- Ouais ? C’est pourquoi ?
- Unchi Bertus ! T'as pas changé d'un poil... Tu m'remets pas hein ?

Je scrute le nouveau venu avec plus d'attention. Qu'on soit de la même famille j'en doute pas, même sans le "Unchi". Le visage de ce gosse crie Taur pour qui sait regarder. Mais le seul neveu de cet âge que je vois c'est le môme de Viorel et il me semblait qu'il était à l'étranger…

- Vrai qu'j'avais plus d'nibards à l'époque. Pousse ton cul que j'puisse entrer.

L'inconnu s'invite dans ma chambre et je suis tellement sur le cul que je ne montre aucune résistance.
Plus de nibards ? Ah ouais je crois savoir qui sait du coup. La petite Ciulin. Ou je petit maintenant, même si j'ai pas bien tout suivi. Mais ce qui me laisse perplexe c'est plutot ce qu'elle - ou il… y'avait un terme que Simone utilisait...iel j'crois bien. Rahat je me sens vieux… - bref ce que iel fout là et où se trouve Madame ?

- Sympa la piaule ! J'ai quand même du mal à croire qu't'ai réussi à garder Madame ici plusieurs heures sans qu'ça la démange d'ranger ton p'tit bordel.Sérieux, elle fait tout l'temps ça, c'est ouf !
- Je sais, je statue sobrement, avec un sourire tendre qui m'échappe complètement.

Ciulin montre un sans gêne certain et ça me fait soupirer fortement. Pendant qu'iel prend ses aises sur le lit, je viens jalousement récupérer la veste où iel s'est à moitié vautré.e.  

- P'tain c'est des cibiches du pays !'Fait grave longtemps !
- Je fume pas les merdes étrangères.
J'en récupère une au passage et l'allume. Y'a rien a faire j'ai que le goût de la cendre dans la bouche.

- Sans dec, t'as toujours pas percuté ? Ciulin, Unchi! Chuis ta nièce.. ou ton n'veux. Choisis, c'ui qui t'plait l'plus, moi j'm'en fous…
- J'avais deviné copil, je suis pas encore sénile. Même si t'as pas mal changé, tu ressembles à ton vieux. Pourquoi t'es là au juste ? C'est… Si...Madame que je vois d'habitude…Elle... je me gratte la gorge mal à l'aise mais inquiet… elle va bien ?

Bien sur qu'elle va bien. Elle veut juste plus voir ma gueule. Ce qui est compréhensible. Ça devrait même pas m'étonner en fait.

- Laisse tomber ma question est conne.

La déception est si profonde que mes épaules s'affaissent et j'ai un petit rire plein d'amertume. La revoir m'aurait sans doute fait beaucoup de mal sauf que j'aurais pu revoir son visage, réentendre sa voix...je me serais contenté de ça pour retrouver un peu d'humanité. Mais elle est pas là, ne reviendra sans doute plus et ne pas la revoir m'anéantie complètement. Une petite voix me souffle que c'est bien fait pour ma gueule et je peux qu'être d'accord. Moins elle me voit mieux elle se porte. Moi je vais continuer, je lui ai promis.

- Bon, parait qu't'as des infos ?
Je relève la tête et souffle un long trait de fumée.
- Ouais…

Je lui expose le nouveau plan pondu par les lieutenants avec précisions et détails tout en restant concis.

- Le but est de faire enfler nos rangs... Je me rends compte soudain de ce que je viens de dire et passe une main lasse sur mon visage. Leurs rangs je voulais dire, rapidement et provoquer autant de bordel que possible. Je vais sans doute être amené à transformer aussi des humains. Pas tellement le choix.

Si avant cette perspective m'aurait répugné comme jamais, là ça fait juste parti du travail et je l'envisage en sourcillant à peine. De toute façon ça paraîtrait trop suspect si je participe pas. Y'a peut être même une montée en grade qui se profile qui sait ? Ça serait quand même foutrement ironique que j'aie plus de perspectives d'avenir chez les Hurlants.

- Bref ça va faire des dégâts. Les lieux de passage changent pour éviter de se faire repérer mais c'est principalement par la forêt et par bateau. Ils accostent discrètement sur des plages éloignées. Allez-y mollo avec les descentes, je suis sensé avoir descendu la taupe. Voilà c'est tout pour mon rapport à sa Majesté. Tu la salueras pour moi, je conclue avec une ironie incisive.

Le sourire affectueux et la présence d'un blazer de femme -gardé visiblement jalousement par Tonton- ne m'échappe pas. Y'a forcément anguille sous roche... Voir carrément baleine sous gravillon! J'connais pas bien mon oncle, mais ça m'étonne de Simone. Elle ne s'acoquine pas avec le premier bad boy venu, elle leur laisse même pas le loisir de lécher ses escarpins. Depuis que je la connais, je lui ai jamais connu de mecs, de meufs, ou de vie sentimentale tout court.

Je me demande ce qui a fait exception.

- J'avais deviné copil, je suis pas encore sénile. Même si t'as pas mal changé, tu ressembles à ton vieux. Pourquoi t'es là au juste ? C'est… Si...Madame que je vois d'habitude…Elle...je me gratte la gorge mal à l'aise mais inquiet… elle va bien ?

Aussi bien que toi, visiblement. Dans quoi j'ai foutu l'orteil ? Un remake des Liaisons Dangereuses ? Trop zarbi...

- Laisse tomber ma question est conne.

Je plisse le regard en l'observant en coin. Tonton a la tête de chien battu du mec qui s'est fait foutre dehors avec ses slips et ses clops par l'amour de sa vie. Plus évident tu meurs. Je vais garder mes questions pour quand il m'aura lâché son rapport, que les infos se perdent pas en route.

- Bon, parait qu't'as des infos ?
- Ouais… Le but est de faire enfler nos rangs...Je hausse un sourcil. Leur rang je voulais dire, rapidement et provoquer autant de bordel que possible. Je vais sans doute être amené à transformer aussi des humains. Pas tellement le choix.

Aussi impacté que si il me causait d'la pluie et du beau temps. Je me demande si le choix de Simone est si fiable que ça. Si le coeur s'implique, les décisions ne sont jamais impartiales on le sait tous. Madame a toujours été le garde-fou, l'intellect froid, la voix de la raison... Avec Bertus, je suis beaucoup moins sûr-e de ça.

- Bref ça va faire des dégâts. Les lieux de passage changent pour éviter de se faire repérer mais c'est principalement par la forêt et par bateau. Ils accostent discrètement sur des plages éloignées. Allez-y mollo avec les descentes, je suis sensé avoir descendu la taupe. Voilà c'est tout pour mon rapport à sa Majesté. Tu la salueras pour moi...
- Tu la salueras tout seul! Chuis pas messager pour couple en crise, vieux. Je ricane en voyant sa gueule. Tu tires la tronche du mec qui vient de se faire larguer et qui sniffe les fringues de son ex comme un vieux camé. Nan mais, sérieux, c'est quoi le bordel avec Simone... ? Elle a laissé quoi d'autres que ses fringues ici  ?

Je tire une latte et expire longuement la fumée.

- Pour répondre à ta question : non, elle va pas bien. Elle sait hyper bien le maquiller, c'est d'venue une experte en trompe-l'œil. Personne, l'aurait su si elle avait pas dérapé devant moi. Chuis là parc'que clairement t'faire face ça a l'air au d'ssus d'ses forces.... et c'est la gonzesse la plus balèze que je connaisse.

Cette fois, je le lorgne sans la moindre concession, pas d'trace de pardon dans mon regard.

- Simone, c'est plus ma famille qu'tu l's'ras jamais. Si tu lui a fait du mal, j'te l'frais payer.

- Tu la salueras tout seul! Chuis pas messager pour couple en crise, vieux. Tu tires la tronche du mec qui vient de se faire larguer et qui sniffe les fringues de son ex comme un vieux camé.

Je lea laisse tirer ses conclusions, croire ce qu'iel veut, le visage impassible. Je me contente de fumer. De toute façon je doute qu'elle ait envie de me parler.

- Nan mais, sérieux, c'est quoi le bordel avec Simone... ? Elle a laissé quoi d'autres que ses fringues ici ?
- Pas tes oignons copil. Tu lui rendras sa veste d'ailleurs. Elle est pas à ma taille.
- Pour répondre à ta question : non, elle va pas bien. Elle sait hyper bien le maquiller, c'est d'venue une experte en trompe-l'œil. Personne, l'aurait su si elle avait pas dérapé devant moi.

J'ai une légère crispation de la mâchoire. Pour son bien… j'ai fais ça pour son bien...ça finira par lui passer. Elle a assez à faire ailleurs pour ne plus se préoccuper de moi.

- Chuis là parc'que clairement t'faire face ça a l'air au d'ssus d'ses forces.... et c'est la gonzesse la plus balèze que je connaisse.
- Ça lui passera. Comme tu dis elle est balèze.
- Simone, c'est plus ma famille qu'tu l's'ras jamais. Si tu lui a fait du mal, j'te l'frais payer.

Je grince un rire. Évidemment. Ça m'étonne que ce genre de paroles me fasse encore mal. Sans doute parce que je crois encore à ses conneries de valeurs familiales, de liens indélébiles. Je sais foutrement pas ce qui m'a pris de revenir ici. D'espérer retrouver un lien avec les miens. Y'en aura plus. Il s'est usé avec le temps et je suis qu'un étranger. J'en créé plus avec certains Hurlants qu'avec ma propre famille. Et même si ça me fout la gerbe, c'est comme ça. Au moins Madame est bien entourée.

Je lui rends son œillade sans concession par le regard vide de celui qui a plus rien à perdre. J'ouvre les bras en grand, clope au bec, dans une attitude claire d'invitation.

- Bah vas-y...je suis plus à une tentative d'assassinat par ma propre famille près...ça me rappellera le bon vieux temps. Et puis c'est marrant de recevoir des menaces d'un gosse qu'à pas su voir qu'elle était malheureuse comme les pierres bien avant que je débarque...m'enfin je te laisse voir ça avec ta famille hein...pour ce que j'en sais moi…

J'écrase tranquillement ma clope. Et lui jette un coup d'œil à la dérobée.

- Bon tu te décides ? J'ai cru comprendre que t'as hérité des pouvoirs maternels. Si t'es comme ta mère ça va être facile pour toi de me maîtriser… tu donneras ma bécane à ton père, Silviu saurait pas quoi en faire et la vendrait pour deux bouchées de pain.

Je ramène mes jambes en tailleurs sous moi et je me penche en avant, soudain super intéressé-e par son langage corporel. J'ai l'impression de me voir il y a quelques années, par certains côtés. Tonton suppure le chagrin d'amour par tous les pores de sa couenne de macchabée.

- Bon tu te décides ? J'ai cru comprendre que t'as hérité des pouvoirs maternels. Si t'es comme ta mère ça va être facile pour toi de me maîtriser… tu donneras ma bécane à ton père, Silviu saurait pas quoi en faire et la vendrait pour deux bouchées de pain.

J'éclate brusquement de rire et je lui bourrade l'épaule en toute familiarité.

- J'vais pas t'buter, Unchi, ce s'rait comme taper sur un chiot blessé... Bon ok un bon gros Jigodie, mais quand même ! Et puis t'es mon oncle préféré : çui qui dit toujours la vérité ! Un truc pas franch'ment en vogue chez les Taur. Je grimace un coup. N'empêche quel putain d'emo ! Tu t'taillades les veines d'temps en temps dans la sale de bain en écrivant des poèmes ténébreux pour garder le mood ou c'est naturel chez toi ? Nan parc'que t'as d'sacrée dispo pour la tristitude gothique. M'enfin, va pas filer ta bécane à mon vieux si tu cannes, l'est infoutu d'comprendre la beauté d'une belle gosse à deux roues. J'en prendrais soin, va... Promisiuni !

Je fume un coup et exhale le nuage de nicotine roumaine avant de poursuivre.

- Bon... C'est quoi les bails entre toi et Simone ? Et m'raconte pas des cracks : t'es putain d'mordu, ça crèverait les yeux d'un aveugle une deuxième fois ! Perso, la seule personne qui la fait vaciller d'son pied d'Estal not' "Madame"* c'est soțul meu ...

Je souris à Bertus de toutes mes dents. Les miennes sont pas pointues, juste pleine d'émail et d'amusement.

- Quoi ?! T'as pas envie d'te soulager un peu là ? Au lieu d'te consumer comme un crevard ?... Si y'a un truc que chais sur Simonette, c'est qu'elle tomb'rait jamais l'masque devant quelqu'un qu'elle estime pas. Vends-moi du rêve gadjo... Et avec une binouze pour la confesse ce s'rait grave mieux.

Cuilin rit comme une baleine et je lève les yeux au ciel. Le gamin me menace puis se fout de ma gueule. Sincèrement j'ai ni le temps ni la force pour ces conneries.

- J'vais pas t'buter, Unchi, ce s'rait comme taper sur un chiot blessé... Bon ok un bon gros Jigodie, mais quand même !
- Super, je déclare en toute neutralité. Merci pour ta magnanimité. Je comptais pas tellement te laisser faire non plus cela dit mais si je peux éviter d'en foutre plein la gueule à un membre de ma famille, j'aime autant…
- Et puis t'es mon oncle préféré : çui qui dit toujours la vérité ! Un truc pas franch'ment en vogue chez les Taur.
J'hausse un sourcil circonspect, clairement dépassé par sa façon de penser maiq amusé malgré tout.
- Faut savoir. Y'a deux minutes tu voulais, je cite, "me faire payer" et maintenant je suis ton oncle préféré ? C'est un peu violent comme changement. T'es vraiment un drôle de gosse toi...

Cela dit Kaelig disait que Ciulin me ressemblait pas certains aspects, dont la répulsion des secrets qui gangrènent doucement mais sûrement.

- N'empêche quel putain d'emo ! Tu t'taillades les veines d'temps en temps dans la sale de bain en écrivant des poèmes ténébreux pour garder le mood ou c'est naturel chez toi ? Nan parc'que t'as d'sacrée dispo pour la tristitude gothique.

Cette fois je souris plus franchement et m'installe plus confortablement dans le fauteuil.

- Alors oui je me suis déjà taillé les veines pour me vider d'un premier nourrisage à la veine forcé depuis des lustres. Dans la baignoire pour être exact. Mais c'est arrivé qu'une fois faudrais peut-etre que je renouvelle l'expérience - ça la fera peut-être revenir ? -  Et pour les poèmes vois avec ton paternel. Cela dit moi je dessine, j'ai bon quand même du coup ? J'essaie de me mettre à la page de la vision moderne du vampire. Du coup j'y vais à fond. Et puis tu reviendras me causer quand t'en seras à ta deuxième vie de merde
- M'enfin, va pas filer ta bécane à mon vieux si tu cannes, l'est infoutu d'comprendre la beauté d'une belle gosse à deux roues. J'en prendrais soin, va... Promisiuni !
- T'es aussi fana de deux roues. Je ris un peu. Ton père avait pas tort alors quand il disait qu'on ressemblait un peu.

Comme j'aurais manifestement jamais de môme ça me fait un plaisir certain de savoir que quelques truc à moi s se retrouvent dans les gènes familiaux.

- Bon... C'est quoi les bails entre toi et Simone ?
Je m'agace un peu et me referme aussitôt.
- Mais rien du tout, putain. Il se passe rien.
- Et m'raconte pas des cracks : t'es putain d'mordu, ça crèverait les yeux d'un aveugle une deuxième fois ! Perso, la seule personne qui la fait vaciller d'son pied d'Estal not' "Madame"* c'est soțul meu …
- Ton mari ? Je réfléchis quelques secondes. Attends le fameux "Monsieur" c'est ton époux ? Rahat vous êtes si compliqué… ou c'est moi qui suis trop vieux. Je frotte mes yeux, le sentiment d'être à côté de la plaque à nouveau bien présent. En tout cas, il restera le seul.

"Le premier et le seul…"
Et j'ai tout repoussé en bloc. J'ai un sursaut comme quand on rêve qu'on tombe. Le sourire de sale gosse de mon neveu, ma nièce...putain ça me perturbe…me prend un peu au dépourvu et je peux pas empêcher le coin de mes lèvres de se retrousser.

- Quoi ?! T'as pas envie d'te soulager un peu là ?
- Non merci.
- Au lieu d'te consumer comme un crevard ?
- Je préfère l'option crevard ...
- Si y'a un truc que chais sur Simonette, c'est qu'elle tomb'rait jamais l'masque devant quelqu'un qu'elle estime pas.
- Simonette ? Le respect est mort ou quoi ?
- Vends-moi du rêve gadjo... Et avec une binouze pour la confesse ce s'rait grave mieux.

Résigné je me relève et sort du mini bar une bonne bouteille de Tuiça ramenée par Madame et sors deux verre.

- J'ai mieux que de la binouze. Mais tu bois à cette heure toi ? Bah après tout il est un peu tard pour jouer au tonton paternaliste.

Je lui sers donc un généreux verre et un plus grand encore pour moi. Pour l'effet que ça va me faire… Je lui en tends et trinque.

- A nos joyeuses retrouvailles.

J'avale une grosse lampée et contemple la nuit qui s'éclaire doucement dehors. Machinalement je vais fermer les volets et tirer les rideaux. Quelle merde d'être vampire…
Reprenant mon verre dans une main. Je fais tourner l'alcool.

- Qu'est ce que tu veux que je te dise, Ciulin ? Ce qui s'est passé entre Madame et moi ça regarde personne d'autre que nous deux. On a eu une incartade j'ai tout arrêté avant que ça dérape trop loin. Fin de l'histoire. Madame peut se reconcentrer pleinement sur sa sacro sainte organisation et moi ma mission d'une importance capitale et sans doute suicidaire. J'avale une gorgée d'alcool qui me donne l'illusion fugace de me réchauffer. Si j'y laisse pas ma non-vie je finirai par y laisser le peu d'humanité qu'il me reste.

J'ai le ton un peu trop acide pour faire croire que ça me touche pas.

- Ton mari ? Attends le fameux "Monsieur" c'est ton époux ?
- Ouep!
- Rahat vous êtes si compliqués… ou c'est moi qui suis trop vieux.
- J'vois pas c'qu'y a d'compliqué : y m'aime , j'l'aime, on est mariés, et on a plein d'amoureux que parfois on partage...

Tonton a l'air d'être complétement dépassé. Faut vivre avec son temps, mec! Je le cuisine sur Simone.

- J'ai mieux que de la binouze.
- Ouuuh mais merde! T'es un concentré d'nostalgie d'la Mère-Patrie, ma parole !
- Mais tu bois à cette heure toi ?
- Genre t'en as ket'chose à foutre ?
- Bah après tout il est un peu tard pour jouer au tonton paternaliste. A nos retrouvailles !
- Noroc!

J'avale la Tuiça d'une traite. Une bonne cuvée, et chère qui plus est. J'attends que Bertus passe à table.

- Qu'est ce que tu veux que je te dise, Ciulin ?
- Bah tout.
- Ce qui s'est passé entre Madame et moi ça regarde personne d'autre que nous deux. On a eu une incartade j'ai tout arrêté avant que ça dérape trop loin. Fin de l'histoire.
- Une "incartade" ? Je le regarde avec un haussement de sourcil.
- Madame peut se reconcentrer pleinement sur sa sacro sainte organisation et moi ma mission d'une importance capitale et sans doute suicidaire. Si j'y laisse pas ma non-vie je finirai par y laisser le peu d'humanité qu'il me reste.
- OOoooookay... Bon! Tu vas arrêter tout d'suite de m'dire d'la merde. Simone a pas "d'incartades". C'est une foutue nonne! Va pas m'faire croire qu'elle s'est j'tée dans tes bras et qu'tu l'as r'mise dans l'droit ch'min pour le bien d'la cause, comme un grand Seigneur. C'est pas son genre. Si Simone et toi z'avez entamé une liaison, c'était pour du sérieux.

Je me sers un nouveau verre. Ce qui est bien avec mon mariage divin, c'est que j'encaisse l'alcool comme un viking.

- Et arrête de jouer le héros tragique de ton p'tit drame perso, là. C'est grave chiant. T'en as pas marre de macérer dans ton sel ? Certes ça conserve... Mais ça t'ouvre pas les écoutilles. Je sirote mon deuxième verre avec un air satisfait de petit con. Tu veux que je te chiale ? Mec, te fie pas aux apparences, chuis pas d'venue une créature, mais j'ai eu suffisamment d'vies pour comprendre cqu'est la souffrance et la perte d'humanité.

Je marque un silence.

- "Avant qu'ça dérape" mon cul... Vous vous êtes déjà cassé la gueule. Pourquoi tu l'as j'tée ? T'as eu les chocottes ?

- OOoooookay... Bon! Tu vas arrêter tout d'suite de m'dire d'la merde. Simone a pas "d'incartades". C'est une foutue nonne !
Cette fois je lui lance un regard qui n'a rien d'amusé.
- Sérieusement c'est trop demandé à ta grande gueule de la respecter un petit peu !
- Va pas m'faire croire qu'elle s'est j'tée dans tes bras et qu'tu l'as r'mise dans l'droit ch'min pour le bien d'la cause, comme un grand Seigneur. C'est pas son genre. Si Simone et toi z'avez entamé une liaison, c'était pour du sérieux.

J'ai l'œil mauvais mais j'ouvre pas la bouche.

- Et arrête de jouer le héros tragique de ton p'tit drame perso, là. C'est grave chiant. T'en as pas marre de macérer dans ton sel ? Certes ça conserve... Mais ça t'ouvre pas les écoutilles. Tu veux que je te chiale ?
- Que tu te casses ça me semble mieux. J'ai pas la patience et j'ai aucun compte à te rendre, copil. On se retrouve depuis moins d'une demi heure que tu trifouilles comme un bourrin dans les plaies ouvertes pour voir si ça fait mal. Excuse-moi de pas me montrer très réceptif à tes méthodes d'interrogatoire.

Je reste très calme malgré mon envie de lui foutre une rouste qui effacerait son sourire de sale môme.

- Mec, te fie pas aux apparences, chuis pas d'venue une créature, mais j'ai eu suffisamment d'vies pour comprendre cqu'est la souffrance et la perte d'humanité.
- Felicitări ! Dans ce cas tu comprendras que j'ai pas envie d'en parler.

Je pose mon verre avec fracas sur la table et me relève pour lui ouvrir la porte.

- Si ça te démange tant que ça de savoir va donc sortir les vers du nez de Madame. Je te souhaite du plaisir.
- "Avant qu'ça dérape" mon cul... Vous vous êtes déjà cassé la gueule. Pourquoi tu l'as j'tée ? T'as eu les chocottes ?

Agacé je claque la porte qui vibre sur ses gonds.

- Tu veux une jolie histoire ? Tiens en v'la une. Simone croit éprouver des trucs pour moi mais m'envoie quand même au casse pipe sans sourciller. Elle l'a plus au moins dit elle-même : ce que je fais pour Malsheem vaut plus que tout le reste. C'est pas une belle preuve d'amour ça ? Presque aussi belle que quand ta mère m'a livré à des vampires pour me faire disparaitre. A la différence près que ta mère m'a jamais fait miroiter quoique ce soit et que c'était clairement à sens unique. Ah oui pardon ! Tu connaissais pas cette partie de l'histoire hein ? Normal j'ai fermé ma gueule. Là c'est différent, là c'est réciproque. Mettons que Simone et moi on est une liaison. Soit je finis par crever soit je demanderai à arrêter parce que je peux pas continuer à être l'homme qu'elle veut en frayant avec des êtres qui sucent littéralement le peu d'humanité qu'il me reste. Tu l'as entendu aussi tout à l'heure, non ? Mon lapsus. Je tue, je bois à la veine et bientôt je vais transformer des pauvres gars. Pour elle. Et ça me change, quoi que je fasse je vais finir par leur ressembler et elle me détestera. Or si j'abandonne elle me détestera aussi. Peut-être pas aujourd'hui peut-être pas demain mais au prochain carnage des Hurlants, elle se dira que tout ça aurait pu être évité si j'avais eu plus de couilles. Dans tous les cas ça finit mal... J'en ai ma claque des amours tragiques ! Ça fait peut être vibrer Simone mais pas moi. Alors ouais je me suis retiré avant de souffrir. Fin de l'histoire. Merci au revoir !

Je reouvre la porte à la volée.

J'agace Tonton.
Faut dire, chuis plutôt bon à ce jeu là.

- Tu veux une jolie histoire ? Tiens en v'la une....

Bertus me lâche un laïus digne d'une tirade de théâtre.
Ce que j'en retire ?

Blabla...J'aime une meuf en qui j'ai pas confiance...Blabla... Elle peut pas m'aimer vraiment parce qu'elle abandonne pas tout ce qu'elle a construit en 200 ballets pour ma petite personne....Blabla ....et de toute façon c'est toutes des salopes comme ta mère : c'était mon premier amour et elle m'a trahi (on en apprend des trucs !)... blabla... Je crève d'amour pour Simone... Blabla... Mais je serais jamais assez bien pour elle... Blabla... Manque de communication... bla...Certitudes erronées..bla... Soyons tous malheureux ce sera plus simple ! Fin.

- Hé ben voilàààààà! On avance ! ... Tu d'vrais foutre la paix à c'te porte, elle va finir par sortir d'ses gongs...

Je tapote la cendre de ma clope dans mon godet de gnôle vide.

- Et c'est moi qu'tu trouves compliqué-e ? Meeeeeeeeeeec, soyons sérieux. T'es l'seul à kiffer t'rouler dans la tragédie... J'vois pas trop pourquoi tu t'prends la tête. Personne a d'mandé qu'tu sacrifies ton humanité sur l'autel d'la "cause". Et certainement pas Simone. Franchement, c'est cool c'que tu fais Unchi et ça a sacrément aidé, mais la politique de la maison c'est pas d'laisser crever nos alliés. Si t'en peux plus, tu lâches le job et tu rentres à la maison... et quand j'dis "maison" j'parles pas d'la Roumanie, soyons clairs : j'parle de Simone, d'Tata, d'Silviu, d'moi... T'es pas tout seul, t'sais !

Je laisse filer un silence et je baisse les yeux vers mon verre.

- Chuis désolé-e pour Lavinia. J'ai du mal à la détester, c'était ma mère... et une sacrée conasse malgré tout. Moi aussi, elle m'a trahi-e. Elle a choisi ses secrets plutôt qu'sa propre fille. Après la confrontation avec l'daron, et mon refus d'accepter d'fermer ma gueule, elle avait consciencieusement préparé mon sac de voyage pour que je me tire : quelques affaires, un carnet de chasse avec touuuut c'qui faut sur les nocturne, ma machette et un peu de blé. Voilà comment on m'a foutue dehors.... Littéralement avec mes ovaires et mon couteau ! J'crois qu'ça m'a plus défoncé-e qu'la désillusion paternelle. Je le fixe avec un sourire tranquille. J't'ai cherché, t'sais... J'pensais qu'on pourrait faire un bout d'chemin ensemble mais t'avais déjà disparu dans les ombres. Je hausse les épaules. Qui sait ça aurait pt'êt changé ma life ? On saura jamais !

Je tire une latte de nicotine qui transforme ma cibiche en mégot.

- T'es pas aussi prisonnier qu'tu crois, vieux. 'Puis, j'peux pas t'laisser dire que Simone est comme Lavinia : ça c'est vraiment pas la respecter. C'est la meuf la plus intègre, la plus droite et la plus altruiste que j'connaisse. On peut pas faire plus opposé, p'tain! T'as sacrément d'la merde dans les yeux. J'ai un rire un peu triste. J'ai d'la peine pour elle, et pour toi aussi. C'est quand même con qu'vous sachiez pas profiter d'votre éternité... Vous vous foutez une telle pression!

Je pousse un soupir en écrasant ma clope dans mon cendrier improvisé:

- La vie est chiennasse, on va pas s'voiler la face -J'pense qu'y a pas un péquin dans c'te ville qui a pas connu le malheur de près -mais y'a aussi des choses cool, des choses à prendre au vol et à cueillir... pour ça faut juste arrêter d's'reluquer l'épicentre. Les choix qu'on fait, c'est ça qui nous détermine pas les malheurs qu'ont subi..... Rahat, Bertus ! L'Apocalypse c'est pt'êt demain ! T'as pas l'time pour rester coincé sur tes plaies !

Je saute du lit et me dirige vers lui de mon pas chaloupé. J'ouvre grand les bras et j'lui décerne le câlin de sa vie. On a jamais assez d'câlins, moi qui vous l'dit. Il est presque aussi grand que Kaelig et sexy au toucher. Ce serait pas mon oncle, je jouerais bien au docteur avec lui.

- Un jour, on ira s'faire une virée à moto : toi, moi, des binouzes et Mère-Nuit ! Promesse, ce s'ra fun !

- Hé ben voilàààààà! On avance ! ... Tu d'vrais foutre la paix à c'te porte, elle va finir par sortir d'ses gongs...
- T'es sensé te barrer…
- Et c'est moi qu'tu trouves compliqué-e ? Meeeeeeeeeeec, soyons sérieux. T'es l'seul à kiffer t'rouler dans la tragédie...

Bon apparemment iel compte pas quitter ma chambre de suite et j'envisage sérieusement de lea virer avec un coup de pied au cul. Mais comme ça risque d'être énergivore je me contente de reclaquer la porte au moment où Miss O'Grady passe dans les couloirs. Apparemment l'univers a décidé de m'emmerder aujourd'hui.

- M'sieur Taur faites gaffe à mes portes, nom de Dieu !
- Entendu Miss O'Grady ! je réplique les dents serrées.

Je l'entends d'ici ronchonner sur le fait que je suis encore de mauvais poil...
Résigné à me taper une leçon de morale par mon neveu/nièce je croise les bras sur mon torse et lui indique gentiment.
- T'en étais à rouler dans la tragédie.
- J'vois pas trop pourquoi tu t'prends la tête. Personne a d'mandé qu'tu sacrifies ton humanité sur l'autel d'la "cause". Et certainement pas Simone.
Ciulin n’était pas là quand j’ai suggéré à Madame que j’avais parfois envie de tout stopper. Elle n’a pas sauté de joie à cette idée et m’a jamais rien dit dans ce sens non plus.
- Franchement, c'est cool c'que tu fais Unchi et ça a sacrément aidé, mais la politique de la maison c'est pas d'laisser crever nos alliés. Si t'en peux plus, tu lâches le job et tu rentres à la maison... et quand j'dis "maison" j'parles pas d'la Roumanie, soyons clairs : j'parle de Simone, d'Tata, d'Silviu, d'moi... T'es pas tout seul, t'sais !

Je lui dédie mon premier vrai et franc sourire. Non seulement ça fait plaisir à entendre, mais j’en étais de moins en moins certain.
- Et ils vécurent tous heureux et eurent de beaux enfants. Enfin Kaelig au moins.
Son discours a le don de m'attendrir un peu...disons que c'est mieux que des menaces à peine voilées.
- Ca trépigne sec chez les Hurlants en ce moment. Je sais pas ce qui se prépare mais mon instinct me souffle que c’est gros. Je peux pas partir avant de savoir ce que c’est exactement. Plus tard…peut-être… on verra. Je peux encore tenir … et puis faut bien que je m’occupe.

Un silence s’installe et je viens récupérer un second verre que je m’enfile cul sec.

- Chuis désolé-e pour Lavinia. J'ai du mal à la détester, c'était ma mère... et une sacrée conasse malgré tout.
Je ricane un peu, plutôt d'accord…
- T'es pas responsable des saloperies de ta mère. T'excuses pas.  Même maintenant j'ai du mal à la détester aussi tu sais...j'ai bien essayé mais apparemment ça se commande pas ce genre de truc.

Ciulin me raconte ensuite ce que Kaelig m'a révélé dans les grandes lignes et ça me fait froid dans le dos d'en venir à ce genre d'extrémité pour protéger un putain de secret.

- J't'ai cherché, t'sais... J'pensais qu'on pourrait faire un bout d'chemin ensemble mais t'avais déjà disparu dans les ombres. Qui sait ça aurait pt'êt changé ma life ? On saura jamais !
- Je suis surtout désolé de t'avoir tout révélé comme ça. Ça a pas mal chamboulé ta vie et pas qu’en bien. J'étais plus dans le coin, j'avais des sangsues aux fesses et j'ai mis un bout de temps à m'en débarrasser.
Mais ça me fait étrangement plaisir que la gosse ait essayé de me retrouver. Si j'avais su...non je l'aurais pas mise en danger.

- T'es pas aussi prisonnier qu'tu crois, vieux. 'Puis, j'peux pas t'laisser dire que Simone est comme Lavinia : ça c'est vraiment pas la respecter. C'est la meuf la plus intègre, la plus droite et la plus altruiste que j'connaisse. On peut pas faire plus opposé, p'tain! T'as sacrément d'la merde dans les yeux. J'ai un rire un peu triste.
- J'ai jamais dit qu'elles étaient pareilles ! Mais rahat tu m'as même pas écouté !
- J'ai d'la peine pour elle, et pour toi aussi. C'est quand même con qu'vous sachiez pas profiter d'votre éternité... Vous vous foutez une telle pression !
Je garde le silence un moment.
- C’est sans doute un truc de vieux…
- La vie est chiennasse, on va pas s'voiler la face. - J'pense qu'y a pas un péquin dans c'te ville qui a pas connu le malheur de près -mais y'a aussi des choses cool, des choses à prendre au vol et à cueillir... pour ça faut juste arrêter d's'reluquer l'épicentre.
- Oh merci de me faire la leçon vénérable ancêtre, que je lâche avec un rictus ironique. Je sais que j’en ai pas l’air mais j’ai presque l’âge de Paula hein…
- Les choix qu'on fait, c'est ça qui nous détermine pas les malheurs qu'ont subi..... Rahat, Bertus ! L'Apocalypse c'est pt'êt demain ! T'as pas l'time pour rester coincé sur tes plaies !
- L’immortalité a tendance à nous faire voir le temps qui passe différemment, copil.

Enfin iel bouge son cul tout mince de mon lit et se dirige avec détermination…vers moi…l’instant d’après j’ai le droit à une étreinte digne d’un boa constructeur. Trop étonné pour faire quoi que ce soit d’abord et un peu gêné, je finis par passer mes bras autour de son grand corps de tige qui a poussé trop vite et lui rend son câlin. Ça fait un bien fou, on va pas se mentir, et je me surprends à sourire bêtement.

- T’es un chouette gosse.
J’ai la voix un peu enrouée.
- Un jour, on ira s'faire une virée à moto : toi, moi, des binouzes et Mère-Nuit ! Promesse, ce s'ra fun !
- Si tu veux ouais…avec plaisir…après toute cette merde. Bon maintenant tu te casses de ma chambre ? T’as épuisé ton vieil oncle avec toute ta positivité là. C'est pas bon pour mon aura de gothique. J’ai rendez-vous avec ma salle de bain pour quelques poèmes. Oublies pas la veste de Madame.

- Si tu veux ouais…avec plaisir…après toute cette merde.
- On a un deal tonton !
- Bon maintenant tu te casses de ma chambre ? T’as épuisé ton vieil oncle avec toute ta positivité là. C'est pas bon pour mon aura de gothique. J’ai rendez-vous avec ma salle de bain pour quelques poèmes.

J'éclate d'un rire franc et sonore. Il sait se dérider, malgré tout. Comme tout ses frères, faut huiler un peu le moteur avant.

- Oublies pas la veste de Madame.
- Non, Unchi... T'es pas prêt pour l'sevrage brutal. T'as trop b'soin d'sniffer son parfum, encore. Tu lui rendras en personne, ok ?

Je lui donne une tape sur l'épaule.

- L'amour c'est tragique, surtout quand t'as l'coeur gros mais c'est grandiose aussi !

J'en sais quelque chose. J'ai une place pour chaque amour perdu, disparu, condamné dans le palpitant. Pour Shiobhan. Pour Antoine. Des petites tâches sombres dans mon firmament. J'en ai encore plus pour les vivants, les présents, ceux qui restent, ceux à venir, ceux qui m'attendent sûrement.

- C'est comme ça, Unchi. Conseil de sage! Profite, j'fais pas encore payer !

Je lui claque une bise.

- J'reviendrais t'voir ! Crève pas comme un connard, promis ?

Sur ce, je le laisse à sa baignoire, ses poèmes et sa solitude, que j'éspère un peu plus habitée que quand je suis arrivé-e. Bye Bye Unchi ! Tu m'avais manqué.

Mi Novembre

Miss O’Grady circule dans son royaume comme la reine qu’elle a toujours rêvé d’être. Malgré la situation en ville, sa situation financière n’est pas à plaindre. Elle est sans doute loin de posséder l’hôtel le plus chic de la ville mais pas le plus terrible non plus.
Passant devant la chambre 13, elle tourna machinalement la tête. Son premier client régulier ! Et sous ses airs un peu bourru d’armoire à glace, il est assez aimable pour l’aider dans l’entretien de cet héritage familial. En échange, elle ferme les yeux sur la casse qui arrive de temps en temps.
Etrange cet homme…vivant la nuit plus que le jour, bien mystérieux…et elle note que sa jolie Madame ne vient plus le voir.

Encore une histoire d’amour qui finit mal.

C’est vrai qu’elle le trouve plus renfrogné que d’habitude en ce moment…

Ahhh les peines de cœur !

Elle se demande bien comment il arrive à casser son mobilier comme de simples allumettes. Mais c’est que monsieur Taur a de sacrés muscles – elle aime d’ailleurs les contempler au travail, petit plaisir coupable qu’elle s’autorise sans scrupule -.
Un bruit sourd la fait soudain sursauter, comme si une lourde masse s’écroulait au sol. Aussitôt, elle se précipite vers la porte et frappe au battant avec force.

- M’sieur Taur ? Vous allez bien ?
Pas de réponse. Inquiète Miss O’Grady frappe encore et entend alors une faible plainte. Convaincue que Monsieur Taur a besoin d’aide, elle sort son passe partout et commence à ouvrir la porte. Mais au même moment, sous les yeux interloqués de la tenancière, la poignée se tord complètement sur elle-même et devient définitivement inutilisable.
- M’sieur Taur ? appelle-t-elle encore, un peu effrayée à présent.
- Allez…allez vous…en…
La voix est faible, à peine reconnaissable. C’est certain quelque chose ne va pas.
- Vous voulez que j’appelle une ambulance ? Qu’est-ce qui se passe là-dedans ?
- Allez-vous-en !
Cette fois la voix à crier assez fort pour faire reculer Miss O’Grady précipitamment. Mais elle ne reconnait toujours pas complètement la voix de son locataire, comme s’il était terriblement enroué. Mais le bruit de griffures profondes dans le bois la dissuade d’aller chercher plus loin.

*****

Derrière le battant de bois, la bête se terre. Recroquevillée dans un coin de la pièce, les bras sur son visage, la bête à honte et a faim d’une présence qu’elle n’identifie plus. Elle a saccagé la pièce à la recherche de ce quelque chose et sert contre elle une pièce de vêtement, froissée à force d’avoir été manipulée. Mais ça ne lui suffit pas, ça ne lui suffit plus. Elle sent que dehors, la nuit est tombée. Elle devrait sortir, partir à la recherche de ce dont elle crève d’envie, de ce dont elle a tant besoin. Mais quelque chose la retient, une petite partie d’elle lui ordonne de rester tranquille mais elle perd de la puissance.
Bientôt elle sortira, fera sienne cette nuit qui l’attire et trouvera ce qu’elle appelle de tout son corps et de toute son âme bestiale.

*****

Miss O’Grady dévale les escaliers, le teint verdâtre, le souffle précipité et le palpitant frôlant la crise cardiaque. Que se passe-t-il bon Dieu ! Frénétiquement et avec des mains tremblantes, elle fouille le tiroir où elle est persuadée d’avoir rangé le numéro. Au bout de longues minutes, elle finit par mettre la main dessus.
Elle doit s’y reprendre à deux fois avant de taper le bon numéro. Les sonneries défilent, enfin on décroche.
- Dieu soit Loué ! Miss O’Grady est très croyante. C’est…c’est Miss O’Grady du Lost paradise… c’est à propos de M’sieur Taur… je crois qu’il a un gros soucis…
Avec une précision chirurgicale, la taulière raconte en détail ce qu’elle a entendu et perçu avant de raccrocher.

Puis, elle se met à prier.

Sa capacité de concentration est au point mort. Elle essaie désespérément de focaliser sur un des innombrables rapports d'activités d'Eustache, sans y parvenir. Son esprit vagabonde et comme souvent ces derniers temps, il retourne se lover contre son corps musculeux, profiter des caresses tendres de ses mains calleuses, abimées et viriles, ses tympans se trouvent bercés par sa voix apaisante de bariton. Comme dans un rêve éveillé, elle retrouve ses baisers, son rire et ses yeux noisette pailletés d'or.
La réalité la rattrape toujours, morne et froide.
La douleur de l'absence avec.
La honte la submerge toujours, quand elle réalise son manque. Un manque odieux qui ouvre des plaies toujours fraiches.

Il ne veut pas de moi.

C'est ce que Simone se répète, en boucle, incapable de sortir ses derniers mots de sa tête. Eustache a bien reniflé qu'un mal la ronge, mais elle agite habilement le spectre de sa pathologie comme réponse à tout. Pour Ciulin, c'était un accident. Elle a fait un malaise devant ellui alors qu'elle devait se rendre en personne à une entrevue avec Bertus, la première depuis leur union fulgurante et leur séparation immédiate. Difficile de passer outre les explications quand prononcer le prénom de son oncle la fait suffoquer.

Il ne veut pas de moi.

Elle aurait du lui dire, trouver les mots, mais elle n'y était pas parvenue. Elle maudit sa lenteur, son inertie, son esprit d'escaliers. Simone est trop cérébrale et pas assez spontanée. Elle pensait, pourtant, que le message serait passé à travers leurs morsures.
Le sang ne ment pas.

Il me manque.

La sonnerie de son téléphone la fait sursauter mais c'est surtout l'intitulé du numéro qui l'interpelle. Elle décroche avec un froncement de sourcil.

- J'écoute ?
- Dieu soit Loué ! C’est…c’est Miss O’Grady du Lost paradise… c’est à propos de M’sieur Taur… je crois qu’il a un gros soucis…
- De quelle nature Miss ? demande Simone en essayant de faire taire les sirènes d'angoisse qui tempêtent sous son crâne.
- Il.. Il a l'air de souffrir et ... Ma porte.. Il a tordu ma poignée de porte ! et.. c'est comme si y'avait un fauve qui s'déchaine là d'dans.. Chuis terrifiée!
- Miss O'Grady ? Gardez-votre calme et écoutez bien ce que je vais vous dire. Isolez tout l'étage en prétextant une fuite de gaz et montez vous barricader avec vos clients au deuxième.
- J'appelle les pompiers ? Les militaires ?
- Surtout pas ! Ce sont de simples mesures de précautions. Mieux vaut être prudent. Faites-moi confiance. Je vais m'occuper de Mr Taur.
- D'accord...Je .. Je comprends....
- J'arrive au plus vite régler la situation.

Une douzaine de minutes plus tard, Madame se trouve devant la porte de la chambre n°13, à la serrure gondolée. Simone lutte âprement contre son corset fantôme qui lui oppresse la poitrine. Elle fixe toute son attention sur l'urgence. Agir pour distancer le traumatisme personnel. Agir pour sauver.

- Bertus ? hèle-t-elle d'une voix qu'elle espère calme et posée. C'est Simone. Je suis venue vous aider. Bertus ... ?

Pas de réponse.

- Bertus, je vais entrer.

Madame prend une longue inspiration alors qu'elle n'a même plus de poumons.

- J'entre... dit-elle résolument en donnant à la porte un coup de paume avec une force suffisante pour la débloquer.

Simone pénètre alors un lieu de dévastation.

Ô Bertus... Qu'as-tu fait ?

La bête règne dans un monde chaotique. Le lit est renversé, saccagé et de violentes marques de griffures ont éventré les draps jusqu’au matelas. Elle a tenté de retrouver les fragments d’odeur provenant d’une unique goutte de sang séchée qui a taché la literie. Elle l’a léchée, désespérée de retrouver ce qui lui manque depuis le tréfond de ses entrailles mais ça n’a fait qu’attiser son appétit.
Les autres meubles gisent au sol, reliquats de mobiliers qui ont fini en petit bois. Le tapis a lui aussi subi le courroux des griffes acérées.

La bête s’est arrêtée lorsqu’elle n’a plus rien eu pour satisfaire son envie de violence, frustrée par ce manque, toujours lui. Celui qui pulse avec empressement, bouillonne dans ses veines. Seul le vêtement reçoit tous ses égards. La créature des ténèbres le caresse, le porte à son nez, le sert contre son torse déformé. Mais le parfum a presque disparu, et elle gémit de douleur autant que de privation. Elle en a mal et son corps monstrueux tremble.

Puis on ouvre sa cage.
Non ! Il ne faut pas me laisser sortir !

La sommation est puissante et cloue la bête sur place.  
Mais une odeur entêtante parvient à ses narines, une présence pénètre sa tanière de désolation.
Celle qu’elle attendait, celle qu’elle a toujours attendu…elle est venu jusqu’à elle. La créature gronde, se redresse, la voix dans sa tête est bien faible face à l’objet de sa convoitise, bel et bien présente.
La honte, la souffrance ne sont rien face au bonheur de retrouver sa pièce manquante. Peu lui importe son apparence monstrueuse, elle avance, tenant toujours la veste précieusement contre elle.

La bête en a assez de la lenteur, elle veut tout, tout de suite. Le vêtement tombe comme au ralenti alors qu’elle a bougé en quelques millièmes de secondes pour s’arrêter face à l’objet de toutes ses convoitises. Un soupçon de retenu l’empêche de se jeter sur l’intruse.

La bête rencontre la belle.
La femme.
La vampire.
La moitié manquante de son être.

Une main griffue s’approche du visage si beau, si douloureusement beau. Avec une délicatesse insoupçonnable chez ce monstre de contes et légendes, elle vient caresser une joue satinée. La créature éprouve une exaltation telle qu’elle en émet une sorte de grognement qui pourrait passer pour un sanglot. Elle tombe à genoux devant son tout et encercle sa taille de ses bras, frottant son visage difforme contre le tissu de son ventre.  

Plus les secondes passent moins la bête se contient. Elle a besoin de plus alors elle agrippe la femme et l’attire violemment vers le bas, sur ses genoux, la serre contre son giron comme si elle n’allait plus jamais la lâcher. L’étreinte est presque douce d’abord puis se fait plus forte, plus féroce. On ne la lui arrachera plus, elle tuera quiconque se mettra sur le chemin qui mène à elle. La créature inspire profondément, vient nicher son horrible faciès contre le cou si attirant. Les dents claquent mais elle retient ses plus bas instincts.

L’enlacer lui suffit…
… pour l’instant.  

Alors venu des abysses de sa conscience s’échappe un prénom.
- Simone…

La chambre est un no-man's land de désolation et de fracas. Mobilier, murs, tissus, rien n'a été épargné par la rage aveugle du monstre. Simone déglutit. Une forme recroquevillée sur elle même se redresse de toute sa hauteur parmi les débris du sommier.

Bertus est méconnaissable.

Le regard vide, pupilles et sclères remplis de sang, la mâchoire protubérante, déformée par ses crocs, il se balance d'une jambe à l'autre, arquée selon un angle improbable. Les griffes, effilées et démesurées, sont d'un noir de cendre qui lui remonte jusqu'aux coudes. Elles triture un morceau de tissus noir en lambeaux. Simone croit reconnaitre le blazer qu'elle avait égaré, avec effarement.
En une fraction de secondes, il troque son trophée pour se pencher sur elle. Simone ne cille pas, les yeux fixés sur lui avec toute la détresse du monde tapie dans leurs cieux prisonniers. Bertus a cédé à l'animal, il est devenu cet Hurlant qu'il exècre. Tout cela est de sa faute.

Si j'avais su te parler...

La serre ténébreuse de l'Upir effleure le nacre de sa joue. Simone, ferme les yeux à demi en frissonnant. Même ainsi, elle se repait de son contact. Bertus pousse une plainte qui lui fend l'âme et fait battre son palpitant, mort des siècles auparavant. Elle recouvre la main hideuse de sa paume pâle.
La Bête s'affale à ses pieds comme pour quémander son pardon. Elle enlace sa taille menue de ses bras puissants. Simone la laisse faire, caressant les cheveux blonds trempés de sueur qui poisse sur son front et sa nuque. Elle ne résiste pas davantage quand le monstre l'agrippe avec force pour la serrer contre sa carcasse affamée. Elle le laisse faire sa guise, lui promulguant toujours caresses et affection.

- Simone…
- Je suis là, Bertus.... lui souffle-t-elle les larmes aux yeux. Je suis là.... C'est fini...

Elle embrasse son visage destructuré par la métamorphose.

- Tu vas rentrer avec moi... Tu vas arrêter tout ça. Je ne peux plus supporter l'idée que tu te sacrifies pour me plaire. Tu ne joueras plus les espions, s'est promis... Reviens-moi, s'il te plait... S'il te plait... Bertus... implore-t-elle.

Une bête peut-elle aimer ?
Si ça n’est pas la cas, ce que l’Upir ressent en est sans doute très proche. C’est quelque chose de dévorant et qui ne s’apaise que sous les caresses que lui prodigue la femme pour devenir un sentiment plus doux, plus confortable. La femme est tout ce qu’elle a toujours souhaité…
Simone… souffle la voix.
Elle répète ce prénom encore et encore. Il a le don d’éloigner les ténèbres qui encerclent l’esprit de la bête, là où elle garde prisonnière une âme à la dérive, une âme qui hurle.

- Je suis là, Bertus... Je suis là.... C'est fini...

Bertus ?
La bête tique, renâcle. Qui est cet être qui se met entre elle et son aimée ? Elle sert le corps gracile plus fort encore, lèche la peau tendre du cou où elle voudrait planter ses crocs.
…où je les ai déjà planté !
Une main fraiche parcourt son front, sa nuque, ses cheveux salis par la transpiration. Des lèvres douces se posent sur la peau de son visage. La femme se fiche bien de sa monstrueuse physionomie, elle l’aime aussi, la bête en est certaine. A tort ou à raison ? L’animal ne se pose pas ce genre de question, il n’y a que son instinct qui parle, pas son intellect.
La créature aimerait pouvoir lui rendre ses baisers mais son corps de monstre ne lui permet pas ce genre de geste tendre, alors elle geint de dépit.
Elle a pourtant un moyen. Il lui suffit d’écouter cette âme qui crie toujours.

- Tu vas rentrer avec moi... Tu vas arrêter tout ça. Je ne peux plus supporter l'idée que tu te sacrifies pour me plaire. Tu ne joueras plus les espions, s'est promis...

Les mots n’ont pas d’impact sur la créature, trop compliqués mais elle comprend qu’elle pourra rester avec sa moitié. C’est tout ce qui compte. Elle mettra le monde à feu et à sang si elles sont à nouveau séparées.

- Reviens-moi, s'il te plait...
Mais elle est là ! C’est ce qu’elle voudrait lui dire. Sa main à l’allure de serre se pose sur les traits pleins de chagrin de la vampire, lève son visage vers son faciès horrible. Pourquoi est-elle triste ? Ne sont-elles pas enfin réunies ? La bête ne comprend pas, s’énerve, finit par poser son large front contre le sien pour trouver une autre forme de communion avec la femme.
Simone…

- S'il te plait... Bertus...
Bertus ! Encore ce nom maudit ! Mais la voix de sa bien-aimée est si déchirante qu’on jurerait qu’elle supplie. Elle veut revoir cet être. Ce Bertus.
La bête veut effacer le chagrin palpable de la femme. Dans un sursaut d’intuition, elle sait qu’elle n’en sera pas capable. Des larmes incongrues sur la figure d’un tel monstre coule pourtant sur ses joues sans qu’elle ne puisse les arrêter. C’est à cause de cette âme, cet être palpitant qui se recroqueville de honte derrière la bête. C’est lui. Ce Bertus.
La bête ne veut pas que le cœur de Simone pleure avec elle, alors elle va chercher celui qu’elle appelle avec tant d’affliction. L’oblige à faire face, à revenir. L’Upir vient lover sa tête une dernière fois contre le cou de la femme, inspire son parfum unique dont elle ne peut plus se passer et pousse Bertus plus fort.
C’est lui qu’elle veut, elle l’aura.

Lentement, le monstre reflue et le corps qu’elle laisse derrière elle reprend des formes plus humaines.
Avant de partir pour de bon, elle laisse son cœur entre les mains de la vampire...Simone.

*****

Je reprends les rênes de mon corps douloureux après la transformation, les joues trempées de larmes. Je me sens si abjecte, si faible d’avoir céder à l’appel de la bête tapie en moi. Je sais exactement ce qui lui a permis de sortir. Quelque que soit le lien qu’on a créé Simone et moi, la bête n’a pas supporté son absence. Je ressens encore le vide que ce lien brisé à laisser. Ce vide qui a appelé la Bête.
Simone est venue… malgré tout, elle est venue.
C’est enfin mes yeux que je plonge dans les siens. Mais je les détourne très vite, honteux, et je pose mon front dans le creux de son cou, les épaules secouées de sanglots silencieux.

- Pardonne-moi…je t’en supplie…pardonne-moi…

D’être si lâche, si stupide et si faible…
Ma voix sort misérable, enrouée comme si j’avais passé des heures à hurler.
Lentement et avec bien plus d’hésitation que la bête, mes bras reviennent l’encercler et la presse doucement contre moi.

- Ne me laisse plus… ça fait trop mal… j’ai pas su…j’ai pas su l’empêcher de sortir…

Simone dans sa tentative désespérée de ramener Bertus à la surface n'a pas conscience de ses propres larmes. Elle ignore quel a été le déclencheur de cette transformation brutale, mais sa culpabilité lui susurre que c'est entièrement de son fait : elle a poussé le doyen des Taur dans ses retranchements en lui offrant cette mission ; Elle l'a enchainée à elle par malsaine affection ; Elle a poussé le vampire au delà de ses limites alors qu'il avait lui même tiré la sonnette d'alarme sur son état, et ce à plusieurs reprises.
Pourquoi n'a-t-elle pas su lui dire qu'il fallait tout arrêter cette fameuse nuit ?

Parce que je suis lâche et veule.

- Je suis désolée, si désolée....

L'Upir gémit, s'ébroue, exprime une perplexité douloureuse.
Simone sanglote tout aussi éprouvée que lui.

Soudain, sous les caresses éperdue de la vampire, les os de la Bête craquent. Symphonie macabre. Les muscles saillants dansent sous la peau marbrée, valsent avec les tendons. La mâchoire pleines de croc se rétracte par soubresauts. La nécrose reflue, rendant au derme sa texture lisse et laiteuse. Finalement, la carcasse déformée et hideuse reprend des atours d'être humain.

Bertus est là.
Tremblant, éploré, contrit mais de retour.
Ses prunelles sont emplies d'un terrifiant dégout de soi qui avive les valves du palpitant de Simone. Elle le blottit tout contre elle, l'enveloppe de la protection de ses bras.

- Pardonne-moi…je t’en supplie…pardonne-moi…
- Il n'y a nul besoin de pardon... Tu n'as commis aucune faute, pas la moindre. Tu n'a rien à te reprocher affirme-t-elle avec une tendre férocité. Tout cela est de ma faute, pas de la tienne.
- Ne me laisse plus… ça fait trop mal…
- Jamais plus, je te le promets.

Elle s'accrochera à lui, même s'il continue de la repousser. Encore et encore.

- J’ai pas su…j’ai pas su l’empêcher de sortir…
- Chhhhh.... C'est fini, Bertus. C'est fini. Je te ramène chez toi... chez nous. Tu as assez donné de toi sur cette mission. Je ne supporterais pas de te voir te consumer d'avantage. Elle reprend alors ses propres mots : Tu mérites mieux...

Elle prends délicatement son visage meurtri entre ses paumes, dégage quelque mèches de cheveux trempée de sueur de son front. Ses yeux miroitant son magnifiques.

- Laisse-moi mettre fin à tout ça. S'il te plait. Tu n'a rien à me prouver. Je savais dès notre première rencontre que tu étais un homme exceptionnel...

Ses lèvres épousent sa bouche, retrouvant leur place légitime. Elle lui transmets, espère-t-elle, toute la puissance de ce qu'elle éprouve. Lorsqu'elle s'arrache à ses baisers c'est avec un regret palpable.

- Je vais appeler mes hommes, d'accord ? Ils vont s'occuper de tout. Je reste avec toi. Je ne te lâche pas... insiste-t-elle.

Elle attrape son portable dans son trench d'une main, l'autre refusant de quitter Bertus.

- Eustache ? J'ai besoin d'un équipe d'extraction.... Prenez vos meilleurs nettoyeurs, il va falloir remodeler certains souvenirs....Je suis sur place, oui.... Très bien, merci beaucoup.... J'apprécie votre discrétion.

Elle raccroche pour composer un autre numéro.

- Allo ? Oh.... Léonard, c'est toi ? Je pensais tomber sur Varsovie.... Oui.... Oui.... C'est un très beau progrès, Léonard, je suis fière de toi, fait-elle avec une chaleur sincère dans le timbre. Pourrais-tu me passer Varsovie ? Merci.... Varsovie, je ne rentrerais pas ce matin. Prends les dispositions nécessaires pour Léonard. Qu'il suive consciencieusement ses séances... oui... Merci Kochanie*.

Elle câline les pommettes anguleuse de Bertus avec un sourire.

- Voilà... Tu vas pouvoir bientôt te reposer.

- J’ai pas su…j’ai pas su l’empêcher de sortir…
- Chhhhh.... C'est fini, Bertus. C'est fini. Je te ramène chez toi...
Je redresse difficilement la tête, j’ai l’impression qu’elle pèse des tonnes.
- Je n’ai pas de chez moi Simone…
- … chez nous, corrige-t-elle doucement et je jurerai sentir mon cœur mort pulsé à nouveau pendant quelques secondes. Tu as assez donné de toi sur cette mission. Je ne supporterais pas de te voir te consumer d'avantage. Tu mérites mieux...

Je ferme les yeux un moment, toujours à l’abri de l’étreinte de Simone. Ces mots, c’est ceux que j’ai toujours rêvé d’entendre de sa bouche sans jamais vraiment les espérer. Son autorisation pleine et entière de penser à nous avant le bien commun. Je savoure cette possibilité un temps, celui que je m’octroie pour rêver à cet avenir.

- Laisse-moi mettre fin à tout ça. S'il te plait. Tu n'as rien à me prouver. Je savais dès notre première rencontre que tu étais un homme exceptionnel...

Je l’observe avec une fixité surnaturelle, me gave de ses expressions tandis que mon pouce vient effacer les reliquats de sa tristesse sur ses joues. Nos lèvres se retrouvent, toute en douceur et je me demande un instant comment j’ai fait pour vivre sans pendant ses douloureuses semaines. Il est temps que j’arrête de me voiler la face. Simone fait maintenant partie de moi et sans sa présence je ne suis plus qu’un monstre. Et même si je suis prêt à tout pour elle, c’est de passer l’éternité à ses côtés qui est devenu mon nouveau rêve, ou mon fantasme peut-être…

- Je vais appeler mes hommes, d'accord ? Ils vont s'occuper de tout.
Inconsciemment je resserre mon étreinte, refusant l’idée même de devoir la lâcher un instant. Ma volonté est encore trop faiblarde.
- Je reste avec toi. Je ne te lâche pas...
Je hoche simplement la tête, trop honteux pour parler et l’écoute ensuite passer différentes directives avec son autorité toute en douceur qui fait d’elle cette femme qu’on a envie de suivre, envers et contre tout. Le ton tendre qu’elle emploi pour l’adolescent vampire qu’elle vient d’adopter ne ment pas sur l’affection qu’elle lui porte déjà.
J’ai retrouvé un semblant de calme et de lucidité et me sent enfin capable de parler. Elle retourne son attention vers moi et me sourit.

- Voilà... Tu vas pouvoir bientôt te reposer.
Je récupère sa main dans la mienne et en baise amoureusement les phalanges. Puis je cherche son regard et vrille mes iris dans l’océan limpide de ses yeux.
- Quelques jours oui, avec toi si tu le veux bien. Ici. Non pas que la perspective de venir chez toi me parait pas tentante… Mais je ne vais pas arrêter, Simone, pas tout de suite. Je l’embrasse avec passion pour couper court à ses protestations qui ne manqueront sans doute pas de venir. Je recule ensuite, mes mains entourant son visage adoré. Je l’ai dit à Ciulin, les Hurlants préparent un gros coup, à grande échelle. Ca n’est plus la vie de quelques personnes dont il est question mais de toute la ville…ta ville. Je caresse lentement sa joue. Laisse-moi me battre une dernière fois pour nous…pour notre avenir ici.

Je ne lui fais même pas l’affront de lui proposer de fuir ensemble, je sais qu’elle refusera. Elle n’est pas le genre de femme à se dérober à ses responsabilités. C’est en partie pourquoi je l’admire autant.  

- J’ai juste…besoin de toi. Besoin de ton soutien, de te voir, de te toucher, de m’accrocher à celui que je suis, celui que je veux être pour toi. J’en suis capable. Mais pas sans toi.

Je note soudain que mes vêtements sont en lambeaux et que j’aurais bien besoin d’une bonne douche. L’état de la chambre m’apparait aussi dans toute sa brutale destruction.  
- Rahat, Miss O’Grady va me tuer…je vais encore devoir changer de chambre...j'aimais bien celle-ci. Je lui ai pas fait de mal au moins ? Il me semble avoir entendu sa voix à un moment…

- Quelques jours oui, avec toi si tu le veux bien. Ici....
- Tu ne peux pas.... Cet endroit est bien trop exposé...

Simone l'observe sans comprendre. Qu'essaie-t-il de lui dire ? Sa conscience ne percute pas, son intellect refuse l'analyse.

- Non pas que la perspective de venir chez toi me parait pas tentante… Mais je ne vais pas arrêter, Simone, pas tout de suite.
- Quoi...?! S'exclame-t-elle le timbre fêlé.

Bertus choisit le meilleur moyen de la faire taire : il l'embrasse à pleine bouche, ne lui laissant aucun espace pour répliquer. Elle se dégage avec une expression furibonde.

- Bertus, tu n'y penses pas !? Regarde dans quel état tu te trouves ! Je refuse net que tu en encaisses davantage !
-Je l’ai dit à Ciulin, les Hurlants préparent un gros coup, à grande échelle. Ca n’est plus la vie de quelques personnes dont il est question mais de toute la ville…ta ville.
- Tu vas te perdre à la tâche !Je vais te perdre... Lui dit-elle avec une expression de détresse. Sa lippe tremble. Elle refoule l'oursin dans sa trachée.
- Laisse-moi me battre une dernière fois pour nous…pour notre avenir ici.

Madame ouvre la bouche, mais aucun argument ne lui vient en gorge. Bertus à perdu ses aspirations suicidaires pour croire en un futur dont elle fait pleinement partie. Elle ne peut pas lui retirer cela maintenant. Simone ferme les yeux, vaincue, des larmes s'échappant de ses long cils noirs.

- Dis-moi comment tu comptes t'y prendre pour ne pas te diluer dans ton rôle?
-J’ai juste…besoin de toi. Besoin de ton soutien, de te voir, de te toucher, de m’accrocher à celui que je suis, celui que je veux être pour toi.
- Même si je suis vierge ? S'enquiert-elle avec un soupçon d'acidité. Et que cela te dégoûte....  
-J’en suis capable. Mais pas sans toi.
[color=indianred- Je serai là. Pour l'éternité.... Tu a bu mon sang et je me suis abreuvée du tiens Bertus. Sais tu seulement ce que cela signifie entre vampires?[/color]  Elle le regarde droit dans les yeux. Ses phalanges effleurent sa bouche. C'est un engagement profond entre êtres éternels. C'est.. C'est la plus grande preuve d'amour et de loyauté....

Murmure pudique de jeune mariée. Car c'est cela qu'il ont intimement contractés avant qu'il ne l'a chasse : des fiançailles de l'ombre. Le silence retombe sur eux et la chambre dévastée. Bertus semble gêné. Il meuble le vide destructuré.

- Rahat, Miss O’Grady va me tuer…je vais encore devoir changer de chambre...j'aimais bien celle-ci.
- Mes Nettoyeurs vont la retaper. Ils ont l'habitude.
-Je lui ai pas fait de mal au moins ? Il me semble avoir entendu sa voix à un moment.
- Miss O'Grady va bien. C'est elle qui m'a alertée. Elle est à l'étage avec les autres clients à cause d'une "fuite de gaz". La mémoire leur sera partiellement effacée au besoin. J'espère simplement que tout ce remue ménage ne mettra pas la puce à l'oreille des Hurlants... Je n'ai pas envie que ce lieu ne soit plus suffisamment sécurisé. Ses doigts dévalent sa plastique avantageuse. Moi aussi.... J'aimais cette chambre.

Ses yeux bleus immense remontent vers lui et elle l'embrasse à son tour sans sommation.
Une petite toux embarrassée se fait entendre dans leur dos. Un homme noir massif, crâne rasé et en costume noir est sur le seuil.

-Hum... Hum... Madame. Les hommes sont prêts.

Eustache fixe la moquette avec intensité.  Sa condition de vampire empêche Simone de rougir jusqu'au cheveux.

- Il faut remettre cette chambre en l'état, et s'occuper des civiles à l'étage, ordonne-t-elle après s'être détachée de Bertus et recomposée une expression de parfaitement professionnelle.

- Même si je suis vierge ? Et que cela te dégoûte...
Je fronce les sourcils, perplexe. Quand est-ce que j’ai laissé entendre un truc pareil ? Ou alors… c’est ça qu’elle a interprété cette nuit-là ? Je dépose un nouveau baiser sur le dos de sa main. Je toussote un peu, gêné puis déclare à voix basse.  
- Ta virginité ne m’a jamais dégouté, Simone. Elle m’a…surprise, c’est tout. C’est…je voulais simplement que ce moment se fasse pas à la sauvette alors que j’étais à moitié rendu dingue par le goût de ton sang. Donc oui… J’en suis capable. Mais pas sans toi.
- Je serai là. Pour l'éternité.... Tu as bu mon sang et je me suis abreuvée du tiens Bertus. Sais tu seulement ce que cela signifie entre vampires ?  
Ma grimace en soit est une réponse.
- Comme je te l’ai dit, celui qui m’a créé était assez avare en explication …
- C'est un engagement profond entre êtres éternels. C'est… C'est la plus grande preuve d'amour et de loyauté....

Son chuchotement est à peine perceptible mais tout me parvient avec clarté. J’écarquille un peu les yeux que j’ai planté dans les siens. La portée de notre geste va bien au-delà de ce à quoi j’avais songé. J’aurais aimé le savoir avant, prendre la décision en mon âme et conscient plutôt que d’en subir les conséquences. Pour autant j’arrive pas vraiment à regretter ce qui s’est passé. Simone est spéciale pour moi et l’a été bien avant qu’on se morde l’un l’autre. Ca ne change au final pas grand-chose, si ce n’est que son absence prolongée semble réveiller ma soif et la Bête.

J’arrive pas tellement à poser des mots sur ce que me fais cette révélation alors je préfère embrasser son front et changer de sujet.

- Rahat, Miss O’Grady va me tuer…je vais encore devoir changer de chambre...j'aimais bien celle-ci.
- Mes Nettoyeurs vont la retaper. Ils ont l'habitude.
- Je lui ai pas fait de mal au moins ? Il me semble avoir entendu sa voix à un moment.
- Miss O'Grady va bien. C'est elle qui m'a alertée. Elle est à l'étage avec les autres clients à cause d'une "fuite de gaz". La mémoire leur sera partiellement effacée au besoin. J'espère simplement que tout ce remue-ménage ne mettra pas la puce à l'oreille des Hurlants...
- La plupart sont en forêt pour « accueillir » des nouveaux. Ça ira je pense.
- Je n'ai pas envie que ce lieu ne soit plus suffisamment sécurisé. Moi aussi.... J'aimais cette chambre.
J’ai un petit sourire en coin tandis que son doigt chatouille ma peau.  
- Miteuse mais attachante hein …

Elle m’entraine dans un baiser brûlant et je l’attire tout contre moi jusqu’à ce qu’on se fasse interrompre par une armoire à glace à la peau d’ébène.

- Hum... Hum... Madame. Les hommes sont prêts.

Je souris comme un chat devant un bol de crème et fleure le parfum de la gêne aussi bien chez l’intru que je soupçonne d’être Eustache que chez Simone.

- Il faut remettre cette chambre en l'état, et s'occuper des civils à l'étage.

Après avoir vérifié que mes bouts de pantalons me recouvrent encore suffisamment, je me relève avec précaution et tend la main à ma partenaire que je refuse de lâcher une fois debout. Je fouille dans les restes de ma table de chevet, trouve une paire de clés puis réussi à mettre la main sur d’autres vêtements à peu près en état.  

- On va se trouver une autre chambre de dispo si ça te va.
En passant devant l’homme toujours sur le seuil de la chambre, je tapote son épaule, plein de sollicitude.
- Désolé pour le bordel. Bon courage…

Je guide Simone dans les couloirs jusqu’à une chambre que je sais être vite. J’ouvre la porte verrouillée avec mes clés et explique.
- Je fais quelques travaux dedans depuis quelques jours mais elle est largement viable ça sentira juste la peinture.
La chambre ressemble à toutes les autres si ce n’est que j’ai retiré la tapisserie défraichie pour repeindre les murs dans des tons plus clairs et plus moderne et que la moquette à laisser la place à du parquet.
- C’est une chambre test. Pour prouver à Miss O’Grady que ses chambres ont du potentiel.

Je me laisse tomber sur le bord du lit et revient cherche le contact de Simone donc j’entoure la taille de mes bras comme la Bête la fait il y a à peine quelques minutes. Je calle le côté de mon visage sur son ventre et soupire.

- Je suis tellement désolé pour la dernière fois Simone. Je t’ai repoussé comme un lâche, me persuadant que tu finirais par me briser le cœur tôt ou tard…alors que tout ce que je veux c’est être avec toi.
J’embrasse son ventre à travers le tissu et relève les yeux vers elle.
- J’ai besoin d’une douche… tu m’attends ?

Je me relève ensuite, lui vole une série de baisers avant de réussir à me dégager. Une fois dans la salle de bain je déchire le reste de mes vêtements et me glisse sous l’eau chaude avec délice. Elle lave les reliquats de cette nuit qui tourbillonnent dans le siphon avant de disparaitre.

Simone est terriblement embarrassée. Il n'est pas dans ses habitudes de mélanger travail et vie personnelle, encore moins de s'afficher de cette manière avec un homme.

- On va se trouver une autre chambre de dispo si ça te va.
- Entendu.

Eustache lève brusquement le menton, abasourdi. Sa retenue de gentleman l'empêche d'objecter de manière cinglante.

- Madame, puis-je m'entretenir avec vous en privé.
- Je te rejoins dans le couloir, souffle Simone à Bertus.

Lorsque le vampire tapote familièrement l'épaule de l'efrit, Madame croit voir ses prunelles s'enflammer.

- Désolé pour le bordel.
- Pas autant que moi.
- Bon courage…

Eustache se dirige vers Madame et entame la conversation en français.

- Madame, savez-vous exactement qui est cet homme ?!
- Suggérez-vous que je puisse être mal informée, Eustache. Réplique-t-elle sèchement.
- C'est un Hurlant et un des plus féroces selon nos renseignements.
- Et d'où croyez vous tenir ces informations exactement, mon cher ?
- Vous ne pouvez pas vous fier à ce prédateur quoiqu'il puisse vous dire ! Il ne sera jamais fiable en tant qu'informateur !
- Seriez-vous en train de remettre mon jugement en question Eustache ? Le timbre est polaire. Douteriez vous du bien fondé de mes décisions ?
- Non... Bien sûr que non. Cependant, Simone, jamais vous ne vous étiez impliquée aussi  "personnellement".
- Et ? Ai-je une seule fois manqué de discernement depuis que nous nous connaissons Eustache ?
- Certes pas...
- Alors ayez toute confiance en moi quand je vous dis qu'il est l'un des nôtres.

Sur ce, elle le plante au beau milieu du mobilier en charpie et retrouve Bertus qui la conduit dans une chambre d'un tout autre standing qui hume la peinture encore fraîche. Rien à voir avec le papier peint défraîchi et la moquette mangée aux mites.

- Je fais quelques travaux dedans depuis quelques jours mais elle est largement viable ça sentira juste la peinture. C’est une chambre test. Pour prouver à Miss O’Grady que ses chambres ont du potentiel.
-Tu fais ça pour elle ? C'est adorable.

Simone le couve d'un sourire attendri tandis qu'il l'attire à lui pour retrouver le quiétude de son giron. La vampire le câline sans mot dire, passant ses doigts blancs dans sa chevelure encore humide.

- Je suis tellement désolé pour la dernière fois Simone. Je t’ai repoussé comme un lâche, me persuadant que tu finirais par me briser le cœur tôt ou tard…alors que tout ce que je veux c’est être avec toi.

Une émotion brusque la prend à la gorge.

- Tu... Tu ne regrettes pas d'avoir bu mon sang...? Demande-t-elle d'une voix mal assurée, bien loin de la femme de pouvoir.

Quelque soit sa réponse, Bertus éprouve le besoin de prendre une douche. Sa compagne refoule l'envie peu raisonnable de le rejoindre. Elle va attendre. Sagement. Simone retire sa veste et s'assoie sur le lit. Elle est une femme de retenue et de patience. Elle sait mieux que quiconque attendre. La vampire regarde autour d'elle comme pour solliciter les meubles à témoins.
Finalement, elle se lève, se dirige vers la salle de bain minuscule et embuée.

Bertus est là, nu et sculptural, paupières closes comme un priant sous l'eau déferlante. Simone s'abîme dans cette vision sans pouvoir détacher les yeux de sa beauté.

Lorsqu'il sort, elle tire la serviette sur le portant sans la regarder et s'applique à le sécher avec une douceur exquise.

Lorsque je sors de la douche, je suis accueilli par Simone qui me scrute sans ciller. La serviette est mécaniquement arrachée à son support et elle se met à me sécher avec une grande délicatesse. Je l’observe faire, songeur. Je n’ai pas su quoi répondre à sa dernière question et j’ai préféré esquiver en parlant de me doucher. J’avais besoin d’un peu de temps pour être certain de ma réponse. C’est une question importante et elle mérite que je m’y attarde plus de cinq secondes. L’eau chaude et son effet apaisant m’a permis d’y voir définitivement plus clair.

Oui je regrette de ne pas avoir su, de ne pas avoir saisi la symbolique de ce qu’on a fait avant de me jeter sur sa gorge. Je regrette que pour moi, ce geste n’ait, sur l’instant, pas eu la même portée que pour elle.

Alors il faut que je remédie à ça.

J’arrête son geste et la serviette tombe entre nous deux. Dans un mouvement délicat je la soulève dans mes bras et vais la déposer sur les draps, à l’allure plus fraiche, de notre chambre pour la journée. Fluide, je viens me poster au-dessus d’elle, toujours nu, et cherche son regard céleste. Je l’embrasse longuement, sans me presser avant de refluer à regret.

- Pour répondre à ta question, j’aurais aimé savoir avant…comprendre ce que ça signifiait pour nous deux. J’ai agi sous le coup d’une pulsion, d’une envie de te goûter qu’à pas grand-chose à voir avec les sentiments.  

J’écarte plus encore les pans de son chemisier, offrant une vue imprenable sur sa gorge et son cou gracile. Je les parcours du bout du nez, laissant parfois trainer ma bouche sur la peau si blanche qu’elle en est presque translucide. Puis je redresse la tête pour la dévisager avec une intensité toute particulière, digne du moment cette fois.

- Maintenant je sais. Et pour dissiper tout doute, j’aimerais te mordre à nouveau Simone. Je repars vers le tendre de son cou sur lequel je dépose de longs baisers appuyés. Tu me relaisseras faire un jour, dragostea mea ?

Surprise et complètement médusée, Simone se laisse porter par Bertus jusqu'au lit. En une poignée de secondes, la scène d'horreur qu'ils viennent tous les deux de vivre s'est évaporée, brume lointaine du souvenir. Madame a le cerveau vaporeux et la bouche pleine de ses lèvres. Penser avec cohérence et raison lui parait éminemment difficile en cet instant. Elle remercie Bertus de lui offrir une trêve le temps d'une respiration.

- Pour répondre à ta question, j’aurais aimé savoir avant…comprendre ce que ça signifiait pour nous deux. J’ai agi sous le coup d’une pulsion, d’une envie de te goûter qu’à pas grand-chose à voir avec les sentiments.
- Tu te trompes, cela a tout à voir en vérité. Le sang, Bertus, il ne ment pas, il est d'une honnêteté brute. Il exprime notre coeur qui ne bat plus. Tu as bu mes émotions et tu les as trouvées délicieuses. J'ai bu les tiennes et elles m'ont comblée... Cette attraction, cette Faim est révélatrice du lien profond qui nous unit.
- Maintenant je sais. Et pour dissiper tout doute, j’aimerais te mordre à nouveau Simone. La vampire frissonne lors qu'il embrasse sa jugulaire, saillant sous les perles autour de son cou pâle. Tu me relaisseras faire un jour, dragostea mea ?

Avec lenteur, sans le quitter des yeux, elle relève les mains derrière sa nuque et défait le fermoir de son collier à plusieurs rangées. Sa gorge, dépourvue d'artifice est à la merci des crocs de Bertus. Offerte.

- Oui... dit-elle, simplement de son timbre grave et doux.

Maintenant,
Demain,
Pour toujours.

Son explication sur la richesse du sang d’un vampire me parait à la fois irrationnel mais aussi terriblement possible. Jamais je n’avais goûté un sang aussi délectable et riche avant le sien et l’idée même de pouvoir m'en repaître à nouveau me fait saliver d’avance.
Je suis du regard chacun de ses mouvements pendant qu’elle retire son lourd collier de perles et mes pupilles se dilatent comme le feraient celles d’un chasseur avant de sauter sur sa proie. Je déglutis douloureusement pour me contenir, referme mes doigts sur le tissu de son chemisier et sur les draps.  

- Oui...

L’offrande de sa gorge réveille tous mes instincts de prédateurs mais je ferme un instant les yeux pour me reprendre. Je fais d’abord escale sur ses lèvres que je baise avec délicatesse. Sans le vouloir, mon corps réagit avec un peu plus d’aplomb et se plaque plus encore contre elle, cherchant une union charnelle complète. Je descends doucement le long de sa jugulaire qui referme le liquide que je convoite. Mes crocs grattent doucement la peau, comme de tendres caresses…

- Toi et moi… pour l’Eternité.  

…jusqu’à ce que je me décide à la mordre enfin. Aussitôt, son goût exquis flatte mon palais. Cette fois je prends le temps d’analyser ses arômes veloutés, toutes en nuances, addictifs à souhait. Comme la première fois, je ne contrôle pas mon gémissement d’extase. J’aurais voulu mieux maitriser mon corps mais mordre Simone a quelque chose d’érotique que je n’ai jamais senti avec personne d’autre. Et alors qu’elle comble mon appétit, mon désir pour elle se fait évident. Mais cette fois sa jupe reste en place et mon bassin n’esquisse que d’irréguliers mouvements imprévisibles et incontrôlables.
Si je m’arrache à son cou ça n’est que pour mieux prendre d’assaut sa bouche qui subit la violence de mon envie d’elle. Mes phalanges sont carrément exsangues à trop forcer mes mains à la sagesse en enserrant les draps.
Je retourne aux deux petites cavités pratiquées dans sa chair et suce longuement la plaie.

- Délicieuse…tu es délicieuse…je murmure contre sa peau.

Mes crocs pénètrent à nouveau sa chair et l’une de mes mains s’échappent et erre lentement sur les courbes et les plats qu’elle redécouvre. Je veux oublier le reste de cette journée et de cette nuit, oublier que j’ai décidé de continuer comme un abruti alors que je pourrais profiter d’une existence aux côtés de Simone, la voir tous les jours, revenir du côté de ma famille. Je souhaite me perdre en elle de la seule façon possible pour l’instant.
Finalement je relève la tête avec un soupir de regret autant que de bien-être. Je pose mon front contre le sien et vrille mes iris dans son regard hypnotique.

- Je te choisis, Simone. Aujourd’hui et aussi longtemps que durera mon existence.

Simone est subjugué par l'intensité de ses yeux. Elle a un petit hoquet d'anticipation lorsqu'elle sent la pointe de ses canines frotter son épiderme.

- Toi et moi… pour l’Eternité.

Elle n'est guère coutumière des montées de désir subites. Elle n'écoute que rarement les appels de son corps sur le sujet quand ils surviennent. Bertus affole ses sens de manière systématique et ce depuis qu'elle a éprouvé le besoin de le toucher lors de leur première rencontre. Un acte qui n'avait rien d'innocent mais dont elle a sciemment oblitéré la portée, camouflant ce geste spontané par une commisération tout aussi réelle. Il est toujours plus simple d'ajouter un suffixe au mot "passion" pour en maquiller le sens.
Bertus l'émeut, la trouble, la fait rire, la blesse, la surprend, lui agite les entrailles d'étincelles impromptues dont elle ne sait que faire. Madame ne connait que le contrôle, la planification, l'organisation et le doyen des Taur éveille en elle des instincts fauves, imprévisibles , angoissants et merveilleux à la fois.

Lorsqu'il la mord, Simone pousse un cri d'une sensualité suave et carnassière. Elle renverse sa tête en arrière, paupières mi-closes, bouche entrouverte barbouillée de son propre rouge à lèvres. La poigne sur son collier est si puissante que la chaine se brise et les perles noires se répandent dans les rigoles satinées des draps. Chaque gorgée que Bertus s'octroie lui arrache des gémissements d'une impudeur outrageuse. Ses crocs se libèrent de sa gencive et elle salive à son tour à l'idée de le croquer.

- Délicieuse…tu es délicieuse…

Leurs baisers est d'une férocité difficile à dompter. Simone s'agrippe à lui - ses bras, ses épaules, sa chevelure- comme une noyée.

- Encore... quémande-t-elle entre deux soupirs, et Bertus ne se fait pas prier.

Simone gémit de plus belle.
Elle aimerait qu'il vienne avec elle, qu'il abandonne cette mission sous couverture, qu'il ne la quitte jamais plus. Tout cela passe en elle au travers de son suc vital et capiteux.

- Je te choisis, Simone. Aujourd’hui et aussi longtemps que durera mon existence, déclare Bertus avec solennité.
- Je t'aime, Bertus, lui répond Simone, son beau visage transfigurée par cette affirmation.

Elle happe sa bouche, goute cette lippe comme un met précieux et vient à son tour planter ses crocs dans la veine qu'elle devine à son cou. La puissance de sa saveur emplit sa bouche et lui fait tourner la tête. Elle n'a jamais dégusté meilleur millésime que celui-ci : riche, charpenté, mais avec d'infinies subtilités qui flattent son palais avec une succulente délicatesse.
Maladroitement, ses doigts explorent les dénivelés de son dos jusqu'au creux de ses reins. Elle se souvient alors qu'il est nu, complétement, et sa mâchoire relâche son cou. Du pouce, elle rattrape une gouttelette de son sang épais qui s'échappe à la commissure de ses lèvres et se pourlèche le doigt. Elle ne l'a pas quitté des yeux et n'a nullement conscience de la volupté de son dernier geste.

Je savais qu’elle était là, cachée derrière une forteresse de parures de femme fatales froide et maitrisée. Voir la sensualité de Simone s’exprimer aussi librement reste un spectacle incroyablement envoutant. Ses cris et gémissements resteront ma musique préférée, sans conteste. J’éprouve une certaine fierté d’être capable de réveiller la femme qui se cache tout en dessous de l’image lisse et proprette de « Madame ». C’est cette femme qui m’a toujours fasciné et qui continue à le faire.

- Je t'aime, Bertus…

C’est dingue comme trois petits mots peuvent vous chambouler jusqu’au tréfond de votre être. Je pensais honnêtement pas que ça m’arriverait un jour…Je savais ce que c’était que d’aimer, un amour impossible et qui faisait mal. Mais jamais encore on ne m’a aimé.
Et pourtant Simone prononce ces mots avec une conviction tranquille qui ne permet pas tellement le doute, son visage aux traits splendides illuminé. Elle est magnifique.
Lentement, je viens caresser sa joue comme pour m’assurer que tout ça est vrai et que je suis pas en train de rêver, un sourire idiot mais heureux aux lèvres.

- Je t’aime, Simone… je t’aime à en crever.
Voilà, pour la première fois, j’offre les bouts de mon cœur tout rafistolé à une femme qui le mérite vraiment. Je penche légèrement la tête et lui présente à mon tour le côté de mon cou.
- Viens…à ton tour, dragostea mea.

Elle préfère commencer pas ma bouche, comme je l’ai fait, avant de me mordre profondément. C’est presque encore meilleur que la première fois et la plainte sensuelle qui m’échappe en est la preuve sonore tout comme mon déhanché impulsif.  
Mère-Nuit, c’est presque aussi bon que le sexe… et je dois faire des efforts considérables pour ne pas penser à ce que ça serait de mélanger les deux. Mais j’ai de plus en plus de mal quand je sens ses doigts dévaler mon dos jusqu’à finir au creux de mes reins.
Elle me libère soudain et j’en soupire de dépit avant de rester scotché devant le spectacle d’un érotisme sans doute involontaire qu’elle m’offre. Je dois avoir les yeux à demi-fous de désir et pourtant, je me contente de la regarder. Je ne la quitte d’ailleurs pas du regard quand je descends au plus bas de son décolleté pour venir bénir sa gorge de baisers mordillés. Mon nez frôle la rondeur d’un sein mais je ne m’aventure pas plus loin que ce que me permet son chemiser.

- Tu vois qu’elle existe…la Simone que je dessine sans arrêt et qui me hante…

Je remonte doucement, lape les quelques gouttes de sang qui s’échappent encore de ses plaies, l’envie chevillée au corps de recommencer et de me tourner vers un autre appétit qui demande à être satisfait.
Ma main remonte sans douceur le long de sa cuisse, frustrée de ne pas sentir sa peau, elle froisse le tissu de sa jupe alors que je reviens planter mes iris dans les siens. Je voudrais lui arracher ses vêtements, pouvoir la contempler nue, m’unir à elle dans tous les sens du terme… Malgré tout j’arrive pas à aller plus loin sans son accord.

- Je sais que j’ai dit que tu méritais mieux que cet hôtel miteux et …moi… mais je veux te faire l'amour, Simone... être ton premier... ça aussi tu me laissera faire ?