je l’ai accepté. S’il faut se battre, s’il faut tuer, je le ferai – pour lui, pour tout ceux qui en sont incapables – c’est la voie que j’ai choisie. Je suis soldat. S’il savait les trucs que j’ai déjà fait…
- En effet, tu es soldat. Il t'es déjà arrivé de tuer ou d'accomplir des missions qui n'avait pas la moindre légitimité. Sans doute, que quelque part, quelqu'un te hait aussi viscéralement que tu hais Salomon Grass d'être ce qu'il est. Il encaissera ta colère sans broncher si cela te fais du bien. Car malgré tout ce que l'on peut lui reprocher, il essaie de réparer, de guérir les corps autant qu'il le peut, de créer des plantes pour tous nous nourrir.
- Après tout, c’est mieux qu’il s’en rende compte maintenant.
- Qui donc... ? Ton ami ?
- Ça lui évitera d’autres déceptions… à moi aussi.
- Ne sois pas si dure avec toi-même ou si exigeante. Personne ne te le demande...

Le prophète lui donne un léger coup d'épaule, affectueux, assorti d'un sourire qui, bien que lasse, s'avère être extrêmement chaleureux.

- Nous essayons chacun de faire de notre mieux. Tu ne crois pas ?
- Désolée de te balancer tout ça.
- Il n'y a aucun mal. C'est bon d'évacuer parfois... autrement qu'avec ses phalanges.

Il s'ébroue d'un petit rire charmant.

- Sens-toi libre de le faire autant de fois que tu en éprouveras le besoin. Je viens bien vider vos caisse de spiritueux...
- Ca va aller, tu peux… rejoindre les autres. Je ne toucherai plus à un seul cheveu du démon, ne t’en fais pas…
- Si ça n'est pas toi, ce sera un autre. Il est tragiquement incapable d'échanger sans heurter les autres et ce bien malgré lui. Il est terriblement peiné lorsqu'il comprend qu'il a franchit une ligne rouge. C'est un être à l'intelligence brillante mais aux aptitudes sociales et émotionnelles inversement proportionnées. Paradoxalement, il éprouve des sentiments et sa bienveillance n'est pas calculée. Il a juste été... comme amputé. Il secoue la tête. Peu importe ! Je m'égare. Je vais rester un peu avec toi, si bien entendu, tu veux bien de moi... Au moins jusqu'au retour de ton ami. Parle-moi un peu de lui !

- Nous essayons chacun de faire de notre mieux. Tu ne crois pas ?
- Si… mais parfois ça n’est pas suffisant. Crois-moi je le sais bien. Désolée de te balancer tout ça.
- Il n'y a aucun mal. C'est bon d'évacuer parfois... autrement qu'avec ses phalanges.
- Tu devrais essayer de temps en temps. Je t’assure que ça soulage un peu, lui conseille-t-elle avec un mince et bref sourire
- Sens-toi libre de le faire autant de fois que tu en éprouveras le besoin. Je viens bien vider vos caisses de spiritueux...
- Effectivement. J’ai même des photos pour le prouver. Tu étais adorable. T’en fais pas, je garde ça au chaud pour les montrer à tes enfants plus tard… si…enfin… elle déglutit. Je les donnerai à Riley et Caleb. Lui au moins on sait qu’il est indéboulonnable. Ca va aller, tu peux… rejoindre les autres. Elle a un bref mouvement vers l’arrière. Je ne toucherai plus à un seul cheveu du démon, ne t’en fais pas…
- Si ça n'est pas toi, ce sera un autre. Il est tragiquement incapable d'échanger sans heurter les autres et ce bien malgré lui. Il est terriblement peiné lorsqu'il comprend qu'il a franchi une ligne rouge.
- A ce niveau c’est carrément sauter de l’autre côté… Si tu avais vu le regard qu’il m’a lancé… comme un peintre qui jette un coup d’œil à son chef d’œuvre ! Il était presque… fier de lui !
- C'est un être à l'intelligence brillante mais aux aptitudes sociales et émotionnelles inversement proportionnées. Paradoxalement, il éprouve des sentiments et sa bienveillance n'est pas calculée. Il a juste été... comme amputé.
Lexi lui lance un coup d’œil acéré puis soupire.
- Arrête ça. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Je sais qu’il a sauvé la vie de certains de mes frères d’armes. Et c’est encore plus terrible… Comme je sais que celui qui peut me guérir est aussi celui qui m’a donné cette maladie…

Son avenir… Comment l’envisager maintenant ?
Elle presse ses paumes contre ses paupières closes. Non pas maintenant. La fatigue et la colère n’ont jamais été de bonnes conseillères.

- Peu importe ! Je m'égare. Je vais rester un peu avec toi, si bien entendu, tu veux bien de moi...

Elle se hisse sur la voiture, les jambes ballantes et remet son mégot dans son paquet. L’envie la démange d’en rallumer une mais elle en est déjà à rationner. Même plumer l’unité ne suffit plus à un approvisionnement régulier.

- Je ne vais pas être de très bonne compagnie. Tu n’es pas attendu ?
- Au moins jusqu'au retour de ton ami.
- Ok.
- Parle-moi un peu de lui !
Elle offre son visage au soleil.
- Qu’est-ce que tu veux savoir ? Il est syrien. Il a fui avec ses frères et sœurs. Il a perdu ses parents, beaucoup de ses frères et sœurs aussi. Il ne lui reste que Bassem, son petit frère de dix ans à peine. Son visage s’éclaire d’un sourire. Ils sont très soudés et si résilients… On a sorti Bassem du brouillard avec l’unité. C’est lui qui m’appelle malak… un ange. On a patiemment attendu que son frère le retrouve. Il était persuadé qu’il allait venir, et il a eu raison. C’est comme ça que j’ai rencontré Lounis. C’est étrange, parfois j’ai l’impression que c’était hier, d’autre que ça fait une éternité. C’est quelqu’un de bien. Profondément bon et sensible, il écrit des poèmes. Un peu comme toi, ajoute-t-elle avec un petit rire. Bref… Bassem a voulu rester près des militaires… de moi et j’ai passé un peu de temps avec eux et leur père adoptif. Et puis j’ai commencé à donner des cours d’anglais à Lounis. Il a fait des progrès fulgurants ! Elle ne se rend sans doute pas compte qu’elle s’anime et s’éclaire au fur et à mesure de son récit. Et il m’a confié qu’il voyait des choses… étranges. On a réussi à comprendre qu’il était un avatar. Mais comme sa déesse a fusionné avec lui sans jamais lui dire qui elle était… il cherche et il est un peu perdu. C’est pour ça qu’il est venu ici. J'essaie juste... de les aider... Voilà, tu sais tout.
Tout ce qu’elle vient bien lui confier. Le reste n’appartient qu’à eux. Elle laisse filler un silence.
- Ca va aller… ? Riley et toi ?

Ohanzee affiche une expression attendrie en découvrant une facette du caporal qu'il n'avait encore jamais vue. Elle est mue par une flamme intérieure vive et passionné. Foi se trouve le témoin privilégié de la seule chose en quoi, finalement, Lexi Hailey croit véritablement : L'amour ou tout du moins l'amour qu'elle éprouve pour Lounis.

- J'essaie juste... de les aider... Voilà, tu sais tout.
- "Juste"?[/color] Il sourit tranquillement. Cela me semble plus que "juste". Parfois, on a pas conscience que l'on s'aide soi-même en aidant les autres. Je suis heureux pour toi. L'Amour est un sentiment précieux qu'il faut cultiver et chérir.

Parle-t-on réellement toujours de Lexi ?
Le profil moucheté et fatigué d'Ohanzee fixe un point indistinct devant lui.

- Ca va aller… ? Riley et toi ?

Le prophète hausse les épaules.

- Les couples ont tous des hauts et des bas. Nous sommes juste dans un "bas". Tu as raison lorsque tu dis que faire de notre mieux ne suffit pas toujours à convaincre. L'Amour lui même ne suffit pas toujours. Mais j'ai foi en ma femme, en l'amour qui nous lie, en notre capacité de résistance face aux pressions qui nous entourent. Elle souffre de n'être... Il mime les guillemets... Qu'une humaine. Elle a peur de ce que je suis, de ma véritable nature, de ce que je suis capable de faire, de ce que cela impliquera pour moi dans l'affrontement avec Unseelie. Je crois qu'elle n'a plus confiance en moi. Ne pas questionner son humanité face à tous ces changements, savoir garder le cap de son identité, c'est une chose que je lui envie tous les jours. Elle ne se lève pas chaque matin en se demandant qui elle est et si ce qu'elle fait est bon.

Il se tourne vers Lexi avec un sourire lasse mais volontaire.

- Je l'aime éperdument, tu sais ? Je peux aider tant d'êtres autour de moi, mais ne pas parvenir à sécuriser ma propre famille me rend infiniment triste. Je dois juste être patient et attendre qu'elle ait de nouveau confiance en moi. En nous. Je dois abreuver ce sentiment de confiance pour qu'il ne fane pas. Parfois, c'est une entreprise un peu ingrate mais je ne baisserais pas les bras.

La silhouette immense d'un grand homme aux boucles brunes se dessine sur le seuil du dispensaire.

- Ah... Je crois que ton compagnon en a terminé de son entretien avec notre guérisseur. Ohanzee presse le bras de Lexi. J'espère te revoir bientôt. Ai foi en ton avenir : Tu en as un. Nous en avons tous un.

Lounis marche à pas lents jusqu'à la voiture, plongé dans des abîmes de réflexions. Il reconnait que Salomon Grass n'est pas d'une personnalité agréable, cependant, il n'a pas décelé chez lui de duplicité ou de sadisme. Le démon est tout disposé à transmettre, à partager son savoir, à accepter volontiers la faute d'être un "monstre" comme si sa monstruosité était malheureusement tout ce qu'il avait pour le définir.

Et lui ?
Comment se définit-il lui-même ?
Les mots de Lexi tourbillonnent dans sa tête.
Est-il faux lui aussi ? Contrefait-il son humanité ? Est-ce pour cela qu'il n'est pas capable de cette colère viscérale, de cette violence, quand bien même elle l'a déjà traversée ? Elle ne s'ancre jamais en lui. Elle passe au travers son être comme la peur. Il la sait, la reconnait, il l'affronte et c'est comme si elle perdait tout pouvoir sur sa personne.
Est-il encore un véritable être humain pour ne plus éprouver ces émotions extrêmes ? Les paroles de la jeune guerrière l'ont meurtri autant que ses accusations. Aurait-il dû mieux s'en défendre ? Ou bien ne pas parler du tout ?
Peut-être que s'il n'a pas d'amis, pas de relations amoureuses, c'est parce qu'il est incapable d'éprouver des sentiments sincères et vrais ?
Peut-être qu'il n'est pas bon pour Lexi.

Avant qu'il ne rejoigne le véhicule, l'homme discutant avec Lexi s'éclipse, non sans un hochement de tête en sa direction. Ne sachant exactement que faire de sa grande carcasse désœuvrée, Lounis ouvre la portière côté place du mort et se glisse dans l'habitacle en silence.

- "Juste"? Cela me semble plus que "juste". Parfois, on a pas conscience que l'on s'aide soi-même en aidant les autres.
- Si… je sais, avoue-t-elle doucement. Sans eux, je ne serais même pas là aujourd’hui.
- Je suis heureux pour toi. L'Amour est un sentiment précieux qu'il faut cultiver et chérir.
- Je n’ai pas dit que… elle s’interrompt, mord sa lèvre et préfère détourner la conversation. Ca va aller… ? Riley et toi ?

D’après le constat qu’il dresse, ça ne va pas si bien que ça. Lexi l’écoute à son tour, la mine pleine de compassion.
- Cet…Apocalypse, il bouleverse beaucoup de choses et nous met tous plus ou moins à l’épreuve. Je n’imagine même pas ce que c’est que d’attendre un enfant dans ce contexte. Nos limites… on nous apprend rapidement à les connaitre, à l’armée. Là… elles viennent d’être drastiquement réduites. Et je crois que je comprends ce sentiment de n’être qu’« humain ». Pour certains, comme Riley, c’est une faiblesse, pour d’autres comme Caleb, c’est une force. Il n’en reste pas moins que c’est… très effrayant de ne plus contrôler la situation. Et ta femme est un peu control freak, on va pas se mentir.
- Je l'aime éperdument, tu sais ?
Lexi lui sourit et laisse échapper un petit rire.
- Oh je crois que c’est assez évident pour tout le monde.
- Je peux aider tant d'êtres autour de moi, mais ne pas parvenir à sécuriser ma propre famille me rend infiniment triste. Je dois juste être patient et attendre qu'elle ait de nouveau confiance en moi. En nous. Je dois abreuver ce sentiment de confiance pour qu'il ne fane pas. Parfois, c'est une entreprise un peu ingrate mais je ne baisserais pas les bras.
- Je pense… que tu es bien plus fort qu’on ne le soupçonne, juge la jeune femme après l’avoir contempler un moment en silence. Mais oui. Ne lâche pas. Franchement, si je devais parier, chose qu’on ne fait pas avec l’unité, sache-le, y’a quand même des limites, je miserai tout sur vous deux.  

Le regard d’Ohanzee se perd derrière elle et comme si elle avait déjà deviné, Lexi tourne la tête et sourit imperceptiblement à la silhouette lointaine de Lounis.

- Ah... Je crois que ton compagnon en a terminé de son entretien avec notre guérisseur.
- Apparemment.  
- J'espère te revoir bientôt.
- C’est vrai qu’on ne se croise pas souvent. C’est un tort.
Lexi l’observe approcher et finit par sauter à terre.
- Ai foi en ton avenir : Tu en as un. Nous en avons tous un.
La jeune femme hoche la tête de l’émotion plein la voix, soudain.
- Je vais essayer, promis, à bientôt Zee. Tu salueras lieutenant badass pour moi. Et si elle te fait des misères, vient nous voir ! conclut-elle avec un clin d'oeil.

Lexi n’arrive pas vraiment à déchiffrer l’expression qu’affiche Lounis. Songeur ? Inquiet ? Perturbé en tout cas. Comme il ne dit rien en s’installant en voiture, elle garde le silence, s’engouffre dans la voiture et démarre.
Elle ouvre la fenêtre pour laisser passer l’air printanier dans l’habitacle étouffant. Le volant grince sous sa poigne trop ferme et la jeune femme s’oblige à prendre une profonde inspiration avant de demander sur un ton qu’elle espère normal.
- Alors ? Qu’est-ce qui est ressorti de ton entretien avec … avec lui ? Il a pu te donner des informations ? Ou à défaut des pistes ?

Lounis s'exhorte mentalement à dire quelque chose mais rien ne semble vouloir franchir ses lèvres. Elles se pincent entre elles comme pour sceller le passage à son éloquence. Il aurait été plus facile d'écrire, mais personne ne fait cela dans ce monde moderne. On se parle en vis à vis.

Lexi a démarré le moteur sans décrocher un mot.
Est-elle toujours fâchée contre lui ?
Incapable de répondre à cette simple question, le syrien observe le paysage, accoudé à la portière, menton dans la main. Cette chape de mutisme l'étouffe mais il ne parvient pas à s'en dégager. Il tourne en boucle dans ses propres sables mouvants.

- Alors ? Qu’est-ce qui est ressorti de ton entretien avec … avec lui ?

Ces quelques mots prononcés sur le ton de la conversation inonde brusquement Lounis d'un sentiment de soulagement. Lexi lui parle normalement, de nouveau.

- Il a pu te donner des informations ? Ou à défaut des pistes ?
- Selon lui, il y a peu de déesses qui cochent les critères que j'ai donné. Surtout les papillons. Les âmes munies d'ailes de papillon, c'est un symbole greco-romain. Les autres panthéons c'est d'autres animaux, souvent. Salomon pense que je suis Psyché. Pour lui ça colle : une humaine devenue déesse, mariée à celui qu'elle aime après des épreuves difficiles, maman d'une petite fille, positive,... Elle porte des ailes de papillons en écho à celle de son mari : Eros.

Il sort son carnet de sa poche où ils semble avoir griffonné quelques mots.

- "Tout l'Univers obéit à l'Amour ; Belle Psyché, soumettez-lui votre âme." C'est de Jean de la Fontaine. "Psyché, ma soeur, écoute immobile, et frissonne...Le bonheur vient, nous touche et nous parle à genoux." ça c'est d'un certain Louÿs. Psyché a inspiré beaucoup les artistes, apparemment, surtout les poètes : Hugo, Keats, Corneille,... Elle les aimait fort. Peut-être son attachement à moi, viens de là. Ou peut-être, c'est elle qui m'a donné le gout d'écrire...

Il caresse doucement les quelques mots griffonnés comme Champollion tâchant de décrypter ses hiéroglyphes et les secrets cachés qu'ils enferment.

- Salomon m'a conseillé de lire l'histoire écrite par Apulée. C'est ce texte qui explique toute l'histoire du mythe.... J'ignore où je vais trouver ça.

Lounis pose son regard sur Lexi qui lui offre son profil concentré sur la route. Sans qu'il n'en ait vraiment conscience, ses doigts se sont dressés pour initier un contact avec sa joue. Caresse irrépressible. Il replace délicatement une mèche d'or derrière son lobe.

- Il a dit que tu peux revenir le voir quand tu te sentiras prête pour être guérie. Il a dit que c'était la moindre des choses qu'il pouvait faire en guise d'excuses pour être un monstre.

Le réfugié de guerre baisse le regard, soudain étreint par un sentiment de gouffre entre elle et lui.

- Est-ce que tu penses que je suis encore humain ? questionne-t-il avec appréhension. Je me suis toujours senti différent des autres sans me l'expliquer. Trop calme, trop renfermé, trop... Pas assez. Tu vois ? Peut-être, je suis plus humain depuis très longtemps sans savoir et je t'ai fait de la peine comme lui.

Les quelques questions de la jeune femme semblent avoir réussi l’exploit de crever l’atmosphère plombante qui régnait dans l’habitacle.  
Lexi roule prudemment. A chaque fois, le chemin lui semble changer tant les arbres bougent, étendant parfois leurs racines sur le chemin.
Elle écoute la réponse de Lounis avec attention néanmoins, jetant de fréquents coups d’œil à son passager, un peu interloquée. De tous les personnages mythologiques, jamais elle n’aurait pensée à elle.
- Psyché ? Tu es… Psyché ?
Pourtant tout colle, effectivement.
- Psyché a inspiré beaucoup les artistes, apparemment, surtout les poètes : Hugo, Keats, Corneille,...
- Il y a aussi eu un ballet qui est devenu un opéra sur ses mésaventures. Elle passe une main dans ses cheveux. Merde, c’est…
- Elle les aimait fort. Peut-être son attachement à moi, viens de là. Ou peut-être, c'est elle qui m'a donné le gout d'écrire...
Bizarrement cette possibilité froisse la jeune femme. Elle trouve cela terrible de le dépouiller de quelque chose qui lui tient à cœur.  
- Ou peut-être que tu aimais ça bien avant et qu’elle a simplement encouragé ton talent.
- Salomon m'a conseillé de lire l'histoire écrite par Apulée. C'est ce texte qui explique toute l'histoire du mythe.... J'ignore où je vais trouver ça.
- On trouvera, affirme la jeune femme. Chercher un livre ne lui parait pas si insurmontable que cela après tout ça. Comment tu te sens ? Avec ces révélations ?

La caresse de ses doigts sur sa joue la fait légèrement tressaillir et elle pivote la tête vers lui, sa joue cherchant plus de contact.
Quelque chose à changer entre eux. Elle ne saurait dire quoi encore exactement. Mais pas la douceur de son toucher, pas l’émotion qu’il suscite immanquablement chez elle. Ses yeux bleus sondent les siens, oubliant complètement la route.  

- Lounis…
- Il a dit que tu peux revenir le voir quand tu te sentiras prête pour être guérie.
La mâchoire de la jeune femme se contracte d’elle-même et se regard retrouve la route.  
- On verra.
- Il a dit que c'était la moindre des choses qu'il pouvait faire en guise d'excuses pour être un monstre.
- Trop aimable. L’essentiel c’est que tu aies eu les réponses que tu souhaitais.

Ses doigts quittent sa joue et Lexi les regrettent déjà. Lounis se recroqueville sur son siège comme s’il souhaitait y disparaitre.

- Est-ce que tu penses que je suis encore humain ?
Choquée, Lexi pivote la tête vers lui.
- Quoi ? Mais pourquoi tu me demandes ça ?
- Je me suis toujours senti différent des autres sans me l'expliquer. Trop calme, trop renfermé, trop... Pas assez. Tu vois ?
- C’est ton caractère Lounis. Ca n’a rien à voir avec … avec Psyché !
- Peut-être, je suis plus humain depuis très longtemps sans savoir et je t'ai fait de la peine comme lui.

Cette fois, Lexi arrête la voiture. Elle ne risque pas de créer d’accidents ou d’embouteillage au milieu de la forêt. Elle se tourne vers Lounis et attrape sa nuque, l’attirant à elle jusqu’à ce qu’ils soient front à front.

- Ne dis pas ça… s’il te plait. Je suis désolée si j’ai dit quelque chose qui t’a fait penser un truc pareil. Je dis parfois n’importe quoi quand je suis en colère. Evidemment que tu es humain ! Tu es même l’être humain le plus merveilleux que j’ai jamais rencontré.
Elle marque une pause et recule pour frôler les contours de son séduisant visage, un sourire triste sur le sien.
- Tu l’as dit toi-même, Psyché était une muse pour beaucoup d’artistes. Elle n'était pas une créatrice. C’est ce qu’elle a fait avec toi. Et tu créés, tout le temps, avec talent. C’est bien la preuve que tu es encore toi, Lounis Al hamoud, non ? Tes poèmes viennent de ton âme à toi . Psyché aurait été incapable de ça.
A vrai dire qu’en sait-elle ? Rien. Elle n’a que sa conviction et des arguments discutables. Mais elle veut croire que le Lounis avec Psyché n’aurait pas été bien plus différent que celui sans.
- Tu es toi… souffle-t-elle. Je sais que tu es toi.
Elle revient se caler sur son siège et fixe le chemin devant eux.
- Si j’ai été blessée c’est parce que j’ai eu l’impression que… que tu mettais plus d’énergie à défendre Grass qu’à te mettre à ma place. Tu m’as reproché de juger trop facilement mais c’est exactement ce que j’ai ressenti. D’être jugée parce que je n’avais pas ton recul, parce que j’avais besoin de laisser éclater des émotions pas très jolies mais qui doivent sortir… tu vois ? Et soudain j’ai eu peur. Que ce que tu voyais était non seulement inexcusable mais aussi… décevant et détestables à tes yeux.

Lexi pile brusquement, mettant la voiture à l'arrêt. Lounis un peu surpris a posé ses mains sur le tableau de bord pour se rattraper lors du freinage. En une poignée de secondes, des doigts familiers se glissent sur sa nuque et le voilà ployé sur le caporal Hailey, front contre le sien.
So coeur s'emballe comme un cheval fougueux.

- Ne dis pas ça… s’il te plait. Je suis désolée si j’ai dit quelque chose qui t’a fait penser un truc pareil. Je dis parfois n’importe quoi quand je suis en colère. Evidemment que tu es humain ! Tu es même l’être humain le plus merveilleux que j’ai jamais rencontré.

Une émotion brutale, qui couvait en lui depuis un moment, gonfle et éclate en pluie sur ses joues. Il n'a pas immédiatement conscience qu'il pleure et ne s'en aperçoit que parce que sa vision se brouille soudain.

- Tu l’as dit toi-même, Psyché était une muse pour beaucoup d’artistes. Elle n'était pas une créatrice. C’est ce qu’elle a fait avec toi. Et tu créés, tout le temps, avec talent. C’est bien la preuve que tu es encore toi, Lounis Al hamoud, non ? Tes poèmes viennent de ton âme à toi . Psyché aurait été incapable de ça. Tu es toi…  Je sais que tu es toi.
- Comment es-tu si sûre ? Tu m'as pas connu sans "Elle".

Le jeune homme s'écarte pour étouffer un sanglot et s'essuyer les yeux. Il se sent ridicule de se laisser aller de cette façon. Les mots de Lexi ont taillé profond. Même faussés par la colère, ils sont des armes redoublement affûtées.

- Si j’ai été blessée c’est parce que j’ai eu l’impression que… que tu mettais plus d’énergie à défendre Grass qu’à te mettre à ma place.
- Non ! Bien sûr que non ! se défend-il cette fois.
- Tu m’as reproché de juger trop facilement mais c’est exactement ce que j’ai ressenti. D’être jugée parce que je n’avais pas ton recul, parce que j’avais besoin de laisser éclater des émotions pas très jolies mais qui doivent sortir… tu vois ? Et soudain j’ai eu peur. Que ce que tu voyais était non seulement inexcusable mais aussi… décevant et détestables à tes yeux.
- Comment tu peux croire quelque chose comme ça ? Je juge pas, je suis personne pour juger : ça vaut pour toi ou pour Salomon Grass. Je peux pas me faire un avis  sans savoir un peu mieux... Jamais je t'ai demandé de faire comme moi ou de penser comme moi... Je suis désolé si c'est ça que j'ai laissé croire. Je t'estime trop pour penser des choses aussi dures et mauvaises, juste parce que tu te mets en colère. Elle est normale ta colère et je comprends pourquoi elle existe. C'est pas parce que je suis pas d'accord avec toi et que je le dis que je te rejette ou te condamne, Lexi. Je suis juste pas d'accord avec toi parce que c'est comme tu l'as dit : c'est pas mon caractère. J'ai vu trop de fois les gens accusés sur pratiquement rien et finir dans le sang. Je peux pas faire pareil. J'ai besoin de temps. D'ailleurs, je sais toujours pas quoi penser de ce Salomon. Je le saisis toujours pas bien...

Il renifle comme un enfant ensuqué de chagrin qui tente encore d'en juguler les vagues.

- Moi, j'ai cru que parce que je pouvais pas m'énerver comme toi, je valais pas mieux que les "putain de monstres" que tu détestes. Son timbre déraille malgré lui. J'ai cru que tu me détestais d'être ce que je suis... Je peux pas changer ce que je suis, ni affirmer que le Lounis que tu aimes c'est un humain. J'en sais rien !
Aveu d'impuissance.
Il fixe la forêt pour éviter de croiser son regard, se pinçant les lèvres comme pour ravaler chaque larme malgré la brûlure du sel sur sa gorge.

- Comment tu peux croire quelque chose comme ça ?
Elle hausse les épaules. Facilement. Trop facilement.
- Parce que personne n’a jamais été vraiment derrière moi, ni même vraiment à mes côtés, Lounis.
- Je juge pas, je suis personne pour juger : ça vaut pour toi ou pour Salomon Grass. Je peux pas me faire un avis sans savoir un peu mieux... Jamais je t'ai demandé de faire comme moi ou de penser comme moi... Je suis désolé si c'est ça que j'ai laissé croire. Je t'estime trop pour penser des choses aussi dures et mauvaises, juste parce que tu te mets en colère. Elle est normale ta colère et je comprends pourquoi elle existe.
- Et pourtant, tu ne me la pardonne pas. Ni la violence qui m’habite parfois. Pas entièrement.
Inexcusable. C’est bien ce qu’il a dit.
- C'est pas parce que je suis pas d'accord avec toi et que je le dis que je te rejette ou te condamne, Lexi. Je suis juste pas d'accord avec toi parce que c'est comme tu l'as dit : c'est pas mon caractère. J'ai vu trop de fois les gens accusés sur pratiquement rien et finir dans le sang. Je peux pas faire pareil.

Elle se pince fort les lèvres pour ne rien dire. La situation n’a rien à voir avec ce qu’il décrit. Grass a avoué, en a été fier. Que lui fait-il donc de plus ? Mais elle se tait, refusant que le démon lui gâche encore plus la vie.

- J'ai besoin de temps. D'ailleurs, je sais toujours pas quoi penser de ce Salomon. Je le saisis toujours pas bien...
Une fatigue terrible s’abat sur la jeune femme. Elle a du mal à détricoter tout ça, du mal à réfléchir de manière lucide et les pleurs de Lounis ne font qu’ajouter à son bouillonnement émotionnel peu propice à la réflexion.
- Arrêtons de parler de lui… d’accord ?
- Moi, j'ai cru que parce que je pouvais pas m'énerver comme toi, je valais pas mieux que les "putain de monstres" que tu détestes.
- Tu n’en as jamais fait partie… on sait bien que des monstres, il y en a partout.
- J'ai cru que tu me détestais d'être ce que je suis... Je peux pas changer ce que je suis, ni affirmer que le Lounis que tu aimes c'est un humain. J'en sais rien !

Lexi se laisse aller contre l’appuie-tête et ferme les yeux.
- Moi non plus… moi non plus, répète-t-elle d’une voix lasse, à court d’argument. Lentement, elle réouvre les paupières et regarde droit devant elle. Mais je n’ai que toi. Comme tu l’as dit, je n’ai connu que toi. Alors au fond, à quoi ça sert que je me pose la question ? Tout se que je souhaite, c’est que ça ne te change pas. Que tu restes ce Lounis-là, celui d'hier et qui se tient à côté de moi aujourd'hui. Et sur ça non plus je n’ai aucune certitude. Je ne peux qu’espérer. Espérer que la puissance de cette divinité n’ai pas de contre-coût un jour, que les flashs de Psyché que tu as parfois n’influence pas tes sentiments petit à petit… et en même temps, je ne pourrais pas t’en vouloir. Je n’ai aucune idée de ce que tu traverses, aucune idée de ce que ça fait…
Elle cherche la grande main du jeune homme et la sert.
- Tout ce que je peux faire, c’est ça. Et essayer d’y croire. Mais il n'y a que toi pour décider qui tu es. Qui tu veux être.
Elle déglutit pour ravaler son émotion et esquisse un sourire.
- Ca a été une longue journée... et une longue nuit blanche pour elle. Je crois... qu'on a besoin de repos tous les deux.

- Moi non plus… moi non plus. Mais je n’ai que toi. Comme tu l’as dit, je n’ai connu que toi. Alors au fond, à quoi ça sert que je me pose la question ?

Sur ce point, il abonde parfaitement dans son sens. Finalement, la réponse à cette question est-elle véritablement utile pour leur vie de tous les jours ?

- Tout se que je souhaite, c’est que ça ne te change pas. Que tu restes ce Lounis-là, celui d'hier et qui se tient à côté de moi aujourd'hui. Et sur ça non plus je n’ai aucune certitude.
- Mais... Tout le monde change. Même si je suis pas avatar, je peux changer. C'est la vie, c'est grandir. On peut juste accompagner ça, pas aller contre, objecte-t-il.
- Je ne peux qu’espérer. Espérer que la puissance de cette divinité n’ai pas de contre-coût un jour, que les flashs de Psyché que tu as parfois n’influence pas tes sentiments petit à petit… et en même temps, je ne pourrais pas t’en vouloir. Je n’ai aucune idée de ce que tu traverses, aucune idée de ce que ça fait…
- C'est comme... se sentir plus vieux qu'on est tout en étant inexpérimenté de la vie.

Il replie ses doigts amoureusement autour des phalanges de Lexi.

- A mon âge, les garçons savent comment faire avec une fille. Ils ont déjà eu toutes leurs premières fois. Moi, je sais dans ma tête, mais je sais pas ni avec mon corps ni avec mon coeur. Je suis démuni...
- Tout ce que je peux faire, c’est ça. Et essayer d’y croire. Mais il n'y a que toi pour décider qui tu es. Qui tu veux être.
- Je fais de mon mieux...

Est-ce suffisant aux yeux de Lexi ? Cela il l'ignore.

- Ca a été une longue journée... Je crois... qu'on a besoin de repos tous les deux.

Lounis éprouve le besoin souverain de la respirer, de la sentir contre sa peau, comme pour retrouver l'essence primaire de leur lien. Il se penche vers elle et dépose un baiser tout en délicatesse sur ses lèvres. Son nez frotte sa joue et vient se nicher dans le creux chaleureux de son cou. Il y reste blotti, quelques instants silencieux.

Juste elle et lui.
Juste lui et elle.
Hors de cette voiture, la fin du monde.
Il n'en écoute pas le vacarme.