Les images sont confuses, brouillées.
A peine essaie-t-elle d’en saisir le sens qu’il lui échappe aussitôt. Certaines toutefois s’impriment plus durablement dans son esprit.
Elle se voit un moment chevaucher dans les Steppes, sauf qu’elle est adulte et non pas enfant – ce qui n’a aucun sens. Elle voit la Meute se réunir autour d’une petite fille à la bouille adorable et tachetée de son – la fille de Marisol et Colgan ? Hunter à côté d’elle, elle à côté de lui, proches – tout simplement.

Elle remonte petit à petit à la surface et s’étire, à moitié endormie encore toute en venant se blottir plus encore contre cette agréable et peu commune source de chaleur… source de chaleur qui respire.
Brusquement, elle ouvre les yeux qu’elle a douloureux à force d’avoir trop pleuré. Pendant de longues secondes, elle est complètement perdue.
Une faible lueur de fin d’après-midi éclaire le bois et le ciel se teinte déjà de couleurs plus sombres.

Le Silo. C’est là où elle est, à l’abri dans le creux d’un noisetier.

Un cœur bat contre sa joue, un bras rassurant entoure ses épaules et le torse contre lequel elle a dormi monte et descend régulièrement. Pire, elle a passé un bras autour d’une taille. Depuis quand n’a-t-elle pas dormi avec quelqu’un ? Des années. Assez pour réussir à oublier que la chose n’était pas désagréable… Elle lève vivement le menton.

Hunter.

Un sourire tendre éclaire spontanément son visage malgré la situation. Dire qu’il y a encore quelques semaines, il n’était qu’un étranger… Ses traits paraissent moins rudes balayés par l’abandon du sommeil. Plus réservés qu’à la sortie de sa transe éprouvante, ses doigts ne font qu’effleurer sa mâchoire mal rasée. Elle le trouve beau, d’une beauté peu conventionnelle. Elle doit avoir une tête à faire peur…

Et puis la gêne s’invite à nouveau. L’instant de faiblesse est passé, elle doit redevenir l’Ibakha en contrôle, remettre de la distance physique entre eux. Elle ne se reconnait pas dans cette femme bien trop tactile. Que cherchait-elle cette femme-là après tout ?
A être bien.
Elle est bien dans ses bras.

Elle passe une main dans sa masse de cheveux ébouriffés en essayant de se glisser délicatement hors de son étreinte pour leur éviter l’embarras d’un réveil bien trop intime. En vain. A chaque fois qu’elle fait mine de bouger, il s’agite et ressert son étreinte.
Il bouge soudain, papillonne des cils.
Il se réveille.
Elle en profite pour se redresser comme elle peut pour s’échapper de ses bras, le surplombant légèrement. Les cheveux indisciplinés basculés sur un côté, le débardeur baillant, elle ne fait que lui offrir une vision plus sensuelle que voulue, malgré sa mine chiffonnée.

- Salut…souffle-t-elle. Désolée. Je crois que je me suis endormie comme une masse contre toi.
Elle tapote doucement ses pectoraux.
- Tu fais un bon oreiller, Vieux Loup.
Tentative de taquinerie pour revenir à quelque chose de plus léger.

La lune est haute, pleine et belle. Ses rayons baignent son corps d'Homme-loup. Soupir bienheureux. Il s'aperçoit alors que cette douce lumière nocturne, ronde et maternelle, il y a un nourrisson et qu'il l'observe au travers du ventre rebondi de Marisol, étincelante et épanouie. Elle tient la main d'un Colgan qu'il n'a jamais vu aussi heureux de toute sa vie. Toute la Meute est présente, y compris les disparus et les possédés. Certains arborent, comme lui, leur forme mêlée, d'autres l'apparence de leur loup ou de leur humanité.
Une main se glisse dans la sienne. Il tourne la tête et découvre une louve humanoïde au pelage crémeux et au regard d'amande et d'or. Il sait alors être auprès d'Ibakha. Une sérénité profonde l'envahit. Un magnifique sentiment d'accomplissement et de paix. Lorsqu'il pivote le museau vers leur Alpha et leur Déesse, une petite fille trône entre eux, leur tenant la pogne à chacun. Elle a la peau aussi dorée que Ch'aska et les tâches de rousseur de Colgan. Son rire juvénile tintinnabule à ses oreilles alors que la lune, plus proche que jamais les enveloppe de sa bénédiction.

Hunter émerge lentement. Un poids gigote sur lui, sans doute un chat ou un chien venu se blottir à l'ombre de sa chaleur. Il essaie vaguement, dans une semi-conscience, de l'empêcher de tomber. L'effort finit par l'éveiller complétement. Le parfum de l'animal est bien différents des petits êtres errants qu'il a l'habitude d'héberger et nourrir. Plus féminin, subtilement fleuri. Il ouvre lentement les yeux et découvre Ibakha, échevelée et débraillée allongée sur sa personne. "Magnifique" ne peut-il s'empêcher de penser. Il redresse vaguement la tête, et se passe une main sur le visage comme si il n'était pas certain d'être bien réveillé.

- Salut…
- Salut...
- Désolée. Je crois que je me suis endormie comme une masse contre toi.
- La vache... Moi aussi, j'ai écrasé comme un sac...
- Tu fais un bon oreiller, Vieux Loup.

Il a un petit rire grondant et doux.

- J'ai toujours ça comme option de reconversion, si jamais...

Son bras enserre toujours sa taille fine. Il le retire avec un regard d'excuse.

- Pardon... Vague regard autour de lui : la lumière rosissant lui indique qu'ils se sont assoupis pratiquement toute l'après-midi. Merde, qu'elle heure il est ?

Il a une faim de loup mais n'esquisse pas spécialement d'impulsion pour se lever. Disons qu'il profite d'un de ces trop rares moment de répit où le monde semble s'être arrêté pour l'attendre. Il est bien là, en fait.

- Tu fais un bon oreiller, Vieux Loup.
Son rire lui réchauffe agréablement les tripes. Ou est-ce cette apparente douceur de l’instant ? Elle n’en pas connu depuis un certain temps.
- J'ai toujours ça comme option de reconversion, si jamais...
- Bonne idée, approuve-t-elle. Je te ferai des lettres de recommandation.

Il retire alors le bras qui enserrait toujours sa taille et une étrange sensation de vide la prend, accentué par son regard d’excuse.
- Pardon...  
- J’ai pleuré et bavé sur ton torse...je pense qu’on est à égalité niveau dépassement des limites.
Elle lui adresse un vague sourire et profite du moment pour se redresser complètement. Assise, elle remet de l’ordre dans sa tenue en poussant un soupir qui pourrait s’apparenter à de la déception. Le regard dans le vague, ses bras encerclent ses genoux remontés alors que de vagues images de ses songes lui reviennent.
- J’ai rêvé de l’enfant de Colgan et Marisol… c’était une jolie petite fille…

Puis celle de son voyage intérieur refont surface. Celle de la chose monstrueuse qu’elle abrite en son sein… quelque part…
- Je ne suis clairement pas encore prête pour cette deuxième forme… peut-être que je ne le serais jamais.

Pour ça, il faudrait qu’elle s’affronte. Elle. Dans toute son horreur. Aujourd’hui, elle n’en a clairement pas la force seule. Elle se souvient de la volonté d’Hunter de l’accompagner dans ce voyage mais l’idée de se mettre ainsi à nue devant lui parait bien trop intime.

Une silence file, apaisant et troublé uniquement par les derniers chants des oiseaux avant la nuit.

- Merde, quelle heure il est ?
Elle hausse les épaules.
- Quelle importance… le cycle jour/nuit est un luxe qu’on a pas lorsqu’on est enfermé dans du béton sous terre.

Ibakha en avait presque oublié ce détail et la réalité lui parait d'autant plus amère. Cet endroit n'est pas naturel et elle va devoir affronter à nouveau la grisaille des murs et la proximité étouffante des réfugiés. Elle pose soudain une main sur son ventre qui gargouille légèrement.

- Mais si j’en crois les protestations de mon estomac, pas loin de dix-neuf heures.

Depuis la prison, son corps est réglé comme du papier à musique lorsqu’il s’agit de manger. Comme du fichu bétail…

- Je vais y aller avant que ce soit la cohue au Mess. La civilisation s’arrête là où l’Homme à faim. Et c’est épuisant de grogner sur tous ces imbéciles.
Elle pivote la tête vers lui et lui offre l'un de ses rares sourires véritables qui montent jusque ses yeux.  
- Cet après-midi fut…intéressante.

Et elle n'a aucune envie de revenir à une réalité et une routine difficilement supportable. Une réalité qu'elle va devoir accepter pourtant car elle risque bien d'être son quotidien pour les temps à venir.
Ici, avec Hunter, ce constat paraissait moins effrayant.  

- J’ai pleuré et bavé sur ton torse...je pense qu’on est à égalité niveau dépassement des limites.
- Ca s'évapore... fait-il sans s'émouvoir des tâches sur ses vêtements tous plus ou moins salopés.

Les genoux sous son menton et les bras cerclant ses jambes interminables, elle donne l'impression d'être plus juvénile. C'est désarçonnant tant cela détonne avec son attitude habituellement composée et froide. Ceci dit, il la préfère bavante , éplorée ou rêveuse, tout mieux que son masque de distance et de dédain.

- J’ai rêvé de l’enfant de Colgan et Marisol… c’était une jolie petite fille…
- Ah oui ? Etrange... moi aussi. Il contemple les branches du noisetier et caresse son écorce. Les légendes ne sont donc pas infondées.

Ibakha a une expression soucieuse.

- Je ne suis clairement pas encore prête pour cette deuxième forme… peut-être que je ne le serais jamais.
- Ne pars pas défaitiste. C'est un travail sur soi qui prend du temps et plusieurs "voyages" pour s'apprivoiser. Si tu es d'accord, je peux faire en sorte de me "projeter" avec toi dans ton subconscient, mais c'est une incursion qui nécessite une grande confiance en l'autre et je ne suis pas certain que tu ais envie de me dévoiler tout ce qui se trame... Il vient défroisser ses sourcils du pouce à la naissance du nez... là.

La quiétude du lieu les happe une poignée de minutes et ils se laissent aller à un silence confortable.

- Merde, quelle heure il est ?
- Quelle importance… le cycle jour/nuit est un luxe qu’on a pas lorsqu’on est enfermé dans du béton sous terre.

Son ventre produit un gargouillis drolatique qui recourbe les coins de bouche de Hunter. Il lui offre un franc et rare sourire.

- Mais si j’en crois les protestations de mon estomac, pas loin de dix-neuf heures. Je vais y aller avant que ce soit la cohue au Mess. La civilisation s’arrête là où l’Homme à faim. Et c’est épuisant de grogner sur tous ces imbéciles.

Rire grave et vaguement étouffé.

- Je vais te suivre et profiter que tu sois mon éclaireuse. Moi aussi j'ai la dalle... Fait-il en se levant lestement malgré sa pesante carcasse. Il lui tend naturellement la main pour l'aider à se lever et constate qu'elle sait sourire. De vrais sourires.
- Cet après-midi fut…intéressante.
Regard en biais, qui frôle la complicité.
- En effet.

Le vieux loup ramasse son matériel de chaman et le range soigneusement puis les deux loups se rendent d'une foulée commune hors du Silo.

- Je vais y aller avant que ce soit la cohue au Mess. La civilisation s’arrête là où l’Homme à faim. Et c’est épuisant de grogner sur tous ces imbéciles.

A chaque fois qu’il rit, elle ne peut pas s’empêcher de le dévisager, un peu abasourdie après deux ans à se dire qu’il n’en était pas capable. Mais non seulement son rire était chaleureux mais elle se découvrait le pouvoir de le provoquer.
L’idée lui plait.

- Je vais te suivre et profiter que tu sois mon éclaireuse.
- Nounou, éclaireuse… je vais vraiment finir par me faire payer… Comme l’argent ne sert plus à grand-chose. Ca sera en bain.  
- Moi aussi j'ai la dalle...
- Etonnant, déclare-t-elle en acceptant sa main pour se relever.On ne te voit jamais là-bas. J’en étais venue à me dire que tu vivais de travaux manuels et d’eau fraîche. Quoi qu’il en soit…cet après-midi fut…intéressante.
Ils se regardent avec le même petit éclat dans le regard.
- En effet.

C’est donc sur une note plus familière qu’ils quittent le Silo, la faim au ventre. Subtilement, Ibakha reprend un visage plus composé, lance des regards froids aux réfugiés pour qu’ils s’écartent plus encore et éviter tout contact avec eux.
Par chance le Mess n’est pas encore totalement envahi. Mais comme avertie par un même signal, quatre têtes familières déjà attablées se tournent vers eux dans un bel ensemble lorsqu’ils rentrent. Les quatre femmes, très enthousiastes de les voir agitent leurs mains pour leur indiquer de les rejoindre. Ibakha prend les devants, attrapent deux plateaux et se retourne vers le Vieux Loup pour lui en tendre un. Ibakha a un bref et petit sourire roublard qui devrait alerter Hunter.

- Parfait. On va pouvoir manger avec une partie de mes « colocataires » ou comme j’aime à les appeler affectueusement, les petites commères de la Meute. Sois un brave méchant loup. Elles ne mordent pas. Pas aussi fort que moi, conclue-t-elle avant de se préoccuper de son service.

Le menu du soir est sobre et peu engageant mais nourrissant.
Ils s’approchent à peine de leurs congénères qu’une grande blonde, pleine de breloques au cou, aux oreilles et aux doigts se lève. Elle pose ses deux mains sur les épaules d’Ibakha, tristement habituée à ce que Nina ne respecte jamais son espace personnel. Sourcils froncés, elle observe la louve métisse puis agite gracieusement ses doigts autour de sa tête.
- Qu’est-ce qui t’ai arrivé, ma chérie ! Ton aura est toute brouillée, c’est une catastrophe ! Je ferais brûlée une bougie pour apaiser tout ça tout à l’heure dans la chambre.
Ibakha grimace.
- Ca ira…je te remercie.
Nina n’en fera qu’à sa tête de toute façon mais elle se désintéresse bien vite d’elle, heureusement et ouvre les bras pour accueillir Hunter par un câlin très serré sur le côté pour ne pas être gênée par le plateau qu’il porte. Ibakha étouffe un petit rire par une toux.
- Hunter ! Toi ici ! Quelle bonne surprise !! On était tellement inquiète pour toi ! Mais tu as l’air d’aller bien. Ton aura à toi brille bien plus. Vous vous êtes croisés dans le couloir ?
- Laisse-le donc respirer deux secondes, intervient Matilda, elle aussi habituée aux babillages de Nina et qui sert à chaque fois de tampon lorsqu’elle prend trop de place. Elle sourit tranquillement à Hunter. Heureuse de te revoir parmi nous. Comment se passe la vie au Silo ?
- On voulait venir te voir avant mais Ibakha nous a dit que tu avais besoin d’espace alors… déclare Sally en haussant ses épaules.
Nina insiste pour qu’il s’assoit à côté d’elle et Ibakha s’installe en face de lui.
- Vous pouvez être rassurées, il vient de me dire qu’on lui manquait aussi et qu’il n’était pas contre une visite de temps en temps. N’est-ce pas ? demande-t-elle innocemment en levant les yeux vers le Loup, entouré de sa petite cour. Elle pince les lèvres et se concentre ensuite sur sa soupe.
Sait-il au moins comment s’appelle les femmes qui l’entourent de toute leur attention ? Ravie Nina le couve d’un regard excité, une main sur le cœur.
- Vraiment ?
Restée silencieuse, Sasha le fixe, intimidée.
- J’ai entendu que vous vous disputiez avec Colgan l’autre jour.  
Ibakha tourne un regard dur vers la jeune femme.
- C’est toi qui a lancé cette rumeur ridicule de son départ de la Meute ?
- Non ! Bien sur que non, se récrie la jeune femme en rougissant. Mais tu connais l’effet du téléphone arabe…Elle lève des yeux coupables vers Hunter. Désolée, je ne pensais pas que ça prendrait des proportions aussi énormes.

A peine arrivés dans le Mess encore relativement calme, Hunter perçoit immédiatement le fumet de quatre louve de la Meute. Elles agitent les mains d'un air radieux alors qu'il n'est pas fichu de remettre un nom précis sur leur visage.

- Parfait. On va pouvoir manger avec une partie de mes « colocataires » ou comme j’aime à les appeler affectueusement, les petites commères de la Meute.
-... Chouette. Sa grimace dément totalement ses mots.
- Sois un brave méchant loup.
- Deux qualificatifs qui vont rarement ensemble, tu sais ?
- Elles ne mordent pas.
- Elles n'ont pas intérêt.
- Pas aussi fort que moi...
- Toi, c'est différent, déclare-t-il avec un regard pénétrant.

Une fois les plateaux remplis, le duo se dirige vers les quatre pipelettes. Hunter s'arme mentalement pour faire face à l'assaut.  Il faut qu'il retrouve l'identité de ces femmes. Pour le moment, il ne s'agit que de Breloques, Globule, Paisible et Machine.

- Qu’est-ce qui t’ai arrivé, ma chérie ! Ton aura est toute brouillée, c’est une catastrophe !
"Oh, putain..."
- Je ferais brûler une bougie pour apaiser tout ça tout à l’heure dans la chambre.

Le vieux loup se pince les lèvres pour éviter de ricaner. Il perd de sa superbe la seconde d'après.
"Oh, putain!"
Ses yeux s'agrandissent de surprise -et peut-être un peu de terreur aussi- quand Breloques se jette sur lui. Il lâche une oeillade désemparée vers Ibakha qui peut s'interpréter autant comme un appel à l'aide qu'une menace de mort.

- Hunter ! Toi ici !
- Moi, ici. Grogne-t-il un peu sèchement tout en dégageant son bras sans vraiment y mettre les formes.
- Quelle bonne surprise !! On était tellement inquiète pour toi ! Mais tu as l’air d’aller bien.
- Jusqu'à preuve du contraire, je suis toujours en vie et bien portant.
- Ton aura à toi brille bien plus. Vous vous êtes croisés dans le couloir ?

Il ne prend pas la peine de répondre. Cela ne la regarde en rien. Breloques empeste le patchoulis et sa voix haut perchée lui irrite les tympans. Elle a un prénom inversement proportionnel à sa quantité de bijoux... "Anna ? Nolwen ? Naëlle ?  Un truc avec un "n" dedans..."

- Laisse-le donc respirer deux secondes. Il remercie Paisible intérieurement. Son prénom à elle lui revient plus facilement. Elle lui a toujours fait bonne impression les rares fois où ils ont échangé en deux ans : posée, calme, efficace. Heureuse de te revoir parmi nous.
- Merci, Mathilda.
- Comment se passe la vie au Silo ?
- Agréable et besogneuse. Je ne manque pas de travail. D'ailleurs, il faudra que j'évoque le sujet à la prochaine réunion. Il manque de main-d'œuvre pour s'occuper des récoltes et des animaux. Ce serait une bonne chose de nous occuper les mains et une opportunité à saisir pour facilité la vie en communauté avec... les autres.

Il trempe un morceau de pain dans sa soupe et le mâchonne.

- On voulait venir te voir avant mais Ibakha nous a dit que tu avais besoin d’espace alors… assène Globule. "Elle, je crois que son prénom est le même que celui de la poupée dans l'Etrange Noël de Monsieur Jack..."

Le regard d'Hunter coule vers Ibakha. Imperceptible sourire.

- Elle a dit ça...
- Vous pouvez être rassurées, il vient de me dire qu’on lui manquait aussi et qu’il n’était pas contre une visite de temps en temps. N’est-ce pas ?
"Petite traitresse" s'amuse-t-il intérieurement de son manège.
- Vraiment ?
- De temps en temps... Oui. Il appuie bien la nuance.
- J’ai entendu que vous vous disputiez avec Colgan l’autre jour, souffle Machine. Elle, impossible de la remettre.
Ibakha dégaine aussitôt, fâchée.
- C’est toi qui a lancé cette rumeur ridicule de son départ de la Meute ?
- Non ! Bien sur que non ! Mais tu connais l’effet du téléphone arabe…Désolée, je ne pensais pas que ça prendrait des proportions aussi énormes.
- Les rumeurs  et les mensonges peuvent détruire la cohésion d'une meute. lâche le loup abruptement.

Lourd silence.
Hunter reprend la parole avec davantage de rondeurs.

-Nous nous sommes engeulés, c'est juste. Notre Alpha est une tête de con et moi une tête à claques, c'est notre manière de communiquer. Il est possible que cela arrive encore. Désolé que ça ait pu t'alarmer... "Sasha ! C'est Sacha non ?"... La prochaine fois que tu as un doute, Sasha, viens t'en exprimer directement aux concernés. Ce sera plus simple et bien plus éclairant.  

Regard vers sa "Gardienne".
"Je ne m'en sort pas trop mal, si ?"
Il a étrangement besoin de son assentiment.

- C’est toi qui as lancé cette rumeur ridicule de son départ de la Meute ?
- Non ! Bien sûr que non ! Mais tu connais l’effet du téléphone arabe…Désolée, je ne pensais pas que ça prendrait des proportions aussi énormes.
- Les rumeurs et les mensonges peuvent détruire la cohésion d'une meute.

Les paroles d’Hunter jettent un froid sur la tablée. Ibakha finit tranquillement sa soupe comme si elle était imperméable au changement d’humeur. Elle lève simplement les yeux vers Hunter et lui lance une œillade appuyée.
Il reprend alors plus posément.

- Nous nous sommes engeulés, c'est juste. Notre Alpha est une tête de con et moi une tête à claques, c'est notre manière de communiquer.
- Quelle lucidité et quelle sagesse Vieux Loup…on devrait tous prendre exemple sur toi, ne peut pas s’empêcher de lancer Ibakha pour le simple plaisir de l’asticoter, récoltant un regard étonné de la part de Matilda.
- Il est possible que cela arrive encore. Désolé que ça ait pu t'alarmer...

Il semble faire un effort de réflexion et la louve se rend soudain compte qu’il ne se souvient peut-être même plus du prénom de la jeune femme. Accaparées par la présence d’Hunter à leur table, ses comparses ne lui prête aucune attention et elle articule lentement le prénom de Sasha à l’attention du Loup.

- La prochaine fois que tu as un doute, Sasha, viens t'en exprimer directement aux concernés. Ce sera plus simple et bien plus éclairant.  
- Ou mieux encore, réplique Ibakha, ne te mêle pas des affaires des autres, Sasha.
Mortifiée, celle-ci s’excuse à nouveau mais Ibakha connait sa maladive curiosité. Il va falloir qu’elle tempère ses élans. Surtout ici.

Elle croise le regard d’Hunter et lui dédit un sourire en coin.
« Oui tu ne te débrouilles pas si mal… »

Nina babille alors joyeusement : sur l’état de santé de Marisol, sur les réfugiés et… à vrai dire Ibakha ne l’écoute presque pas, se contentant d’échanger des coups d’œil amusés avec Hunter.
- …tu faisais de la danse toi aussi Iba, non ?
- Du pole dance, précise Sally.
- Quoi ? les interrompt Ibakha qui n’a aucune idée de comment la conversation a dérivé sur l’une de ses anciennes activités.
Nina la contemple en gonflant les joues, faussement indigné avant de faire retentir son rire de grelot.
- T’as rien écouté hein…
- Il m’arrive de faire le tri dans ce que tu dis.
Pas le moins du monde offensée, Nina rit à nouveau et réexplique.
- On pourrait proposer des trucs pour distraire les réfugiés. Shareen danse comme une déesse, moi je tire les cartes, si tu acceptais de….
- Tu veux créer une cour des Miracles ?  
- Ca n’est pas si stupide, tempère Matilda. Les humains et les autres réfugiés cesseraient peut-être de nous regarder comme des bêtes de foire ou des menaces. Qu’est-ce que tu en penses Hunter ?
- Sans moi. Ca fait longtemps que j’ai arrêté de me donner en spectacle. Et les barres de pole dance ça ne courent pas les rues. Par contre, je peux reprendre mes cours.
- Oh oui !!! Je commençais tout juste à faire des progrès ! S’enthousiasme Sasha.
- C’est vrai, concède Ibakha.
Nina fait la moue.
- Se battre, tu n’as que ce mot à la bouche Iba…
- Tout le monde n’est pas nourrit à la paix et à l’amour au patchoulis en intraveineuse…

Nina balaie son argument d’un coup de main pleine de bagues et lui tire la langue. Elle n’a jamais voulu apprendre à se battre. Ibakha se demande encore ce qui l’a poussé à devenir Louve. La voisine d’Hunter enroule soudain son bras autour du sien et l’observe avec une lueur dans le regard qui ne trompe personne.

- J’aimerais beaucoup que tu me montres le Silo après dîner, Hunter, déclare-t-elle les yeux dans ceux du Loup, la voix susurrante et coulante comme du miel. La Nature me manque…

Ibakha manque s’étrangler de rire dans son verre d’eau. Nina y va franchement ! On ne pourra pas lui reprocher. Derrière son hilarité, elle décèle toutefois un agacement certain qu’elle dissimule habilement. Nina se penche soudain vers Hunter, perplexe et renifle plusieurs fois.

- Je ne l’avais pas remarqué avant mais tu sens Ibakha à plein nez, comme si...
Elle ne finit pas sa phrase et plisse soudain des yeux suspicieux à l'attention de sa colocataire.

- Quelle lucidité et quelle sagesse Vieux Loup…on devrait tous prendre exemple sur toi...

Il la regarde en biais et hésite une seconde ou deux à lui donner un coup de pied sous la table. Au lieu de cela, il lui pique sa miche de pain.

- La part des Sages, que veux-tu.

Il poursuit la conversation sans trop d'écueils comme le prouve le regard rassurant d'Ibakha. Par contre, il peine à supporter le pépiement incessant de Nina ( il a finalement retrouvé son prénom au détour de sa logorrhée sans fin.) Sa volubilité est ponctuée par de nombreux échanges de regard entre lui et Ibakha. Leur complicité bien que discrète est assez notable pour qui sait regarder et Matilda les observe sans être remarquée, avec la tranquillité qui la caractérise. Hunter est davantage à l'aise en position d'écoute, en retrait des échanges. Il mange donc plus qu'il ne parle et ne réponds que si on le sollicite.

- On pourrait proposer des trucs pour distraire les réfugiés. Shareen danse comme une déesse, moi je tire les cartes, si tu acceptais de….
- Tu veux créer une cour des Miracles ?
- Ca n’est pas si stupide. Les humains et les autres réfugiés cesseraient peut-être de nous regarder comme des bêtes de foire ou des menaces. Qu’est-ce que tu en penses Hunter ?
- Faire un spectacle de cirque pour ne pas être perçu comme des bêtes de foire, c'est un peu... contradictoire, non ? Une grimace et un haussement d'épaules. Ceci étant, Shareen est capable de miracles incongrus... sait-on jamais? Il a un petit rire qui surprend tout le monde. Ne comptez pas sur moi pour faire des claquettes. Très peu pour moi !
- Quel dommage ! Tu serais parfait pour du strip-tease ! claironne gaiment Sally.
-..... Je vais faire comme si je n'avais rien entendu, fait-il en croisant le regard de sa compagne de commentaires silencieux avec un sourire en coin.

Hunter attrape son bol de soupe pour le finir en le buvant directement sans cuillère. Il manque de s'étouffer en sentant le moelleux d'une paire de seins se presser contre son bras. Il lance un regard peu amène à la louve qui roucoule à son bras. Il prend sur lui au prix d'un profond effort, de ne pas soustraire son biceps à cette boite d'encens sur pattes. Il déteste qu'on le touche de manière aussi ostentatoire et familière. La minauderie, très peu pour lui.

- J’aimerais beaucoup que tu me montres le Silo après dîner, Hunter.
- Pourquoi ?
- La Nature me manque…
- Comme à tous, mais tu n'as pas besoin de moi pour visiter le Silo. Il est ouvert à tout un chacun.
- Je ne l’avais pas remarqué avant mais tu sens Ibakha à plein nez, comme si...

Hunter récupère son bras aussi poliment qu'il en est capable. Il commence à s'agacer un peu d'être palpé comme un gigot.

- Je sens ce que je veux. Je n'ai besoin de ne m'en justifier à personne.

Son regard est polaire, son ton sans appel. Il irradie d'une autorité qui avoisine celle de leur Alpha.

- Je sens ce que je veux. Je n'ai besoin de ne m'en justifier à personne.

Le visage tout en douceur de Nina se froisse, heurtée – elle est un véritable livre ouvert. Ibakha soupire, bien moins amusée. Les trois autres louves contemplent Hunter entre ébahissement et crainte.
Tranquillement, Ibakha repose son verre. Coudes sur la table, elle croise ses mains et adresse un léger regard de reproche à son compagnon.

- Ton charme légendaire nous avait aussi manqué, lâche-t-elle avec un petit sourire pour désamorcer la tension palpable qui plane sur la tablée.
Se sentant stupidement coupable alors qu’elle n’a absolument rien fait, elle poursuivit pour sa comparse.
- J’ai passé l’après-midi au Silo et on s’est croisé, c’est tout. Plus l’espace est petit, plus les odeurs se mélangent vite. Tu devrais le savoir. Tu sens l’humain pas frais mais personne ne t’en fais la remarque.
Nina retrouve un semblant de sourire et se permet même un petit rire.
- Oui désolée, c’était…
- Stupide, alors on oublie, statut Ibakha pour clôturer cette discussion.

Pour se faire pardonner, elle tend son cookie sous cellophane – elle n’a jamais eu le bec très sucré – à sa colocataire qui l’accepte avec un sourire gourmand.
La conversation repart presque normalement lorsque Sasha se redresse un peu pour observer un homme accompagné de celle qui semble être sa femme.

- Sally ! C’est pas lui ton régulier là ?
Celle-ci se décompose littéralement et se fait toute petite sur sa chaise. Aussitôt Ibakha pose une main sur le dos de la jeune femme et l’oblige à corriger sa posture.
- Redresse-toi Sally, tu n’as pas à avoir honte.
Matilda qui a conservé le silence tout en analysant la scène s’exclame soudain.
- C’est lui, c’est ça ?
Sally le lui confirme de vigoureux hochements de tête alors qu’Ibakha la dévisage, perplexe.
- Lui qui ?
- Il…il devait quitter sa femme tu vois…explique gauchement la petite brune.
Nina attrape sa main dans les siennes et se penche vers son amie.
- Oh non…Sally.
Le visage d’Ibakha se plisse de compassion.
- Ils ne le font jamais, tu sais bien…
- Ils nous voient toutes comme des cuisses qui s’écartent gentiment quand bobonne veut plus, crache Sasha. Sans offense, Hunter.
- On a toutes un lui , Sally. Et on est encore toutes là, conclut Matilda.

Ibakha mâchoire serrée, fixe le fond de son assiette. Oui elles ont toutes eux ce genre d’expérience. Un homme qui vous traite soudain comme une reine, vous promet monts et merveilles et vous laisse finalement comme une merde parce que vous n’êtes qu’un coup facile et déjà acquis. Pas le genre de femme avec qui on sort au ciné, au restaurant ou qu’on présente à la famille et aux amis.
Après son lui, elle a arrêté le tapin et à trouver une autre activité. Moins dangereuse pour le cœur, plus gratifiante pour sa Nature.

- Il n’y a que Marisol qui a su tirer le gros lot.
Nina frappe soudain dans ses mains.
- Trop de mauvaises ondes ! On s’en fout de tout ça, on a la Meute maintenant ! D’ailleurs…à ce propos, tu es le seul à être né Loup, Hunter non ? Comment c’est ? De grandir dans ses conditions ? Tu t’es transformé vraiment à quel âge ?

Agissant comme si la remontrance de toute à l’heure n’avait pas eu lieu, Nina se tourne vers le seul homme de la table avec une réelle curiosité dans le regard.
Pour une fois, Ibakha remercie son exubérance naturelle et attend les réponses non sans la même envie d’en savoir plus.

En voyant son expression blessée, Hunter est pris d'un certain remord. Il a beau ne pas affectionner les louvoiement et les faux-semblant, Nina semble être une gentille fille, un peu excentrique, pas plus que Shareen en soi.
Il s'est montré rustre. Il faudra qu'il s'excuse.
Avec une fascination certaine, il observe les femmes régler leur problème par la diplomatie, usant de mots et de nourriture. Il se tient à l'écoute de leurs atermoiements d'arpenteuses de pavé. Ces femmes sont mésestimées. Il réalise le courage qu'il leur faut pour vendre leur corps et préserver malgré tout des rêves et des espoirs de "normalité". Pour aimer, tout simplement.
Il se garde bien de tout commentaire, optant pour un mutisme respectueux, là où il n'a guère de légitimité à ouvrir sa gueule de vieux loup.

Nina le fait presque sursauter en claquant brusquement ses paumes.

- Trop de mauvaises ondes ! On s’en fout de tout ça, on a la Meute maintenant !

Cette meute.
Dans bien d'autres, elles ne seraient que des ventres. Il se garde de le faire remarquer. La confiance que ces femelles ont en leur nouvelle famille fait vibrer une corde étrangement sensible chez lui. Il a envie de croire à cette allégation. Les Abyssaux sont un refuge pour les plus démunies.

- D’ailleurs…à ce propos, tu es le seul à être né Loup, Hunter non ?
- C'est juste.
- Comment c’est ? De grandir dans ses conditions ?

Hunter prend un certain temps avant de répondre.

- C'est ... à la fois plus simple et plus compliqué. Les enfants nés-loups ont des instincts plus proches de l'animal que de l'humain. Le Mordu adulte ou jeune adulte, a, en général, conscience de son humanité et elle constitue un frein de conscience dont les enfants nés-loups ne disposent pas. Il est complexe de nous apprendre des notions de limites, de morale, de bien et de mal...La seule loi qui prévaut c'est celle du prédateur et de la proie.
- Tu t’es transformé vraiment à quel âge ?
- J'ai subi les premières influences de la lune dès ma naissance sans forcément que la transformation n'intervienne. Vers mes cinq ou six ans, mes canines s'allongeaient et j'avais souvent plus de pilosité les nuits de pleine lune. Ma première fois de loup, j'avais huit ans et demi, ce qui est plutôt précoce. La moyenne d'âge de la véritable première métamorphose tourne plus autour des dix ans. Et, cela reste douloureux, que l'on soit né ainsi ou qu'on le devienne. Sur ce point la Malédiction de Quilla ne fait aucune différence.

Silence méditatif. Il finit par se lever.

- Sur ce, mesdames, j'ai fini mon plateau. Je vais prendre congé.

Il esquisse un mouvement de pivot pour s'éloigner avant de se raviser. Il se tourne vers Nina avec une certaine raideur qui tient plus de la maladresse que de l'agacement cette fois.

- Nina... Je.. Je m'excuse de m'être montré... désagréable. Je.. Je n'ai pas l'habitude de.. Il montre la tablée et leur petite réunion d'un coup de menton vague... ça. Merci pour... la compagnie.

Il se sent passablement gauche et décide de puiser un peu de soutien dans le regard d'Ibakha. Il n'est cependant pas certain d'y trouver autre chose que de la moquerie. Il est sans doute préférable de prendre ses jambes à son cou, ce qu'il ne tarde pas à faire.

Ibakha n’a pas de plan. Rien de prévu.
L’envie lui a pris soudain.
Ça fait des jours qu’elle subit les bougies et les encens de Nina qui semble plus en forme que jamais depuis qu’Hunter passe plus de temps avec les membres de la Meute. En résulte un babillage constant qu’elle endure comme le roseau dans la tempête. Elle ploie, ne cède pas mais a clairement besoin d’une pause alors que Nina est tombée dans une frénésie de purification qui donne littéralement envie de vomir à Ibakha. Ou de la tuer, au choix.
Mais elle n’a fait ni l’un, ni l’autre.  

Elle veut, non elle mérite, ce petit moment de détente.
Sans trop réfléchir au détail, elle prépare quelques affaires et se dirige, parfaitement résolue vers le Silo sous l’œil éberlué de Matilda qui la voit passer la porte chargée d’un sac.
La louve ne cherche même pas à savoir où se trouve Hunter. Pas trop près puisqu’elle sent bien plus des rémanences de son odeur qui flottent naturellement dans l’air du Silo que la pleine puissance de son parfum.
Une odeur qu’elle commence sans s’en rendre tout à fait compte à associer à des moments de paix et d’apaisement.
Elle ne l'a pas revu depuis l'après-midi et le dîner passé ensemble.
Par pudeur un peu, après ce qui s'est passé. Sans doute pour épargner Nina...aussi. Ce qui est stupide. L'épargner de quoi au juste ? Ca n'est pas comme si il se passait quoique ce soit entre elle et Hunter. Elle lui parle et apprécie sa compagnie. C'est tout.
Ibakha passe beaucoup trop de temps à avoir ce genre de réflexions qui ne mènent à rien. C'en est déstabilisant.
Au-dessus d’elle le soleil a entamé son déclin vers l’ouest. Elle n’a sans doute pas beaucoup de temps devant elle mais s’en fiche.
La porte de la grange passée, elle ouvre celle presque dissimulée de la salle de bain et pousse un soupir de satisfaction. Son premier bain depuis quoi ? Des jours, des semaines…

Elle prend tout le temps de préparer ce moment. Elle a son rituel.
Faire couler l’eau. Chaude. Très chaude. Pour pouvoir rester dans le bain plus longtemps puis y verser du savon liquide – le sel ça gratte c’est une horreur – qu’elle produit elle-même avec de l’essence de Lys qui lui rappelle l’odeur de sa mère.
Allumer quelques bougie – sans odeur merci ! – sur le rebord de la baignoire.
Se déshabiller. Evidemment.
Chantonner. C’est une option.
Relever ses cheveux sur sa tête. Indispensable  
Attendre puis se glisser dans l’eau prête avec un livre qu’elle a trouvé au hasard – L’île au trésor, un classique qu’elle n’a jamais lu.
Profiter enfin…

Ibakha pousse une exclamation de bonheur presque parfait. Ne manque plus que son verre de vin habituel…elle se contentera de ce qu'elle a. La vapeur s’élève paresseusement hors de l’eau dont la température délasse complètement chacun de ses muscles. Un bonheur.
Entourée de mousse et flottant dans son petit paradis, accompagné par le pépiement lointain des oiseaux et le silence absolu, elle se sent enfin bien et entame sa lecture.

some people always struggling
for something that is not
I'll tell you something
now that I'm really just fine
lovin' what I got

Les jours s'écoulent avec une étrange sérénité. Ses heures sont rythmés par la bêche et les semis. A présent, Hunter ne déambule plus sans une ceinture d'outils à la taille. Il commence chaque matinée aux aurores et ne sort du Silo que pour manger et rendre visite à Marisol.
Il se mêle davantage aux siens, apprend à se familiariser avec les femelles qu'il a toujours pris soin d'éviter. Toujours aussi peu loquace, il n'en reste pas moins présent et nul ne peut ignorer son aura princière dans une pièce. Il apprécie les silences en compagnie de Matilda, la curiosité naturelle de Sasha pour apprendre (quand elle ne se traduit pas par des commérages), l'engagement sociale et politique d'Elaena qui anime les repas. Il apprend des rudiments de russe avec Zofia, pays dont il ignore beaucoup des us et coutumes. Les autres découvre certains aspects de sa personnalité qu'ils ignoraient : sa grande culture générale, son gout pour la lecture, sa capacité d'écoute et d'observation, ses connaissances pratiques sur à peu près tout et rien... Il ne parle que si on le sollicite mais n'est pas avare de mots lorsqu'il s'agit de transmission.

Le savoir est la clé de tout.

Il ne déplore que deux choses.
Les incursions intempestives de Nina dont il supporte le babillage avec peine mais endurance. Ca n'est pas une mauvaise fille, elle est simplement épuisante. Il a néanmoins trouvé une alliée en la personne de Sizreïs qui semble apprécier tourmenter la louve hippie dès qu'elle la voit. En remerciement, le Vieux loup prend le temps de chahuter avec la petite Mandragore qui semble l'adorer.
Et puis, l'absence d'Ibakha, qui n'a pas reparu depuis qu'il a quitté la table du Mess quelques jours plus tôt. La louve est sauvage, il ne brusque donc pas de rencontre mais découvre bizarrement que sa compagnie lui manque.

Lorsqu'il finit son gros œuvre, ce jour là, il éprouve un besoin irrépressible d'eau chaude sur ses muscles éreintés. Son odorat se fronce alors qu'il retire son T-shirt en chemin pour sa grange. Un parfum inhabituel de lys flotte dans l'air. "Putain! Pas Nina...J'ai pas la foi là..." Mais il associe très vite la fragrance aux notes fleuries qu'il a pu respirer sur la peau d'Ibakha. Il fronce les sourcils en entrant dans la salle de bain.
Le spectacle est saisissant.
Toute cette buée donne des faux-airs de hammam au décor et un grain vaporeux à cette représentation du bien être féminin absolu.

- Ca va, je ne te dérange pas ? fait-il avec un sourire en coin et un ton railleur, tout en jetant son t-shirt trempé de sueur dans un coin.

Elle le sent avant de le voir, évidemment.
Machinalement, elle enfonce ses épaules dans l’eau. S’il veut la faire bouger de là, il devrait y aller par la force, elle entend bien ne pas se laisser faire.
Il ouvre finalement la porte et une forte odeur de sueur, de cuir et de lui remplit la pièce pourtant saturée par d’autres parfums. Le tout est assez…enivrant.
Elle lève très lentement les yeux de son livre, comme si tout était parfaitement normal et affecte sa neutralité coutumière quand bien même son regard glisse sur son torse nu qu’elle connait pourtant, avec une lenteur qui n’a rien d’étudier.
- Ca va, je ne te dérange pas ?
Son petit air moqueur et son ébauche de sourire fait fleurir le sien.

Il m’a manqué.
Constat étrange.

- Je statue encore…
Elle laisse volontairement couler ses yeux sur le tee-shirt qui a fini en tas sur le sol.
- Si tu laisses ça là, il a des chances que si. Tu sens fort, Vieux Loup. J'essaie de purifier mon nez à défaut d'avoir l'aura "propre".
Le bras qui ne tient pas son livre se pose délicatement sur la faïence comme pour marquer son territoire.
- Tu as bien dit que je pouvais venir quand je le voulais, non ? Eh bien me voilà. Si je t’embête, tu n’as qu’à faire demi-tour et attendre mon départ…  
Elle prend une mine méditative avant de répliquer avec un plus large sourire.
- A vrai dire tu pourrais te rendre utile et me servir quelque chose à boire… il me manque mon verre de vin habituel.

- Je statue encore…

Il a un petit grondement nasal qui pourrait s'apparenter à un rire.

- Si tu laisses ça là, il a des chances que si. Tu sens fort, Vieux Loup.
- Il faudra faire avec, Gamine.

Sur ce, Hunter déboucle sa ceinture, déboutonne son pantalon et le retire. Celui-ci rejoint le sol par dessus le t-shirt. Il la contemple avec un brin de provocation infantile.

- J'essaie de purifier mon nez à défaut d'avoir l'aura "propre".
- Ta charmante colocataire hippie n'a rien pu faire à ce sujet ? se moque-t-il en sachant pertinemment l'acharnement "thérapeutique" dont fait preuve Nina à l'égard de sa compagne de chambrée. Je te prête Sizreïs si tu veux. C'est mon arme ultime pour repousser Nina.
- Tu as bien dit que je pouvais venir quand je le voulais, non ?
- Il est vrai, répond-il en se mettant complétement nu, avec le plus grand des naturels.
- Eh bien me voilà. Si je t’embête, tu n’as qu’à faire demi-tour et attendre mon départ…
- Tu ne m'embêtes pas.

Il pose son regard bleu et perçant sur elle, tout en dénouant le cordon qui lui maintient les cheveux.

- Je ne compte pas me priver de douche parce que tu es là.
- A vrai dire tu pourrais te rendre utile et me servir quelque chose à boire… il me manque mon verre de vin habituel.

Il s'interrompt alors qu'il ouvrait le battant de la porte en verre de la douche.

- Tu ne veux pas que je te masse les pieds tant qu'à y être ? ironise-t-il.

- J'essaie de purifier mon nez à défaut d'avoir l'aura "propre", déclare-t-elle en l'observant se déshabiller de son regard perçant.
- Ta charmante colocataire hippie n'a rien pu faire à ce sujet ?
- Elle essaie, crois le bien. Mais son esprit est un peu accaparé par quelqu’un en ce moment. Un quelqu’un dont elle me rabâche les oreilles. Encore et encore…Assez pour me rendre dingue.

Comme ses yeux sont actuellement accaparés par un étalage de peau imprévu. Mais après tout, un corps reste un corps et elle en a vu un bon paquet. Être pute et louve ne vous apprend pas vraiment à être pudique. Enfin ça c’est la théorie. Ibakha était du genre à s’isoler dans son coin avant et après les transformations tout en fixant le sol pour ne pas tomber sur une paire de fesses qu’elle n’avait pas spécialement envie de voir.

- Je te prête Sizreïs si tu veux. C'est mon arme ultime pour repousser Nina.
- Bonne idée. Je les laisserai s’entretuer. Tu as bien dit que je pouvais venir quand je le voulais, non ?
- Il est vrai.
Elle doit bien admettre que les fesses d’Hunter sont…tout à fait agréables à regarder. S'il pense la mettre mal à l’aise ! C’est en partie réussi. Elle replonge tranquillement dans sa lecture, les joues un peu plus rouges…à cause de la chaleur dans la pièce.
- Eh bien me voilà. Si je t’embête, tu n’as qu’à faire demi-tour et attendre mon départ…
- Tu ne m'embêtes pas.

Faut-il qu’il soit si magnétique lorsqu’il s’y mettait ! Il est profondément rageant pour la jeune femme de constater qu’il ne la laisse pas tout à fait indifférente alors que la réciproque est complètement fausse.

- Je ne compte pas me priver de douche parce que tu es là.
- Voilà qui est rassurant pour mon odorat…
Elle laisse un silence filer  et lui lance une œillade par-dessus son livre.
- J’ai craint un instant que tu songeais à me rejoindre. A vrai dire tu pourrais te rendre utile et me servir quelque chose à boire… il me manque mon verre de vin habituel.
- Tu ne veux pas que je te masse les pieds tant qu'à y être ?

Avec un sourire malicieux, Ibakha se laisse aller vers l’arrière jusqu’à ce que sa nuque repose sur la faïence sans le quitter du regard. Une cheville délicate et pleine de mousse émerge hors de l’eau suivie de sa jumelle. Elle les dépose sur le rebord, dévoilant en partie ses jambes nues.

- C’est proposé si gentiment… comment refuser ?

Hunter fixe la squatteuse de baignoire en plissant le regard.

"Petite Péronnelle. Tu mériterais qu'on te désobéisse pour une fois."

Néanmoins, il cède à la taquinerie et s'approche sans hâte à travers la buée. Il la toise de toute sa hauteur et de toute sa virile nudité avant de poser une fesse sur le rebord de la vasque. Il soulève délicatement ce pied éhontément quémandeur et le pose en équilibre sur sa cuisse.
Commence alors une subtile torture pour Ibakha.
Non seulement Hunter masse bien, mais il le fait de telle manière qu'il est difficile de rester parfaitement composé et indifférent. Alors que ses doigts pressent, caressent, manipulent chaque os et chaque muscle, du talon aux orteils, il dépouille la louve de ses prunelles rapaces, scrutant la moindre trace, le moindre signe de laisser aller. Il effectue son supplice avec la patience du bourreau professionnel, allant jusqu'à faire chanter les nerfs autour des malléoles de ses chevilles. Il est doué. Terriblement doué.
Une fois la première jambe défaite, il s'attaque à la seconde sans lui offrir le moindre répit, allant la chercher directement dans l'eau. Il est foutrement persévérant à ce jeu là, mettant la volonté d'Ibakha à rude épreuve.

Cependant, au moment où il la sent le plus alanguie, la moins attentive, il tire brusquement sur sa cheville, la faisant perdre l'équilibre et boire la tasse. Il éclate de rire en la voyant sortir la tête de l'eau dégoulinante et couronnée de mousse.

- Mademoiselle est-elle satisfaite ?

D’abord parfaitement surprise qu’il réponde à la provocation, Ibakha laisse filtrer un petit gloussement satisfait lorsqu’il s’exécute.

Sauf que la séance de massage improvisée s’avère bien plus agréable qu’anticipée.
Des signes subtils démontrent son bien-être alors que les doigts d’Hunter font des merveilles, pétrissant et malaxant ses muscles comme un habile sculpteur.
Tout le reste de son corps se détend et elle laisse échapper quelques soupirs bienheureux où se mord la lèvre pour les parer comme elle peut. La tête renversée complètement sur le rebord, ses paupières papillonnent parfois comme si elle hésitait entre se repaitre du spectacle offert ou fermer les yeux pour mieux savourer le reste des sensations. Son livre s’échappe de ses doigts et atterrit sur le sol, lui permettant d’agripper la baignoire à pleine main.

Hunter prend son temps, s’applique et oui, elle trouve ça parfaitement délicieux. Peut-être trop.
Et puis, sans qu’elle s’y attende elle finit subitement la tête sous l’eau et émerge couverte de mousse qu'elle a en parti avalée.

- Mademoiselle est-elle satisfaite ?

Pour toute réponse, elle le fusille du regard en lui balançant une large giclée de mousse. Elle retire ensuite sa pince à cheveux et replonge la tête sous l’eau pour revenir à la surface bien plus dignement, sans mousse et sans cheveux devant les yeux. A vrai dire, elle se sent parfaitement déboussolée. Le corps échauffé par ses caresses, elle était à deux doigts de se dire que peut-être…peut-être… il ne la voyait pas juste comme une gamine ou une « sœur » avant d’être infantilisée purement et simplement. Elle traduit cette sorte de désarroi par le retour de son masque impérial qui ne laisse rien filtrer.

- Félicitations, tu viens de ruiner tous tes efforts pour me détendre. Bel exemple de sape, déclare-t-elle sur un ton calme et parfaitement neutre.

Elle essuie ses mains et se penche pour récupérer son livre, se fichant bien de dévoiler sa poitrine menue. Après tout il s’en fiche.

- Et à vrai dire non. Je n’ai toujours pas mon verre.
Elle pousse un petit soupir déçu puis reprend ses activités comme si de rien n’était, comme si sa fierté et peut-être quelques choses d’autre ne venaient pas d’être égratignés.
Et après tout c'est de sa faute.

Sa mine déconfite l'amuse. Il lève les bras et détourne la tête pour parer à la gerbe d'eau qui l'éclabousse, sans toutefois cesser de rire.
Un rire proche d'une forme de soulagement.
La moquerie est une distraction nécessaire après l'avoir entendue soupirer si lascivement. Il ne peut pas se permettre d'éprouver un désir quelconque, pour qui que ce soit. Quand bien même son frère n'est plus, il subsiste une forme d'effroi dont il ne s'est jamais départi. Par ailleurs, il n'est pas idiot. Il se sait courtisé par Nina, il ne souhaite pas mettre Ibakha en porte-à-faux avec sa soeur et colocataire pour des broutilles aussi futiles.

- Félicitations, tu viens de ruiner tous tes efforts pour me détendre. Bel exemple de sape. Et à vrai dire non. Je n’ai toujours pas mon verre.

Il a beau se dire qu'il a bien fait, voir la louve reprendre son masque de froideur détaché le gêne comme un caillou dans sa botte. Il préfère quand elle rit, pique de sa répartie ou échange des sourires complices avec lui. Il pousse un soupir et s'approche un peu plus, prenant place sur le rebord au plus près d'elle.

- Tu boudes ? demande-t-il. De l'index, il vient abaisser le livre qui l'empêche de voir son visage. Ne boude pas, s'il te plait. Il dégage son front du bout des doigts, d'une mèche mouillée lui collant à la peau. Je plaisantais simplement... Je pensais qu'avec toi, je pouvais me le permettre.

Ibakha a un visage particulier, tout en longueur, en angles, en pointe. Un poème tout en césure. Un très beau poème.
"Arrête ça tout de suite."
Il lui retire délicatement le livre des mains et regarde la couverture.

- L'île au Trésor, hein ? J'adore ce livre. Stevenson a une écriture tellement moderne, on a pas l'impression que ça a été écrit en 1883... Tu en es où ?

Sans lever les yeux de la phrase qu’elle relit pour la dixième fois au moins, elle note du coin de l’œil qu’il s’approche. Elle se tend, prête à lutter s’il cherche à nouveau à la mettre à l’eau. Mais il ne fait que soupirer.

- Tu boudes ?
- Absolument pas, affirme-t-elle d’une voix toujours aussi composée. Une gamine boudeuse, donc. C’est comme ça qu’il la voit. Parfait. Je suis au-dessus de ça figure-toi.
Elle louche un instant sur le doigt qui vient d’entrer dans son champ de vision.
- Ne boude pas, s'il te plait.
Elle baisse le livre et le met à l’abri en laissant pendre sa main loin de l’eau. Elle le regarde dans les yeux et répète.
- Je ne boude pas, Hunter. Et elle le répète en mongole. Monsieur est satisfait ? demande-t-elle ensuite avec un sourire de façade.

Cette fois, ses doigts s’invitent sur son front et elle se laisse stupidement faire avant de les dégager avec bien plus de délicatesse qu’elle ne le voulait.  
- Je plaisantais simplement... Je pensais qu'avec toi, je pouvais me le permettre.
Elle arque un sourcil.
- Pourquoi ? Sizreïs ne te suffit pas en soeur de substituton avec qui chahuter ? Elle hausse les épaules et détourne le regard. Tu fais bien ce que tu veux de toute façon…

Il s’intéresse ensuite à son livre.

- L'île au Trésor, hein ? J'adore ce livre. Stevenson a une écriture tellement moderne, on a pas l'impression que ça a été écrit en 1883...
- J’appréciais effectivement ma lecture… De toute façon je n’avais pas tellement le choix. C’était ça ou les romans à l’eau de rose ou de développement personnel de Nina. Plutôt mourir d’ennui…
- Tu en es où ?
- Quand ils abordent l’île. Pas de spoilers. Et si j’avais lu ce livre quand j’étais plus petite j’aurais définitivement abandonné mon idée de devenir exploratrice pour finir pirate. Dommage… j’ai fini avec un métier qui commence par la même lettre mais j’ai jamais trouvé de trésors.
Elle tend la main vers son livre.
- Tu me le rends ?... s’il te plait, demande-t-elle d’une voix qui a retrouvé des inflexions plus humaines voire douce.  

Malgré ses dires, la louve semble toujours constipée sur son mécontentement. Hunter ne saisit pas vraiment à quoi elle fait allusion en évoquant la toute jeune mandragore.

- J’appréciais effectivement ma lecture…
- Désolé de te l'avoir gâchée.
- De toute façon je n’avais pas tellement le choix. C’était ça ou les romans à l’eau de rose ou de développement personnel de Nina. Plutôt mourir d’ennui…
- Je pourrais te prêter un de mes bouquins. J'ai réussi à en prendre quelques uns dans mon paquetage. Tu en es où ?
- Quand ils abordent l’île. Pas de spoilers.

Il sourit plus largement.

- Promis. C'es un livre qui se savoure.
- Et si j’avais lu ce livre quand j’étais plus petite j’aurais définitivement abandonné mon idée de devenir exploratrice pour finir pirate. Dommage… j’ai fini avec un métier qui commence par la même lettre mais j’ai jamais trouvé de trésors.
- Tu en as peut-être trouvé sans le savoir. Haussement d'épaules. Moi, ça m'a donné envie de devenir marin. Mon père me l'a formellement interdit. J'ai fait docker en désespoir de cause. La mer à mes pieds, mais les pieds enlisés au quai.

Ibakha tend une main vers son livre.

- Tu me le rends ?... s’il te plait.

Hunter le lui restitue. Leurs phalanges s'effleurent.

- Tu me donneras ton avis à la fin ?

Il se lève et cette fois, rien ne s'oppose à ce qu'il prenne enfin sa douche. Cependant, sans vraiment savoir pourquoi, il se sent obligé de proférer au travers de la paroi vitrée :

- Je ne te vois pas du tout comme une petite sœur turbulente, tu sais.

Sur ces mystérieuse paroles, il fait couler l'eau et s'absorbe dans ses propres abutions.

- Tu en as peut-être trouvé sans le savoir.
- On dirait les paroles énigmatiques d'un vieux sage. Mais je t'assure que non, par contre j’ai trouvé les bas-fonds de l’humanité, ça compte ?
- Moi, ça m'a donné envie de devenir marin. Mon père me l'a formellement interdit. J'ai fait docker en désespoir de cause. La mer à mes pieds, mais les pieds enlisés au quai.

Elle l’observe un moment à travers ses cils mouillés.
- Un chaman lié à la terre qui rêve de la mer…tu es si plein de contradictions…murmure-t-elle songeuse.
Elle finit par demander la restitution de son bien – enfin celui de Nina – et l’obtient.

- Tu me donneras ton avis à la fin ?
- Si j’y arrive un jour, pourquoi pas…

Il se redresse et elle replonge le nez dans ses pages, tentant de se concentrer sur l’histoire.
- Je ne te vois pas du tout comme une petite sœur turbulente, tu sais.
Elle relève brusquement les yeux au moment où il enclenche l’eau, éclaboussant les parois vitrées de la cabine de douche.  
- Vraiment ? fait-elle en refermant brusquement le livre, une petite lueur dans ses yeux qui se plissent très légèrement. Comme quoi alors ?

De toute façon, son bain a commencé à refroidir… elle se redresse donc, souffle les bougies et sort de la baignoire, s’enroulant dans une serviette. Elle évolue alors comme si elle était seule dans la pièce, sans se presser.
- Nounou, éclaireuse… après tout je ne suis plus à un rôle près !

Elle commence par ses cheveux qu’elle frictionne doucement avant de trouver le peigne d’Hunter sur le lavabo pour les démêler. Elle passe ensuite ses doigts dedans pour leur redonner leur volume naturel et sauvage. Satisfaite de son reflet dans le miroir, elle retourne vers ses affaires, fait négligemment tomber la serviette pour enfiler son tanga en dentelle noir et un vieux tee-shirt crop-top.
Lorsqu’Hunter sort de la douche elle est en train de s’appliquer du lait sur le corps, la jambe relevée sur la baignoire. Sa paume part de son mollet avant de remonter lentement vers sa cuisse pour y faire pénétrer la crème avec un brin de langueur dans le mouvement.
- Tu sens bien meilleur. Tu devrais essayer les bains de temps en temps. C’est plutôt agréable quand on essaie pas de t’y noyer.
Elle lui coule un sourire et un regard en coin.

- Vraiment ? Comme quoi alors ?

Hunter ne répond pas, occupé à se frictionner vigoureusement le corps avec un pain de savon de Marseille. Il tente de chasser les soupirs entêtants d'Ibakha de sa cervelle en les rinçant à l'eau brulante. Il ne s'attarde guère dans la douche, ça n'est pas dans ses habitudes. Il sort de la cabine en tâtonnant et grogne en découvrant que sa serviette lui a été subtilisée. Elle a atterri autour des formes sculpturales d'une certaine louve qui a décidé de dégainer le grand jeu.

"Quel jeu, au juste?!
Je ne suis pas un de ses putain de toy boys..."

Il dégouline, entièrement nu sur le carrelage, la tension crispant sa mâchoire. Il est dangereux de titiller les appétits d'un loup-garou, un né-loup qui plus est. Elle ne devrait pas s'adonner à ça si c'est simplement pour se venger d'une vilaine plaisanterie.
Il s'avance vers elle pour ramasser la serviette mouillée à ses pieds. Il la toise avec un regard en coin et s'éponge la tignasse, son visage disparaissant sous la serviette. Il la noue ensuite sommairement à sa taille.

- Tu sens bien meilleur. Tu devrais essayer les bains de temps en temps. C’est plutôt agréable quand on essaie pas de t’y noyer.
- Je n'ai jamais aimé macérer dans la flotte.

Il lui pique le flacon de lait corporel et le renifle. Il sent bon, il sent elle. Il la fixe par dessus la bouteille et s'en verse dans le creux de la paume. Il s'emploie alors à reproduire les gestes langoureux de la jeune femme en remontant lentement et avec doigté de sa cheville à sa cuisse. Il s'attarde en palpations appliquées sur l'intérieur de cette dernière et la fixe droit dans les yeux.

- J'ignore la manière dont tu aimerais que je te vois, Ibakha. Dis-le moi... Mais ne t'en amuses pas. Il est très près de son visage, si près que leurs nez se frôlent, si près qu'il pourrait l'embrasser. Je ne sais pas jouer, je n'ai jamais su.

Il prend sa main avec douceur et y cale le flacon de cosmétique, sans la lâcher du regard, puis la laisse là et sort de la salle de bain pour aller s'habiller à l'étage.

Elle aurait dû l’arrêter dès le départ. On ne peut pas dire qu’elle ne se doutait pas de ce qui allait arriver à partir du moment où il a versé de la crème dans le creux de sa paume.
Pourtant, elle se laisse faire, comme une idiote… figée par cette main, ces prunelles bleues.
Sa respiration un peu plus rapide et la grêle sur sa peau sont autant de signes qui montrent clairement qu’elle n’est pas insensible.

- Merci pour ton aide mais je m’en sortais très bien toute seule, murmure-t-elle.
- J'ignore la manière dont tu aimerais que je te vois, Ibakha. Dis-le moi... Je ne sais pas jouer, je n'ai jamais su.

Ibakha plisse le regard, estomaquée qu’il puisse lui sortir une chose pareille, yeux dans les yeux, la main posée sur l’intérieure de sa cuisse après avoir passé cinq minutes à badigeonner sa jambe avec beaucoup d’application !

Il se fout de moi !

Elle rassemble à peine ses esprits qu’il est sorti, lui laissant le flacon ouvert dans la main. Ses doigts se crispent dessus. Elle finit par se secouer pour finir ses soins – il n’était pas né l’homme qui la détournerait de son objectif – en ravalant une colère rentrée qui se traduit par un ricanement sec. Contre lui mais contre elle surtout. Tout cela à au moins l’effet de lui ouvrir les yeux.
Elle trouve son propre comportement parfaitement risible. Elle ne cherche rien. Elle ne veut rien.
Surtout pas décrypter le comportement d’un homme complexe et pétri de contradictions.  
Elle est très bien comme ça.

Sauf que tu aimes quand il te touche.
La ferme !

Il ne faut pas être très futé pour voir que de toute façon, son corps ne présente aucun intérêt pour lui. Autant se faire une raison dès maintenant.
Elle s’habille, prend le temps de ranger toute trace de son passage dans la salle de bain et de vider la baignoire jusqu’à ce qu’on devine à peine qu’elle l’a investie pendant quelques minutes.  
Lorsqu’elle sort, elle est redevenue elle-même et lance :
- Merci pour la salle de bain. La prochaine fois je penserai à prendre un panneau « occupée ».
Ne souhaitant toutefois pas rentrer tout de suite et retrouver sa chambre saturée d’encens, elle va s’installer sans un mot sur le banc devant la grange et reprend sa lecture comme si rien ne s’était passé.

Dans la mezzanine de la grange où il a installé sa chambre, Hunter rumine tout en s'habillant. Il a vu, dans le regard d'Ibakha une flamme de désir qui a brutalement avivé la sienne.
"Je lui plais."
Constatation qui le laisse pantois pour ne pas dire déboussolé. Elle est jeune, indépendante, fière et dominatrice. Il n'entre en rien dans le spectre de ses clients ou de ses amants potentiels. Cependant, il n'est pas stupide au point d'ignorer ses propres penchants. Il aime son humour piquant, sa fragilité très humaine, touchante et pudique, la manière racée qu'elle a de se mouvoir, leur évidente complicité.
"Elle me plait."
Il n'a pas connu pareil sentiment de connivence depuis Moïra. C'est surprenant, agréable et, oserait-il presque avouer, tendre. Il ne s'attendait pas à cela de la part d'une louve qu'il considérait comme hautaine et froide.

Il attend un moment, une fois vêtu, assis sur sa paillasse.
Il ne sait pas exactement quoi.
Qu'elle le rejoigne ?
Qu'elle s'en aille ?
Fidèle à son ambiguïté, Ibakha lui claque un aurevoir cinglant tout en demeurant dans les parages. Il perçoit toujours son parfum particulier et délicieusement addictif. Le Prince-loup soupire en se massant l'arrête du nez. Son regard dévie sur la pile de livres qu'il a réussit à emporter avec lui. Une dizaine d'ouvrages aussi variés qu'hétéroclites : "Don Quichotte" de Cervantès, "Le Cid" de Corneille, "Les Liaisons dangereuses" de Choderlos de Laclos, "Discours de la Méthode" de Descartes, "Le Capital" de Karl Marx, "Le Procès" de Kafka, "Le Comte de Monte-Cristo" d'Alexandre Dumas, "Les Dix petits Nègres" d'Agatha Christie, "World War Z" de Max Brook et "Le Monde d'hier" de Zweig qu'il était actuellement en train de lire. Il prend l'ensemble et descend les escaliers de bois.

Il trouve Ibakha assise sur un banc, plongé dans sa lecture. Il vient se poser à côté d'elle, et dresse la pile d'ouvrages entre eux.

- Prends ceux que tu voudras... Et quand tu les auras lu, je serais ravi d'échanger dessus avec toi.

Sur ces bonnes paroles, il se plonge à son tour dans sa propre lecture.

Par un miracle qu’elle n’explique que par sa capacité d’adaptation couplée au talent de conteur de Stevenson, Ibakha réussit à se remettre dans sa lecture.
C’est même une évasion bienvenue.
Qui n’arrive toutefois pas à dissimuler la présence du Vieux Loup qui s’installe à côté d’elle.
L’explication de sa présence se matérialise par une pile de livres qu’elle regarde en coin, curieuse.

- Prends ceux que tu voudras...
Cette fois, elle pivote la tête et penche la tête pour lire les titres, un fin sourire sur les lèvres.
- Ok… D’un bras, elle englobe toute la pile et l’approche d’elle. Tous alors. Elle relève plus franchement la tête et repose son livre sur ses genoux pour mieux manipuler les ouvrages.
- Je manque de culture générale, explique-t-elle. Je n’ai pas eu d’éducation « classique ». L’école dans les steppes c’est un concept plutôt fluctuant, mes seules années d’études en Angleterre, je ne comprenais pas la langue et la prison a un vague système éducatif mais je n’étais pas tellement assidue, ni motivée. Et puis il a d’abord fallu que j’apprenne l’anglais.  

Elle se rend soudain compte qu’elle a parlé sans réfléchir et observe sa réaction à ses quelques confidences d’une œillade un peu crispée assortie d’un pincement de lèvre.

- Bref tout ça pour dire que j’ai du retard à rattraper…
- Et quand tu les auras lu, je serais ravi d'échanger dessus avec toi.
- Tu veux ouvrir un club de lecture ? réplique-t-elle avec un petit sourire. J’aimerais te rendre la pareille. La prochaine fois, tu préfères que je pique pour toi « Comment trouver sa déesse intérieure ? » ou « La comtesse apprivoisée » ? Une sombre histoire d’enlèvement d’une cruche bourgeoise qui rencontre un mâle, un vrai qui par un curieux coup du destin se trouve torse-nu sur la couverture.

Elle laisse filer un silence pendant lequel elle lit chaque résumé avec intérêt.
- Merci… déclare-t-elle doucement en réalignant les livres en pile parfaite. C’est ce que tu fais avant de t’endormir ? Lire ? Ca doit être reposant de le faire…dans le silence.