- Ni l'un ni l'autre, c'est la garniture du lit qui commence à foutre le camp.

Elle tressaute légèrement sur le matelas.
- Une garniture de plumes ? Waouh … c'est un truc de riche ça non ? plaisante-t-elle.

Pendant qu’il cherche l’alcool demandé, Lexi se relève, souffle un bon coup et retire sa veste qu’elle dépose soigneusement sur son sac, restant en simple débardeur fourni par l’armée. Elle garde toutefois son portable sur elle et par habitude enregistre une entrée en se laisse tomber sur le matelas si délicieux qu’elle en soupir.

- Vendredi 13… à voir si ça va me porter la poisse ou non. Si jamais je ne reviens pas de ce rendez-vous, sachez que le dernier endroit que j’ai visité est le Bouc et Mystères et que son proprio est sans doute responsable de ma disparition. Mais je doute que ça arrive. Il a l’air réglo. Note pour plus tard… définir réglo.

Elle a tout juste le temps de stopper son enregistrement et de se redresser en tailleur lorsqu’il revient avec deux verres et une bouteille pleine de promesses.

- Voilà, miss-térieuse !
Lexi glousse alors même que le jeu de mot n’est pas terrible. Il reste plus raffiné que ce dont elle a l’habitude à la caserne. Et son fond de nervosité fait sans doute le reste.
- Je n’ai rien de très « -térieuse ». Merci pour le verre.
- J'ai aussi de quoi fumer, si tu veux.
- Ca ira. Je ne consomme plus ce genre de trucs depuis un moment. Et je tiens à rester un minimum lucide.

Elle attrape le verre entre ses doigts froids et fait descendre l’alcool rapidement le long de sa gorge. Trainée liquide qui la réchauffe un peu de l’intérieur.
- Est-ce que la situation est aussi bizarre pour toi qu’elle l’est pour moi ? demande-t-elle avec un sourire en coin en reposant le verre vide sur la table de nuit. On dirait un peu un genre de première fois maladroit.
Sauf que la sienne s’est déroulée très différemment. Déjà parce qu’elle n’était pas vraiment consentante. Une différence fondamentale.

Les prochaines étapes la laissent parfaitement fébrile. Se mettre sous les draps ? Au-dessus ? Pourquoi se pose-t-elle-même la question ? Ça n’est pas si difficile d’habitude de « se coucher ». Finalement, elle reste là, assise et indécise.

- Et maintenant ? Tu viens me rejoindre ? Elle grimace à sa propre question puis éclate d’un rire libérateur avant de se laisser à nouveau tomber sur l’oreiller, une main posée sur son front, l'autre sur son ventre. Tu sais quoi ? Je vais arrêter de me poser des questions. Fais ce que tu as à faire qu'on en parle plus. Elle est aussitôt secouée d’un nouvel excès d’hilarité. Sexy hein ? Je parie que c’est pas une phrase que t’entends souvent ! Surtout dans ton lit.

- Alors... j'espère bien qu'on va en parler après, qu'on va pas en rester là.
Lexi gigote sur le lit, passe nerveusement une courte mèche blonde derrière son oreille et tente de faire abstraction de la situation.
- Tu veux que je te note après ? Qu’on discute de tes performances… elle glousse en se pinçant les lèvres, consciente de dire n’importe quoi. Pardon, pardon. J’arrête.
- Tu peux poser toutes les questions que tu veux.
- Dis pas ça, sinon on en a pour des heures !
- C'est pas DU TOUT sexy !
- Mmm… je sais pas si je dois me sentir vexée ou non …
- Et... Non, contrairement à la piètre opinion que tu as de moi, le consentement est important, et l'envie est primordiale, surtout dans mon lit.

Elle lève des yeux bien plus sérieux vers les siens.
- Je n’ai pas une piètre opinion de toi. Tu crois vraiment que je serais allongée sur ton lit avec de l’alcool dans le sang si c’était le cas ? ajoute-t-elle avec un petit sourire en coin. Je suis consentante et j’en ai envie.
A nouveau le double sens de tout ça lui donne envie terrible de rire, mais elle se mord l’intérieur de la joue pour ne pas se laisser aller à une hilarité nerveuse.

- On va commencer par la fin, ce sera plus facile.
- Ok.
- T'es prête ?
Elle prend une inspiration, les mains bien à plat sur son ventre.
- Je le suis.

Elle a une brève crispation lorsque les premières images défilent dans son esprit, comme un étrange film qu’elle connait déjà, rendu un peu inquiétant parce qu’il passe à l’envers. Est-ce les mêmes fameuses images que l’on voit défiler devant ses yeux avant de mourir ?
La sensation est étrange, comme être spectatrice de sa propre vie.

Elle ne se souvenait pas d’être restée si longtemps devant la porte de sa chambre avant de se décider à venir ce soir, n’a pas eu conscience de s’observer dans le miroir avec une terrible question dans la tête « Est-ce qu’un jour la femme que je vois là deviendra une inconnue ? »

Les souvenirs défilent sans lien, parfois avec des coupures. Vient sa dernière mission avant TNN, une mission humanitaire en collaboration avec les Casques Bleus au Sud-Soudan, l’attaque soudaine sur un village où les habitants étaient littéralement en train de mourir de faim et qu’ils étaient en train d’aider, les coups de feu, les hurlements, les enfants… Sa mémoire, dans un excès de morbidité terrible a gardé précieusement des images qu’elle aurait aimé ne pas revoir, des horreurs que Lexi s’est appliquées à archiver pour supporter le quotidien ensuite.

Elle se redresse vivement sur un coude, sans se rendre compte qu’elle a attrapé le bras de Baphomet qu’elle sert avec force. Haletante, elle plante des yeux encore hantés dans ceux du maitre des lieux.
- Mon Dieu, c’est… elle le relâche soudain et passe une main dans ses cheveux. Désolée… je… je sais pas si tu vois tout ça aussi… désolée… répète-t-elle, de t’obliger à assister ça…si jamais c’est le cas. Je n’avais pas conscience d’avoir enregistré… autant de détails…

- T'inquiètes, belette, tout va bien.

Tout elle ne sait pas. Elle, pas tellement et la crispation de ses doigts sur le bras de Baphomet en est la preuve.
Quoiqu’il fasse ensuite, elle sent un changement qu’elle n’avait pas noté lorsque tout a commencé. La sensation que « quelque chose » est là, puis n’est plus. Un frisson intérieur qui semble venir de sa tête. Ca n’a rien de désagréable à proprement parler mais c’est parfaitement inattendu et cela ne ressemble à rien de ce qu’elle a déjà expérimenté. Tout cela est accompagné d’une chaleur étrange, comme si elle se trouvait dans un désert en pleine journée.
Son « extracteur de mémoire » se frotte les yeux et elle se demande s’il est éprouvé par tout cela, lui aussi.

- Mon Dieu, c’est… Désolée… je… je sais pas si tu vois tout ça aussi… désolée… de t’obliger à assister ça…si jamais c’est le cas. Je n’avais pas conscience d’avoir enregistré… autant de détails…
Elle s’assoit à nouveau sur le matelas.
- Ouais, j'aurais peut-être dû te le dire, mais je visionne tout. Cependant, il ne faut pas que tu penses à moi en cet instant.
Un petit rire échappe à Lexi.
- Difficile de faire comme si tu n’étais pas là.
- J'suis juste le type qui regarde les caméras et qui enregistre le film. J'suis rien, moi. Ni juge, ni bourreau... T'as pas à t'inquiéter de mes réactions ou même de mon ressenti.

Elle l’observe un moment en silence.
- Je vais essayer. Je peux fumer ?
Lexi n’est pas une grosse fumeuse mais comme toujours lorsqu’elle est troublée ou nerveuse, l’envie de nicotine resurgit brusquement. Une fois l’assentiment donné, elle allume une cigarette avec un plaisir évident et revient s’installer à ses côtés, le dos callé contre la tête de lit.
- Tu préfères que j’aille près de la fenêtre ?

- La vache, t'as l'air d'avoir vécu des putains de trucs quand même...
La jeune femme lui dédit un sourire en coin.
- Je suis soldat, explication qui vaut ce qu’elle vaut. Je n’ai jamais rechigné aux missions dangereuses. Celle-ci… c’était l’une des pires sans doute. L’Homme est une bête sauvage. Parfois on l’oublie, entouré de béton et des dictats de la société. Moi je n’ai pas ce luxe.
Elle tourne légèrement la tête.
- Tu verras d’autres trucs pas très jolis. Des choses que j’ai faites, des choses qu’on m’a faites. Si j’avais su que tu verras tout, j’aurais mis des trigger warning. Ses lèvres esquissent une petite grimace. Désolée, ça ne sera pas la soirée et la nuit de l’éclate.

C’est en disant cela qu’elle se rend compte à quel point sa vie manque de moment heureux. Parfaitement heureux, sans arrière-pensée amère, sans condition.
Triste constat.
Peut-être que sa vie est maudite après tout ?

- C’est finalement bien plus intime que de coucher avec toi, fait-elle avec sérieux. Là, je ne me contente pas de te donner mon corps mais … tout le reste.
Qui elle est, jusqu’à la racine.
- Qu’est-ce que tu ressens toi pendant que tu visionnes… le film ? demande-t-elle, curieuse. Est-ce que tu ressens au moins quelque chose où tu réussis à n’être qu’un spectateur distant ? Ça doit demander une sacrée force de caractère et de volonté pour ne pas se laisser submerger, non ?
Un nouveau rire secoue ses épaules. Elle a toujours été complexé par son rire, il n'a rien de charmant ou de féminin. Au moins, il a le bon goût d'être communicatif.
- Je crois que c'est le retour des grandes questions.

- L'homme n'est pas une bête sauvage. Les bêtes ne font pas cela. L'homme est un gros connard. Point barre.
Surprise par sa véhémence soudaine, Lexi le regarde avec intensité. Sujet sensible devine-t-elle sans savoir exactement à quel niveau.
- Tu as raison, approuve-t-elle avec douceur. Tu verras d’autres trucs pas très jolis. Des choses que j’ai faites, des choses qu’on m’a faites. Si j’avais su que tu verras tout, j’aurais mis des trigger warning.
- T'inquiètes, je te l'ai dit. J'suis rien dans ta vie.

Elle fronce les sourcils, pas foncièrement d’accord sur ce constat.
- C’est faux. Complètement faux même, déclare-t-elle en le regardant toujours. Elle ne saurait pas qualifier exactement ce qu’il est mais s’y essaie. Tu es… le gardien de ma mémoire. Peut-être que pour toi ça ne signifie pas grand-chose. Pour moi c’est… précieux. Excessivement précieux.
Elle laisse passer un silence, un peu embarrassée.
- Tu veux qu'on ait un safe word ?
Sa proposition ne manque pas de la faire glousser alors qu’elle laisse s’envoler la fumée vers le plafond.
- Très bonne idée. Qu’est-ce que tu penses du mot « bouc » ? …Désolée, fait-elle avec plus de gravité, ça ne sera pas la soirée et la nuit de l’éclate.
- Peut-être mais au moins ce sera une soirée unique.
- C’est une certitude. Lexi Hailey en super 8. Un film digne d’Hollywood…  
- Et puis si t'as envie de t'éclater plus tard...
Elle éclate de rire et donne un petit coup d’épaule contre la sienne.
- T’essaies de me brancher, là ?
- Ouais... Bon... OK...
- Je suis un peu… bizarre de ce côté-là. J’ai jamais rien ressenti quand je couchais pour coucher. J’ai besoin de… liens forts avec la personne pour que ça fonctionne. Enfin pour que j'y prenne du plaisir je veux dire. Je crois qu’on m’a trop farci la tête d’histoires romantiques quand j’étais petite, ironise-t-elle.  

La confession est étrange mais de toute façon, il verra des choses bien plus intimes. Plus intime que ce qu’elle a jamais partagé avec quiconque. Elle lui fait d’ailleurs part de ce constat étrange.

- J'suis ouvert à tout ! Mais oui, c'est exact. Mais vraiment, t'as pas à avoir de considération pour moi, j'peux tenir le coup.
- Tenir le coup… c’est quelque chose que je me répète souvent. Ça ne veut pas dire pour autant que ça ne m’affecte pas.
Un flot de question lui échappe malgré elle. Baphomet aura beau dire ce qu’il veut, elle n’est pas à l’aise à l’idée de lui infliger ça sans savoir exactement ce que ça lui fait.
- Je vois ce que ta mémoire voit, avec les déformations et tout ce que ça suppose. Je ressens ce que ta mémoire veut inscrire. Pour ce qui est de la force de caractère, je pense que c'est malheureusement l'habitude qui prime. J'ai vu des choses horribles qui passaient pour de simples souvenirs, des traumatismes qui trouvaient naissance dans le quotidien.
- C’est assez terrible, non ?

Elle pose une main contre la sienne en signe de compassion.
Lexi a toujours eu une empathie et une sensibilité certaine. Trop pour son propre bien sans doute. Ca ne lui a jamais rendu service. Sauf sur scène où elle savait interpréter et transmettre mieux que personne l’élan amoureux, la passion, la folie et toutes ses émotions exacerbées. Quoi qu’il en soit, elle voit bien qu’il n’est pas aussi indifférent à tout ça qu’il vaut essayer de lui faire croire.
La preuve, il s’échappe du lit, fuit son regard.
Et étrangement, ce fait la détend soudain bien plus efficacement que l’alcool et la nicotine réunis. Il a beau se cacher derrière une décontraction certaine, tout cela n’est pas si anodin pour lui non plus.

- Tu veux faire une pause, et me poser tout plein de questions, avant qu'on reprenne ?
- Oui. Je crois qu’on en a besoin tous les deux… Elle le rejoint près de la fenêtre, pieds nus et laisse tomber la cendre sur l’asphalte quelques mètres plus bas. J’aimerais bien que tu me dises qui tu es, que tu me parles de toi… juste retour des choses après tout ? lance-t-elle avec un sourire en coin. Au moins tu pourras enjoliver ton film comme tu le veux.

- Hé bien... Il n'y a pas grand-chose à dire...
Cette entrée en matière amuse Lexi qui se tourne vers lui avec un sourire sur les lèvres. L’extérieur presque immobile en cette fin de soirée est bien moins intéressant que celui qu’elle écoute.
- C’est exactement ce que dirait quelqu’un qui aurait beaucoup de chose à dire. Trouve mieux que ça !
- J'suis juste un type qui a accumulé un nombre incroyable de perversions au fil des ans et qui a décidé de faire découvrir ça au plus grand nombre tout en faisant son métier.
- Mmm, le pitch de film est alléchant, fait-elle en fumant tranquillement.  
- Ça te va ? C'est suffisamment enjolivé comme ça ?
- A toi de voir, mais je trouve qu’il manque une petite musique d’ambiance. Allez développe un peu le scénario…

Il semble hésiter mais Lexi sait patienter et c’est ce qu’elle fait en le regardant comme si elle avait tout le temps du monde.
- La partie la plus triste est que la normalité ne me convient plus. J'ai trop souvent voulu paraître, faire croire, prétendre, essayer de me fondre dans le moule... Rien n'y a fait. Du coup, j'essaie de ne plus trop m'attacher aux gens... en dehors de mon travail, bien entendu... Parce que là, les attaches, je connais.
Le sourire de Lexi se pare d’une profonde compassion et elle laisse échapper un petit rire à sa blague.
- Je comprends. Vraiment… Depuis que je sais être porteuse de la maladie, j’ai arrêté aussi. De faire plaisir aux autres, de vivre une vie qui ne me plait pas… elle échange une œillade avec lui. De m’attacher… Se lier à moi, c’est s’enchainer à une morte vivante. Je ne souhaitais ça à personne.

- Pour le reste, tu veux savoir quoi, précisément ?
Lexi hausse les épaules.
- Ce que tu veux bien me confier. Elle garde un instant le silence avant de demander d’une voix douce. Est-ce que tu te sens aussi seul que je le crois ? Aussi seul qu’elle l’est… Pardon… tu n’es évidemment pas obligé de répondre à ça. J’espère que tu trouveras quelqu’un qui te feras changer d’avis… sur les attaches non professionnelles. Tu as la vie devant toi après tout, déclare-t-elle avec son petit sourire en coin caractéristique.

Elle écrase son mégot et le balance dans un cendrier qu’elle a repéré.

- Tu ne veux pas m’avouer ? Ce que tu es ? Une sorte de magicien ou… Promis, je ne dirais rien. Elle a un petit rire. Personne ne me croirait de toute façon. Et je serais bien bête de vouloir nuire au gardien de ma mémoire.

- Tu sais quoi ? Je prends le risque.
Lexi lui coule en regard en coin puis éclate de rire.
- Ouhh ça, c’est digne d’une réplique de film. Quand tu souris comme ça, on a l’impression que tu prépares un mauvais coup. Sans rire, tu tiens réellement à me voir avec le look "chorées à tout va" suivi de l'immanquable "saison des légumes" ?

Elle non. C’est bien pour ça qu’elle avait décidé de mettre le mot « Fin » à sa façon. Quand elle l'aura décidé.
Pour changer de sujet, elle tente une question plus personnelle. Peut-être trop à vrai dire.

- Non, je ne suis pas aussi seul que tu le crois.
- C’est bon à savoir. Elle lui sourit. Tu m’as pas l’air d’être taillé pour ça. La solitude, je veux dire. Désolée, je fais des jugements comme ça, à l’emporte-pièce. Mais j’ai souvent raison… Un genre de sixième sens. J’espère que tu trouveras quelqu’un qui te feras changer d’avis… sur les attaches non professionnelles. Tu as la vie devant toi après tout.
- Trouver quelqu'un qui me fera changer d'avis ? Je sais pas.
Elle gigote un peu sous son regard pénétrant.
- Qu’est-ce que tu ne sais pas ?
- A dire vrai, je n'ai pas besoin qu'on me change d'avis. J'ai dis que j'essayais de ne pas m'attacher, je n'ai absolument pas prétendu que j'y étais arrivé.
Lexi rejette lentement la fumée de sa dernière bouffée, l’air particulièrement contente d’elle.
- Tu vois, avec toi, je ne me suis pas trompée. Elle tapote de l’index le torse de Baphomet. J’ai tout de suite senti ton petit cœur sensible. Est-ce qu’il y a quelqu’un qui le fait fondre à feu doux ? Elle lui donne à nouveau petit coup d’épaule. Allez, tout bon film à une histoire d’amour. N’oublie pas… romantisme, tout ça tout ça… Ou à défaut… Tu ne veux pas m’avouer ? Ce que tu es ? Une sorte de magicien ou… Promis, je ne dirais rien. Personne ne me croirait de toute façon. Et je serais bien bête de vouloir nuire au gardien de ma mémoire.

- Sais-tu qui est Baphomet, historiquement parlant ?
- J’avoue que non. Je n’avais pas de cours de démonologie à l’école de ballet. Etonnamment. Tout ce que je crois me souvenir à ce sujet c’est qu’il est représenté avec une tête de bouc et qu’il est sensé être laid.
- C'est un être ambivalent qui est né plus ou moins spontanément de plusieurs croyances, aveux, d'un peu de carte de tarot, et de pop-culture. C'est un peu comme si beaucoup de monde d'origines et d'époques diverses avaient pensé, puis oublié, puis s'être rappelé de la seule et même entité.
- Que tout le monde s’est réapproprié à sa sauce tu veux dire ?
Elle ne voit pas tellement où il veut en venir mais a naturellement pris une expression plus sérieuse.
- Il n'a rien de maléfique, ni même de foncièrement bénéfique, d'ailleurs...
- Comme beaucoup de concepts et croyances plus anciens que le catholicisme qui a essayé de nous faire croire que le monde était blanc et noir. Tous ceux avec un peu de jugeote on comprit que tout est gris. Où tu veux en venir exactement ?

Elle pivote pour pouvoir le regarder dans les yeux. Mais Lexi est assez intelligente pour se dire que ce soudain petit exposé sur Baphomet n’est pas là par hasard. Etrangement, elle se sent sereine. Soit c'est l'alcool, soit elle fait bien plus confiance à "son gardien" qu'elle ne le devrait.

L’assurance avec laquelle il déclare vouloir être présent quoiqu’il advienne est… rassurante. Et en même temps, Lexi a connu assez d’abandon et bien trop goûté à l’égoïsme de l’humanité pour y croire vraiment.

- Tu sais comment fini Neo hein ?

Le sujet dévie et la jeune femme insiste pour en savoir plus sur son hôte et gardien. Et toute bonne histoire a forcément une part de romance non ?
- Non, y a personne qui fait fondre cet organe que tu sembles appeler cœur.
- C’est la biologie qui appelle ça comme ça. En fait, réplique-t-elle avec un sourire. Tu en as un aussi. Pour information.
Et elle le soupçonne même d’être bien plus grand qu’il ne l’imagine. Encore une sorte d’instinct.
- J'ai essayé, mais je pense que je ne suis pas un 'homme à marier' parce qu'il semblerait que je n'intéresse personne sur le long terme.
Elle lui offre une œillade pleine de compréhension. Elle trouve sa déclaration terriblement triste et pose une main sur son épaule, la serrant légèrement.  
- J’en doute. Quand… quand j’avais encore un « long terme », mon unique relation amoureuse a duré deux ans. J’étais raide dingue de lui. J’avais seize ans quand on a commencé à se fréquenter. Il m’a jetée parce que… elle se mord la lèvre en se remémorant tout cela. Enfin pas la peine que je dévoile la suite. Elle tourne la tête vers lui et lui sourit. Ça serait dommage de spoiler hein… Mais depuis…rien. Nada. Le calme plat. Tu sais ce que je crois ? Que t’es un grand romantique au fond, toi aussi.

Son regard se fait plus complice quand elle quémande la vérité. Elle souhaite connaitre ce qu’il est puisqu’elle a déjà admis qu’il est bien plus qu’un homme lambda. Le « quoi ? » la laisse perplexe. Et si la manipulation des souvenirs est possible… si la « magie » l’est, alors le champ vient de s’ouvrir à l’infini non ?
Pour autant, rien n’aurait vraiment pu la préparer à la déclaration tranquille de Baphomet.

- ...Il s'avère que je pourrais être le démon Baphomet.
Elle le fixe un moment. Un long moment. Attend la blague, le rire, une lueur dans le regard qui lui indiquerait qu’il se paie de sa tête, mais rien. Le vert de ses yeux reste parfaitement limpide, franc.

- Le dém… tu… quoi ?
Difficile de faire une phrase correcte lorsque votre cerveau turbine sur autre chose.
- Et encore, "démon", c'est un bien grand mot. Quoiqu'il y a des mots plus grands, comme "pharmacie", ou encore "récapitulatif" ! Et...  Je suis quelqu'un qui est apte à manipuler la mémoire des gens, je suis plus âgé que je ne le parais, et j'ai créé ce personnage de Baphomet dans l'inconscient collectif. C'est pourquoi je suis considéré comme étant indigne de confiance. Tu pourrais sortir de ma chambre dans les cinq minutes, persuadée d'avoir fait les pires choses avec moi."
Elle le fixe toujours comme si elle pouvait lire la vérité en lui ou qu’elle la cherchait.
- Tu… tu es… un démon ? baragouine-t-elle. Je crois… qu’il me faut un autre verre.
Déconseillé par sa prudence, nécessaire pour le chambardement qui règne dans son esprit.

- Je ne suis pas seul, mais je me sens seul par la force des choses.
- Tu es … Baphomet. LE Baphomet…
Peut-être qu’à force de le répéter, cela atteindra son cerveau. Elle lui tend son bras nu.
- Tu veux bien me pincer le bras s’il te plait ?
- ...Je pense que maintenant, t'as un peu beaucoup trop de réponses à tes questions, non ?
- Tu plaisantes ??? s’exclame-t-elle en se mettant à bouger de long en large dans la chambre, s’arrêtant de temps à autre pour le dévisager longuement. J’en ai un milliard qui viennent d’apparaitre ! Pas seul… tu veux dire qu’il y en a d’autres ? Comme toi ? Des êtres… démoniaque ? Quel âge tu as ? C’est quoi ta véritable apparence ? Attend… du coup, les anges existent aussi ? Ces conneries de Dieu et de Diable aussi ? Merde si c’est ça, va vraiment falloir que j’améliore mon karma avant de passer l’arme à gauche …

Sa langue va presque plus vite que son cerveau pour balancer ses questionnements à la tête… du démon. Elle s’arrête soudain et se laisse tomber sur le matelas. La jeune femme passe ses doigts dans ses cheveux et émet un gloussement, signe d’un léger craquage. Néanmoins et malgré tout, elle ne ressent pas une once de peur mais plus une sorte de … fascination curieuse.

- Putain ! C'est… c’est une blague hein ? Une caméra cachée ? Comment je peux être certaine que tu ne me racontes pas des cracs ?
Non… c’est trop gros… énorme même pour que ça soit une blague de mauvais goût… Elle finit par se relever et s’approche pour ne s’arrêter qu’à quelques centimètres de lui. Ses yeux inquisiteurs fouillent les siens. Encore. Puis son visage, son corps.
- Tu as l’air si… humain !

Les questions de Lexi ont fusé comme des balles de mitraillettes et pourtant Baphomet prend le temps de répondre à chacune.
- Alors, par 'pas seul', je voulais dire 'pas solitaire'. Mais non, nous sommes effectivement plusieurs avec des capacités diverses.

Son regard se déporte vers l’extérieur, comme si elle pouvait les voir là… dans l’obscurité. Comment font-ils pour rester invisible à l’heure des technologies qui enregistrent tout, tout le temps ? Cela dit si leurs pouvoirs sont aussi puissants que celui de Baphomet… tout est possible ! Cette information est vertigineuse.

- Je ne sais pas mon âge réel.
- Vieux, je suppose, lâche-t-elle avec un rien d’ironie.
- Ma véritable apparence est celle-ci...
Elle attrape la carte entre ses doigts et fixe la représentation dessinée un moment. Elle touche les ailes du bout des doigts.
- T’as eu le droit à un sacré glow up. C’était ça… les plumes dans ton lit ? Elle pivote d’ailleurs vers le meuble. Et ça explique la largeur de ce truc.
- Les anges n'existent pas, tu n'as pas à améliorer ton karma de quoi que ce soit. Ne pactise pas avec les démons, et non, ce que nous avons fait n'est pas un pacte, je te rassure. Je préfère les gens en vie que les gens morts.
- Et les demis-morts ? Ok les anges n’existent pas… mais les démons oui et on évite les pacte.
Une autre question lui brûle les lèvres « Mais le reste ? Il y a d’autres créatures ? ». Néanmoins, elle se tait, préférant assimiler les informations au compte-goutte ayant déjà bien du mal avec l’existence même de celui qui lui fait face.

- Non, ce ne sont pas des blagues, ma caméra n'est jamais cachée, surtout dans ma chambre... et... tu veux quoi comme preuve ?
- Je ne sais pas…
- Me voir prendre ma vraie forme ? Je te préviens, c'est difficilement soutenable et tu risques de partir en hurlant.
Elle hausse les épaules.
- Comme tu l’as constaté, j’ai déjà vu des trucs plutôt moches.

Elle se sent obligée de s’approcher, de le fixer avec insistance. Comme pour s’assurer qu’il est réel. Tangible. Palpable.
- Tu as l’air si… humain !
Elle finit par toucher du bout des doigts le coin de ce sourire.
- Il va falloir que tu définisses humain.
- D’apparence je veux dire.
- Les démons ne sont pas méchants en soi, certains humains sont bien pires.
- Je te crois volontiers, affirme-t-elle sur un ton doux. Peut-être que c’est justement parce que je le sais que je n’ai pas particulièrement peur de toi. C’est ça ou je suis définitivement une idiote qui fait trop facilement confiance.
Ce sont bien plus les implications derrière tout ça qui lui font peur.
- Je peux te départir de cette vérité, si tu le souhaites, ou tu peux la garder pour toi. Personnellement, j'assume qui je suis, et je le dis haut et fort. C'est juste que peu de personnes me croient.
Elle secoue la tête et recule d’un pas.
- Non. J’apprécie que tu me le proposes mais… je préfère savoir. C’est plus… rassurant dans un sens ? Je ne sais même pas pourquoi.
A nouveau ses yeux se perdent vers la ville.
- Le Brouillard… il n’a rien de naturel hein ? Et j’imagine que si personne ne fait rien contre c’est qu’il dépasse vos pouvoirs…
Son regard croise le sien et elle lui sourit.
- Montre-moi. Les ailes… le reste… ce que tu veux en fait. Je te promets de pas courir hors de la pièce. Au pire on montra un bobard comme quoi j’ai eu « les yeux plus gros que le ventre » ou quelque chose comme ça, propose-t-elle avec un petit rire.  

- Ah non, la confiance que tu as en moi est un privilège. Ne me retire pas ça, s'il te plaît !
- Je ne la retire pas.

Lexi lui sourit tranquillement. Lui reviennent en mémoire tous ses films, séries ou livres où les démons sont dépeints comme des créatures imbuvables et incapable de respecter une parole donnée. Alors bien sûr Baphomet pourrait lui mentir, pourrait être en train de manipuler son esprit et la perception qu’elle a de lui. Mais franchement… dans quel but ? Elle n’est pas l’une de ses héroïnes à la con autour de qui tout tourne tout le temps.
Elle fait soudain le lien avec le surnaturel dans lequel elle vient de se jeter à pied joints et le brouillard.

- Le brouillard est une plaie, effectivement. Essaie... de ne pas t'en approcher. Et je sais que tu ne vas pas du tout prendre en compte ce que je viens de dire et n'en faire qu'à ta tête.
- J’ai fait effectivement globalement ce que je veux oui mais tu as tort. Je vais tenir compte de ton avertissement. Un léger frisson dévale sa colonne vertébrale. Et pour être franche, ce truc suinte un truc pas net qui me fiche la trouille. A moins qu’on m’ordonne d’aller là-bas, je n’irai pas.

Lexi émet le souhait de voir à quoi il ressemble vraiment, ou en partie, elle le laisse choisir. Et se trouve surprise de la facilité avec laquelle il accepte.
- Soit...
Elle écarquille des yeux brillants d’une curiosité et d’une excitation certaine, le fixant avec insistance.
- Pour de vrai ?

En guise de réponse, il se lève et dévoile son torse nu. Sitôt les ailes sorties, elle ouvre grand la bouche en se redressant à son tour, fascinée par ses deux appendices faits de plumes. Elle a un mouvement vers lui pour le rattraper lorsqu’il bascule un peu alors même que ses yeux n’arrivent pas à se détacher de la blancheur immaculées des ailes.

- Alors, heureuse ?
Brusquement arrachée à sa contemplation silencieuse, elle émet un petit rire.
- On peut dire ça. Un sourire un peu triste se forme sur ses lèvres. Quand j’étais petite, je pensais que la danse allait me permettre de voler. J’étais loin du compte. Mais ça c’est… Elles sont magnifiques !

Le compliment vient du cœur et ses doigts la démangent de plus en plus de sentir leurs textures sous ses doigts. Sont-elles aussi douces et duveteuses qu’elles en ont l’air ? Sans même qu’elle ne s’en rende compte, elle lève la main et caresse délicatement les plumes. Sa paume et le bout de ses doigts en sont agréablement chatouillés. Son sourire se fait bien plus franc et large, accentué par une joie enfantine.

- Elles sont si douces… c’est dingue ! souffle-t-elle. Complètement dingue.

Lexi n’a aucune idée d’où lui vient cette émotion soudaine qui lui agrippe la gorge. Peut-être parce qu’elle se dit que si un être tel que Baphomet existe, alors les miracles aussi ?
Dangereuse pensée et cruel espoir. Sa route à elle est déjà tracée. Depuis sa naissance.
Elle retire rapidement sa main.

- Désolée… c’est peut-être pas très agréable pour toi… ou intrusif. Carrément intrusif même.
La jeune femme arrive finalement à détourner le regard pour retrouver celui de Baphomet.
- Ca te va plutôt bien, juge-t-elle comme s’il venait d’enfiler de nouveaux vêtements. Tu voles souvent ? Qu’est-ce que ça fait ? D’être là-haut ?

- Nah, t'inquiètes. 10 cm plus haut, juste à la naissance des rémiges, sur l'alule, ouais, là, c'est assez sensible...
Les doigts de Lexi suivent l’itinéraire indiqué, comme une enfant à qui on dirait « Touche avec les yeux » mais qui ne pourrait pas s’empêcher de tâter quand même.
Il a des ailes !!
- Mais non, ce n'est pas désagréable, c'est juste... inhabituel.
Elle arque un sourcil, assez contente de savoir qu’elle est privilégiée dans un sens.
- Je vois.

Elle admire l’extension de l’une d’elle. Vu l’expression sur le visage de Baphomet, il ne fait pas cela pour la galerie. Il a le même air soulagé qu’elle a croisé de nombreuses fois dans un miroir lorsqu’elle étirait ses muscles endoloris par l’entrainement.

- Ca te va plutôt bien.
- Merci.
Elle lui sourit et recule d’un pas, admirant l’éclat d’une blancheur immaculé des plumes qui les font presque briller.
- Tu voles souvent ?
- Pas autant que j'aimerais, malheureusement. C'est que blanches comme ça, je ne passe pas inaperçu. Il y a quelque temps, j'avais déclenché un fanatisme religieux sans le vouloir. Depuis, je suis abstinent, en quelque sorte.
Elle éclate de rire.
- Tu m’étonnes ! En même temps, je me mets à la place des pauvres gus qui t’ont vu volé ! « L’ange Gabriel est venu nous annoncer l’Apocalypse ! C’est la fin !!!! » , tonne-t-elle d’une voix digne d’un trailer de film. T’imagines le délire ? Qu’est-ce que ça fait ? D’être là-haut ?
- J'adore voler. C'est un plaisir enfantin, presque considéré comme quelque chose de frivole et d'inutile, comme un enfant qui monte seul sur un poney pour la première fois. C'est dangereux, il le sait, mais il ne peut pas s'en empêcher.
Elle saisit aussitôt le changement de ton de Baphomet sans en comprendre encore l’origine.
- Franchement, si j’avais la chance d’avoir des ailes, je passerais mon temps loin du sol.
- Je me sens tellement en cage, parfois...
C’est la compassion et un autre drôle de sentiment qui guident sa main vers l’épaule du … démon – il faut qu’elle s’y fasse – qu’elle presse doucement. Elle sait. Elle a été en cage elle aussi. Différemment sans nul doute. Mais le sentiment a été le même.
- Je suis désolée que tu te sentes comme ça. Vraiment. Je sais qu’on ne la voit pas toujours quand on est derrière les barreaux, mais toute cage a une clef. Parfois on sait où elle est mais on ne veut pas la voir, et puis d’autres… elle nous échappe encore. Mais je t’assure qu’elle est là.
Et son empathie naturelle aimerait pouvoir l’aider à la trouver.
- Tu m'apprendras à danser ?
La demande à le don de surprendre la jeune femme qui lâche un petit rire.
- Tu aimerais ? … quel type de danse ? Tu n’as jamais appris pendant ta longue vie ?

Lexi garde le silence un moment puis de l’index, elle redresse le menton de Baphomet jusqu’à ce qu’il pointe légèrement vers le haut.

- Pour commencer, souffle-t-elle, le langage du corps est important. Le menton vers le haut, toujours, fièrement dressé. Jamais baissé. C’est fondamental. Le dos droit, elle passe une main dans son dos, tout près de la naissance de ses ailes et écarte les doigts. Ensuite, elle presse l’autre contre sa clavicule pour l’aider à adopter la bonne posture. Tu m’as dit que tu étais fier de ce que tu étais, non ? De jolies paroles. Maintenant, montre-le-moi.
Elle lui sourit et penche la tête pour juger de ses efforts.
- Mieux… Pourquoi tu veux apprendre à danser Baphomet ?    

- En réalité, je n’en sais foutre rien. Lexi sourit. Ça a au moins le mérite d’être très franc et elle aime la franchise. J’aime bien apprendre de nouvelles choses et la danse m’est toujours apparue comme un truc assez osé, voire intime à pratiquer.

Son sourire s’agrandit.
- C’est tout à fait vrai. Danser c’est un moyen de s’exprimer, de se livrer un peu. Le faire avec quelqu’un ça peut donc être plusieurs choses. Un moyen de communiquer avec cette personne, de s’amuser tout simplement en utilisant le même langage. De séduire aussi, conclut-elle les yeux pétillants d’amusement.

La révérence la fait rire et elle salut à son tour comme si elle était sur le parquet d’une scène et qu’elle venait de finir une prestation.  

- Tu pourrais m’apprendre juste à suivre le rythme des musiques d’aujourd’hui ?
- Oui je me suis doutée que tu n’étais pas forcément intéressé pour des pointes et des grands jetés.
- Juste histoire que je ne sois pas un partenaire trop risible.
- Je suis certaine que tu l’es déjà. Mais je peux oui…
- Sinon, apprends moi le type de danse que tu veux, ou que tu peux.
- On va commencer par un état des lieux, fait-elle en balayant le corps de Baphomet d’un geste de la main.

Elle se rapproche à nouveau et pose ses mains sur ses hanches, rougissant un peu malgré elle.
- Ton centre de gravité, il est là. Tout autour. Et l’équilibre c’est primordial. A toi de voir si tu veux garder tes ailes ou non. Moi elle ne me gêne pas. La danse, surtout à deux, c’est comme beaucoup de chose, comme… dans ton métier je suppose. Il faut voir le sens du rythme et être à l’écoute du corps de l’autre.

Elle empoigne son portable et active la première chanson qui passe à portée de son pouce. Un tempo plutôt facile à suivre. Elle revient vers lui avec la confiance de ceux qui se savent en maitrise de leur sujet.

- Jamais être rigide, reste souple sur tes jambes et balance les hanches en rythme. Ferme les yeux et ressent la musique. En général, on découpe la musique en huit temps.

Elle les décompte puis avec naturel, ses hanches se mettent à onduler, parfaitement synchronisées. Elle glisse une jambe entre celle de Baphomet pour l’aider à caler ses mouvements sur ceux de son bassin. L’élève se montre plutôt doué !

- Pas mal ! Il y a donc un peu de souplesse dans cette vieille carcasse, se moque-t-elle gentiment. Une fois que tu as choppé le rythme c’est plus simple. Laisse toi guider et quand tu te sentiras plus à l’aise ouvre les yeux.

Ils continuent pendant le reste de la chanson, dansant collé serré avec une certaine symbiose. Lexi s’est permise d’enrouler naturellement un bras autour du cou du démon et sourit tout le long, comme à chaque fois qu’elle bouge en musique.
- Comment tu te sens ?

Lexi le sent qui prend plus d’assurance et en sourit. C’est fou à quel point la musique est universelle.
- Ma vieille carcasse t'emmerde.
Elle éclate de son rire franc, un peu étrange à l’oreille mais diablement communicatif puis se penche vers son oreille.
- Susceptible hein ! Avoue que j’avais des raisons de douter de ton déhanché, papy Bapho.

Elle tourne brusquement la tête, le regard attiré par le mouvement de ses ailes qui forment comme une sorte de cocon protecteur autour d’eux avant qu’il ne les rabatte.
- Laisse-les donc ! Ça me dérange pas, elles ont le droit de danser aussi, fait-elle l’âme aussi légère qu’une bulle, comme à chaque fois qu’elle danse.

- Comment tu te sens ?
- Je me sens très bien.
- Tant mieux ! La danse m’a toujours fait plus planer que n’importe quoi d’autre.
- C'est une bonne idée d'apprendre les yeux fermés.
- On n’a pas besoin d’eux pour ressentir la musique, approuve-t-elle. Au contraire… ils nous distraient.

Elle sourit plus largement en le voyant fermer à nouveau les yeux.
- Je te distrais ? demande-t-elle avec légèreté.
Elle ne sait pas exactement si le geste vient de lui ou d’elle, mais ils sont plus proches à présent. Une proximité qui ne la dérange pas, grisée qu’elle est par la musique bien plus que par le seul verre bu cette nuit.    

- Et toi, comment tu te sens ?
Toujours accrochée à son épaule, elle réfléchit à peine quelques secondes.
- Ecoute, j’apprends à danser à un démon millénaire aux ailes blanches dans sa chambre alors qu’il va me sauvegarder la mémoire. Considérant que je vie sans doute la soirée la plus dingue de ma vie, plutôt bien ! s’amuse-t-elle.

Oui, elle s'étonne même d'être aussi bien. Certes il y a la danse. Tout son être la trahie lorsqu’elle bouge en musique, elle semble s’illuminer de l’intérieur. Mais il y a autre chose qu'elle ne saurait expliquer. Une sorte d'envie de croquer la vie à pleines dents parce qu'elle a obtenu un sursis et une profonde reconnaissance pour l'être qui rend cela possible.
- Peut-être que je me réveillerais demain matin pour me rendre compte que j’ai rêvé de tout ça… qui sait ?

La musique change et le corps de Lexi se coule naturellement au rythme de la nouvelle chanson, à peine plus lent. Elle repose ses mains sur les hanches de Baphomet pour le guider mais les remonte rapidement en le voyant suivre facilement.

- Tu débrouilles très bien !
La jeune femme créé quelques ruptures, juste pour lui montrer d’autre façon de bouger, voir s’il s’adapte. Elle glisse de quelques centimètres contre lui, languide, puis remonte, ondule aussi bien le haut de son corps que son bassin.
- Le reste viendra avec de la confiance et un soupçon d’initiative et d’impro. Mais tu vas embraser le dancefloor en un rien de temps. J’en doute pas, affirme-t-elle en riant, les deux bras enroulés autour de son cou. Tu m’arrêtes quand tu veux hein ? Sinon je suis partie pour la nuit.

Lexi se retourne souplement pour coller son dos contre Baphomet, le laissant plus libre de ses mouvements aussi.
Elle n’a jamais eu besoin de la foule des soirées pour s’amuser. Donnez-lui de la musique et un partenaire de danse assez dégourdi pour faire son bonheur.
Lexi en oublie presque qu'elle n'est pas venue pour ça à la base.
Pas du tout.