It's like a pain in the chest
Despair, Hangover and Ecstasy
So many people around
We disappoint and let down
And though I'm trying my best
Despair, Hangover and Ecstasy

C'est la dernière lettre.
La moins facile.

Je l'avais laissé de côté en espérant qu'elle s'égare d'elle même. Vœu pieux. Putain de vie en "hard mode". ( L'expression me faisait rire dans ta bouche, elle a des saveurs aigre-douce, désormais.)

C'est la dernière lettre.
Enfin, presque...

Je me suis laissée la possibilité d'aller bâfrer au Gontr'Hamburger, après coup, histoire de noyer l'expérience sous une tonne de café et de crème fouettée, si je suis encore en vie. Il faut bien ça, j'imagine, lorsqu'on a frayé avec un démon de la folie. Ça ou la tonne d'anti-dépresseurs que mon épouse néglige et planque sous son lit.

Le Westside est comme une jungle qui renifle tout corps étranger en son sein. Je ne suis pas "chez moi". Toutes les paires d'yeux hostiles laissées dans mon sillage ne laissent aucun doute sur la question. Ici, c'est le territoire des Heksens : je fais tâche avec mon manteau en feutre de laine bien coupé qui pue le fric et qui cache à peine la machette sanglée à mon flanc. Ceci étant, je dégage suffisamment de mauvaise ondes pour qu'on ne viennent pas me chercher des noises. Aujourd'hui, ne vous foutez pas sur ma route et ne me faites pas chier ! J'ai pas le temps et j'ai l'humeur sale.

J'arrive aux abord de l'entrepôt indiqué par le diligent Asmodée ( son "Beau Papa" me hérisse étrangement de frissons désagréables à chaque fois que son nom coule sur le tapis de ma mémoire.) Ça m'a tout l'air d'être complètement désert. Les habitudes ayant la vie dure, je contourne le bâtiment pour vérifier les entrées, sorties et repérer du mouvement. Rien. Je grimpe sur un gros container pour atteindre une fenêtre. Par le carreau cassé, j'entrevois les goûts décoratifs douteux du propriétaires : pendues par centaines aux poutres de ferrailles , se balancent des morceaux de poupées dézinguées -tantôt une tête, tantôt un bras, parfois plus- bariolées de maquillages furieux. Celles qui ont encore leurs cheveux ont toutes mon admiration, les sévices ont du être odieux.

Sorin en aurait chialé.

Je pousse un soupir à fendre l'âme, paupière close, l’espace d'une demi-seconde pour me donne le courage de pénétrer ce repère de psychopathe. Quand je les ouvres c'est pour me trouver nez à nez avec un visage poupon à l'envers et une ranger de dents blanches.

- Cacat împrastiat ! Que je fais avec un sursaut qui manque de me faire chuter. Je mouline ridiculement des bras pour retrouver mon assise et regarder la jeune fille qui me fait face, les yeux écarquillés.

"Ça", c'est pas Zelan.

Léviathan joue.
Au milieu de l’entrepôt où s’est établi Zelan.
Elle s’amuse à refaire la déco. Comme Chacha fait. Elle sait pas trop ce que c’est la déco et pourquoi il faut des meubles.
Alors elle compose avec qu’elle trouve : des crayons, des poupées et beaucoup beaucoup de temps libre.
Elle ne sait pas bien où est Zelan, en fait, elle s’en fiche un peu. Elle s’amuse trop pour que son esprit soit occupé par quelque chose d’aussi important que où se trouve Zelan.
Zelan lui a dit qu’il avait une fille et que c’était bizarre et que des fois c’était pas gentil une fille. Elle sait pas bien de quoi il lui parlait, alors elle a finit par lui dessiner des choses sur l’âme, c’était plus rigolo. Zelan aussi, il a ri.

C’était quand, ça déjà?

Elle se souvient plus. Elle flotte contre le plafond et elle s’amuse à accrocher des morceau de poupées supplémentaires. Elle trouve son oeuvre magnifique. Elle a des traces de feutres partout et son cauchemar de compagnie aussi. Elle le trouve plus jolie avec toute ses couleurs. Elle l’a appelé Bertrand, parce que ça rime avec Marrant. Et Bertrand est une jolie créature, pleine d’yeux et de papattes, elle a pas de bouches mais elle a une longue queue avec un dard, c’est pratique pour accrocher les morceaux de poupées.

Bertrand s’agite et gronde. Léviathan s’arrête. Elle va caliner Bertrand puis elle passe la tête par le mur, curieuse. Y a un grand monsieur, il est tout gros plein de muscle. Il y a des choses dedans lui qui bougent. Elle a envie de voir ce que c’est mais Bertrand la ramène à l’intérieur. Elle reprend son activité, l’homme est loin dans sa mémoire. Et puis, y a des bruits tout autour du batiment, quelqu’un marche. Elle se cache dans la forêt de poupées au plafond. Elle a un grand sourire. Elle joue à cache-cache!
Elle s’approche de la fenêtre et le gros monsieur est là. Elle lui fout la trouille et ça la fait glousser de rire.

-CHAUSSURE! C’est TOI LA CHAUSSURE!

Il se rattrape, elle le pousse, il retombe, elle le récupère, le pose et file dans l'entrepôt. Elle fait danser les poupées. Elles font une musique qu’elle aime bien. Elle se pend à l’envers, elle fait une tête de poupée et elle observe le gros monsieur.
Et puis elle les voit à nouveau. Les trucs qui bougent en dedans.
Elle s’approche et plisse les yeux, très concentrée.

-Heeeeeeey! Faut laisser sortir! C’est pas gentil hein! C’est comme… Comme si t’avais une thé chantant et que tu laissais pas chanter. Sauf que des fois, le thé chantant, il a mal à la gorge et du coup, faut qu’il se boivent et ça fait des p’tits trous comme ça dans les poches. C’est pas pratique après pour attraper des papillons.

Elle plaque sa tête contre le torse de l’homme.

-OUhouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuh! C’est pas trop serré là-dedans??

Ca grogne, elle l’entend et à cause d’elle, l’homme aussi doit les entendre.

-Haaaaaaaaaaaaaan! Bah, c’est vrai! Il est tout gros! C’pour ça? La pompe à éléphant, c’est sur.

Ces mots semblent avoir les couleurs de l’arc-en-ciel. Elle s’apprête à traverser la peau du gros monsieur pour aller voir ses bébés dedans, ils ont l’air de bien s’amuser, là dedans.

-CHAUSSURE! C’est TOI LA CHAUSSURE!

Bordel de merde, par les couilles de la Bête je...

L'apparition réduit mes efforts d'équilibriste à néant. Je me sens dégringoler, puis empoigné et brusquement le monde n'a plus ni haut, ni bas, ni de référence euclidienne auxquelles s'accrocher. Mon corps explose en particules nanométriques pour se recomposer, essoufflé et au bord de la gerbe, dans une forêt de poupées martyrisées par la rage joyeuse d'un enfant de quatre ans.

Souffle, Vieux Taureau.
Souffle et ferme les yeux.
Tout ça n’est peut-être qu'un mauvais rêve après tout.
J'ouvre un oeil.

Ah, non.

La gosse qui lévite au milieu de ses jouets psychédéliques est toujours là. Elle a les cheveux bleus -coup au coeur - puis soudain jaune fluo, puis rose poney... Je m'ébroue avec un début de migraine. La jeune fille est rousse (Je crois. Peut-être.) Et elle chantonne des génériques de dessins animés (du moins ça y ressemble.).

-Heeeeeeey! Faut laisser sortir! C’est pas gentil hein! C’est comme… Comme si t’avais une thé chantant et que tu laissais pas chanter. Sauf que des fois, le thé chantant, il a mal à la gorge et du coup, faut qu’il se boivent et ça fait des p’tits trous comme ça dans les poches. C’est pas pratique après pour attraper des papillons.

"Si jamais en allant trouver Zelan,
tu tombes sur une gamine aux yeux vairons
parfaitement incohérente…
Garde ton calme."

La voilà qui colle son oreille sur mon torse et, je me rends compte éberlué, que c’est le premier contact que j'ai avec un autre être vivant depuis deux semaines. Déglutition difficile.

- OUhouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuh! C’est pas trop serré là-dedans??
- Sans doute. Je pose une main machinale sur la tête de la femme-enfant et lui caresse son étrange tignasse changeante telle une nappe de pétrole. Elle lève les yeux vers moi : deux prunelles de couleurs différentes. Je ne sais pas comment le faire sortir, c'est coincé.
-Haaaaaaaaaaaaaan! Bah, c’est vrai! Il est tout gros! C’pour ça? La pompe à éléphant, c’est sur.
- Tu en as une ?

Cet échange n'a aucun sens, mais j'éprouve soudain l'envie de rire  à l'idée que, poétiquement, ma tristesse peut être aspirée par la trompe d'un pachyderme.  Je suis planté sous un ciel d'êtres humains en porcelaine défoncée, à converser avec une sorte de fée barrée  qui écoute mon cœur battre et qui pense qu'il devrait prendre l'air.

L'hilarité gonfle, incontrôlable, inarrêtable. J'entends ses éclats péter et rebondir contre les murs de taules, comme sortis d'une gorge étrangère. J'en ai les larmes aux yeux.

J'en chiale.

C'est donc ça, être fou de chagrin.

La main dans les cheveux la fait cligner des yeux. Elle ne sait pas pourquoi mais elle sait que c'est rare. La plupart du temps, ce sont des gens comme Lucien qui font ça. Pas des gens comme le gros monsieur. Y a tout plein de trucs dans le gros monsieur. Ca bouge, ca se tord et ca gronde fort. Elle sait pas trop comment il a fait pour pas les faire sortir comme ça mais ca la rend triste. Derrière, caché, y a Bertrand qui ulule doucement, tout plein d'yeux fixés sur le gros monsieur et elle. Elle sait pas trop pourquoi il se cache. Tant pis. Elle aime bien la main dzns ses cheveux et elle aime bien aussi écouter les trucs dedans. En vrai, elle voudrait faire sortir ses bébés de dedans.

Elle explique au gros monsieur que faut laisser sortir ses bébés. Sa réponse est triste, alors elle le regarde. Et puis elle lui fait un petit calin, comme Alrune lui a montrer. Et finalement, Elle plonge sa main dans son torse comme si c'était un rideau de fumée. Et il se met a rire, il rit a en pleurer et elle, elle rit par mimétisme. Elle rit aux eclats, fort et dissonnant. Le gros monsieur a mal, le gros monsieur a tellement de ses bébé en dedans.

-C'est….


Elle se tait et sa tête se tourne alors que Bertrand sort, feulant. Ses yeux se fixent sur lui, avec ses milles papattes, ses milles yeux et sa queue dard. Il suffit d'un regard de sa mère pour que le «petit» cauchemar s'arrête.

-Laisse le gros monsieur tranquille. Il est gentil! Et pis y a des bébés pour jouer!


Son sourire s'agrandit et petit a petit, il dépasse les limites de son visage. Elle regarde Kaelig et retire vivement sa main de son torse, s'en expulse en même temps une creature informe vers laquelle elle se teleporte.

-TROMPE A ELEPHANT!HA! T'AS VU! GROS MONSIEUR! C'EST MON BÉBÉ A TOI! IL EST MIGNON HEIN!


Elle volète vers lui et pose ses mains sur la tête du gros monsieur.

-wouaaaaaaah. C'est plus serré? Hé! Y a Bertrand y m'aide a rendre jolie et puis, y a Zelan, il est partie alors c'est…. Un… euh.


Son esprit se vide à nouveau, son regard se vide. Elle regarde Kaelig et glousse avant de dire.

-Il pleut dans ta tête. Faut un entonnoir et pis des paillettes!


Elle file entre les poupée suspendues et quand elle revient, elle a perdu perdu 5 ans et elle tient des mouchoirs et une glace guitare. Elle lui tend la glace.

-C'est pour taper les moutons de poussière, sinon après t'as des chiens lion nuls. Oh. Dis, tu veux récupérer ton cauchemar?

Elle sourit, persuadée qu'il voudra bien. Elle les aimes, elle les aime fort.

La gamine a un rire tordu, puissant, qui absorbe complètement le mien. Il finit par étouffer mon hilarité en la gobant comme un moucheron. Puis, elle se fend d'un énorme câlin, tentant d’enrouler ses bras minuscules autour de mon torse sans parvenir à en faire pleinement le tour. La similitude de comportement avec Elie ravive des plaies à peine encroûtées. Je tapote une nouvelle fois sur sa tête... avant d'avoir le souffle coupé.

Sa main vient de pénétrer dans mon torse.

Je me sens touillé comme de la chantilly. J'en viens à m'interroger brusquement sur ma propre tangibilité. Suis-je réellement là ? Suis-je endormi ? Je regarde la gosse avec un air triste. Peut-être qu’elle m'assassine ? C’est une mort très douce en tous les cas.

Je deviens fou.

Mieux vaut fermer les yeux et attendre que ça passe. Tout passe.

-C'est…. Laisse le gros monsieur tranquille. Il est gentil! Et pis y a des bébés pour jouer!

J'ouvre brusquement les yeux. Mouvement de recul instinctif. Je contemple la bestiole ridicule et hideuse. On dirait un dessin d'enfant grotesque qui aurait pris vie. Ma pogne s'est portée par réflexe vers le manche de mon arme, sous mon manteau. Pour autant je ne fais rien. J'ai l'impression que la gamine tient mon coeur entre ses mains. Un faux mouvement, un geste mal perçu et il explose en pulpe. Je me ravise et ne fais rien.

Rictus du Chat du Cheshire

Je ne fais pas une bonne Alice, tu sais ?

Hoquet de surprise.

Tu m'arraches quelque chose à moi, quelque chose d'intime, quelque chose que je chérissais dans les tréfonds de ma petite névrose.


-TROMPE A ELEPHANT!HA! T'AS VU! GROS MONSIEUR! C'EST MON BÉBÉ A TOI! IL EST MIGNON HEIN!
- ... "mon" bébé ? Et le tien ? ça...

Hébétement. La demoiselle lévite pour m’ébouriffer la caboche. L'absurdité de toute cette situation me pousse au bord du précipice un peu plus. Je suis repris par un ricanement caquetant. Comme métaphore de ma paternité merdique on ne fait pas mieux. Mes enfants sont donc tous condamnés à être des monstres par ma faute.

-wouaaaaaaah. C'est plus serré?

Je me touche la poitrine. Je me sens effectivement plus léger, mais pas soigné pour autant. Combien de monstre se cachent sous ce torse ?

- Hé! Y a Bertrand y m'aide a rendre jolie et puis, y a Zelan, il est parti alors c'est…. Un… euh.
- J'étais venu pour lui rendre visite. J'ai une lettre à lui remettre. Tu ne sais pas où il....
-Il pleut dans ta tête. Faut un entonnoir et pis des paillettes!
-...... J'ai perdu l'étoile qui me fournissait en paillettes. Silence. Ecoute, c'est important que je trouve Zelan, c'est à propose de sa fi...

La voilà repartie. Elle ne m'écoute plus. Elle sautille sur un autre sujet et d'âge en âge.

-C'est pour taper les moutons de poussière, sinon après t'as des chiens lion nuls. Oh. Dis, tu veux récupérer ton cauchemar?

J'ouvre la bouche complètement largué. Respirons. Tâchons de persévérer.

- Si je récupère mon cauchemar, tu veux bien faire quelque chose pour moi en échange ? C'est comme un jeu, tu vois ? Tu me confies quelque chose, je te confie quelque chose : c’est un peu notre pacte secret.  Ok ?

Je sors l'enveloppe de ma poche.

- Ici j'ai les souvenirs d'une véritable étoile filante. C'est Zelan qui l'a lancée dans le ciel autrefois, et je l'ai rattrapée quand elle est tombée. Elle m'a fait promettre de lui rapporter cette lettre. Mais personne ne peux l'ouvrir à part Zelan, sinon toute la poussière d'étoile risque de s'échapper de l'enveloppe, tu comprends ?

Et puis finalement, je demande machinalement :

- Comment tu t'appelles ?

Léviathan aime bien le gros monsieur avec pleins de cauchemars dedans. Elle l’aime bien parce que même s’il a peur et qu’il la trouve bizarre, il est pas en train de fuir. Et il a pas attaqué Bertrand avec le bidule coupant à sa jambe. Elle a sortie un des cauchemars de son torse et le regarde se redresser alors qu’elle lui explique que Bertrand l’aide à rendre l’endroit plus beau. Puis elle regarde le gros monsieur et lui dit qu’il lui faut des paillettes.

-....J’ai perdu l’étoile qui me fournissait en paillettes.

Etonnamment, Léviathan l’écoute attentivement. Il a l’air beaucoup plus triste et elle aussi, du coup. Elle aussi on la fournissait en paillette.
C’était son grand frère. Elle se souvient de ça. Le reste, elle a oublié. Mais c’était pas une étoile, en tout cas. Il a eu de la chance d’avoir une étoile. Elle écoute pas la suite et file très vite en sautillant pour revenir avec une guitare glace qu’elle lui tend. Il la regarde avec de grands yeux et une grande bouche puis elle réalise que c’est son cauchemar à lui et qu’il a peut-être envie de le garder.

-Si je récupère mon cauchemar, tu veux bien faire quelque chose pour moi en échange?

Elle cligne des yeux.

-Bah… C’était pas bien de l’enlever? Y fallait pas?

Elle se mordille le bout du doigt et s’asseoit sur Bertrand qui la tapote avec son dard.

-C’est un peu comme un jeu, tu vois ?

Elle se redresse immédiatement et tournoie autour du gros monsieur.

-J’joue! J’joue! J’joue!

Elle rigole et s’asseoit sur la tête du gros monsieur et se penche pour lui faire face. Elle a un énorme sourire sur le visage.

-Tu me confies quelque chose, je te confie quelque chose : c’est un peu notre pacte secret. Ok?
-Un pacte secret! Rien qu’à nous! Ouaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaais!

Elle est un peu triste. Parce qu’elle oublie tout et qu’elle sait ça. Et elle est pas très forte pour s’occuper des trucs. Mais elle veut jouer alors elle hoche la tête, sourcils froncés, déterminée à jouer à ce jeu qui à l’air d’être marrant.

Elle regarde l’enveloppe avec écrit Zelan dessus. Elle tend les mains vers la lettre mais ne l’atteind pas.

-Ici j’ai les souvenirs d’une véritable étoile filante.

Elle descend de la tête du gros monsieur et elle flotte en face de la lettre. Ses yeux vairons fixés sur le papier, elle louche.

-C’est Zelan qui l’a lancée dans le ciel autrefois, et je l’ai rattrapée quand elle est tombée.
-Y m’a même pas appelée pour la lancer! C’est nul!
-Elle m’a fait promettre de lui rapporter cette lettre.
-Y a quoi dedans la lettre?
-Personne ne peut l’ouvrir à part Zelan, sinon toute la poussière d’étoile risque de s’échapper de l’enveloppe, tu comprends.

Au début elle a failli être déçue et puis elle comprends. On lui confie une mission importante. Alors, elle sort son air le plus sérieux de sa poche et se le colle sur la figure. Elle se tient toute droite et vieilli un peu.

-Oui! Pas la poudre dedans le monde! Dehors que quand c’est Zelan! Sinon… Sinon, c’est triste?

Elle baisse les yeux pour refléchir en se mordillant le doigt.

-Pourquoi c’est triste. L’étoile, elle est toooooooooombée. Pouf. Et...hmmm… Oh!

Elle regarde le gros monsieur puis ses cauchemars.

-C’est l’étoile à paillettes, gros monsieur?

Et là, elle comprend l’importance de la mission. Alors elle a envie d’aller donner l’enveloppe à Zelan. Elle a envie de voir la poussière d’étoile mais elle pourra pas si c’est pas Zelan. Sauf si elle oublie mais elle est persuadée qu’elle oubliera pas.

-Comment tu t’appelles ?

Elle sourit de toute ses dents.

-Chais pu. Mais y a les gens, ils m’ont trouvé un prénom et j’l’aime bien alors j’le garde. Ca compte?

Elle va chercher le cauchemar du gros monsieur et le porte comme un gros chat. Elle s’approche de lui à nouveau, souriante. Sa tenue a changer, c’est une tenue de facteur aux couleurs hallucinogènes.

-C’est Léviathan mais les gens que j’aime bien, ils m’appellent Lévy et t’es gentil alors t’as le droit.

Elle pose le petit cauchemar entre elle et le gros monsieur. Il vient se frotter à la jambe de son propriétaire.

-Eh! Y t’aime bien! Tu veux le reprendre alors?

Elle regarde son torse.

-Tu sais, mes bébés, ils sont pas méchants, en vrai. Les gens, ils comprennent pas qu’ils sont pas méchants. Y veulent juste dire des trucs qui font peur mais qui faut savoir. Y font pas peur pour rien. Moi, j’aime bien faire peur pour rien, mais eux, y sont pas comme ça. T’en as beaucoup, beaucoup. Peut-être que faut que je les sortes tous? Mais moi, j’crois tu devrais les écouter, tu vois?

Elle a un sourire timide. Elle sait que jamais personne ne l’écoute. C’est pour ça qu’elle protège ses bébés.Elle n’est cohérente que quand il s’agit d’eux, quasiment. Elle s’accroupit et gratouille le petit cauchemar. Il ressemble à une drôle d’étoile à roulette couverte de dents et de sang. Elle sort un feutre orange et elle dessine un petit coeur dessus. Elle regarde le gros monsieur.

-Comme ça, tu sais qu’il t’aime bien quand tu le vois!

Elle les aime tous, du fond de son coeur et du fond de sa mémoire trouble.

-C’est l’étoile à paillettes, gros monsieur?

Je déglutis péniblement, en hochant la tête.

-Comment tu t’appelles ?
-Chais pu. Mais y a les gens, ils m’ont trouvé un prénom et j’l’aime bien alors j’le garde. Ça compte?
- Ça compte. Confirmation tranquille pour question délicieusement enfantine.
-C’est Léviathan mais les gens que j’aime bien, ils m’appellent Lévy et t’es gentil alors t’as le droit.

J'écarquille les yeux. Je m'empresse de fermer la bouche et de ne pas trop attester de ma surprise. Un Prince démon. Cette gamine aux allures de licornes est un prince démon ! Rien de moins que la Mère des Cauchemars de de la Folie. Deux princes démons en liberté dans la même ville. J'en viens à me demander si Tyr na Nog n'est pas construite sur une bouche de l'Enfer. Et si la menace prédit par Selen venait effectivement de là ? Asmodée semblait tout aussi préoccupé que nous par la brume de l'Eastside.

Et pour une raison que je ne m'explique pas,
je le crois.

- Lévy, c'est simple à retenir. Moi, c'est Kaelig.

Avec circonspection j'observe le petit machin dégueulasse se frotter à mes jambe comme un gros chat.

-Eh! Y t’aime bien! Tu veux le reprendre alors?

Ma réponse reste coincé dans ma gorge, un peu comme mon corps reste pétrifié devant la démonstration d'affection. L'archi-démone se sent alors obligée de préciser :

-Tu sais, mes bébés, ils sont pas méchants, en vrai. Les gens, ils comprennent pas qu’ils sont pas méchants. Y veulent juste dire des trucs qui font peur mais qui faut savoir. Y font pas peur pour rien. Moi, j’aime bien faire peur pour rien, mais eux, y sont pas comme ça. T’en as beaucoup, beaucoup. Peut-être que faut que je les sortes tous? Mais moi, j’crois tu devrais les écouter, tu vois?

Comme une enfant, littéralement, Léviathan dispense sa sagesse. Son discours sonne étonnement juste et -j'ignore pourquoi- m'attendrit. Avant que je ne m'en rende compte, je me suis spontanément accroupi auprès d'elle et je lui caresse la joue.

- C'est plein de bon sens ce que tu dis....

Je regarde l'horrible machin dentu qui ressemble d'avantage à un pancake raté qu'à une étoile et je me force à lui patouner le sommet d'une pointe. Ce n'est pas si désagréable, tout compte fait.

- Tu peux tous les sortir, je leur fais un coucou, et après tu les remets... Je tambourine mon torse... Là dedans, pour que je puisse les garder avec moi. Toi, par contre, tu remets bien la lettre à Zelan. Promis ?

Machinalement je lui tends mon petit doigts pour sceller le deal.

Mais à quoi suis-je en train de jouer ?

Quand Léviathan donne son nom, elle sent la peur montée d’un coup et disparaitre tout aussi vite. Elle penche la tête en regardant Kaelig. Elle se demande bien comment il fait ça. Comment il cadenasse aussi efficacement.

-Lévy, c’est plus simple à retenir. Moi, c’est Kaelig.

Elle sourit de toutes ses dents, même celles en dehors de sa machoire.

-Kaelig gros monsieur!

Il baisse les yeux sur la petite étoile pleine de dents. Elle lui dit qu’ils font peur mais qu’ils sont gentils. Elle essaie d’expliquer ce que personne ne semble jamais vouloir entendre. On ne l’écoute pas, de toute manière, ou très rarement. Elle regarde Kaelig s’accroupir avec elle alors qu’elle caline la petite étoile et la décore pour la rendre plus sympathique.
La main sur sa joue la surprend. C’est pas souvent qu’on est gentil comme ça. Encore moins, qu’on fasse preuve de tendresse à son égard.

-C’est plein de bon sens ce que tu dis…

Elle hausse les sourcils et cligne des yeux, elle est surprise. Il a écouté et il ne trouve pas ça complètement bête. Elle pouffe d’un rire enfantin.

-Tu trouves? Bah, moi je sais mais les gens m’écoutent jamais. Alors que j’dis tout plein de trucs intéressants, j’parie! Même sans faire exprès!

Elle se tait en voyant Kaelig se pencher pour caresser le petit cauchemar. Elle n’arrive pas à croire qu’il le fasse. Elle applaudit quand ça arrive et fait éclater des feux d’artifices. Bertrand vient se caler derrière elle et elle s’assoit sur lui. Il feule de contentement.

-Tu peux tous les sortir, je leur fais un coucou, et après tu les remets… Elle fixe son torse en louchant un peu. Là dedans, pour que je puisse les garder avec moi. Toi, par contre, tu remets bien la lettre à Zelan. Promis ?

Elle regarde le petit doigt tendu de Kaelig et ça lui prend de longues secondes avant de se souvenir de ce qu’il faut en faire. Elle a esquissé un mouvement pour le serrer avec son petit doigt à elle sauf qu’elle ne sait pas bien lequel c’est. Alors, elle se souvient enfin. Elle le gobe puis le recrache.

-Promis!

Elle disparait pour réapparaitre sur les épaules de Kaelig, ses deux mains se posent sur son torse, elle sourit de toutes ses dents.

-T’es prêt?! T’es prêt????

Elle pouffe de rire et plonge ses mains, ses yeux s’emplissent de mille couleurs alors qu’elle concentre son energie pour libérer ses bébés. Ca prend quelques secondes et puis…. Elle les expulsent en cascades du torse de Kaelig.

-T’as vu! T’as vu! T’en as tout plein! Faut les écouter, hein! Y faut pas les garder comme ça.  Wouaaaaa! Y z’avaient envie de sortir.

Elle regarde les petits cauchemars s’égayer autour de bertrand et de Kaelig.

-Y sont mignons mes bébés….

Mon auriculaire disparaît dans un "pop" de bouchon de champagne entre les dents de la Démence. J'use de tout mon self-control pour réprimer un frisson de terreur et une envie de hurler. Léviathan consent à recracher mon doigt qui nage tel un poisson rouge dans le rien avant de se ressouder à ma main.

-Promis!

Elle s'escamote, démon de la bougeotte, pour se couler sur mes épaules. Déglutition. Ses paumes électriques picotent sur mon torse.

Gueule pas, mon vieux.
Tu es une putain de statue.
OK ?!

-T’es prêt?! T’es prêt????

Non.

- Oui.

Je ferme les yeux sans m'en rendre compte. Réflexe puisé dans l'enfance. Si je ne vois pas, personne ne me voit. Erreur fatale. Les sensations n'en sont que plus intenses. Lévy trifouille dans la mélasse miasmatique de mon âme. Je saisi toute mon essence brusquée par les pieds tapageur d'un gosse qui joue dans l'eau. La piscine déborde. Tout dégorge. Je me vomis spirituellement et ça me laisse terriblement nauséeux. Sur la fin, je ne peux empêcher un gémissement de passer mes lèvres. Paupières qui papillonnent.

Ils sont là.

Hideux, difformes, certains grotesques et pathétiques, d'autres inquiétants. Mes regrets, mes deuils, mes rêves abandonnés. Le plus massif d'entre eux est un énorme taureau noir percé de machettes runiques et qui en lieu et place du visage, a la gueule déformée de mon père bavant sa propre hémoglobine. Un autre de ces cauchemars est une araignée au ventre bombé, doté d' une chevelure de fils kilométrique et d'une bouche humaine peinturlurée de rouge. Elle dorlote dans ses mandibules, un cœur saignant langé dans un cocon, tel un poupon ridicule. Il y a cette poupée de chiffon avec plusieurs têtes et membres cousus qui sautillent, le corps pris dans un énorme gant de boxe... Ils sont si nombreux que j'en ai le tournis.

Je reste pétrifié devant le spectacle de ma propre folie.
Une vie d'échecs et de mauvais choix.

-T’as vu! T’as vu! T’en as tout plein! Faut les écouter, hein! Y faut pas les garder comme ça.  Wouaaaaa! Y z’avaient envie de sortir. Y sont mignons mes bébés….

Les mots restent coincés dans ma gorge. Je demeure muet, à bout de nerfs et de fatigue. Les larmes coulent sans tarir.

Et je n'ai pas d'éponge.
Je l'ai jetée.

Quand elle prend son doigt, il se passe encore ce drôle de truc. Un pic de peur intense et puis… Rien. Absolument rien. Elle relâche le doigt, elle n’y fait pas si attention que ça. Elle a trop hate de libérer les cauchemars de l’intérieur du gros monsieur. Bertrand frétille, lui aussi, il a hâte de faire leur connaissance. Elle se jonche sur le dos du Gros Monsieur et lui demande s’il est prêt avec l’excitation enfantine d’un soir de Noël.
Elle plonge ses bras dans son torse quand il dit oui et agrippe tout les cauchemars qu’elle peut. Ses doigts se font tentacules, serres, ils s’égarent dans les moindres recoins de l’âme du Gros Monsieur. Elle fait tout sortir d’un coup. Elle ne voit pas le mal. Elle n’imagine pas un seul instant le problème que ça pourrait poser. Alors, quand elle les rencontre, elle volète autour d’eux, extatique. Elle rapetisse et se fait enfant sans même s’en apercevoir et gratifie chacun des petits cauchemars - car ils sont tous petits, pour elle - d’un calin affectueux et d’un bisou bruyant. Le manque de réponse du Gros Monsieur la fait s’arrêter.

Il regarde ses cauchemars et cette fois, elle ne sent pas ce pic et cet arrêt brusque. Elle ne sent qu’un flux constant et puissant.
Elle cligne des yeux et s’approche un peu. Il pleure. Elle comprend qu’il pleure. Elle a compris ce que c’était de pleurer, il y a longtemps mais elle ne comprend pas la raison. Elle s’approche en flottant, un doigt dubitatif coincé à la commissure de ses lèvres.

-... Gros Monsieur Kaelig, t’es cassé?...

Elle est inquiète d’avoir cassé son nouvel ami alors qu’il lui a confié une mission importante pour un jeu qui a l’air rigolo. La poussière d’étoile filante pailletée. Elle se souvient. Il faut la donner à Zelan, parce que c’est important mais elle sait pas bien pourquoi. Elle est très près du Gros Monsieur et il ne dévie toujours pas le regard des monstres. Elle se retourne vers Bertrand qui la dévisage sans comprendre non plus. Il hausse ce qui lui sert d’épaules et Léviathan se retourne vers le Gros Monsieur. Elle hésite un moment sur la marche à suivre et puis elle colle des mouchoirs multicolores sous les yeux de Kaelig.

-Tu fuis. Pourquoi tu fuis? Eh? Tu voulais pas vraiment les voir, hein?

Elle comprend un peu qu’il se passe probablement ce qu’il se passe à chaque fois. Elle fait un petit calin au Gros Monsieur. Elle lance un coup d’oeil à la multitude de cauchemars puis les rejoint. Ils se frottent à elle et réclament une attention qu’elle est ravie de leur donner. Elle le fait plus silencieusement, pourtant, comme si elle essayait de se faire discrète sans parfaitement y parvenir.
Elle se retourne vers Kaelig, visiblement inquiète. Elle s’approche un peu.

-T’es faché? Tu veux que je les remette? J’peux les remettre si tu veux?

Elle panique, ça monte en mayonnaise. Elle n’a pas souvent d’amis à qui parler, des gens qui ne fuient pas en courant en s’approchant d’elle.
Son regard se fait moins changeant, elle regarde les cauchemars.

-C’est trop, hein… C’est pour ça qu’il faut les laisser sortir...

Elle attrappe la petite étoile à roulette couverte de dents et la serre doucement dans ses bras. La petite étoile s’est mise entre le Gros Monsieur et les gros cauchemars. Elle crachotte une lumière maladive. Elle l’approche du Gros Monsieur.

-Pourquoi tu transformes tes rêves en cauchemars, Gros Monsieur?

Elle est confuse et un peu inquiète qu’il décide de devenir méchant parce qu’elle n’a pas été sage. Même si elle ne comprend pas ce qu’elle a fait de mal.

-... Gros Monsieur Kaelig, t’es cassé?...

Gorge serrée, les mots ne sortent pas. Ils font grève. Je n'ai jamais été plus éloquent que par mes silences, de toute façon. Brusquement confronté à la personnification de mes erreurs, j'ai du mal à les nier. La Vérité est là, indécrottable, défoncée, tordue et pourtant toujours accrochée à mes godillots usés.

Je ne peux plus t'ignorer, curva.

-Tu fuis. Pourquoi tu fuis? Eh? Tu voulais pas vraiment les voir, hein? T’es faché? Tu veux que je les remette? J’peux les remettre si tu veux?

Je tourne lentement mon regard vitreux, détrempé, vers Léviathan. Plomberie à chier, petite, tu as bien raison. Les mots font leurs sucrés, une fois de plus. Et la gamine s'agite et s'inquiète. Là, comme ça, elle a presque l'air humaine. Gosse désemparée. Touchante. Une princesse démon se fait du mauvais sang pour moi, si ça n'est pas un comble, je ne sais plus ce que c'est.

Ce monde n'a plus aucune règle.
Mes repères ont foutu le camp.

Nuit existes-tu , seulement ?

-C’est trop, hein… C’est pour ça qu’il faut les laisser sortir...

Vieille habitude de verrouiller, que veux-tu. On jette sous le tapis, on nettoie le parquet bien autour et on oublie. On croit oublier. Les songes ne pardonnent pas. L'inconscient vient te rappeler les croutes sous tes souliers.


-Pourquoi tu transformes tes rêves en cauchemars, Gros Monsieur?
- Parce que chuis con.

Je suis pris d'un vieux fou rire, aussi brusque que mes larmes. L'hystérie est totale et  Lévi ne doit pas y être complètement étrangère. Je pouffe et je chiale en même temps, jusqu'à reprendre mon souffle, mon calme, éreinté.

- ... Un gros con....

Sans trop savoir pourquoi, j'éprouve le besoin de sentir le contact d'un être tangible. J'attrape la main de la gosse et je la sers. On restent comme ça, un peu paumés, un peu choses, moi et mon ballon-fillette.

- Je ne suis pas fâché, que je bredouille finalement. Juste très fatigué. Ne t'en fais pas pour moi, Lévy. Je vais reprendre mes cauchemars, ce sont les miens, après tout. Il me manqueraient s' ils n'étaient pas là. Je pause une main sur ma poitrine. Merci de me les avoir montrés.

Je me dis que la pluie effacera les yeux rougis et les traces de folie. Ce qui est fait, est fait. Et la vie ne s'emmerde pas de savoir si elle continue, avec ou sans moi.

Léviathan panique et le Gros Monsieur ne lui dit rien. Elle croit vraiment qu’elle l’a cassé. Ca ne serait pas la première fois qu’elle casserait quelqu’un sans le vouloir. Elle s’agite alors et il ne bouge pas, il continue de fixer les bébés avec un regard plein de larme. La fuite est là, elle ne comprend pas. C’est lui qui a dit de les sortir. Elle se demande si elle a fait quelque chose de mal pour de vrai. Enfin… Sans vraiment vouloir. Parce que des fois, elle aime bien faire des choses mal mais là elle voulait pas.
Il finit par tourner le regard vers elle et elle sent la terreur latente et d’autre chose aussi. Il lui fait de la peine. Elle voudrait aider mais elle sait pas vraiment comment elle pourrait faire.
Elle regarde la petite étoile et elle sent bien que c’est pas un de ses bébés à la base. Elle lui demande pourquoi il l’a transformé en un de ses bébés.

-Parce que chuis con.

Il se met à rire et Léviathan l’écoute et l’observe. Il se tord dans tout les sens entre hilarité maladive et pleurs cahotants. Elle rit doucement à coté de lui mais elle sait que ça ne lui appartient pas. Elle s’approche un peu, l’étoile toujours dans un bras. Il se calme enfin. Il est pas très bien en dedans, elle le sent.

-... Un gros con…

Il lui prend la main et Léviathan regarde leur deux mains liées. C’est étrange. Elle aime bien mais c’est bizarre.

-Oh… Moi non plus je suis pas très futée.

Elle lui offre un sourire tout tordu.

-Je ne suis pas fâché, juste fatigué.
-D’accord!

Elle est soulagée. Vraiment. Elle aime bien Gros Monsieur Kaelig. Elle sait pas exactement bien pourquoi.

-Ne t’en fais pas pour moi, Lévy. Je vais reprendre mes cauchemars, ce sont les miens, après tout. Ils me manqueraient s’ils n’étaient pas là.

Léviathan regarde à nouveau la petite étoile pleine de dents puis le gros monsieur.

-Merci de me les avoir montrés.

Elle redresse la tête. Elle regarde le gros monsieur, plus que surprise. Personne ne la remercie jamais pour ça.

-Pour de vrai?

Elle regarde à nouveau l’étoile et puis finalement, elle refait un calin au gros monsieur mais il dure plus longtemps. C’est agréable comme sensation et la petite étoile dans ses bras gesticule joyeusement.
Elle s’écarte et regarde la petite étoile. Elle la pose sur Bertrand qui enroule deux papattes autour d’elle. Elle se retourne vers les cauchemars et les transforme en petite boules qu’elle renvoie dans le torse de Kaelig. Ca ne lui prend pas longtemps. Ils rentrent tous avec une gerbe de paillettes.
Elle volète jusqu’à Kaelig et se penche vers lui.

-Dis. J’peux faire un truc avant de remettre la p’tite étoile?

Elle n’attend pas vraiment la réponse. Elle s’approche de Bertrand qui la lui tend. La petite étoile se débat et Léviathan la récupère. Elle plonge sa main dans la créature qui s’attaque à tout ce qu’elle peut toucher.
Pendant un moment, il n’y a que les gerbes de sang étrangement violacé de Léviathan et puis, les petites dents disparaissent, le sang et les dents sont comme aspirés.
Quelques secondes plus tard, le rêve est restauré. Léviathan le replace dans Kaelig.

-... Tu… diras pas, hein? Lulu, il dit que je dois pas faire ça. Parce que sinon ils sont fachés contre moi. Mais… tu préfères la petite étoile comme ça, pas vrai? Moi, j’l’aimais bien avec toutes les quenottes mais c’était pas vraiment un p’tit bébé à moi. Faut pas le ressalir, j’peux pas toujours le nettoyer, tu sais et pis…

Elle hausse les épaules. Elle ne sait pas bien si le cadeau lui plait. Elle regarde la lettre qu’elle a mis dans son petit sac. Elle va s’asseoir à coté de Bertrand. Elle est épuisée, c’est toujours épuisant de faire ce qu’elle vient de faire. Ce n’est pas son domaine, les rêves même si elle peut les frôler parfois. Et puis son bras lui fait mal mais la petite étoile, elle y est pour rien ; elle a du croire que Léviathan allait la tuer et, en quelque sorte, c’est ce qu’elle a fait. Elle baille, Bertrand fait un nid douillet avec plein de papattes.

-Eh, Gros Monsieur Kaelig… Y a des poissons qui nagent dan l’huile, des fois, ils font des arc en ciel et ils aiment bien les étoiles filantes aussi. T’es un poisson d’huile?

Elle a rapetissé à mesure qu’elle parle, elle ressemble à une gamine à peine sortie des couches.

-Zelan, il est pas très gentil, il est même pas là.

Elle hausse les épaules.

-Pour de vrai?
- De vrai, de vrai.

La gamine démoniaque se presse contre ma vieille carcasse pour une étreinte maladroite. J’apprécie le geste, l'effort et sa chaleur surnaturelle. C'est comme serrer contre soi, une étincelle d’électricité.
Les cauchemars font le cheminement inverse. Je suis de nouveau lesté d'un poids familier, rassurant. Mes névroses tant chéries sont de retour au bercail, dans leur écrin de regrets. Je vacille un peu sous la vague avant de reprendre pieds.

Un Taur vit et meurt debout.

-Dis. J’peux faire un truc avant de remettre la p’tite étoile?

Je hoche la tête pour lui donner mon assentiment. Lévy n'écoute pas, elle a déjà son bras dans la gorge de la créature étoilée. La chose lui ronge les chairs jusqu'à l'os et le sang se répand, violet, puis goudronneux, telle une flaque d'huile qui renvoie des miroitements arc-en-ciel. La douleur n'a pas l'air de se refléter sur son minois poupon. L'étoile perd peu à peu ses atours menaçants pour ne conserver qu'une aura bleutée et sereine. Léviathan, elle, a l'air épuisé.

-... Tu… diras pas, hein?
- Promis... Même si notre secret me semble encore un peu flou.
- Lulu, il dit que je dois pas faire ça. Parce que sinon ils sont fachés contre moi. Mais… tu préfères la petite étoile comme ça, pas vrai? Moi, j’l’aimais bien avec toutes les quenottes mais c’était pas vraiment un p’tit bébé à moi. Faut pas le ressalir, j’peux pas toujours le nettoyer, tu sais et pis…
- Je vois.

Les pouvoirs de cette petite sont terrifiants car incommensurables. Si sa conscience n'était pas celle d'une enfant, elle serait infiniment dangereuse. A la voir, comme ça, pourtant, je n'éprouve plus aucun sentiment de crainte. Sans me l'expliquer, je suis pris d'une bouffée de tendresse pour la Folie personnifiée. Je m'assoie en tailleur, auprès de son nid, et lui caresse doucement la tête, comme un père le ferait pour sa gosse qui lutte contre la somnolence.

-Eh, Gros Monsieur Kaelig… Y a des poissons qui nagent dans l’huile, des fois, ils font des arc en ciel et ils aiment bien les étoiles filantes aussi. T’es un poisson d’huile?
- Juste un Taureau nocturne qui porte les étoiles tombées du ciel sur son dos et qui garde leur poussière dorée dans des enveloppes....
-Zelan, il est pas très gentil, il est même pas là.
- C'est pas grave... Toi tu étais là. Repose-toi maintenant.

Éreinté par la déferlante d'émotions, je m'englue à mon tour dans une torpeur doucereuse, à demi-conscient de fredonner une berceuse roumaine de ma voix terreuse.

-Gărgăriţă, -riţă
Zboară în poieniţă
Åži unde oi zbura
Acolo, m-aș odihni...

Gros Monsieur Kaelig, il a pas l’air si content que ça de récupérer son étoile toute propre. Léviathan est un peu déçue mais il bloque toujours tout. Elle a compris ça en sentant les pics et les arrêts soudains. Il promet de rien dire et ça la rassure. Elle ne veut pas se faire gronder. Elle a vraiment mal au bras maintenant. Elle n’en dit rien, elle a arrêté de dire qu’elle avait mal il y a longtemps. Elle a remarqué que ça n’intéréssait personne. Elle ne sait pas bien pourquoi, d’ailleurs. Il n’y a que Lucien qui ne s’en fiche pas mais elle n’a pas besoin de le dire pour qu’il s’occupe de l’endroit qui fait mal.
Lovée dans les pattes de Bertrand, elle a les paupières lourdes de fatigue et de douleur. Elle est toute petite, complètement perdue au milieu du petit nid de pattes. Le gros monsieur s’assoit à coté d’elle et elle le regarde faire et louche quand sa main se dirige vers sa tête. Bertrand, lui, il se demande bien si l’homme va attaquer, son dard lévite pas loin du Gros monsieur, juste au cas où. Il le baisse en voyant les caresses paternelles sur le crâne de Léviathan et son expression surprise. Elle lui demande s’il est un poisson d’huile, c’est important de savoir. Mais non, ce n’est pas ça.

-C’est triste, non? De porter les étoiles qui tombent? Les trucs qui tombent ça meurt, c’est pour ça que je flotte, comme ça j’meurs pas.

Elle sourit un peu, très fière d’elle, et ramène son bras déchiré contre elle. Elle aurait voulu que Zelan soit là pour avoir la lettre de l’étoile qui fait pleurer le gros monsieur.

-C’est pas grave… Toi tu étais là. Repose-toi maintenant.
-Ca suffit, tu crois? D’accord...

Elle s’apprête à dire quelque chose mais le Gros Monsieur se met à chanter alors, elle l’écoute avec des yeux somnolents. Bertrand bouge une patte qui effleure le bras écharpé de Léviathan. Elle l’écarte en gémissant doucement. La petite étoile lui a fait vraiment mal. Elle roule jusqu’à cacher son bras contre elle et Bertrand. Elle se roule en une petite boule.
Elle murmure tout bas pour essayer de s’en souvenir demain.

-L’enveloppe…. A Zelan. Faut pas l’ouvrir sinon y a plus la poussière dedans. Y faut que ça soit Zelan.

Bertrand ulule doucement et ferme tout ses yeux.

-L’enveloppe…. A Zelan. Faut pas l’ouvrir sinon y a plus la poussière dedans. Y faut que ça soit Zelan.
- Il faut que ce soit Zelan.

La gamine et son affreux doudou s'endorment comme des nourrissons. Un regard non averti les trouverait parfaitement adorables. Je ne peux m'empêcher de penser que la Folie en grande enfant a quelque chose de poétique.
Et d’angoissant.

"Gais, innocents et sans coeur"
comme les enfants perdus de Barrie

Le bras grignoté de Léviathan saigne toujours et elle se recroquevillée dessus sans une plainte. Je lui dégage délicatement, la faisant vaguement gémir dans son sommeil. Je sors un mouchoir en tissus -il n'y a que les vieilles personnes comme moi qui disposent de mouchoirs en tissus de nos jours- et je panse la plaie, lui laissant un petit turban assorti d'un nœud qui se colore déjà de son hémoglobine violette.

- Au-revoir, Lévi... Un bécot léger sur son front avant de regagner la pluie.

Car ce n'est pas un adieu.
Je suis bien assez fou pour le savoir.